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La nature aime à se dérober à nos yeux[1].

Héraclite

Je crois que le cerveau humain a une exigence fondamentale : celle d’avoir une représentation unifiée du monde qui l’entoure, ainsi que des forces qui animent ce monde. Les mythes, comme les théories scientifiques, répondent à cette exigence humaine. Dans tous les cas, et contrairement à ce qu’on pense, il s’agit d’expliquer ce qu’on voit par ce qu’on ne voit pas, le monde visible par un monde invisible qui est toujours le produit de l’imagination[2].

François Jacob

Le discours scientifique et son mode de diffusion au sein des études littéraires ont fait, depuis peu, leur apparition dans le monde de la recherche francophone, alors que les milieux anglo-saxons s’y intéressent depuis longtemps. La réflexion des scientifiques sur leur propre pratique de même que le regard critique que posent les philosophes des sciences ont donné le coup d’envoi à des recherches qui consistent à analyser la forme du discours scientifique et ses implications dans une perspective discursive, historique et idéologique. Puis les chercheurs en littérature de diverses obédiences théoriques (analyse du discours, sémiologie, etc.) ont pu observer à quel point les textes littéraires accueillaient, outre la philosophie, l’histoire, la sociologie ou la psychanalyse, des savoirs scientifiques qui avaient des incidences sur la forme littéraire et le mode d’interaction de l’univers du roman ou du théâtre avec l’environnement social et idéologique qui les entoure. À mesure qu’on se rendait compte que le savoir scientifique lui-même n’était exempt ni de métaphore ni de fictionnalisation, on constatait également que les textes littéraires mettaient en scène des mondes possibles (notamment dans le cas des romans de science-fiction ou de la littérature fantastique) qui, à maints égards, proposaient une lecture de notre monde à partir de concepts scientifiques.

Si le théâtre et le roman se prêtent relativement bien à l’étude de cette interaction entre sciences et littérature, la poésie appartient à un genre qui pose d’autres types de difficultés. En effet, bien que Lucrèce, l’un des plus grands poètes latins, ait fait oeuvre de science en associant la connaissance du monde à une philosophie épicurienne, qu’il y ait eu dans la France du xvie siècle ce qu’on a pu appeler une « poésie scientifique[3] », qu’un poète comme Raymond Queneau ait publié une Petite cosmogonie portative[4] qui, à la suite de Lucrèce, racontait l’histoire de la naissance du monde, que Francis Ponge ait fait le pari de proposer sa propre encyclopédie des objets, il reste que les textes poétiques ou lyriques — lorsqu’ils débordent le cadre strict du genre poétique —, font encore très peu l’objet d’analyses dans ce sens. Or, depuis quelques années, nos propres recherches[5] viennent confirmer le fait que la science, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est pas si absente du discours poétique, que celui-ci prenne la forme de poèmes ou encore d’essais où le registre lyrique est dominant.

Ce projet repose donc sur le postulat que le discours poétique est moins imperméable qu’on ne le croit aux savoirs qui sont véhiculés au sein de notre société, y compris les savoirs technologiques et scientifiques. Compte tenu du caractère opaque du discours poétique, nous nous demanderons comment celui-ci, sans mettre en péril son langage spécifique, permet la translation de ces savoirs. Cette recherche s’inscrit donc dans le champ de l’épistémocritique conçue comme l’examen des divers aspects que met en cause l’interpénétration des formes savantes du savoir. Que voulons-nous tirer de ces savoirs ? Sur le plan littéraire, analyser en quoi et, surtout, à quel degré le texte poétique s’approprie ces savoirs issus de diverses sources, et ce en vue de créer un discours qui, en dépit d’évidentes marques d’hétérogénéité, réussit à conserver une unité propre dont le principe ne soit pas exclusivement à la charge des références scientifiques. Cette étude, en choisissant pour objet des textes lyriques ouvertement indexés à une tradition scientifique, constitue une belle occasion d’interroger les rapports entre le telos poétique et la finalité de la pensée scientifique.

Histoires naturelles : qu’est-ce à dire ?

