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Dans cet ouvrage, Gérard Duhaime et ses collaborateurs proposent une introduction à la géographie humaine, l’histoire, la démographie et l’ethnographie des populations autochtones et non autochtones du Nord québécois (défini ici comme comprenant la Côte-Nord du Saint-Laurent, le territoire de la baie James, les terres des Naskapis, ainsi que le Nunavik). Le volume se divise en deux grandes sections, l’une plus historique et ethnographique («Les habitants du Nord»), l’autre traitant des changements socio-économiques depuis l’arrivée des Européens («Les mutations du Nord»). La première section se subdivise en six chapitres, portant chacun (sauf le premier, qui traite de la préhistoire de la région) sur une population particulière: Nord-Côtiers non autochtones, Innus-Montagnais, Cris de la baie James, Naskapis, et Inuit. La deuxième section décrit quatre aspects importants du changement socio-économique dans le Nord québécois: l’exploration (et la cartographie), la traite des fourrures, l’industrialisation, et la sédentarisation des autochtones. Une introduction et une courte conclusion de Gérard Duhaime tentent de lancer le débat sur le sens de l’histoire nordique québécoise qui, selon l’auteur, se caractérise par une réduction et une bureaucratisation progressives des populations autochtones.

L’ouvrage est généralement bien écrit, complet et intéressant. La liste des auteurs regroupe tous les grands spécialistes locaux des populations du Nord du Québec: Gérard Duhaime, bien sûr, mais aussi Benoît Robitaille, Paul Charest, Bernard Saladin d’Anglure, François Trudel, Carole Lévesque, Yves Labrèche et Nick Bernard. Seuls trois noms manquent à l’appel: Louis-Edmond Hamelin (à qui le livre est cependant dédié), Marc-Adélard Tremblay et Jean-Jacques Simard. Aucun Autochtone (à l’exception de Charleen Rains, co-auteure du chapitre sur les Naskapis) n’a participé à l’ouvrage, ce qu’on peut déplorer puisque — et c’est là un des attraits du volume — huit chapitres sur dix traitent des Amérindiens et des Inuit. Cette non-pertinence des Autochtones en tant que partenaires scientifiques constitue, hélas, une tradition bien ancrée dans les sciences humaines au Québec francophone.

La qualité des chapitres, quoique généralement bonne, varie quelque peu selon les auteurs. Certains textes sont très fouillés et constituent des synthèses quasi définitives du thème qu’ils abordent. C’est le cas, entre autres, du chapitre de Labrèche sur la préhistoire et de celui de Trudel sur la traite des fourrures. Par contre, quelques sections semblent avoir été écrites il y a déjà longtemps, offrant ainsi un panorama incomplet ou obsolète de ce qu’elles traitent. Par exemple, à un ou deux titres près, la bibliographie du chapitre de Saladin d’Anglure sur les Inuit — chapitre excellent par ailleurs — s’arrête en 1984, comme si rien ne s’était publié depuis sur les Autochtones du Nunavik. Dans la même veine, le chapitre de Robitaille et Bernard sur l’exploration présente comme plausibles les hypothèses de Thomas Lee — pourtant infirmées depuis plus de 20 ans — sur une présence scandinave ancienne au Nunavik (leurs références sur ce point datent de 1972 et 1977). De telles lacunes diminuent la valeur de la bibliographie de l’ouvrage (toutes les références citées sont regroupées en fin de volume), très incomplète dans certains domaines.

Le texte contient aussi quelques erreurs ponctuelles. Par exemple, la présence de missionnaires moraves à Fort Chimo (Kuujjuaq) en 1830 et 1880 mentionnée par Duhaime dans son chapitre sur la sédentarisation n’est signalée par aucun autre auteur à ma connaissance, pas même par François Trudel qui, dans son chapitre sur la traite des fourrures, s’étend quelque peu sur l’histoire de Fort Chimo. Contrairement à ce qu’écrit Duhaime, le magasin permanent de Quaqtaq n’a pas été ouvert en 1970, mais en 1966. Signalons aussi que l’auteur de quelques-unes des photos de l’ouvrage est André Chauvel (et non Chaumel), un frère oblat ayant oeuvré au Nunavik au cours des années 1950.

Malgré ses faiblesses, l’ouvrage demeure utile pour le grand public et les étudiants de premier cycle. Il est abondamment illustré (on aurait aimé plus de photos couleur) et contient de nombreuses cartes. Regrettons seulement que les noms des auteurs n’apparaissent pas en tête ou en fin de chapitre (il faut consulter la table des matières pour savoir qui a écrit quoi) et que leur affiliation universitaire ou autre ne soit mentionnée nulle part.