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En participant aux bombardements de l’Alliance atlantique sur la République fédérale yougoslave (rfy) au printemps 1999, les soldats allemands faisaient feu sur l’ennemi pour la première fois depuis 1945. Cela mettait définitivement un terme à la « culture de retenue » développée par la République fédérale d’Allemagne (rfa) lors de la guerre froide, principe de politique étrangère caractérisé notamment par le refus d’utiliser la Bundeswehr à d’autres fins que la défense du territoire des pays de l’otan. L’intervention au Kosovo s’avérait une étape de plus vers l’adaptation du rôle de l’Allemagne en matière de politique étrangère et de sécurité qui avait été amorcée avec la guerre du Golfe en 1991. Dans ce processus de « normalisation », l’envoi de casques bleus allemands dans le cadre d’opérations de maintien de la paix en Somalie et en Bosnie avait constitué d’importants jalons.

À partir de la fin de l’automne 2001, la participation de la Bundeswehr au conflit en Afghanistan marquait une autre étape de cette normalisation de la politique étrangère et de sécurité allemande. En effet, c’était la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que des troupes allemandes combattaient à l’extérieur de l’Europe. En 2002, quoique l’attitude de Berlin vis-à-vis du retour de la question irakienne dans les préoccupations de Washington ait semblé marquer une certaine rupture dans la politique étrangère allemande depuis 1989, il n’en est rien. Bien au contraire, elle représente un pas de plus dans l’évolution de la politique allemande en faveur du multilatéralisme sur la scène internationale depuis la chute du Mur. Décidément, cette puissance tend de plus en plus à se comporter comme les autres grands pays démocratiques lorsque vient le temps de défendre ce qu’elle perçoit être son identité et ses intérêts.

Dans ce qui suit, nous chercherons à défendre la thèse suivante. Si, au Kosovo et dans la lutte au terrorisme, l’Allemagne avait contribué à la défense d’une identité occidentale dans laquelle elle se reconnaissait en tant que pays européen, dans le cas de l’épineuse question irakienne, elle refusait de souscrire à la vision unilatérale américaine de cette identité occidentale, jugeant que celle-ci était incompatible avec son identité nationale et européenne. De ce fait, le gouvernement allemand essuya alors les sarcasmes de l’administration américaine au sujet de la « vieille Europe ». Pourtant, il ne s’agissait aucunement pour l’Allemagne d’un retour aux vieux démons du passé ou à une politique de puissance ayant pour but d’étendre son hégémonie sur l’ensemble du continent. Cette identité allemande et européenne devait plutôt être comprise tel que Thomas Mann l’entendait lorsqu’il avait jadis exprimé son souhait « ‘d’une Allemagne européenne’ et non d’une ‘Europe allemande’[1] ».

Pour mettre en lumière la problématique de l’identité de l’Allemagne et de sa politique de sécurité, nous étudierons les réactions et décisions du gouvernement allemand lors de l’intervention alliée au Kosovo et lors des suites du 11 septembre 2001. Pour ce faire, nous analyserons essentiellement les discours et déclarations officielles des trois principaux décideurs en matière de politique étrangère et de sécurité, c’est-à-dire le chancelier, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense. Nous y avons retenu les éléments identitaires les plus marquants des discours et déclarations officiels. Compte tenu de la quantité de nos sources, nous avons fait place à des éléments déjà évoqués seulement lorsqu’ils comportaient des précisions supplémentaires significatives. Bien que notre approche soit celle d’historiens, il n’en demeure pas moins qu’elle s’inspire largement de travaux issus de l’école constructiviste[2].

