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Patience et longueur de temps rendent le rat dépendant…

De la planaire aux primates en passant par les insectes, la prise volontaire de drogue est un comportement largement répandu dans la phylogénie. Cependant, la prise de drogue n’est qu’un des aspects de la toxicomanie. La dépendance ne s’installe que si la prise de drogue persiste en dépit des conséquences nocives. De plus, ce comportement pathologique de dépendance ne se met en place que chez 15 à 17 % des preneurs de cocaïne (DSM-IV, version révisée, 2000). Jusqu’ici, une telle proportion n’avait pas été mise en évidence dans les modèles animaux d’auto-administration. Mais, en s’en donnant le temps (trois mois d’auto-administration de cocaïne, au lieu d’un seul dans les modèles usuels - ce qui correspond à près d’un 1/10 de la durée de vie des animaux) et les moyens (102 rats Sprague Dawley en expérimentation et mise au point de nombreux protocoles comportementaux), V. Deroche-Gamonet et al. [1] montrent que plusieurs des critères cliniques utilisés pour le diagnostic de toxicomanie chez l’homme - persistance à rechercher la drogue en son absence, difficulté à arrêter l’auto-administration en dépit de stimulus aversifs (chocs électriques suivant la prise), propension à la rechute après une période de sevrage - se retrouvent chez 17 % des animaux. Les auteurs remarquent que la coïncidence entre ce pourcentage et celui des toxicomanes est plutôt frappante. Ils font également mention de données préliminaires sur l’expression d’EGR1/NGFI-A/krox24/zif268, un gène précoce induit par la cocaïne, de façon plus marquée dans le cortex cingulaire des rats ne présentant aucun critère de toxicomanie en comparaison avec ceux qui présentent les trois. Le cortex cingulaire est l’une des structures cérébrales composant le système mésocorticolimbique dont l’activité, visualisée en imagerie, est fortement modifiée chez les toxicomanes. Dans leur ensemble, ces résultats confortent les hypothèses selon lesquelles la toxicomanie résulte non seulement de l’exposition mais également du degré de vulnérabilité des individus exposés. Dans un article compagnon, L.J. Vanderschuren et B.J. Everitt [2] observent également que l’accès prolongé à la cocaïne est nécessaire pour que la dépendance s’installe chez le rat Lister Hooded mais, dans cette seconde étude, réalisée sur une souche différente de celle utilisée par V. Deroche-Gamonet et al., les animaux ne sont pas différenciés en fonction de leur vulnérabilité. En revanche, le groupe de Cambridge (Royaume-Uni) montre que l’exposition prolongée à une substance appétissante comme le sucrose n’est pas addictive. Si on poursuit le parallèle entre le rat et l’homme, c’est plutôt une bonne nouvelle, à la fois pour les marchands de sucrerie, qui devraient pouvoir continuer à en écouler, et pour les candidats au syndrome métabolique qui devraient pouvoir arrêter d’en acheter sans trop d’effort !

L’oeuf de la nuit des temps

Les gisements de fossiles du site de Yixian, dans la province de Leao-ning, au nord-est de la Chine continuent de délivrer aux paléontologues de précieux renseignements sur les dinosaures et les ancêtres des oiseaux. Grâce à eux, nous avons appris que certains sauriens portaient des plumes ((→) m/s 2001, n° 10, p. 1093).

Voici à présent qu’un oeuf de ptérosaure, datant du crétacé supérieur (121 millions d’années) vient d’être découvert en parfait état de conservation [3]. Des bébés ptérodactyles dont la constitution anatomique indiquait qu’ils devaient être aptes à voler avaient déjà été décrits [4]. Avec leur envergure de 18 cm, ils étaient les plus petits connus des ptérosaures. Ils gardent ce privilège puisque le poussin sur le point d’éclore, contenu dans l’oeuf récemment découvert a déjà une envergure de 27 cm. Son squelette, bien ossifié, ainsi que la présence des membranes des ailes laisse présumer que ce petit s’apprêtait à casser sa coquille, mais on ne sait quelle catastrophe (un désastre naturel, peut-être une éruption volcanique ?), l’a tué dans l’oeuf avant qu’il ne puisse fouler le sol de la planète terre alors encore si jeune et prendre son envol ! Le crâne rejeté en arrière est replié par rapport à la colonne vertébrale qui s’étend tout le long de l’axe de l’oeuf. La mandibule porte de longues dents légèrement incurvées. Les membres sont repliés avec un humérus puissant, de la même taille que le fémur. Les métacarpiens allongés à quatre doigts attestent de l’appartenance de ce poussin au sous-ordre des ptérodactyloïdes. Les taches pigmentées retrouvées sur les restes de coquille pourraient aider à l’identification de l’espèce. De tous les fossiles découverts dans le gisement, c’est sans doute à l’Haopterus que cet embryon ressemble le plus. Mais la croissance n’étant pas isométrique, il n’est pas possible de déterminer avec certitude l’espèce à laquelle appartient cet oeuf vénérable de la taille d’un petit oeuf de poule (53 mm de long sur 41 mm de large). Il apporte toutefois la certitude, depuis longtemps attendue, que les ptérosaures étaient des ovipares.

