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La trypanosomiase humaine africaine (THA) - ou maladie du sommeil - reste un problème majeur de santé publique en Afrique intertropicale. La prévalence, très souvent sous-estimée en raison de la faible proportion de population à risque sous surveillance, oscillerait entre 300 000 et 500 000 [1]. Cette parasitose, transmise par les glossines ou mouches tsé-tsé, est causée par des protozoaires du genre Trypanosoma : Trypanosoma brucei gambiense (Tb gambiense), responsable d’une forme chronique (forme gambienne) de la maladie en Afrique de l’Ouest et Centrale, et Tb rhodesiense, responsable d’une forme plus aiguë en Afrique de l’Est (forme rhodésienne).

Dans le cas de la forme gambienne, le cycle de transmission homme-mouche-homme semble prédominer. L’existence d’un réservoir animal a été mise en évidence [2]. Son importance épidémiologique dans la transmission et la persistance de la maladie est toutefois encore mal connue. La forme rhodésienne est une zoonose typique. La transmission à l’homme (souvent considéré comme hôte accidentel) se fait suivant le cycle animal sauvage ou domestique-mouche-homme. Cette différence entre les deux formes de la maladie conditionne les stratégies de lutte : dans la forme gambienne, le traitement de tous les malades, associé à une lutte antivectorielle, devrait théoriquement permettre une éradication de la maladie. Cependant le traitement de tous les malades nécessite un dépistage exhaustif.

La THA évolue en deux phases, une première période, lymphatico-sanguine, durant laquelle le parasite se multiplie dans le sang et dans la lymphe, et une deuxième période, méningo-encéphalitique qui correspond au passage du parasite dans le liquide céphalo-rachidien (LCR). Au cours de la première période (qui peut durer plusieurs années dans la forme gambienne, mais seulement quelques semaines dans la forme rhodésienne), le malade présente des signes cliniques non spécifiques tels que des accès de fièvre fréquents, des céphalées ou des signes cutanés [3]. La phase méningo-encéphalitique se caractérise habituellement par l’apparition de troubles neurologiques (troubles du comportement, de la conscience, de la motricité), qui, sans traitement, conduisent au décès du malade. Les médicaments utilisés en première période (pentamidine, suramine) sont considérés comme peu toxiques, alors que le mélarsoprol, utilisé dans la seconde période, est un dérivé arsenical ayant des effets secondaires importants, responsable d’environ 10 % d’encéphalopathies réactives chez les patients traités.

Le diagnostic clinique de THA étant difficile [3, 4], des méthodes de diagnostic direct ou indirect sont nécessaires. Le diagnostic direct vise à rechercher la présence du parasite dans les liquides biologiques, alors que les méthodes indirectes mettent en évidence l’infection parasitaire à l’aide de tests sérologiques. Le diagnostic indirect est utilisé pour déterminer les sujets sur lesquels porteront les examens du diagnostic direct.

Les méthodes de diagnostic indirect utilisées en dépistage de routine se fondent sur la détection d’anticorps spécifiques par les tests CATT (card agglutination test for trypanosomiasis) Tb gambiense [5] et Latex Tb gambiense [6]. En cas de positivité de l’un de ces tests, le parasite devra être mis en évidence par une méthode directe pour permettre le traitement du malade [1]. Le diagnostic direct consiste en l’observation microscopique de la lymphe et du sang. Si des adénopathies cervicales sont présentes, l’observation de la lymphe se fait simplement par examen direct du suc ganglionnaire. En raison des parasitémies souvent très faibles, l’observation du sang nécessite l’utilisation de techniques de concentration comme la centrifugation en tubes capillaires (CTC) [7], la colonne échangeuse d’anions (mAECt) [8], ou le QBC (quantitative buffy-coat) [9] (Figure 1).

Figure 1

Dépistage et diagnostic de phase de la trypanosomiase humaine africaine.

Dépistage et diagnostic de phase de la trypanosomiase humaine africaine.

Le sujet est hospitalisé si la recherche de trypanosomes dans les adénopathies est positive ou si un test CATT (card agglutination test for trypanosomiasis) sanguin et plasmatique ainsi qu’une recherche de parasites après concentration sur colonne échangeuse d’anions (mAECT) sont positifs. Le diagnostic de phase de la maladie repose sur l’analyse du liquide céphalorachidien (LCR), après double centrifugation (DC), à la recherche de trypanosomes et d’une protéinorachie ou d’une cytorachie anormales. Le passage du parasite dans le LCR signe l’atteinte méningo-encéphalitique qui impliquerait un traitement par le mélarsoprol.