I – Identité allemande et sécurité au Kosovo

Le recours au multilatéralisme dans le cadre des institutions internationales de sécurité était un réflexe politique profondément ancré chez les élites dirigeantes allemandes, réflexe qui remontait au début de la guerre froide et qui se trouvait depuis lors au coeur de l’identité nationale allemande. Dès l’automne 1997, le gouvernement allemand entreprit, dans le but de résoudre le conflit du Kosovo, des démarches diplomatiques multilatérales dans le cadre du Groupe de contact, de l’otan et de la pesc (Politique étrangère et de sécurité commune). Après avoir accepté, en juin 1998, une intervention de l’Alliance atlantique sous réserve d’un mandat de l’onu, la rfa annonçait en septembre qu’elle appuierait une intervention ne bénéficiant pas d’un tel mandat à cause du veto annoncé de la Russie au Conseil de sécurité[3]. Le 23 septembre, avec la résolution 1199, le Conseil de sécurité imputait à la rfy l’essentiel de la responsabilité de l’aggravation de la situation au Kosovo[4]. Ayant perdu les élections fédérales du 27 septembre, la coalition cdu-csu/fdp (chrétiens-démocrates/libéraux), dirigée par le chancelier chrétien-démocrate Helmut Kohl, profita de la dernière réunion du cabinet ministériel, le 30 septembre, pour assurer l’engagement militaire de son pays dans une éventuelle intervention de l’otan, sans doute parce qu’elle craignait que la future coalition spd/b90-grüne (sociaux-démocrates/verts) ne refuse la participation militaire allemande à une intervention de l’otan sans mandat préalable de l’onu. Il est vrai que l’entente de coalition liant le spd et les Verts stipulait que l’onu devait conserver le monopole de la violence[5]. Le 12 octobre, le social-démocrate Gerhard Schröder et le vert Joschka Fischer acceptèrent pourtant la participation militaire allemande. Si les vives pressions du président américain Bill Clinton peuvent expliquer cette volte-face, il faut aussi considérer le désir des Verts de participer au gouvernement fédéral pour la première fois de leur histoire et la volonté de Schröder et de Fischer de prouver leur fiabilité envers l’otan[6].

Malgré cela, le chancelier Kohl convoqua une séance extraordinaire du Bundestag, le 16 octobre, afin d’assurer à ses alliés de l’Alliance une contribution militaire allemande. Avec l’intention de justifier la participation de la Bundeswehr, le ministre libéral des Affaires étrangères, Klaus Kinkel, rappelait dans un premier temps tous les moyens diplomatiques qui avaient été employés jusque-là en vain pour résoudre le conflit, de même que le refus entêté du président yougoslave Slobodan Milosevic d’obtempérer aux exigences de l’onu. À son avis, l’implication de la Russie dans la gestion du conflit par l’intermédiaire du Groupe de contact était primordiale parce que « sans la Russie, une solution durable du conflit au Kosovo n’est pas possible ». Cela reflétait en outre une caractéristique essentielle de l’identité allemande en matière de sécurité : la volonté constante de jouer le rôle de pont entre la Russie et l’Occident, volonté présente depuis l’époque du chancelier Willy Brandt et renforcée après l’unification de 1990.

Kinkel dénonçait ensuite les « actions brutales » des forces militaires, paramilitaires et policières serbes au Kosovo. De celles-ci avaient résulté 290 000 réfugiés et des centaines de morts. Or, ce flux de réfugiés kosovars menaçait de déstabiliser les pays voisins de la rfy, telles la Macédoine et l’Albanie. De plus, un grand nombre avait trouvé refuge dans les pays d’Europe de l’Ouest. Après avoir souligné que l’Allemagne était le pays occidental ayant accueilli le plus grand nombre de réfugiés, le ministre légitimait une éventuelle intervention militaire en soutenant qu’elle permettrait d’éviter une catastrophe humanitaire annoncée avec l’arrivée de l’hiver.

Pour neutraliser les critiques du recours à la force, Kinkel utilisait un élément de l’identité nationale en faisant également référence au passé allemand par sa déclaration : « […] en Allemagne, nous nous sommes aussi retrouvés dans une situation où nous avons été incapables de nous libérer d’un tyran, ce qui a nécessité la force des autres pour nous en libérer ». Il poursuivait plus loin en citant les propos du cardinal Puljic de Sarajevo selon lequel : « Celui qui n’arrête pas le mal, en devient responsable ». Pour Kinkel, les leçons de la Bosnie et de l’histoire allemande étaient tout autant indiquées pour le Kosovo, c’est-à-dire qu’il ne suffisait pas de condamner pour empêcher « une seconde Bosnie », mais qu’il fallait aussi agir énergiquement.