Comment rendre un mulot des champs monogame ?

Le rôle neurohormonal de la vasopressine dans le contrôle de l’équilibre hydrique est bien connu des physiologistes depuis sa découverte, dans les années 1950. Avec sa consoeur l’ocytocine, elle a évolué, par une simple substitution d’un acide aminé, à partir de la vasotocine, hormone qui, chez les reptiles, est également impliquée dans la nidification et la ponte des oeufs. Le rôle neurohormonal de l’ocytocine circulante dans la parturition chez les mammifères n’est plus à démontrer. En revanche, c’est en tant que neurotransmetteur que la vasopressine a maintenu une fonction liée à l’activité sexuelle et/ou de reproduction. En particulier, la capacité des sous-espèces de mulots à former des liens sociaux avec leur partenaire sexuel varie en relation avec la densité de récepteurs V1aR de la vasopressine dans le pallidum ventral, une région du cerveau située entre la base du diencéphale et le système de récompense dopaminergique mésolimbique. Si cette densité est forte, comme chez le mulot des prairies (Microtus ochrogaster), l’animal est monogame. À l’inverse, si elle est faible, comme chez le mulot des champs (Microtus pennsylvanicus), l’animal change souvent de partenaires. À partir de ces observations, M.M. Lim et al. [5] ont utilisé la technique de transfert viral de gène pour surexprimer le récepteur V1aR après injection dans le pallidum ventral du mulot des champs afin de le rendre monogame. Ils ont ainsi obtenu des animaux V1aR-vp qui présentaient dans le pallidum ventral trois fois plus de récepteurs V1aR, des concentrations analogues à celles mesurées chez le mulot des prairies. Tous les animaux furent alors appariés avec une femelle sexuellement réceptive pendant 24 heures. Puis, on leur fit passer un test de préférence de partenaire dans lequel ils avaient accès à leur partenaire précédente ou à une nouvelle femelle tout aussi sexuellement réceptive. Les animaux V1aR-vp passèrent près de trois fois plus de temps blottis auprès de leur partenaire qu’avec la nouvelle femelle alors que les témoins ne présentaient pas ce comportement. Dans la mesure où un antagoniste des récepteurs D2 dopaminergiques bloque le lien chez le mulot des prairies, l’expérience fut reproduite chez les animaux V1aR-vp après injection d’éticlopride. À la suite de ce traitement, les mulots transgéniques perdirent leur attachement à leur partenaire sans que celui des témoins en soit affecté. Ces derniers résultats indiquent que la formation du couple chez les animaux transgéniques dépend également de la transmission dopaminergique, comme chez le mulot des prairies. Pris dans leur ensemble, ils confortent l’hypothèse selon laquelle des comportements aussi complexes que la formation d’un couple (tout au moins chez les mulots) dépendent de différences subtiles dans l’expression d’un gène sans qu’une mutation dans une région codante soit impliquée. Plus prosaïquement, verra-t-on bientôt des traitements contre l’infidélité à base de vasopressine ou des maires (écologistes ou non) déclarer l’union par les liens du mariage et des récepteurs V1aR ?