Pour les besoins et le cadre de cette analyse, j’ai choisi d’étudier trois oeuvres qui ont comme point commun un titre rhématique qui renvoie explicitement à une science, l’histoire naturelle[6]. La première, sans doute la plus connue des trois, est celle de Jules Renard, écrivain français, intitulée Histoires naturelles. Il est difficile de fournir une date officielle de publication, puisque ces histoires paraissent d’abord dans les journaux, à partir de 1895, et s’échelonnent bien au-delà de la première publication en volume, en 1896. De fait, Les histoires naturelles, qui comptent au départ 49 textes en prose, s’enrichiront à la faveur de nouvelles éditions, et ce jusqu’à la mort de leur auteur, en 1910[7]. La deuxième appellation d’histoire naturelle, à laquelle recourt cette fois Henri Michaux, écrivain français d’origine belge, ne prend pas place au sein d’une oeuvre déterminée. Elle est plutôt disséminée dans trois textes et deux publications : « Histoire naturelle », tirée d’Un barbare en Asie, qui paraît pour la première fois en 1933, « Notes de zoologie » et « Notes de botanique », insérées quant à elles dans La nuit remue. Cette histoire naturelle — notons le singulier — intervient au beau milieu d’un récit de voyage, entre le périple aux Indes et le séjour en Chine[8]. Elle occupe donc une section autonome, mais conserve des liens avec les observations notées au cours de ces voyages. La seconde série de textes, également en prose, fait partie de la section « Mes propriétés », figurant dans La nuit remue, et paraît pour la première fois en 1930. On sait que Michaux a consacré des recueils entiers à des êtres et des pays imaginaires, mais pour les besoins de cette étude, j’ai voulu limiter mes observations à des textes qualifiés explicitement d’histoire naturelle, tout en intégrant des fragments en forme de « notes » qui leur sont intimement associés. Notons enfin que ces écrits michalciens proviennent tous d’observations faites à l’occasion d’un déplacement (réel ou imaginaire[9]). Le dernier texte dont je propose l’étude est celui de Pierre Morency, écrivain québécois qui, pour l’occasion, s’est fait naturaliste afin de rédiger une trilogie qui porte le titre général d’Histoires naturelles du Nouveau Monde et dont les trois tomes s’intitulent respectivement : L’oeil américain (1989)[10], Lumière des oiseaux (1992) et La vie entière (1996). Mes commentaires prendront appui exclusivement sur le premier tome, largement représentatif de l’ensemble de la trilogie. En effet, la parution des tomes suivants ne modifie pas de manière sensible le propos, bien qu’on observe dans le dernier tome un ascendant de plus en plus grand du discours méditatif aux dépens du discours proprement scientifique.

Retenons de manière provisoire que les oeuvres affichent une posture lyrique face à l’objet décrit, comme nous le verrons plus loin. Les textes de Renard sont en prose[11], ceux de Morency, des essais sur la nature, alors que Michaux propose des textes qui s’apparentent à des fragments autonomes. La dénomination « histoire naturelle » embrasse, chez ces auteurs, des registres et des genres aussi divers que le récit de voyage (imaginaire ou fictif), la description de lieux ou d’animaux, l’essai, le texte de vulgarisation scientifique ou le poème en prose. Mais avant d’aller plus loin, il convient de définir la désignation histoire naturelle d’un point de vue strictement scientifique. Malgré l’idée d’historicité que semble suggérer le substantif, elle ne comporte pas l’idée d’un déroulement dans le temps ; il faut plutôt entendre, par fidélité à son étymologie, le sens d’enquête et de recherche d’informations[12], comme le rappellent Gingras, Keating et Limoges :

Aux xviie et xviiie siècles, les recherches sur les vivants furent généralement classées soit sous la rubrique « histoire naturelle », soit sous celle de la « physique » ou la « philosophie naturelle ». Dans le premier cas, celui de l’histoire naturelle, il s’agissait de travaux descriptifs sur les vivants, plantes et animaux, ceux-ci étant décrits en tant que composants de l’organisation d’ensemble de la nature, au même titre que les minéraux. Vivants et non-vivants appartenaient donc à un même domaine d’analyse naturaliste[13].

Sciences et écritures du vivant

L’aspect descriptif de l’histoire naturelle prend la forme d’un compendium, d’un inventaire des savoirs en vue de porter un regard qui embrasse à la fois tous les faits et tous les mots qui leur servent d’indicateurs ou de révélateurs. Ce rêve s’est d’abord matérialisé dans l’Historia naturalis de Pline l’Ancien, avec ses 37 volumes ; puis, au xviiie siècle, les savants se sont donné une méthode avec Linné et Buffon. Pour en arriver là, il a fallu, comme l’écrit Michel Foucault, que l’âge classique « donne à l’histoire un tout autre sens : celui de poser pour la première fois un regard minutieux sur les choses elles-mêmes, et de transcrire ensuite ce qu’il recueille dans des mots lisses, neutralisés et fidèles[14] ». Autrement dit, les formes et les objets du savoir ne se déclinent pas uniquement en fonction d’un vecteur temporel qui en rythme et en scande le déploiement : au contraire, le mode de connaissance de l’histoire naturelle relève davantage d’une spatialisation des savoirs, dont le recours à la description constitue la principale figure. De fait, c’est bien d’une figure qu’il s’agit ici, et au sens précis où la rhétorique de Fontanier entend ce terme :

D’abord l’Expolition, et puis toutes les différentes espèces de descriptions, la Topographie, la Chronographie, la Prosopographie, l’Étopée, le Portrait, le Parallèle, enfin le Tableau. Tout ce que nous disons de la Description en général, c’est qu’elle consiste à exposer son objet aux yeux, et à le faire connaître par le détail de toutes les circonstances les plus intéressantes ; c’est qu’elle donne lieu à l’Hypotypose, quand l’exposition de l’objet est si vive, si énergique, qu’il en résulte dans le style comme une image, un tableau[15].