Selon le responsable aux Affaires étrangères, les Allemands avaient compris que leur « pays ne doit pas rester à l’écart lorsqu’il s’agit d’assurer la paix, la stabilité et les droits humains » en Europe. Pour que les Balkans, voire l’Europe entière, retrouvent la quiétude, il fallait mettre fin à la violence et aux expulsions. De plus, Kinkel souhaitait la démocratisation de la rfy, ce qui permettrait à celle-ci de retrouver sa véritable place parmi les peuples européens. Dans les faits, ces quatre valeurs que constituaient la paix, la stabilité, les droits humains et la démocratie s’avéraient identiques à celles imposées à l’Allemagne de l’Ouest afin que celle-ci puisse retrouver sa place parmi les États européens en adoptant après la guerre une identité occidentale. Le chef de la diplomatie allemande mettait aussi en exergue la longue tradition démocratique fondée sur l’État de droit des seize membres de l’Alliance atlantique, ce qui conférait à celle-ci l’autorité morale pour mener une éventuelle intervention militaire. Par conséquent, l’Allemagne ne devait pas rester à l’écart lorsque l’otan cherchait à prévenir une catastrophe humanitaire. De ce point de vue, cette solidarité s’expliquait par la nécessité pour la rfa d’assumer ses responsabilités à l’égard de la paix européenne et de demeurer un allié fiable au sein de l’Alliance. En outre, la contribution de la Bundeswehr était non seulement indispensable pour assurer le bon déroulement des opérations, mais aussi la crédibilité des menaces contre la rfy. « Nos partenaires doivent pouvoir compter sur la solidarité de l’Allemagne unifiée, tout comme nous avons pu compter sur l’otan à d’autres égards pendant des décennies, ajoutait-il[7] ».

Dans le débat qui suivit, le ministre de la Défense, Volker Rühe, insistait aussi sur la nécessité de contribuer à la préservation de la paix et de la stabilité dans les Balkans, ce qui était attendu par les partenaires de l’Alliance atlantique. Il faisait aussi explicitement référence aux débats ayant eu lieu en 1995 au Bundestag concernant la crise bosniaque et qui faisait alors appel à l’identité allemande forgée par le poids du passé : « Il est parfois immoral d’employer des soldats, mais il y a d’autres situations dans lesquelles on doit dire qu’il est profondément immoral de ne pas employer de soldats lorsqu’il y a une chance unique d’arrêter la guerre et les massacres[8]. »

Appelé à devenir chancelier, Schröder ajoutait que l’Allemagne avait « un intérêt vital à l’égard de la paix et de la stabilité » dans les Balkans et recourait à l’histoire allemande pour justifier une participation militaire allemande. Selon lui, en raison des crimes commis dans les Balkans par le régime national-socialiste, l’actuelle « Allemagne démocratique » avait un devoir moral « de ne pas laisser se produire d’autres crimes dans cette région de l’Europe ». Il terminait son allocution en stipulant qu’il fallait éviter de stigmatiser le peuple serbe, souhaitant plutôt que celui-ci retrouve sa place « dans les structures de l’intégration et de la coopération européennes[9] ».

Pour sa part, Fischer, le futur responsable de la diplomatie allemande, précisait la pensée de Schröder à l’égard de la Serbie en affirmant que ce n’était pas le peuple serbe mais bien le régime de Milosevic qui représentait « une menace durable de guerre en Europe ». Afin d’éviter de replonger « dans la dangereuse et sanglante pensée nationaliste du xixe siècle », déclarait-il, il fallait de toute urgence chercher « une solution politique[10] ».