Maladie de Huntington et rapamycine

La maladie de Huntington, le modèles des maladies neuro- dégénératives dues à une expansion de triplets (CAG)n, ne bénéficie actuellement d’aucune thérapie efficace, mais de nombreuses recherches sont en cours : des modèles animaux - dont la drosophile [6] ((→) m/s 2002, n° 1, p. 21) -, ont été obtenus qui permettent d’étudier in vivo le mécanisme de neurodégénérescence. De nombreuses hypothèses (excitotoxitcité directe ou indirecte) ont été analysées afin de comprendre le mécanisme de la mort neuronale [7]. On sait que la protéine huntingtine (HTT), lorsqu’elle est mutée, se clive et que la fraction aminoterminale s’accumule en agrégats nucléaires et/ou neuritiques. Ces agrégats sont-ils directement toxiques ? Si on pouvait les faire disparaître par autophagie, la dégénérescence des neurones serait-elle retardée ? C’est pour tenter de répondre à cette question qu’une équipe anglaise vient d’étudier l’effet de la rapamycine sur des cellules et des animaux transgéniques [8]. La cible de la rapamycine est mTOR (mammalian target of rapamycine) avec laquelle elle forme un complexe. Quand celui-ci se forme, l’action inhibitrice sur l’autophagie qu’exerce mTOR sur toutes les cellules vivantes disparaît. Les résultats montrent que la rapamycine réduit la neurodégénérescence chez la drosophile transgénique, plus efficacement, semble-t-il, que d’autres molécules déjà testées chez la mouche [9]. Le modèle murin choisi (Ross/Borchelt plutôt que R6/2) a l’avantage d’avoir des manifestations cliniques plus tardives et une expression essentiellement neuronale. Sous l’action de la rapamycine (un ester CCI-779 plus soluble), l’apparition du tremblement est retardé chez ces souris transgéniques, et les performances aux différents tests restent plus longtemps satisfaisantes. Certes, ces résultats ont l’intérêt de montrer que les inclusions peuvent avoir un effet neurotoxique, mais il faudra sans doute encore bien des efforts pour pouvoir enfin traiter et guérir cette effroyable maladie.

Le clivage de Tau, chaînon manquant entre surcharge amyloïde et dégénérescence neurofibrillaire ?

La maladie d’Alzheimer est une démence neurodégénérative caractérisée, sur le plan neuropathologique, par l’accumulation d’une substance extracellulaire, le peptide β-amyloïde, et une mort neuronale dont l’illustration majeure est une dégénérescence neurofibrillaire résultant de l’agrégation intraneuronale de protéines associées aux microtubules, les protéines Tau ((→) m/s 2002, n° 6-7, p. 727).

Cependant, les mécanismes d’agrégation impliqués et la relation avec l’amyloïde extraneuronale restent inconnus. Le travail de R.A. Rissman et al. [10] pourrait réconcilier un certain nombre d’investigateurs tenants respectifs des hypothèses βaptiste ou tauiste… En effet, ces auteurs démontrent que le clivage de Tau à son extrémité carboxyterminale peut être réalisé par les caspases 3 et 7 au niveau du résidu Asp421. Il s’agirait d’un événement précoce de la dégénérescence neurofibrillaire et la présence de formes tronquées de Tau (Asp421) est bien corrélée au statut cognitif des patients atteints de maladie d’Alzheimer. De plus, ces formes tronquées en Asp421 pourraient agir comme des facteurs de nucléation dans le processus d’agrégation des protéines Tau. Enfin, le clivage de Tau est observé à la suite d’un traitement par un initiateur apoptotique reconnu de la maladie d’Alzheimer, le peptide β-amyloïde. L’ensemble de ces résultats suggère que, dans la maladie d’Alzheimer, un déclenchement de l’apoptose par le peptide β-amyloïde peut être à l’origine de la dégénérescence neurofibrillaire. Dès le début des années 1990, le groupe de Claude Wischik avait suggéré que les protéines Tau agrégées étaient des formes tronquées de Tau [11]. Dans les années 2000, un certain nombre de laboratoires ont montré que la protéine Tau pouvait être clivée à son extrémité carboxyterminale par la caspase 3 au cours de processus apoptotiques [12] et que ce processus était un marqueur précoce de la dégénérescence neurofibrillaire [13]. Les travaux de R.A. Rissman et al. confortent totalement ces données et apportent de nouveaux arguments à cette hypothèse. Cependant, ces résultats n’expliquent pas pourquoi les protéines Tau sont retrouvées hyperphosphorylées dans les filaments de la dégénérescence neurofibrillaire. D’autres études montrant un lien entre apoptose et dégénérescence neurofibrillaire, et expliquant l’hyperphosphorylation de Tau, ont été publiées [14]. La prochaine étape sera de confronter l’ensemble de ces résultats afin d’envisager une stratégie thérapeutique innovante.