C’est donc à la prosopographie qu’il faut rattacher la pratique des descriptions animales chez Michaux, Renard et Morency, c’est-à-dire à « une description qui a pour figure, le corps, les traits, les qualités physiques, ou seulement l’extérieur, le maintien, le mouvement d’un être animé, réel ou fictif, c’est-à-dire de pure imagination[16] ». Toutefois, le portrait est la forme qui correspond le plus adéquatement à la description dès lors que celle-ci se donne comme ambition de rendre aussi bien l’apparence physique que morale, comme le montre d’ailleurs l’article « Cheval » des Histoires naturelles de Buffon, qui sert d’exemple à Fontanier. De même, on ne peut manquer de voir, dans les très classiques Histoires naturelles de Renard, des réminiscences des Caractères de La Bruyère ; l’oeuvre écrite et peinte de Michaux s’achemine également, au fil des publications et des expositions, vers un art du portrait intérieur dont témoignent aussi bien ses textes sur des êtres imaginaires que la pratique de la peinture. Quant à Morency, on s’en remettra à la définition qu’il donne de la poésie, étroitement associée chez lui au travail du naturaliste : « Quand je dis : poète, je nomme l’individu qui cherche à se mettre au monde, par l’aventure libératrice du langage, bien sûr, et par son audace à affirmer ses dons magiques, mais aussi par l’impétuosité tranquille ou brûlante avec laquelle il explore les plis et les replis de son domaine » (OA, p. 20).

Les histoires naturelles de Michaux et Renard sont écrites aussi en prose : ce sont donc des morceaux, des tableaux, fait accentué chez Michaux par la place qu’occupe son Histoire naturelle, intercalée entre deux récits, celui des Indes et celui de la Chine. L’aspect visuel est par conséquent consubstantiel à cette écriture, au même titre que le regard pour le naturaliste. Autre fait notable, qui milite en faveur d’un lien étroit entre le descriptif et le visuel : l’illustration du recueil. La première édition de l’oeuvre de Renard (1896) comprenait deux vignettes, alors que celle de 1899 comporte 22 lithographies de Toulouse-Lautrec et que celle de 1904, qui rassemble 70 titres, est illustrée par des dessins de Bonnard (HN, p. 90-91). Si l’histoire naturelle et les notes de Michaux ne sont pas illustrées, il n’en est pas de même pour Portrait des Meidosems[17] et bien d’autres écrits progressivement envahis par le désir de s’exprimer sur la toile. Les histoires naturelles de Pierre Morency sont, pour leur part, accompagnées de dessins répartis dans les trois tomes de l’ouvrage.

Comme dans les Histoires naturelles de Buffon ou de Pline l’Ancien, chaque poème porte un titre clairement identifiable à l’objet décrit. Chez Morency, fait à signaler, si une commune appartenance au genre « histoires naturelles » identifie les textes, les titres ne renvoient toutefois aux objets abordés que par le truchement d’une énigme que vient dévoiler la lecture ou encore la table des matières, dont voici quelques exemples : « Simple et cousu d’or » (pour le pissenlit) ; « Un sucrier haut en couleur » (pour l’érable à sucre) ; « Bon génie à la robe de papier » (pour le bouleau) ; « Bois de musique » (pour l’épinette), etc. Certes, Morency n’use pas du poème en prose, mais la forme de l’essai, par sa brièveté, l’en rapproche sensiblement et, comme lui, est le résultat d’une collection ou re-collection de textes. Enfin, les rapports qu’entretient l’essayiste avec le monde se réalisent sur le mode lyrique, ce qui crée des affinités avec la forme du poème. À l’origine, les textes que nous avons sous les yeux ont pris source dans une série d’émissions radiodiffusée sur les ondes de Radio-Canada[18]. C’est par la suite qu’ils ont été réunis pour constituer L’oeil américain. Mais alors que pour l’histoire naturelle, dans sa pratique traditionnelle, l’objectif consiste à englober la totalité des faits et des connaissances en vue de remonter aux généralités, les histoires naturelles de Renard, Michaux et Morency s’occupent plutôt de la singularité de leur objet. De fait, par comparaison à Buffon, elles font figure de morceaux choisis auxquels nous ont habitués les descriptions successives des animaux plus ou moins familiers ou étranges.