À l’issue de ce débat, les parlementaires se prononcèrent en faveur d’une participation allemande, excluant toutefois une intervention au sol du fait de l’absence d’un mandat du Conseil de sécurité. Le résultat du vote ne souleva au sein de l’opinion publique aucune protestation notable. Manifestement, celle-ci acceptait volontiers les nouvelles responsabilités internationales qui incombaient désormais à l’Allemagne. Cette acceptation de la nouvelle identité allemande sur la scène internationale aurait été inconcevable à peine quelques années plus tôt. De fait, jusqu’au début des années 1990, la société allemande avait toujours fait montre d’un puissant pacifisme au regard de l’utilisation du militaire dans la gestion des crises internationales, comme en avaient témoigné les manifestations opposées à la guerre du Vietnam, au déploiement des euromissiles au début des années 1980 et à la guerre du Golfe en 1991. Si la crise somalienne en 1993 avait marqué une première étape dans l’évolution des mentalités, le pas décisif avait cependant été franchi lors de la crise bosniaque en 1995. Constatant l’incapacité de la communauté internationale à mettre fin aux massacres comme celui de Srebrenica, une partie importante des pacifistes avait imité le changement d’attitude du vert Joschka Fischer selon lequel il ne suffisait pas seulement de dire « plus jamais la guerre », mais également « plus jamais Auschwitz », ce qui voulait dire que l’Allemagne devait agir en cas de catastrophe humanitaire ou de génocide[11]. Par le fait même, ce ténor du parti vert alors sur les banquettes de l’opposition avait contribué à neutraliser une grande partie du mouvement pacifiste inconditionnel et à lui faire accepter la nouvelle identité allemande en matière de sécurité.

Le 27 octobre 1998, le nouveau cabinet ministériel allemand décidait de participer à la mission de l’osce au Kosovo en contribuant à l’effort de reconnaissance des activités serbes et albanaises sur le sol kosovar. Le 18 novembre, le gouvernement Schröder déployait en outre plus de 250 soldats de la Bundeswehr en Macédoine dans le cadre de l’opération Extraction Force destinée à protéger la mission de l’osce au Kosovo et à libérer des otages si nécessaire[12]. Mais, l’échec patent de la mission d’observation de l’osce consécutif à la recrudescence des violences entre Kosovars et Serbes mena aux négociations de Rambouillet au début de février 1999.

Le jour même où s’amorçaient les négociations de Rambouillet, se tenait à Munich une conférence sur la politique de sécurité à laquelle participaient les trois principaux responsables de la politique de sécurité allemande. Dans son discours, le chancelier Schröder insistait d’emblée sur la nécessité que « l’Allemagne demeure un partenaire fiable en Europe et au sein de l’Alliance atlantique. Un partenaire qui est pleinement conscient de ses responsabilités nationales et globales en matière de politique de paix et de sécurité ». De ce fait, il n’était pas question, selon lui, que l’Allemagne s’engage dans un nouveau Sonderweg (voie particulière), ce qui signifiait qu’elle devait assumer ses responsabilités au sein de l’ue et de l’otan en tant qu’« alliée normale ». Parmi ses responsabilités, déclarait-il, on retrouvait la défense de « valeurs universelles » communes à l’Europe et à l’Alliance atlantique, notamment la paix, les droits humains et le développement démocratique durable. Si la défense de ces valeurs au moyen d’interventions militaires exigeait une légitimité fondée sur la juridiction internationale, la nécessité de prévenir des catastrophes humanitaires et de sévères violations des droits humains pouvait toutefois constituer une exception justifiant une « intervention immédiate ». Cela dit, conformément à l’identité allemande, l’option militaire devait demeurer l’ultime recours d’une politique de sécurité faisant appel à une panoplie de moyens diplomatiques, politiques et économiques visant à résoudre les conflits[13].

Quant au ministre Fischer, il ajoutait que « l’autorité morale et la légitimité du droit international ne peuvent pas être séparées l’une de l’autre ». D’ailleurs, le cas du Kosovo démontrait qu’il existait parfois des situations exceptionnelles justifiant des interventions militaires comme « moyen ultime » pour prévenir des catastrophes humanitaires. Ainsi, le droit international ne devait jamais empêcher d’intervenir lorsqu’il y avait « massacres collectifs, guerres et expulsions ». Il ne fallait donc pas attendre que se produisent une autre Bosnie et la mort d’un grand nombre d’innocents pour agir. Enfin, puisque l’onu détenait le monopole de la violence, Fischer mettait en exergue l’importance de renforcer et non d’affaiblir cette prérogative[14], un autre cheval de bataille de l’identité de sécurité allemande de l’après-guerre.