Tourner, puis traverser pour connecter

Le bon fonctionnement du cerveau dépend de la manière dont les neurones trouvent leurs cibles et se connectent au cours du développement. Des molécules attirent, d’autres repoussent les cônes de croissance des axones en cours de croissance. Ce mécanisme permet aux axones de trouver leur destination finale. L’un des modèles de choix de cette problématique est la décussation, situation où les fibres nerveuses traversent une fois et une seule la ligne médiane engendrant une connexion controlatérale ; d’autres fibres ne la franchissent pas, produisant une connexion ipsilatérale. Robo-1 et Robo-2 sont des récepteurs transmembranaire activés par la molécule chimiorépulsive Slit. Ces récepteurs contrôlent notamment la dynamique de l’actine et leur activation par Slit empêche le cône de croissance de franchir la ligne médiane. L’étude d’un syndrome héréditaire humain rare (syndrome of horizontal gaze palsy with progressive scoliosis, HGPPS), caractérisé par une scoliose progressive combinée avec une anomalie de la motilité conjuguée oculaire, suggère que certaines fibres nerveuses n’ont pas franchi la ligne médiane. Le consortium mené par Elizabeth C. Engle (Harvard Medical School, Boston, MA, USA) montre que les patients atteints de HGPPS présentent des mutations dans le gène ROBO-3 [15]. Ces mutations entraînent la production d’une protéine incomplète. Chez le mutant roundabout (d’où Robo) de la drosophile, les axones traversent plusieurs fois la ligne médiane. L’équipe d’A. Chédotal (CNRS, Université Paris VI, France) montre que Robo-3 s’exprime jusqu’à ce que les axones aient franchi cette ligne et que l’élimination de Robo-3 par recombinaison homologue chez la souris empêche certains axones de traverser la ligne médiane [16]. Robo-3, contrairement à Robo-1 et 2, jouerait donc un rôle permissif dans le franchissement de la ligne médiane. Le mécanisme de signalisation intracellulaire de Robo-3 reste à élucider. Ces deux articles convergent pour indiquer un rôle important de Robo-3 dans le passage de la ligne médiane et la construction du cerveau.

Les battements de cils comme traitement de l’obésité

L’association retard mental, obésité, rétinite pigmentaire, polydactylie et hypogénitalisme qui caractérise le phénotype du syndrome de Bardet-Biedl (BBS) était assez spécifique pour qu’on lui suppose une origine génétique unique. Il n’en est rien : 8 locus ont été dénombrés et 6 gènes sont actuellement isolés. médecine/sciences n’a pas manqué de tenir ses lecteurs au courant de cette hétérogénéité génétique ainsi que de la possibilité, dans certaines formes de BBS, d’une hérédité triallélique [17], bien que la transmission de la maladie se fasse généralement de façon récessive ((→) m/s 2002, n° 12, p. 1205). Quant au rôle des protéines codées par ces gènes, il est encore mal connu : mise à part la protéine BBS6 qui a beaucoup de similitude avec une chaperonine de type II, les autres ne se rattachent à aucun groupe. Toutefois, la localisation presque exclusive dans les cellules ciliaires des protéines BBS4 et de BBS8 a fait supposer qu’elles doivent intervenir dans l’assemblage et/ou la fonction ciliaire. Afin de pouvoir étudier les fonctions de BBS4, l’équipe qui a isolé le gène BBS4 [18] vient d’invalider le gène chez la souris [19]. Le résultat est spectaculaire car les souris Bbs4-/-, qui sont un peu hypotrophiques à la naissance comparées aux souris témoins, deviennent obèses car elles mangent beaucoup. Elles présentent en outre une dégénérescence rétinienne apoptotique progressive : à l’âge de 2 semaines, les souris Bbs4-/- ont une rétine normale ; à 6 semaines, l’électrorétinogramme est devenu anormal et l’épaisseur de la couche externe des photorécepteurs est diminuée ; à 7 mois, toutes les cellules photoréceptrices des couches externe et interne ont disparu. Enfin, les mâles Bbs4-/- sont stériles car leurs spermatozoïdes sont dépourvus de flagelle. Pourtant, l’absence de Bbs4 n’empêche ni la formation des cellules ciliées, ni la motilité ciliaire (comme l’atteste l’examen des cellules de la trachée et des cellules des tubules rénaux). Il semble donc que Bbs4 intervienne comme médiatrice pour la mise en communication et/ou pour le transport entre le cil et l’intérieur de la cellule. Chez les souris Bbs4-/-, l’absence de Bbs4 empêche le transport intracellulaire, que l’on sait indispensable pour maintenir la régénération rapide du segment externe [19]. Les gènes BBS sont très conservés au cours de l’évolution. Or, il semble qu’il soient préférentiellement conservés dans les espèces pourvues de flagelles. Il serait intéressant de vérifier inversement l’absence de gènes BBS dans les organismes non ciliés. Quant à la relation entre obésité et perte de fonction de BBS4, elle pourrait être due à une perte de fonction des neurones impliqués dans la régulation de la satiété, mais ceci reste à vérifier.