On chercherait en vain chez Morency, du moins dans la bibliographie qui accompagne les textes, les noms d’Aristote, de Pline ou de Buffon[19]. Par ailleurs, les références proviennent pour la plupart d’auteurs de terrain, qui ont célébré la nature qu’ils parcouraient. On pourrait comparer la démarche de Morency, en grossissant quelque peu les choses, à une petite histoire de la nature, par analogie avec la « petite histoire », c’est-à-dire celle des faits moins grandioses, que rapportent les naturalistes cités[20] et qui vise à mieux voir l’objet, mais non à l’inscrire dans une méthode ou un ensemble plus vaste, si ce n’est le spectacle de la nature. De fait, Morency doit davantage aux naturalistes du xixe siècle et, en particulier, aux naturalistes poètes, comme le poète et essayiste américain Henry David Thoreau dont le journal et l’oeuvre culte, Walden ou La vie dans les bois (1854), apparaît comme une source constante de références. Si Thoreau, à la suite de son mentor le poète Emerson, voulait réunifier science et religion, Morency tente d’unir science et poésie, cette dernière permettant de transcender le regard sur les faits naturels et de dépasser le seul souci d’exactitude scientifique. L’oeuvre naturaliste de Morency s’écarte considérablement de la finalité conférée au texte scientifique dans la mesure où l’écrivain se présente comme un vulgarisateur ; celui-ci veut apporter des faits, mais dans le dessein avoué de célébrer les éléments de la nature avec lesquels il entre en contact. Jamais, toutefois, malgré le discours épidictique, la Nature n’est divinisée comme elle a pu l’être chez Thoreau, pour lequel la science constituait paradoxalement un obstacle à la rencontre avec Dieu et la Nature[21].

Or, c’est au cours du xixe siècle que la notion d’historicité va reprendre ses droits avec, entre autres, l’émergence de la paléontologie et des sciences historiques. Qu’est-ce qui fonde donc, en plein xxe siècle, des poètes à pratiquer, au sein de leur oeuvre, l’histoire naturelle, laquelle, d’ailleurs, a depuis longtemps perdu son appellation au profit de la physique et de la biologie moléculaire ? Comment, en effet, conjuguer un parcours esthétique avec une dénomination qui semble tirer les textes du côté de l’écrit scientifique ? Selon Yves Bonnefoy, à la différence des savants qui visent à objectiver le monde, le poète rechercherait quant à lui un langage qui lui est propre pour signifier sa présence et faire part de son expérience dans le monde. La singularité de son message se heurterait donc aux généralités auxquelles tend à parvenir la pensée scientifique. Dès lors, ce sont deux modes d’appropriation du monde que le poète français distingue, dans une tentative de valorisation de l’expérience et du vécu, qu’il exprime en termes de « présence » (l’eccéité), opposée à la pensée conceptuelle vouée à embrasser la totalité et l’unité du monde par la formulation de lois (la quiddité, c’est-à-dire l’« essence[22] »). Bien que cette distinction soit d’un apport indéniable, elle laisse en plan les phénomènes d’interaction entre deux systèmes langagiers que tout semble opposer. La polysémie des intitulés convoque effectivement, ne serait-ce que sur le mode ironique, comme chez Jules Renard, un accord entre le regard du naturaliste et la pratique du poète. Le titre à caractère scientifique qui chapeaute les oeuvres étudiées signale un désir chez ces écrivains de ne pas séparer l’observation des êtres vivants du regard lyrique qu’ils portent sur le monde qui les entoure.

D’emblée, le regard constitue le moyen privilégié de recensement des choses vues dont témoignent les objets traités. Ainsi, le texte sur lequel s’ouvrent les Histoires naturelles de Renard s’intitule « Le Chasseur d’images » :

Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son coeur pur, son corps léger comme un vêtement d’été. Il n’emporte point de provisions. Il boira l’air frais en route et reniflera les odeurs salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d’ouvrir les yeux. Les yeux servent de filets où les images s’emprisonnent d’elles-mêmes.

HN, p. 95

Chez Morency, la métaphore du regard se manifeste dans l’expression « l’oeil américain ». Voici en quels termes est justifié l’intitulé éponyme du premier tome de ses Histoires naturelles :

Cette locution, qui n’a pas fait souche au Québec, même chez les lettrés, est entrée dans la langue française au moment où nos cousins des « vieux pays » se sont pris d’engouement pour la vie des Indiens à travers les romans de Fenimore Cooper. Les Amérindiens n’ont-ils pas la réputation, à cause de leur vie libre et de leurs habitudes forestières, d’avoir les sens si aiguisés qu’ils peuvent « apercevoir sans détourner la tête aussi bien ce qui se passe à droite et à gauche que ce qui se présente devant eux » ? Avoir l’oeil américain, n’est-ce pas également se pourvoir de l’aptitude à entendre ce que nous écoutons, à voir ce qui est derrière quand on regarde devant ?