Deux jours après le début des opérations contre la Serbie, Schröder expliquait que l’otan avait été « contrainte » de procéder à des « frappes aériennes contre des cibles militaires » afin de faire cesser les violations des droits humains. La justification du dirigeant allemand était basée sur les nombreux et vains efforts diplomatiques pour régler la crise. Faisant l’impasse sur les difficultés intérieures causées par cette décision, le chancelier soulignait que celle-ci avait obtenu l’assentiment d’« une large majorité du peuple allemand et de la majorité du Bundestag[15] ».

En plus du plan de paix du G-8, qu’il avait initié, le gouvernement allemand vit ses efforts diplomatiques récompensés avec la signature, le 10 juin, du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est. Le ministre des Affaires étrangères Fischer expliquait les fondements d’un tel pacte devant les ministres des Affaires étrangères de l’ue, en rappelant d’abord que c’était dans les Balkans qu’avait débuté au début du xxe siècle le « processus européen d’autodestruction ». Après deux Guerres mondiales et une dernière décennie ayant vu quatre « guerres sanglantes » en ex-Yougoslavie, le ministre déclarait que l’Europe avait une « chance historique » de contribuer à la pacification durable du sud-est européen et d’ouvrir la voie à son entrée dans l’intégration européenne. Il identifiait ainsi deux faiblesses dans l’intervention de la communauté internationale vis-à-vis des conflits yougoslaves des années 1990. D’une part, elle s’était occupée des conséquences et non des causes de ces guerres et d’autre part, elle n’avait pas adopté une approche globale impliquant le reste de l’Europe afin de résoudre ces problèmes. Le Pacte de stabilité ambitionnait d’être une « stratégie préventive » contre le « potentiel d’instabilité et de violence » dans l’Europe du Sud-Est, ce qui permettrait à long terme d’« ancrer durablement » les pays de cette région à l’intégration européenne. Il s’agissait du moyen le plus approprié pouvant « offrir aux peuples de la région une véritable chance de réconciliation et de paix durable ». S’inspirant de l’Acte final d’Helsinki de 1975, le Pacte visait à réinstaurer un « dialogue et un processus de stabilisation à long terme » par l’entremise d’un réseau de traités bilatéraux et multilatéraux. Le ministre des Affaires étrangères soulignait l’acuité du développement de la « démocratie, du bien-être et de la paix » dans le sud-est de l’Europe, un processus dans lequel l’ue devait jouer le rôle de catalyseur (Impulsgeber)[16].

Environ deux mois après la décision du cabinet d’envoyer 8 500 soldats de la Bundeswehr au Kosovo, le chancelier effectuait, le 2 septembre, un premier bilan de cette intervention allemande devant la Société allemande de politique étrangère de Berlin. Cherchant à apaiser les craintes de ceux qui redoutaient assister, avec le déménagement de la capitale de Bonn à Berlin, au retour en Allemagne d’une identité marquée par la politique de puissance, Schröder assurait que son pays resterait attaché à la « tradition de tolérance, d’ouverture et de bon voisinage » qui avait caractérisé l’identité diplomatique de la rfa depuis 1949. Au sujet du Kosovo, le fait que des soldats allemands aient combattu pour des « valeurs européennes » constituait une première au xxe siècle, rappelait-il. Ce n’était « ni pour un nationalisme aveugle, ni pour la conquête de territoires étrangers, ni pour la poursuite d’intérêts stratégiques, mais pour les plus nobles buts qui soient : la sauvegarde de vies humaines et la préservation des droits humains ». Il justifiait aussi l’engagement de la Bundeswehr aux opérations militaires en affirmant que seule une « participation sans restriction » (uneingeschränkte Teilnahme) avec l’Alliance avait permis à la rfa de contribuer à trouver une solution diplomatique au conflit. Il ajoutait que « sans concept politique, toute action militaire aurait été condamnée à l’échec ».