Une étape franchie dans l’étude des cellules auditives

L’analyse fréquentielle des sons par la cochlée est un phénomène complexe pour lequel deux systèmes - au moins - interviennent : la vibration de la membrane basilaire sur laquelle reposent les cellules sensorielles, et la contraction des cellules ciliées externes ; les cellules ciliées internes, quant à elles, ont pour fonction de transmettre les informations auditives au cerveau. La contraction des cellules sensorielles est directement liée au potentiel de transduction déclenché par l’inclinaison des cils au cours de la stimulation sonore, inclinaison qui induit l’ouverture des canaux ioniques dits canaux de transduction. Ces informations avaient été obtenues à partir de cellules ciliées isolées, de cultures organotypiques provenant de fragments excisés d’épithélium sensoriel ou de cochlée immature. L’originalité du travail de l’équipe de P. Dallos [21] réside en l’utilisation d’un modèle d’hémicochlée de gerbille adulte permettant une étude des cellules ciliées externes matures dans des conditions assez proches des conditions in vivo, à l’exception des concentrations ioniques (K+ et Ca2+) des liquides baignant ces cellules. Le courant de transduction a été étudié sur les cellules ciliées de la base (correspondant aux fréquences 18-13 kHz) et de l’apex (1-0,6 kHz) par la technique de whole cell patch clamp, la membrane basilaire étant stimulée mécaniquement. Si les principes généraux de la réponse des cellules ciliées à la vibration de la membrane basilaire ne sont pas remis en cause (ouverture des canaux de transduction lorsque les cils sont inclinés vers les cils les plus grands et que la membrane basilaire bombe vers la rampe vestibulaire), les courants obtenus sont environ trois fois plus élevés que ceux mesurés sur des cellules isolées ; un facteur 3 est surajouté si la concentration de Ca2+ est diminuée à 20 μM, valeur mesurée dans l’endolymphe. Il ne reste plus qu’à rétablir le gradient de K+ (160 mM à l’apex des cellules ciliées, 5 mM à leur base) et de potentiel (+100 mV apical) pour reproduire une cochlée in vivo. L’étape ultérieure sera de transférer les données obtenues aux microprocesseurs des implants cochléaires chargés de donner une audition proche de la normale aux patients sourds.

Les yeux des papillons

Il existe dans le monde quelque 12 000 espèces de papillons dont certaines sont malheureusement menacées de disparition ((→) m/s 1998, n° 6-7, p. 824).

Leurs ailes chamarrées, merveilles de la nature, diffèrent d’une espèce à l’autre pour la plus grande joie des collectionneurs. Les formes et les couleurs dépendent d’un programme de développement spécifique et reflètent l’évolution des espèces depuis l’époque lointaine (paléocène) où les premiers lépidoptères étaient exclusivement nocturnes ((→) m/s 2000, n° 3, p. 447). L’étude du développement et de l’évolution des dessins des ailes de papillons a donné lieu à de nombreux travaux [22]. Elles résultent de la production, par des cellules hypodermiques, d’écailles dont les reflets colorés dépendent de leur disposition et des pigments qu’elles recèlent. Dans les espaces interveineux de la nervation des ailes antérieures et postérieures, des lignes, des taches ou des ocelles sont disposés symétriquement. Les pigments sont déposés à partir d’un point focal. Le signal est transmis aux cellules adjacentes pour former des anneaux de taille et de couleur différentes. Mais par quel mécanisme moléculaire ? Nous le savons désormais. En effet, dans un travail récent, des chercheurs ont démontré que la voie Notch, avec le facteur de transcription Dll (distal less) conditionne l’apparition des ocelles [23]. Ils observent que Notch et Dll sont exprimés dans les espèces à ocelles, précisément dans les zones où ceux-ci se forment. L’étude d’un mutant de Bicyclus anynana[*] établit même une relation directe entre l’expression de Notch et l’apparition des yeux : dans le mutant B anynanamissing, la quantité de Notch et de Dll est très réduite dans les espaces interveineux où les yeux sont absents, alors qu’elle est normale dans les régions où les yeux apparaissent. De plus, il semble que l’expression temporo-spatiale de Notch et de Dll soit en corrélation avec l’évolution phylogénétique des lépidoptères. En analysant l’expression de Notch dans huit espèces de mites et de papillons, on observe que l’expression est d’abord diffuse, puis se localise sur une ligne médiane, pour se concentrer enfin dans des foyers chez les espèces les plus récentes. Cette expression spatiale de Notch dans les ailes serait spécifique de l’ordre des lépidoptères. Mais il est clair que, comme un battement d’aile de papillon peut changer la face du monde, il suffit d’une molécule en moins pour que disparaissent les yeux des papillons.