OA, p. 18

On saisit en quoi l’observation à la fois rapproche et distingue Renard et Morency. Tous deux ont comme point de départ le connu : l’environnement du village de son enfance, pour le premier ; chez le second, les animaux qui font partie de son quotidien, bien que, en bon ornithologue, le poète québécois entraîne son lecteur dans le monde du marais, où la plupart des oiseaux échappent facilement au regard du promeneur. Renard campe ses histoires naturelles dans un environnement familier, son village de Chitry et, quand il traite du chat, il en marque aussitôt la singularité, qui est légitimée par un rapport vécu à l’animal. Le titre « Le chat », qui feint d’annoncer une généralité, à la manière de Buffon, est aussitôt contredit par l’individualité de l’animal domestique : « Le mien ne mange pas les souris ; il n’aime pas ça » (HN, p. 109). Sa participation active aux dernières manifestations de la littérature symboliste (il compte parmi les fondateurs du Mercure de France) aurait normalement dû le prévenir contre l’écriture de textes d’observation où le documentaire joue une large part, comme c’est le cas chez ses opposants naturalistes[23]. Mais un autre écrivain associé à ce mouvement, Maurice Maeterlinck, n’a-t-il pas entièrement consacré un versant de son oeuvre au monde des fleurs et des insectes ? S’il y a donc une part de documentaire, qui lui vient certes de la lecture de Buffon dont les Histoires recèlent de nombreuses traces, ou de la fréquentation du Jardin d’acclimatation, il s’agit là d’une matière qui n’est jamais donnée pour elle-même, servant plutôt de prétexte à une étude de caractères, proche par certains aspects des Fables de La Fontaine. Chez Morency, la subjectivité est affichée par le choix de l’anecdote où le locuteur se met lui-même en scène, en situation pour ainsi dire, pour décrire le monde qui l’entoure : « Souventes fois, devant la fenêtre qui me sépare de ma batture herbeuse, je lève le regard vers les Laurentides et je le laisse glisser sur le dos des plus lointaines montagnes » (OA, p. 43). C’est ainsi que, même si ces textes nous présentent un tableau, une description où le spectacle de la nature est perçu à travers un regard subjectif, cette subjectivité s’inscrit aussi dans l’histoire d’un homme. Au souci de dresser un inventaire de son environnement (réel ou imaginaire) se joint une inclination évidente pour raconter une histoire, ce qui permet à ces poètes de faire figure aussi bien d’enquêteurs que de conteurs. C’est en outre de cette manière que les histoires naturelles littéraires échappent au fixisme qui caractérise les histoires naturelles du xviiie siècle, lesquelles faisaient profession de « pulvériser » le vivant, le réduisant à une collection d’êtres dont il ne restait plus qu’à épingler chaque représentant.

Il nous faut enfin considérer l’appartenance de Pierre Morency à un courant de poésie associé à une maison d’édition, l’Hexagone, et traversé par le projet d’une histoire du monde recréée à partir d’un langage neuf, qui recoupe la nomination du pays, projet de « fondation du territoire », selon une analyse de Paul Chamberland qui a fait date dans l’histoire de la poésie québécoise[24]. Que l’on songe à la place centrale que prend la tradition humaniste, doublée d’un souci de la collectivité qui démarque les écrits de cette maison, ou encore au fait que Gaston Miron, l’un des cofondateurs, affirme se prendre lui-même comme objet d’étude afin de faire advenir un homme libéré de la « pauvreté anthropos » : chaque fois, on s’aperçoit à quel point une partie de la poésie a été habitée par une forme de millénarisme (l’attente de la naissance du Pays) soutenue, sur le plan langagier, par le recours à un réseau d’isotopies qui associent le poète à un explorateur.

L’expression poétique emprunte le plus souvent son vocabulaire à la nature parce que celle-ci, pour cette génération de poètes, peut encore constituer un mode d’appréhension du monde, pour autant qu’elle révèle encore l’homme, ce qui suppose un rapport de complicité ou d’effet de miroir entre le sujet et l’objet. La référence anthropologique se vérifie aussi dans le fait, comme l’a noté Jean-Michel Adam[25], que l’anthropologie est une science du regard, non pas dirigé, comme dans les sciences pures, à l’intérieur d’un laboratoire ou à travers une instrumentation complexe, mais un regard de terrain, un regard de participation porté sur les individus et la communauté. L’homme, dans ce sens, est une espèce et toute la dynamique des poèmes les plus engagés de Miron tire profit de chassés-croisés entre individu et espèce, celui-ci ne se confondant jamais tout à fait avec celle-là[26]. Par conséquent, il faut garder à l’esprit que les essais de Pierre Morency s’inscrivent bel et bien, d’une part, dans une géographie du Nouveau Monde, le continent nord-américain et, d’autre part, dans la foulée d’une reconnaissance de territoire qui découle en partie d’une orientation littéraire assujettie à un chant qui exalte la nomination du « pays » natal.