En réponse aux critiques soutenant que les responsabilités historiques de l’Allemagne dans les Balkans durant la guerre de 1939-45 ne lui permettaient pas d’appuyer moralement, politiquement et militairement l’otan, le chancelier répliquait que c’était justement parce que l’Allemagne avait autrefois causé tant de malheurs dans cette région qu’elle devait maintenant y intervenir lorsque l’Histoire se répétait sous les agissements d’autres peuples. De la même manière, il rétorquait à ceux qui reprochaient à son gouvernement de trop mettre à l’avant-plan les « intérêts allemands », que la « politique étrangère est aussi une politique d’intérêts. Toute politique étrangère qui prétendrait ne poursuivre aucun intérêt serait de la pure hypocrisie. Comme tous nos voisins, les Allemands ont aussi des intérêts nationaux sensés et raisonnables ». De toute façon, ajoutait-il, dans le contexte de la mondialisation, aucun pays ne pouvait mener une politique purement nationale. D’après Schröder, la diplomatie allemande ne pouvait se faire qu’au sein de l’Europe et avec celle-ci. En ce sens, il fallait reconnaître que l’époque du « Sonderweg allemand » était bel et bien terminée[17].

Environ deux mois plus tard, Fischer affirmait, devant le même auditoire à Berlin, que les critiques tant étrangères qu’intérieures à propos du nouveau rôle de la République de Berlin sur la scène internationale n’étaient pas fondées. Elles incitaient cependant à examiner de plus près l’image que les Allemands avaient d’eux-mêmes (Selbstverständnis) en matière de politique extérieure, des propos qui faisaient clairement référence à l’identité nationale. Le ministre insistait lui aussi sur le fait qu’à la lumière de ses interventions de la dernière décennie, il n’était plus question d’un « rôle particulier » de l’Allemagne. En raison de l’histoire allemande et du « haut degré de dépendance » de sa diplomatie du fait de la mondialisation, la nouvelle République de Berlin devait maintenir la continuité et la fiabilité de sa politique étrangère de l’époque de la guerre froide. Il fallait donc poursuivre la « sage politique d’autolimitation » et la « défense multilatérale de ses intérêts » afin de préserver la « confiance et la prévisibilité de cinquante années » de diplomatie d’après-guerre, seule façon de conserver sa « marge de manoeuvre » sur la scène internationale.

Pour Fischer, lors du Kosovo, la solidarité était effectivement de mise pour la rfa sous peine d’assister à son isolement, à une perte d’influence sur la scène internationale et à une diminution de la confiance de ses partenaires. Compte tenu de son histoire de même que de son poids politique et économique, son pays détenait « une responsabilité particulière envers la paix et les droits humains ». Conséquemment, les partenaires de l’Allemagne s’attendaient à ce que celle-ci soit prête à s’engager volontairement « pour la paix et la prévention de catastrophes humanitaires, de génocides et d’expulsions ». Car d’après le ministre, mieux valait prévenir civilement les conflits que d’y réagir tardivement par le seul moyen qui serait alors disponible : le recours à la force. Dans le cas du Kosovo, il n’avait pas seulement fallu défendre des « valeurs […] mais aussi des intérêts ». Malgré l’importance des « principes moraux », la priorité avait donc dû être accordée, au dire de Fischer, à la sécurité des Balkans et de l’ensemble du vieux continent. Il avançait même que si le « nationalisme agressif de Milosevic » n’avait pas été arrêté, la guerre se serait probablement propagée au Monténégro ou en Macédoine[18].

Tout compte fait, au Kosovo, la défense de l’identité allemande allait désormais de pair avec la promotion d’une identité occidentale à laquelle s’identifiait l’Allemagne, ce qui mettait définitivement fin au Sonderweg. À cet effet, l’historien Heinrich August Winkler soutenait qu’après s’être longtemps distingué de l’Occident, l’Allemagne de la fin du xxe siècle s’était enfin intégrée à celui-ci en développant une identité nationale au terme de l’unification. Cette identité faisait non seulement place au lourd leg du nazisme, de l’autoritarisme conservateur et du militarisme appartenant au courant dominant d’avant 1945, mais aussi aux traditions démocratiques présentes dans l’histoire allemande depuis le xixe siècle, mais victorieuses seulement depuis 1949[19].

II – Identité allemande et sécurité après le 11 septembre

A — Entre la lutte au terrorisme et l’intervention en Afghanistan : à la défense d’une identité occidentale ?