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Que sont nos dodos devenus ?

L’analyse de l’ADN du dronte, ou dodo, prélevé sur un animal naturalisé conservé au musée d’histoire naturelle de Londres a montré qu’il était apparenté aux pigeons ((→) m/s 2002, n° 5, p. 549). Ce gros volatile, Raphus cucullatus, incapable de voler, aurait donc été un oiseau banal, comme l’autruche ou le casoar si Lewis Carroll ne l’avait fait entrer, avec Alice, au pays des merveilles (chapitre 3) et s’il n’était devenu l’étendard des espèces disparues. Les chercheurs continuent à lui porter intérêt puisqu’il vient encore tout récemment d’avoir l’honneur de deux communications dans Nature [24, 25]. Celles-ci tentent de fixer, avec le plus de précisions possibles la date de son extinction, à l’île Maurice. Quand Georges Buffon, Inten-dant des Jardins du Roi (qui devinrent le Jardin des Plantes) note dans un des 36 volumes de son Histoire Naturelle : « Le dronte paraît propre aux îles de France et de Bourbon… il serait donc à désirer que des voyageurs, et surtout des naturalistes …l’examinassent… », il y a tout lieu de penser que l’espèce était éteinte. Elle l’était sans doute déjà quand les Français prirent possession de l’île Maurice, en 1710. Mais tout juste : des calculs statistiques permettent d’estimer, avec un intervalle de confiance souvent large, combien de temps une espèce continue à vivre après qu’il n’en soit plus fait mention dans un pays. Sous la domination hollandaise, le dernier gouverneur de l’île (de 1677 à 1692), Lamotius, tint régulièrement un registre. Comme les envois de nourriture depuis le Cap (Afrique du Sud) se faisaient rare, il dut recourir à des chasseurs pour attraper du gibier : daims, cochons, chèvres, mais aussi dodos et tortues géantes… dont l’espèce a disparu, elle aussi. Malheureusement, à partir de 1688, il semble que Lamotius ait renoncé à tenir un registre ; du moins il n’a pas été retrouvé dans les archives conservées au Cap. Selon les deux travaux récents, qui sont un peu divergents, le dodo a dû disparaître entre 1688 et 1715. Il est à craindre que nous n’en sachions jamais plus. Mais l’important n’est-il pas d’assister à sa réhabilitation ? Si ce Didus ineptus était plutôt méprisé jadis [26], il fait aujourd’hui rêver d’un monde disparu et tourne inlassablement dans le manège du Jardin des Plantes, pour la plus grande joie des enfants.