Pour Henri Michaux, enfin, l’histoire naturelle lui vient d’observations de voyage, topos bien connu où le voyageur recueille la liste des animaux exotiques ou étranges qu’il a eu le privilège d’observer ou dont on lui a fait la peinture. Sont décrits en peu de mots les animaux familiers comme la chauve-souris, le corbeau, le pigeon ou la souris, des oiseaux plus exotiques comme le jabiru ou imaginaires comme les becs-rouges-tampons blancs[27]. Toutefois, dans Un barbare en Asie, d’où sont tirées ces observations, le regard n’est pas thématisé, c’est-à-dire qu’il ne découle pas d’une narrativité ou d’une mise en scène. Par ailleurs, dans La nuit remue, un pas est franchi dans le bestiaire fantastique de Michaux, avec les « Notes de zoologie » qui multiplient à l’envi l’énumération de bêtes toutes plus étranges les unes que les autres. Dans l’édition de la Pléiade, on n’a pas éclairé le lecteur sur cette nomenclature exotique, de sorte qu’on ne peut être certain que tous les animaux passés en revue (à l’exception de l’aurochs et de l’émeu) existent bel et bien : « … Là je vis l’Auroch [sic], la Parpue, la Darelette, l’Épîgrue, la Cartive avec la tête en forme de poire, la Meige, l’Émeu avec du pus dans les oreilles, la Courtipliane, avec sa démarche d’eunuque » (OC, p. 488-489) ; Michaux fonde donc son histoire naturelle sur ce qui, à une certaine époque, en a marqué les limites : la nomination. L’un des textes les plus connus du poète est placé juste avant ces « Notes de zoologie » ; il annonce un programme typiquement michalcien :

Autrefois, j’avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire.

Maintenant, j’interviendrai[28].

OC, p. 488

L’intervention[29] vise, dans ces notes, non pas tant l’insertion d’un chameau sur la place du Marché comme la création d’animaux tous plus fantastiques les uns que les autres ; il y a ajout d’autres êtres qui viennent composer la zoologie intérieure du poète. En d’autres termes, le poète tourne le dos à une observation qui passe par l’extériorité, comme chez Renard et Morency, pour ne considérer que la pure création verbale. « La parpue » et « La darelette », déjà évoquées dans les « Notes », sont à nouveau objet de descriptions, cette fois plus développées :

La pupille de cet animal varie pour chaque personne qui l’observe et devant toute nouvelle circonstance. Mais contrairement aux félins, la lumière est ce qui lui importe le moins ; ce sont ses impressions plutôt qui changent ses yeux et ceux-ci sont larges comme la main[30].

OC, p. 490

Voilà donc comment s’énonce l’observation chez Michaux : il faut fuir l’unité à tout prix. À ce propos, rappelons-nous « Les rêves et la jambe[31] » (OC, p. 18-25), qui prend comme métonymie de l’homme l’une de ses parties les moins nobles. Michaux refuse délibérément la perspective des autres et conteste l’unité du regard. Aussi, ses portraits d’animaux, bien qu’ils soient relativement brefs, se caractérisent tous par une profusion de détails[32], de sorte qu’on peut affirmer que, chez lui, les perceptions l’emportent sur la représentation ou, pour le dire autrement et à un autre niveau, l’inventaire prime sur la méthode. Impossible, en effet, de reconstituer un portrait d’ensemble. Aussi l’écriture michalcienne prend-elle à rebours l’évolution de l’observation scientifique qui a donné naissance à l’histoire naturelle, elle valorise la profusion et l’expansion de détails — paradoxalement au sein d’une forme brève — et multiplie les images qui « fatiguent l’imagination[33] ». Paradoxalement, dis-je, parce qu’on connaît la propension de l’auteur à générer plusieurs versions de lui-même dans son oeuvre, à l’intérieur d’un espace réduit, si bien que l’objet demeure toujours précaire parce qu’il est saisi dans sa métamorphose perpétuelle. Ainsi, il peut écrire : « tout est moléculaire dans la pensée. Petites masses. Apparition de petites masses. Masses en perpétuelles associations, dissociations, néo-associations, plus que rapides, quasi instantanées[34] ». N’empêche, ces histoires naturelles obéissent à un programme, si ce n’est à un credo. Qu’on en juge d’après les premières phrases des « Animaux fantastiques », un texte qui fait partie de Plume, suivi de Lointain intérieur : « Avec simplicité, les animaux fantastiques sortent des angoisses et des obsessions et sont lancés au-dehors sur les murs des chambres où personne ne les aperçoit que leur créateur[35] » (OC, p. 581). Cette liberté d’agir à l’intérieur de l’espace même qui est pris comme objet d’observation implique un mode d’énonciation qu’un scientifique comme Buffon se garde bien de promouvoir : le je, point de repère fondamental de la perception du sujet connaissant.

