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L’objectif principal de cet ouvrage collectif est d’examiner les possibilités de gouvernance mondiale fondée sur le système des Nations Unies. Pour les premiers auteurs, Tanya Brühl et Volker Rittberger, la gouvernance mondiale refléterait l’effritement des États et la montée des acteurs non étatiques dans la création des normes et des réglementations ainsi que dans leur application. Si la gouvernance internationale se fondait sur des réseaux non hiérarchiques d’institutions internationales dont la tâche était de réglementer les comportements des États dans plusieurs domaines de la politique mondiale, la gouvernance mondiale inclurait également des réseaux non hiérarchiques d’institutions transnationales devenues des actrices à part entière dans l’élaboration des nouvelles normes et règles. Ainsi, la gouvernance mondiale devrait s’actualiser à travers de multiples niveaux de gouvernance lesquels se situent à différents paliers gouvernementaux et infra-étatiques. Les États à eux seuls ne paraissent plus être capables de fournir tous les biens de sécurité, pour ne mentionner que ce domaine principal, et se trouvent désormais dépendants d’intervenants de la société civile.

L’analyse des possibilités de la gouvernance mondiale commence avec Michael Zürn par l’introduction de sa « constellation post-nationale ». Terme à première vue opaque, l’auteur s’efforce ici de décrire les conditions d’un futur système politique de la gouvernance mondiale. Cette constellation est en train d’émerger, mais elle confronterait des problèmes importants. Au point de vue de l’atteinte des buts de gouvernance, divers types de formations internationales et transnationales doivent encore trouver des lieux de convergence où elles pourraient agréger les différents intérêts en présence. Au plan des ressources, là encore les différentes entités étatiques et non étatiques devraient pouvoir délimiter leurs sources respectives et trouver des façons de les combiner. Au point de vue de la reconnaissance, la constellation post-nationale aurait besoin de se construire un socle de légitimité sans laquelle les allégeances de souches diverses ne sauraient se réaliser. De tous les chapitres de cet ouvrage, celui-ci s’avère le plus difficile d’accès.

Dans son chapitre sur la construction des communautés de sécurité, Sorpong Peou propose un cadre d’analyse fort acceptable. Alors que les régions occidentales ont réussi à établir des communautés de sécurité, d’autres régions non occidentales ont failli à cette tâche. L’auteur identifie quelques facteurs explicatifs : mauvaise performance démocratique, absence de leaders démocratiques munis de moyens matériels afin de promouvoir la démocratie, absence d’expérience pertinente des États fragiles à gérer des conflits et enfin la dimension de la communauté de sécurité. Il aurait pu ajouter la présence d’élites parasitaires qui se livrent à des crimes de droit commun et politiques. Ce chapitre est probablement le plus utile car le lecteur aura moins de difficulté à suivre le raisonnement et l’analyse de l’auteur.

Pour Richard Higgott, la crise financière des années 90 aurait finalement conduit les décideurs et les politiques à repenser la relation entre le marché et l’État. Le Consensus de Washington aurait donné sa place au consensus post-Washington dont les mots clés sont « la société civile », « capital social » et « construction des capacités ». Le but de ce nouveau consensus serait d’humaniser la mondialisation. Une nouvelle génération d’institutions internationales économiques et financières émergent et qui peuvent promouvoir la justice sociale. Dans ce chapitre, on cherchera en vain les questions véritables qui guettent la stabilité financière mondiale et l’apport des institutions internationales à cet égard.

Diana Tussie et Maria Pia Riggirozzi examinent la politique des ong des pays du Nord. Selon elles, une bonne partie de ces ong auraient réussi à intervenir auprès des institutions internationales d’une manière ciblée et à traiter des questions mondiales en jeu avec un préjugé anti-étatique. Le résultat net est que les ong se sont construit de véritables bases de pouvoir au plan mondial. Désormais il faudra les considérer comme des actrices à part entière dans ce vaste mouvement vers la gouvernance mondiale. Les deux auteurs mettent à jour la catégorisation des ong : certaines fourniraient des services, alors que d’autres sont devenues des forums où convergeraient de larges segments de la société civile transnationale. Mais les auteures demeurent silencieuses quant à la mesure dans laquelle les ong sont aussi des sous-traitants de la politique des États.

Ottfried Höffe propose rien de moins qu’une république mondiale « subsidiaire », inspirée de l’expérience de l’Union européenne. Cette république ne devrait pas être construite par le haut mais par le bas ; c’est-à-dire d’une manière démocratique, non seulement par les citoyens mais aussi par les États individuels. Il y a peu de référence ici aux Nations Unies. Pourtant il eût été intéressant de voir comment l’organisation mondiale remplirait les conditions de l’avènement d’une telle république.

Yash Tandon commence par une dénonciation en règle des excès de la civilisation contemporaine qu’il trouve pathologique et dénuée de rationalité, voire d’humanité. Les institutions internationales s’avèrent des instruments d’une poignée d’organismes qui dominent le monde, alors que la majorité de l’humanité languit sous le poids d’une pauvreté injustifiable. Après cette dénonciation, Tandon passe à l’analyse du concept de justice de Rawls. L’auteur soutient que ce concept devrait être étendu à travers la planète. Il critique d’autres conceptions de la justice ; celles fondées sur la charité et le bien-être. Seuls les mouvements populaires seraient capables de promouvoir la cause de la justice.

En général, l’ouvrage est décevant. Le lecteur est invité à se perdre dans un labyrinthe de concepts, de notions, de modèles et de postulats théoriques discutables. La grande majorité des auteurs souhaitent voir émerger un État mondial fondé sur les observations de Kant, sans véritablement examiner les grands obstacles placés sur le chemin de la Grande République. Se réclamant comme une étude sérieuse sur la gouvernance mondiale, l’ouvrage ne traite presque pas des questions reliées à l’élaboration des politiques publiques internationales et donc de la gouvernance. En effet, on sait que depuis au moins 1992 le nombre de forums mondiaux, où négocient les États et divers intervenants du monde privé et public, s’est multiplié et diversifié. Des acteurs privés de toute sorte ont désormais à leur disposition des moyens qui leur permettent d’influencer le cours des négociations mondiales sur les politiques publiques internationales. Parallèlement à ce processus, des réflexions à la fois théoriques et de pratiques politiques se sont signalées. Mais l’ouvrage est loin de les considérer. La plupart des modèles de gouvernance discutés dans les différents chapitres paraissent détachés de la réalité de la formulation des politiques publiques ainsi que de leurs problèmes de conception et d’application. Enfin, il est à se demander que viennent faire les Nations Unies dans le titre de l’ouvrage, si la plupart des auteurs ne consacrent même pas des analyses sur la réforme de la seule organisation mondiale.