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Voie Notch et somitogenèse

Les dysostoses spondylo-costales (SCD) constituent un groupe de maladies génétiques hétérogènes - de transmission récessive autosomique -, caractérisé par des segmentations anormales des vertèbres (hémivertèbres, fusion, segmentation des corps vertébraux) auxquelles sont associées des anomalies des côtes. Les SCD ont fait l’objet, l’an passé, d’une excellente revue clinique [27]. Le gène en cause, DDL3, fut découvert en 2000 par une équipe anglo-saxonne et les lecteurs de médecine/sciences ont été tenus informés de cette intéressante découverte impliquant un homologue d’un des gènes Delta de la drosophile : Ddl3 ((→) m/s 2000, n° 8-9, p. 1000). Les gènes delta, très conservés dans l’évolution, codent pour des protéines membranaires qui interviennent dans la voie Notch en contrôlant la différenciation des cellules du neurectoderme. Mais, après étude moléculaire de l’ensemble des familles, il apparut qu’un groupe de malades, avec segmentation vertébrale anormale sur l’ensemble du rachis, n’était pas porteur de mutations de DDL3. Pour certains d’entre eux, le locus de DDL3, en 19q13.1, avait pu être exclu. Grâce à une famille libanaise consanguine (avec deux enfants atteints), un nouveau locus fut découvert en 15q21.3 -15q26.1. En explorant cette région, la même équipe anglo-saxonne vient de mettre en cause le gène MESP [28]. En effet, les malades de cette famille ont une duplication de 4 pb (ACCG) dans le premier exon de ce gène (qui en comporte deux). Codant pour un facteur de transcription de la famille bHLH (hélice-boucle-hélice), MESP2 (mesoderme posterior 2) est ainsi appelé car il est exprimé très tôt chez la souris dans le mésoderme postérieur. Il intervient dans la voie Notch et joue un rôle essentiel dans la somitogenèse [29]. Mais en dehors de cette famille consanguine, aucun des autres malades, négatifs pour DDL3, ne présentent de mutations de MECP2. Il reste donc encore un ou plusieurs autres gènes à découvrir, probablement dans la cascade de signalisation Notch. Il est important de les trouver, non seulement pour une connaissance complète des malformations vertébrales chez l’homme, mais aussi pour une classification clinique et radiologique plus fine, car il semble exister des différences dans la nature et la gravité des atteintes osseuses entre les familles de SCD avec mutation de DDL3 et les autres.

La dixième sous-unité de TFIIH

La trichothiodystrophie (TTD) est une maladie récessive autosomique qui se manifeste par une hypotrophie, des ongles et des cheveux cassants (par manque de soufre), une ichthyose et un retard mental. Environ 50 % des malades ont une hyperphotosensibilité due au trouble de la réparation de l’ADN responsable de l’ensemble des signes cliniques (sans qu’il y ait de prédisposition aux cancers cutanés). Comme le xeroderma pigmentosum, le syndrome de Cockayne et quelques syndromes apparentés, la TTD est causée par un trouble de fonctionnement du facteur de transcription/réparation TFIIH. L’architecture de ce facteur essentiel à la réparation par excision-resynthèse de l’ADN (qui agit de concert avec 5 autres facteurs de transcription généraux) est complexe. Elle a été bien décrite dans médecine/sciences par le groupe de l’IGBMC de Strasbourg (France) qui a réussi à en déterminer la structure moléculaire par microscopie électronique [30]. Elle compte en effet 9 sous-unités, dont 2 hélicases, XPD et XPB (pour xeroderma pigmentosum D et B), dont certaines mutations peuvent être la cause d’une trichothiodystrophie. Toutefois, il subsistait un groupe de TTD, TTDA, pour lequel aucune des neuf sous-unités composant le TFIIH n’avait pu être mise en cause. Pourtant, la quantité de TFIIH était diminuée de moitié chez les malades de ce groupe et le trouble de réparation était également présent. On comprend désormais pourquoi : il existe en fait une dixième sous-unité, TFB5, impliquée dans TTDA. Récemment identifiée dans la levure [31], l’absence de cette sous-unité diminue l’efficacité de la transcription et l’excision des nucléotides. Le même groupe strasbourgeois, en collaboration avec trois autres équipes, a montré que l’orthologue humain appelé TTDA (trichothiodystrophy of complementation group A), ou encore GTF2H5 (general transcription factor 2H, polypeptide 5) était muté chez des malades porteurs de TTDA de trois familles différentes [32]. De plus, la micro-injection d’ADNc de TFB5 corrige le défaut de réparation des fibroblastes TTDA en culture. La comparaison du fonctionnement de cette sous-unité si bien conservée dans différentes espèces animales sera très éclairante. Entre la levure et l’homme, on observe déjà quelques différences : la concentration de TFIIH est normale chez la levure alors qu’elle est nettement diminuée chez l’homme où elle retentit plus sur l’excision que sur la transcription. Désormais, il est possible d’analyser complètement le mécanisme moléculaire de la fonction TFIIH et d’avoir une connaissance exhaustive des maladies humaines avec hyperphotosensibilité et déficience en TFIIH.