Cette valorisation du point de vue subjectif avait été réclamée par Thoreau, dont on a déjà évoqué plus haut l’influence :

En la plupart des livres, il est fait mention du Je, ou première personne ; en celui-ci le Je se verra retenu : c’est, au regard de l’égotisme, tout ce qui fait la différence. Nous oublions ordinairement qu’en somme c’est toujours la première personne qui parle. Je ne m’étendrais pas tant sur moi-même, s’il était quelqu’un d’autre que je connusse aussi bien. Malheureusement, je me vois réduit à ce thème par la pauvreté de mon savoir[36].

Michaux connaît, comme Morency, l’oeuvre de Thoreau pour laquelle il éprouvait une vive admiration en ce qu’elle rompait avec le pessimisme de la littérature européenne héritière du christianisme : « Qu’est-ce que les Espagnols feraient s’ils ne voyaient pas les plaies du Christ ? Et toute la littérature européenne est de souffrance, jamais de sagesse. Il faut attendre les Américains Walt Whitman et l’auteur de Walden pour entendre un autre accent » (OC, p 363). Même chez Michaux, où les êtres décrits sont pour la plupart imaginaires, le rôle de l’observateur, ainsi que sa situation dans l’espace et dans le temps, demeurent une donnée fondamentale pour la perception[37]. Pour Renard, le village, c’est son domaine géographique et noologique. Pour Michaux, ce sont ses propriétés, avec le sens de possession, sens commun au poète et au propriétaire terrien, par exemple, mais auquel se rattache un sens plus abstrait : « […] un caractère qui appartient à tous les individus d’une espèce », selon la définition du Petit Robert. Les propriétés renvoient donc à l’observation d’espèces, à cette différence que ces propriétés ont toutes comme lieu et objet d’expérimentation le moi michalcien. Or, en restant au seuil des perceptions intérieures, les histoires naturelles michalciennes contestent l’une des assises fondamentales de la science du vivant au xviiie siècle qui se formulait, en botanique par exemple, en fonction du principe suivant lequel

[t]rouver le caractère, au contraire, c’est ramasser les propriétés communes à certains individus par quoi ils se distinguent des autres. Avant tout, c’est choisir, parmi la cohue du visible […]. En ne considérant qu’un caractère, […], la pensée s’affranchit du chaos des images sensibles[38].

De même, si nous reprenons le passage de Morency déjà évoqué à propos de l’appartenance des naturalistes explorateurs à la classe des poètes (décrits comme ceux qui « explore[nt] les plis et les replis de [leur] domaine »), nous sommes conduits à constater que l’espace désigné par le biais d’un possessif (« domaine ») peut aussi bien s’interpréter comme le terrain réel d’investigation du scientifique que le lieu intérieur d’un individu poète, une espèce de locus amoenus intime où le bonheur se trouve dans la découverte et la rencontre de l’autre (ici les êtres vivants).

C’est que chacun des textes qui s’inscrit sous l’étiquette naturaliste pose la question de l’altérité, laquelle est au coeur même de la démarche des écrivains en présence.

Un mode de reconnaissance

Revenons sur la suite de l’extrait de Thoreau, pour attirer l’attention sur un paradoxe apparent, auquel concourent les trois oeuvres étudiées et qui est concomitant à un espace d’écriture et d’observation. Il s’agit de la notion de lointain. Thoreau, en guise d’introduction à son récit autobiographique, écrit :

Qui plus est, pour ma part, je revendique de tout écrivain, tôt ou tard, le récit simple et sincère de sa propre vie, et non pas simplement ce qu’il a entendu raconter de la vie des autres hommes ; tel récit que par exemple il enverrait aux siens d’un pays lointain ; car s’il a mené une vie sincère, ce doit selon moi avoir été en un pays lointain[39].