Dès le 11 septembre 2001, jour des attentats terroristes de New York et de Washington, Berlin dut réagir rapidement en s’adaptant aux changements de la scène internationale. Pour Jean-Pierre Froehly, cela marquait même le début de la quête d’une « nouvelle » identité de la politique étrangère allemande[20]. Dans les mois qui allaient suivre les actes terroristes, la question identitaire allait en effet scander les discours des principaux responsables de la diplomatie allemande, ceux-ci employant de multiples référents identitaires avec encore plus de vigueur que lors de la crise du Kosovo.

Le jour même des attentats, le chancelier Schröder fit ainsi une première et brève déclaration assurant les États-Unis de la « solidarité sans restriction » de l’Allemagne, un concept qui allait susciter des critiques, d’aucuns l’interprétant comme un chèque en blanc que Berlin avait transmis à Washington. Le chef du gouvernement allemand y décrivait les attentats terroristes comme étant « une déclaration de guerre à l’ensemble du monde civilisé », une thèse à laquelle adhéraient ses homologues français, britannique et russe. En outre, il soulignait l’importance de développer une position commune au sein de l’Union européenne[21].

Le lendemain des attentats, Peter Struck, le leader parlementaire du spd proclamait devant le Bundestag : « Nous sommes tous Américains », affirmation qui recevait les applaudissements de la quasi-totalité des députés[22]. Pour sa part, Schröder développait davantage ce qu’il avait affirmé la veille dans une déclaration gouvernementale prononcée devant le Parlement. Le chancelier y expliquait notamment que la solidarité allemande, loin de se résumer à un simple témoignage à l’endroit du peuple américain, concernait en fait « tous ceux qui, en Allemagne, en Europe et partout dans le monde, garantissaient la paix et la liberté ». En d’autres termes, il soutenait que la rfa allait contribuer à la défense commune de la liberté, de la démocratie et de la sécurité, ce qu’il appelait « les valeurs de la cohabitation pacifique des humains et des peuples », des valeurs que l’on peut considérer comme fondatrices de l’identité occidentale et par le fait même allemande. Schröder précisait en outre sans ambages ni ambiguïtés que ceux qui aidaient les terroristes constituaient aussi une menace pour ces valeurs[23].

Quelques jours plus tard, devant le Bundestag, le chancelier s’efforça de justifier avec des arguments juridiques, la réaction à venir des États-Unis et de ses partenaires occidentaux. Il rappela d’abord que le Conseil de sécurité de l’onu avait, de par sa résolution 1368, qualifié les attentats du 11 septembre de « menace à la paix et la sécurité internationale ». Schröder soutint ensuite la thèse voulant que ces attentats équivaillent, selon les dispositions de l’article v du Traité de Washington, à une agression contre l’ensemble des membres de l’otan. Par conséquent, aux dires du chancelier, son pays devait assumer, bien que cela ne se résumât pas uniquement aux seules mesures militaires, les devoirs qui venaient avec les droits liés à l’appartenance à l’Alliance. Il ajoutait que « [c]ette forme de solidarité » était la « leçon » que les Allemands avaient tirée de leur histoire. Il insistait aussi sur l’importance « d’intégrer le plus grand nombre possible de pays dans un système mondial où prévalaient sécurité et prospérité », ce qui impliquait la nécessité de développer une stabilité politique et économique au Proche-Orient et en Asie centrale. Finalement, le chancelier affirmait que les droits humains, « la dignité humaine, la démocratie libérale et la tolérance » étaient des valeurs à défendre puisqu’elles constituaient l’identité de « notre communauté internationale[24] ».

Peu après, le ministre de la Défense, Rudolf Scharping, arguait que non seulement il fallait appuyer les États-Unis mais qu’il fallait saisir l’occasion pour « ajouter aux identités nationales particulières, une identité globale et civilisationnelle » tout en développant une « réponse globale » et « commune » au défi terroriste. Selon lui, cette réponse devait inclure à la fois l’économique, le culturel, le social et le financier sans omettre bien sûr, le militaire. De son point de vue, une contribution allemande à la défense des valeurs communes était donc non seulement possible, mais nécessaire du fait des attentes que l’étranger avait à l’égard de la rfa[25].