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L’examen du LCR permet de diagnostiquer la phase de la maladie. La recherche de trypanosomes se fait classiquement par simple (SC) ou double (DC) centrifugation du LCR [10, 11]. Ces techniques étant peu sensibles, des critères indirects d’altération du LCR sont aussi utilisés, comme l’augmentation de la protéinorachie (dosage des protéines) et de la cytorachie (comptage des leucocytes). Les valeurs préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé [1] pour établir le diagnostic de phase sont indiquées dans la Figure 1.

Améliorer le diagnostic et la détermination du stade de la maladie

Le diagnostic et la détermination de la phase de la maladie sont d’une importance primordiale : (1) au niveau individuel, car ils permettent d’assigner un statut de « malade » à la personne examinée et de décider du traitement selon la phase de la maladie ; (2) au niveau de la population, car les stratégies de lutte contre cette maladie, qui touchent des populations rurales dans des régions souvent difficiles d’accès, reposent en partie sur la détection précoce et le traitement des malades. Chaque méthode de diagnostic est évaluée en fonction de sa sensibilité (vrais positifs/vrais positifs + faux négatifs) et de sa spécificité (vrais négatifs/vrais négatifs + faux positifs) [12]. Les techniques actuellement utilisées manquent souvent de sensibilité et/ou de spécificité : défaut de sensibilité des examens parasitologiques du fait de parasitémies faibles [13] ; défaut de sensibilité des méthodes indirectes dans le cas d’infections précoces (les anticorps ou antigènes recherchés ne circulent pas encore dans le sang) ou d’infections ne produisant pas les anticorps ou antigènes recherchés [14] ; défaut de spécificité des méthodes sérologiques souvent attribué à des réactions croisées avec d’autres trypanosomes ou d’autres parasites humains, à la persistance d’anticorps ou d’antigènes durant plusieurs mois, voire plusieurs années après traitement [15].

Apports de l’outil moléculaire

Depuis ces dernières années, la détection de l’ADN de trypanosomes par PCR (polymerase chain reaction) est évaluée pour améliorer le diagnostic et la détermination du stade de la THA. Plusieurs amorces oligonucléotidiques ont été testées sur le sang ou sur LCR [16-23]. Quel que soit le protocole utilisé, la PCR semble être généralement beaucoup plus sensible que les techniques parasitologiques classiques, avec une limite de détection allant de 1 à 40 trypanosomes par ml de sang. En comparaison, la mAECt, considérée actuellement comme l’examen parasitologique le plus sensible, donne une limite de détection de 100 trypanosomes par ml de sang [1, 8]. À la différence des techniques sérologiques, la PCR permet de détecter précocement les infections trypanosomiennes [24]. Appliquée au LCR, la PCR s’est avérée plus sensible que la double centrifugation et semble également permettre de diagnostiquer très précocement les rechutes, à la différence des techniques classiquement utilisées [19].

Les amorces oligonucléotidiques couramment utilisées, spécifiques de T. brucei sl, permettent d’éviter les fausses positivités dues à d’autres parasitoses (filarioses, paludisme) ou à la présence transitoire d’autres trypanosomes (trypanosomes animaux). Ces avantages feraient de la PCR un test spécifique. À la différence des techniques indirectes qui peuvent rester positives plusieurs années après le traitement (persistance des anticorps ou des antigènes dans le sang), l’observation d’une PCR positive représenterait réellement une infection active, la persistance de l’ADN de trypanosomes morts dans le sang n’excédant pas un à deux jours [24].

Limites rencontrées

Plusieurs auteurs ont rapporté des discordances entre les résultats des tests sérologiques et ceux obtenus par PCR. Le CATT, utilisé pour le dépistage de masse, manque de spécificité ; un examen parasitologique est donc réalisé sur les sujets positifs pour rechercher les trypanosomes dans les liquides biologiques. Des études menées en Ouganda rapportent une absence significative de corrélation entre le CATT sur sang et la PCR [20]. Des problèmes de reproductibilité de la PCR à partir de sang ont été mis en évidence en Côte d’Ivoire [25]. Chez des sujets séropositifs ayant un examen parasitologique négatif, deux PCR successives ne donnent pas le même résultat. Le suivi longitudinal de ces cas montre que des résultats PCR positifs apparaissent moins souvent dans une population de séropositifs (définis comme positifs en sérologie à chacune des six visites du suivi) que dans une population de séronégatifs (définis comme négatifs en sérologie à au moins l’une des six visites) [26]. Enfin, sur des échantillons de sang de sujets séropositifs non confirmés à l’examen parasitologique, des discordances sont trouvées en fonction des méthodes d’extraction de l’ADN [17].