Pour admettre la sincérité, il faut donc que le discours du locuteur provienne d’un lointain — et c’est précisément cette notion qui va me permettre de m’interroger enfin sur la question du visible et de l’invisible. Chez Jules Renard, on pourrait objecter qu’au contraire, nous ne sommes pas dans le lointain, que c’est le familier qui prime : le locuteur vit dans une commune qu’il connaît comme personne, il nous brosse le portrait des animaux qui l’entourent et qui font partie de son environnement quotidien. Toutefois, le texte de Renard a bien une visée qui comporte effectivement une part d’amusement, les descriptions, en particulier sous forme d’énigmes, faisant sourire ; mais elles dénotent aussi une intention de reconnaissance. Lisons les dernières phrases du texte intitulé « Fermeture de la chasse », où intervient la chute du recuei et qui fait écho au « Chasseur d’images » commenté au début de cette étude : « Il faut rentrer. Par une route déjà effacée, je retourne au village. Lui seul connaît son nom. D’humbles paysans l’habitent, que personne ne vient jamais voir, excepté moi » (HN, p. 104). Décrire le milieu environnant sert donc de prétexte pour parler des paysans. Outre le fait qu’il a affirmé, dans son journal, écrire pour faire sourire les animaux dont il raconte l’histoire[40], le poète suit, en quelque sorte, le précepte de Thoreau : il écrit pour des gens lointains, qui ne connaissent pas le village et qui sans doute n’y mettront jamais les pieds. C’est que, pour Renard et tout le mouvement régionaliste qui va lui succéder, la province est un ailleurs en regard du Paris métropolitain. Saisissons au passage ce mot, ailleurs, qui permet de caractériser aussi bien les écrits d’Henri Michaux, auteur de voyages réels et imaginaires. Le lointain, chez lui, passe par l’étranger, parce que ce pays — rappelons-nous le poème « je vous écris d’un pays lointain » (OC, p. 590) — niche dans un espace tout intérieur, d’où l’importance de créer ses propres histoires naturelles, sa propre science en prenant son propre corps comme lieu d’expérimentation. Pour Pierre Morency, le lointain est d’une autre nature : il suffit de regarder ce qu’on ne voit pas et qui est pourtant dissimulé au coeur du quotidien :

L’arbre illustre à merveille une des grandes réalités de notre présence au monde : c’est que nous ne voyons qu’une bien faible partie des choses qui nous entourent. Un arbre, par exemple, est beaucoup plus grand, plus large dans le sol que sur terre. On a mesuré un jour la partie souterraine d’une simple tige de seigle. On a alors extrait du sol près de trois cents kilomètres de racines et près de sept milles cinq cents kilomètres de radicelles.

OA, p. 77-78

Ce qui semble échapper à notre regard et à l’ensemble de nos sens fait en réalité partie d’« [u]n autre monde dans le nôtre » (c’est le titre du premier texte du recueil). Pour Morency, et cela le distingue des deux autres écrivains, le texte met en scène un vouloir-voir, fondamental dans le décryptage d’une nature pourtant familière. Chez Renard, au contraire, on ne lit nulle velléité dans le résultat du travail de description des éléments naturels[41] ; alors que chez Michaux, la seule dépense du discours consiste à créer au-dedans de soi sa nature à soi.

L’histoire naturelle peut encore avoir sa raison d’être pour les écrivains chez qui la nature n’est pas encore tout à fait étrangère, comme elle le sera plus précocement pour la science ou certains courants littéraires depuis le marquis de Sade. Maintenir l’histoire naturelle, c’est adhérer à une conception qui tire son origine de la Renaissance, comme en fait foi cette proclamation de Diderot : « Les temps sont mûrs où les savants céderont le pas aux poètes, aux moralistes et aux peintres, plus aptes qu’eux à nous livrer le vrai visage des choses[42]. » Si Morency est un poète naturaliste, c’est parce que son écriture réussit l’audacieux pari de conjoindre la rigueur du scientifique et le plaisir du contemplatif. Pour l’auteur de L’oeil américain, « […] tout être vivant, à quelque règne qu’il appartienne, porte en lui une “extraordinaire jubilation” à laquelle nous sommes invités à puiser ». Et il ajoute, se reconnaissant une filiation avec le gai savoir : « tous les grands naturalistes ont noté la qualité physique de ce plaisir-là » (OA, p. 21). Si ses histoires naturelles ont été saluées par des prix scientifiques, c’est que le poète n’a pas cédé à la tentation plotinienne, où le sommet de la connaissance résulte exclusivement de la contemplation, où sujet et objet se mirent dans une pure et bien illusoire transparence.

Chez les trois auteurs étudiés, raison et lyrisme forment donc les deux facettes de l’histoire naturelle, dans son acception tant scientifique que poétique. Les histoires naturelles, qu’on pourrait associer à un « genre » du discours scientifique, disent aussi bien l’homme, son rapport au monde, que l’être observé, qui n’a pour lui que les signes pour parler. Comme le constate Élisabeth de Fontenay, « [c’]est à l’horizon de nos pensées et de nos langues que se tient l’animal, saturé de signes ; c’est à la limite de nos représentations qu’il vit et se meut, qu’il s’enfuit et nous regarde[43] ». Les textes de Renard, de Morency et de Michaux marquent la présence du vivant, laquelle se tient à la frontière du visible et du lisible, dans une espèce de balayage perpétuel du sujet connaissant entre l’observation des faits de nature et une vision qui se place résolument en dehors des tendances positivistes de leur époque respective. En somme, pour user d’une formule, on assisterait à une objectivation lyrique du monde.