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Je suis habituellement agacé par les affirmations à l’emporte-pièce que tout est sacré chez les Autochtones. C’est, selon moi, une autre façon — un peu plus subtile peut-être — de les mettre à part de nous et de notre rationalité occidentale et moderne. Je dois reconnaître, toutefois, que l’auteur de ce petit volume n’abuse pas dans son texte de ce genre d’affirmations. Il ne fait directement référence au sacré qu’à la fin de son livre dans un court passage de trois petits paragraphes sous l’intitulé «A sacred link» (p. 106). Il souligne alors, qu’à la différence des Européens, «la croyance traditionnelle inuit est que tous les êtres ont une âme» et «que le succès à la chasse était le résultat du respect envers l’âme de leur proie, de l’adoption de l’attitude appropriée envers le phoque» (p. 106). Par contre, tout le premier chapitre d’une vingtaine de pages porte sur le «Respect envers le phoque» et traite, à travers des citations de mythes et de légendes inuit, de la création des phoques, de la transformation des phoques en humains — le plus souvent des femmes — et des rituels et tabous entourant leur chasse, y compris l’intervention du chaman.

Disons-le tout de de suite, ce livre n’est pas un ouvrage scientifique relevant de l’anthropologie, de la géographie, de l’histoire ou de quelque autre discipline académique, mais plutôt une oeuvre de vulgarisation ou même une production artistique en raison des nombreuses illustrations d’oeuvres d’art inuit (sculptures, gravures, dessins) et des nombreuse photographies de qualité exceptionnelle qui occupent environ le tiers des pages. L’auteur situe sa démarche dans la mouvance de l’intérêt actuel pour la connaissance traditionnelle «des peuples dont les vies dépendaient de cette connaissance» (p. xiii). Son matériel «de recherche» été recueilli auprès de 31 informateurs et cinq informatrices résidant principalement dans le Nunavut (28 personnes), mais aussi au Nunavik (8 personnes), dans les Territoires du Nord-Ouest et au Groenland. Pendant les six années de la préparation de son livre il a résidé à Cambridge Bay mais, de façon étonnante, seulement deux informateurs sont originaires de cette localité, les plus nombreux étant de Sanikiluaq (8 personnes) et d’Igloolik (5 personnes). Comme ses informateurs proviennent d’une quinzaine de localités et de quatre régions différentes, l’auteur a parcouru une grande partie de l’Arctique dans sa quête de témoignages oraux de personnes âgées, dont certaines auraient plus de cent ans aujourd’hui, si on se fie aux dates de naissance accompagnant les références à chaque citation d’informateur. Au total, on dénombre une cinquantaine de ces citations, allant d’une seule phrase à deux pages, et représenant environ le tiers du contenu du livre.

La partie centrale de l’ouvrage (pp. 33-105) est consacrée à la chasse au phoque proprement dite en fonction de trois saisons: l’hiver sur la banquise; le printemps dans les espaces d’eau libre entre les glaces; et l’été en kayak (au Groenland). La chasse au trou de respiration (aglu) est nettement la mieux documentée par la présentation d’une journée de chasse à partir du départ à l’aube jusqu’au retour à la nuit tombante, entrecoupée d’informations sur les connaissances des comportements du phoque et du rituel entourant la première capture par un jeune chasseur. D’autres données sont aussi fournies au sujet du partage des prises et de certaines pratiques, tels que l’abreuvement par la femme du chasseur du phoque rapporté et les tabous à respecter pour avoir du succès à la chasse. Le passage sur la chasse de printemps insiste davantage sur les différentes techniques (v.g.,auriaq, avataq) utilisées à cette période de l’année et l’apprentissage de celles-ci par le jeune chasseur. Finalement, la dernière sous-partie souligne l’importance du phoque du Groenland dans l’économie de ce pays et de la chasse en kayak à travers les glaces pratiquée pendant les mois d’été, ainsi que de l’habillement des chasseurs fabriqué entièrement en peau de phoque.

La troisième et dernière partie du livre intitulée «A pact for Survival» est consacrée à la place du phoque dans l’économie moderne, très largement monétarisée, des communautés inuit de l’Arctique qui continuent d’en dépendre «à un certain degré» comme source de nourriture en raison des coûts de vie élevés. L’effondrement du commerce des peaux de phoque suite aux campagnes des écologistes menées par Brigitte Bardot a, selon l’auteur, porté un dur coup aux économies locales, au moment où les revenus qu’on en tirait permettaient de financer les équipements coûteux (motos-neige, carburant, carabines sophistiquées, vêtements) aussi utilisés pour la chasse de subsistance. En conséquence, «les paiements d’assistance sociale aux Inuit canadiens ont augmenté de façon dramatique, ainsi que les taux de suicide, la violence domestique, et l’abus de subtances. La campagne anti-chasse a changé la vie dans le Nord pour toujours» (p. 112). La situation est toutefois différente au Groenland où le gouvernement du Home Rule subventionne l’achat des peaux de phoque afin de conserver la viabilité de ce secteur important de l’économie nationale. Pelly termine cette partie en rappelant que même aujourd’hui l’importance de la chasse au phoque n’est pas seulement économique pour les Inuit. Le phoque demeure un fondement de leur société et de leur culture, en raison de l’ensemble des valeurs matérielles, sociales, spirituelles complexes qu’il représente et «qui définissent pour plusieurs Inuit qui ils sont» (p. 114).

Le lecteur familier des Inuit et de la chasse au phoque n’apprendra pas grand chose de nouveau à la lecture de ce petit livre dont le texte propre de l’auteur, en excluant les illustrations et les citations d’informateurs, constitue à peine la longueur d’un article de revue, mais il sera par contre ravi des nombreuses illustrations — toutes d’excellente qualité — qui l’accompagnent. Elles représentent pour beaucoup des scènes de chasse sculptées sur pierre ou ivoire ou encore gravées. Il est à regretter, cependant, que seulement deux illustrations montrent des objets techniques utilisés pour la chasse, la technologie n’étant pas un point fort des informations livrées par l’auteur. Pour ma part, moi qui ne suis pas un spécialiste des Inuit, j’ai particulièrement apprécié les huit photos en noir et blanc de groupes et des campements de chasse réalisées par Diamond Jenness.

Les spécialistes à la recherche de données détaillées et d’analyses approfondies sur la chasse au phoque ne trouveront donc pas leur compte dans ce volume, la plupart des informations rapportées demeurant relativement peu détaillées et superficielles. L’ouvrage a, par contre, le mérite d’accorder une place importante aux informateurs et informatrices rencontrés, pour lesquels de brèves informations biographiques sont fournies, et même une photo dans le cas de neuf d’entre eux. Je suis cependant d’avis qu’une publication fondée sur les connaissances traditionnelles des Autochtones — dans ce cas-ci des Inuit — devrait quand même aller plus loin dans l’exposition de ces connaissances.