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Cet ouvrage regroupe différentes présentations faites dans le cadre d’un séminaire organisé par le département Ergonomie et Écologie humaine de l’université Paris 1. Chaque année, chercheurs, universitaires et praticiens d’horizons disciplinaires différents sont invités à échanger autour d’une question complexe. Le thème retenu pour l’année 2001 était celui de la relation de service. Dans son avant-propos, François Hubault indique que le séminaire cherche à préciser la notion de relation de service selon différents points de vue (économique, social, psychologique, ergonomique) et à poser ainsi des questions à l’intervention en milieu de travail.

Pour Borzeix, la « relation de service » met au jour l’usager, qu’il soit usager prétexte, usager destinataire et usager coproducteur et interroge certains clivages ayant cours en sociologie. À l’aide d’une analyse du travail réalisée dans une gare, elle nous montre l’intérêt de la relation de service comme objet d’étude pour aller au-delà des clivages traditionnels en sociologie du travail comme entre micro et macro, entre individu et organisation, et ouvrir ainsi sur des retombées très opératoires.

Le sociologue Beyer suggère quant à lui qu’à travers la relation de service, l’agent et le client contribuent à façonner la société. Le propos est illustré par l’exemple du métro de Paris où le marketing a fait passer l’usager, celui qui n’a pas le choix d’utiliser un service, au statut de client, qui choisit ce service plutôt qu’un autre. L’auteur plaide pour une interdisciplinarité qui inclurait des spécialistes du management et du marketing puisque les services peuvent être définis comme des « systèmes d’alliance et de compromis entre dirigeants-personnels-clients ».

Weller s’intéresse pour sa part au maintien de la distance avec le client, selon deux modèles d’organisation. En prenant l’exemple de la Sécurité sociale, il discute du délicat équilibre que doivent maintenir les prestataires de service entre distance et compassion : comment assurer une réponse individualisée tout en conservant une égalité de traitement. Ainsi, d’un service très technique où les réponses standardisées sont garantes de l’égalité de traitement, on est passé à un service davantage centré sur le client et qui encourage plutôt la réponse personnalisée. C’est maintenant la distanciation qui est difficile et qui nécessite de recomposer l’organisation du travail afin de favoriser les régulations. D’ailleurs, comme le soulignent Hubault et Bourgeois, il existe une difficulté de penser les activités de travail associées à la relation de service et de concevoir les moyens, notamment l’espace et le dispositif organisationnel à mettre en place pour soutenir la mobilisation subjective des agents. David aborde également ce thème dans un chapitre intitulé « mettre en adéquation système réel de production et organisation du travail » qu’elle conclut en insistant sur la place à accorder au client dans l’analyse du travail et en affirmant que les systèmes de gestion constituent actuellement un frein au développement de la relation de service. Pour l’économiste Christian Tertre, il convient de distinguer le « service » de la « relation de service ». Cette dernière nécessite une mobilisation subjective et suppose une simultanéité de rapport entre le prestataire et le bénéficiaire.

Certains chapitres présentent des résultats d’analyses effectuées dans différents milieux qui pourront être particulièrement appréciés par ceux et celles qui en font leur terrain d’étude. C’est le cas par exemple du travail de soins qui est l’objet de plusieurs contributions. Estryn-Behar et Vinck ont investigué le travail des infirmières du point de vue de l’ergonomie, mettant en évidence les contraintes qui nuisent à la relation de service, alors que Vega l’aborde plutôt d’un point de vue ethnographique qui l’amène à suggérer que les patients sont plus objets de discours qu’acteurs de soin à part entière. Daguet et coll., consacrent leur contribution à la place du sujet dans la relation de service en mettant en évidence le conflit entre les différentes normes coexistant dans un hôpital, notamment la logique d’hygiène et les pratiques de travail. Ce thème est repris par Gallier, pour qui le résident d’une maison de retraite peut passer insidieusement du statut de sujet à celui d’objet de travail et, finalement, à celui… d’obstacle. Il nous est démontré que les contraintes imposées par l’organisation pèsent sur la relation de service au point où il peut se produire un glissement vers la maltraitance. Ainsi, l’organisation du travail n’est pas à la hauteur de la mission affichée publiquement par la direction. Ce thème est abordé également par Dessors, qui signale que, dans les services publics, il existe une contradiction flagrante entre les services promis par la publicité de l’entreprise et ceux qui peuvent réellement être rendus : l’organisation ne permet tout simplement pas de répondre aux attentes créées par la publicité. Il s’ensuit des problèmes de santé chez le personnel qu’une enquête de pyscho-dynamique a pu révéler. On peut y voir ici un lien également avec le chapitre de Weller qui constate que « lorsque l’organisation devient bête, les travailleurs peuvent devenir idiots ».

Plusieurs autres questions sont posées à l’ergonomie par la relation de service. Hanique et Jobert abordent les questions méthodologiques soulevées par le concept de « genre » pour comprendre la relation de service, à travers une étude chez les guichetiers de la poste. Pour Vallery, qui s’est intéressé au télétravail en centres d’appel, on assiste à une dégradation des conditions de travail qui oblige à renouveler les approches pour intégrer les questions de travail au développement très rapide des NTIC et à réfléchir à ces nouveaux métiers, nouvelles filières. Pour Deroche et Lichtenberger, qui s’intéressent à l’offre de service standardisé comme celle des transports publics, l’évolution de la relation de service crée un nouveau type d’engagement dans le travail qui fait bouger les rapports de subordination. En effet, les chauffeurs de bus, par exemple, sont maintenant en position de faire remonter de précieuses informations sur les clients vers l’organisation.

Sardas traite, pour sa part, de la transformation de la relation entre client et fournisseur vers un partenariat et Carballeda s’intéresse au même thème en caractérisant les étapes de coopération entre eux au cours de mandats dans trois relations différentes. C’est en tant que prestataire de service que Lautier s’intéresse à la relation entre l’architecte et son client alors que Hubault, dans le dernier chapitre propose une ergonomie relation de service, plutôt que prestation de service expert, c’est-à-dire avec une approche clinique par laquelle l’organisation est accompagnée pour construire les réponses aux problèmes. L’auteur rejoint ici la perspective ergologique de Schwartz et nous suggère une manière de penser l’évaluation des interventions autrement.

Bien que les contributions qu’il renferme soient inégales, cet ouvrage a le mérite de rassembler des points de vue différents sur un objet commun. Il s’avère que la relation de service pose des questions nouvelles à l’ergonomie mais également aux autres disciplines. Ce livre fait donc avancer une intercompréhension entre les disciplines qui s’annonce féconde pour les interventions en milieu de travail.