La spécificité de la technique a également été remise en cause car les amorces les plus utilisées amplifient les souches du groupe de T. brucei sl comprenant, outre Tb gambiense et Tb rhodesiense, Trypanosoma brucei brucei qui n’est pas pathogène pour l’homme. Ces trypanosomes non pathogènes pourraient induire des faux positifs [26]. La spécificité des amorces oligonucléotidiques conventionnelles à T. brucei sl [16] a même été contestée, des réactions croisées avec T. vivax et T. congolense ayant été décrites [22]. Une observation récente pourrait également expliquer en partie l’existence de faux-positifs : des PCR in situ ont montré que des séquences de trypanosomes étaient insérées dans les tissus (macrophages) d’un rat infecté par T. bruceibrucei, traité à la pentamidine [22]. Si elle était confirmée, cette observation pourrait avoir des implications très importantes en termes de diagnostic par PCR et d’interactions hôte-parasite.

Concernant le diagnostic de phase de la maladie, la positivité de la PCR dans le LCR signe la présence du parasite dans le LCR et impliquerait de traiter au mélarsoprol tous les sujets positifs. Or, dans une étude récente menée en Côte d’Ivoire, plusieurs sujets dont la PCR du LCR était positive, mais la DC négative et le nombre de cellules compris entre 0 et 5, ont été traités efficacement par la pentamidine (voirFigure 1) [27]. De plus, des sujets ayant entre 0 et 20 cellules/μl ou positifs en DC ont pu être traités efficacement par la pentamidine, ce qui laisse penser que même la présence de trypanosomes dans le LCR ne semble pas justifier l’emploi du mélarsoprol [28]. Même si la PCR/LCR permet d’améliorer le diagnostic de phase de la maladie, son intérêt n’apparaît pas toujours évident dans la décision thérapeutique.

Conclusions et perspectives

L’utilisation de la PCR dans le dépistage et le diagnostic de phase de la THA pourrait apporter des avancées importantes. Dans le cadre du dépistage actif, la PCR utilisée en aval des tests sérologiques permettrait d’établir si un sujet est infecté, avec une sensibilité apparemment supérieure aux méthodes classiquement utilisées. Mais tant que l’on ne pourra pas affirmer avec certitude qu’une PCR positive est le signe d’une infection active, l’utilisation de cette méthode dans le cadre du dépistage restera marginale. La PCR offre une sensibilité apparemment inégalée et une spécificité correcte, mais les résultats obtenus chez des sujets ayant un test CATT positif non confirmé par l’examen parasitologique sont controversés. Cependant, le problème du diagnostic chez ces sujets ne concerne pas seulement la PCR, mais toutes les techniques de diagnostic.

En termes d’application sur le LCR, la PCR peut permettre de déterminer si un malade est en première ou seconde phase, ce qui conditionnera son traitement. Mais a-t-on réellement intérêt à utiliser le test le plus sensible pour le diagnostic de phase, alors que plusieurs travaux rapportent que l’on peut traiter avec succès des malades en seconde phase par la pentamidine [28]. En revanche, la PCR présente un intérêt certain dans le suivi du traitement et le diagnostic précoce des rechutes, la mise en évidence d’ADN trypanosomien dans le LCR pouvant être considérée comme la signature d’une réapparition de la maladie.

Dans toutes ces applications, un pas décisif aura été franchi lorsque des amorces spécifiques de l’ADN de trypanosomes pathogènes pour l’homme seront disponibles. Des candidats potentiels sont actuellement à l’étude pour le diagnostic moléculaire de la THA : SRA (serum resistant associated gene) pour Tb rhodesiense [29] ; TgsGP (T gambiense specific glycoprotein) pour Tb gambiense [23] ; des séquences d’ADN microsatellites spécifiques de Tb gambiense qui différencient apparemment les trypanosomes pathogènes de l’homme des autres T. brucei [30]. Ces marqueurs pourraient résoudre les problèmes de spécificité de la PCR, à condition de conserver des sensibilités équivalentes à celles obtenues avec les amorces oligonucléotidiques utilisées actuellement.

La complexité des processus mis en jeu lors du passage du trypanosome dans le sang et dans le LCR est due à des phénomènes liés au parasite (variabilité génétique, différence de virulence) ou à l’hôte (sensibilité individuelle à l’infection, processus d’altération du système nerveux central). Cette complexité peut affecter la fiabilité des tests de dépistage et de diagnostic de phase de la THA et rendre difficile la décision thérapeutique (doit-on traiter un sujet ? Avec quel médicament ?). Même si la PCR peut contribuer au dépistage et au diagnostic de phase, la mise au point d’un outil fiable, applicable à tous les sujets atteints de THA, et permettant de prendre la meilleure décision thérapeutique nécessite une meilleure connaissance de ces phénomènes. L’élaboration d’outils novateurs et de stratégies thérapeutiques nouvelles non toxiques aidera à lutter efficacement contre cette maladie, surtout à l’heure où les échecs thérapeutiques par résistance au traitement se multiplient [1].