Après avoir rencontré le président George W. Bush à Washington le 9 octobre, le chancelier faisait une déclaration deux jours plus tard où il rappelait que l’unification de l’Allemagne et le retour de sa pleine souveraineté de même que la fin de la guerre froide obligeaient les Allemands à « assumer une nouvelle forme de responsabilité internationale, une responsabilité qui correspond[ait] à notre qualité de partenaire européen et transatlantique important, mais aussi de démocratie forte et d’économie puissante au sein de l’Europe ». L’époque où l’Allemagne ne donnait qu’une « aide secondaire », c’est-à-dire financière et logistique, était donc bel et bien terminée ; ses responsabilités incluant désormais « une participation aux opérations militaires pour défendre la liberté et les droits humains ainsi que pour établir la stabilité et la sécurité ». Du point de vue du gouvernement, cela équivalait à développer une « nouvelle conception » de la politique étrangère, ce qui revenait à dire qu’une nouvelle identité allemande serait affirmée dans les relations internationales[26].

Au début du mois de novembre, Washington transmit ses demandes d’aide militaire. En réponse, le chancelier rappelait à ses concitoyens l’aide américaine de l’après-guerre et le fait que la solidarité ne devait pas « fonctionn[er] à sens unique », déclarant que l’Allemagne se devait « d’être un partenaire fiable au sein de l’Alliance », qu’elle devait assumer sa « responsabilité accrue » dans le monde et que cela était « aussi dans [son] intérêt ». Le cabinet fédéral avait donc décidé de fournir, pour un maximum de douze mois, jusqu’à 3 900 soldats afin de lutter contre « le réseau terroriste d’Oussama ben Laden et contre le régime des talibans en Afghanistan », décrivant au passage celui-ci comme « un régime totalitaire responsable de la mort de milliers d’Afghans, d’oppressions, d’expulsions massives et d’actes de barbarie culturelle ». Schröder prenait en outre bien soin de mentionner qu’en « accompagnant les opérations militaires d’une aide humanitaire[27], nous montrons clairement que celles-ci ne sont pas dirigées contre le peuple afghan, mais contre le terrorisme ». Il poursuivait sur cette voie en insistant sur la nécessité de dialoguer avec les « sociétés musulmanes » pour éviter que les terroristes n’instrumentalisent « à des fins meurtrières les carences culturelles, sociales et politiques ». De l’aveu même du chancelier, les troupes allemandes ne participeraient pas aux bombardements, mais devraient inclure des unités spécialisées dans la défense contre les armes atomiques, biologiques et chimiques (abc), des forces spéciales, des unités sanitaires, des forces logistiques de transport aérien ainsi que des unités navales visant à protéger les routes maritimes et les navires[28].

Trois conditions étaient cependant nécessaires pour permettre une contribution militaire de la rfa : l’intervention devait respecter la Loi fondamentale allemande, ainsi que le droit international et l’article 2 (4) de la Charte de l’onu ; enfin, elle devait être approuvée par le Bundestag[29]. Or, compte tenu de l’opposition de certains des membres les plus à gauche au sein des verts et du spd, l’appui de l’ensemble de la coalition était loin d’être gagné[30]. Pour s’assurer d’une majorité au Bundestag, le chancelier lia le vote portant sur la mise à disposition de troupes à un vote de confiance envers sa propre personne. C’est donc lors d’une séance extraordinaire du Parlement que Schröder remporta in extremis ce vote avec seulement deux voix de plus que la majorité absolue nécessaire[31]. Si cette décision était « historique » aux yeux du chancelier, pour d’autres, elle reflétait l’évolution de la « perception politique que l’Allemagne avait d’elle-même », car pour la première fois depuis 1945, elle intervenait militairement sans justification liée au nazisme ou aux obligations morales découlant de ce passé[32]. De ce fait, il s’agissait d’une évolution considérable de l’identité allemande en matière de sécurité.

Au cours de son discours ouvrant la Conférence sur l’avenir de l’Afghanistan, tenue près de Bonn en novembre 2001, Fischer insista beaucoup sur le fait que la communauté internationale et l’Allemagne appuieraient à long terme la reconstruction de l’Afghanistan, mais à la condition que celle-ci se fasse dans la paix, dans le respect des droits humains et avec un gouvernement de transition « équilibré s’appuyant sur une large base ». Le ministre des Affaires étrangères expliquait à la même occasion les grands axes de la politique allemande : la reconstruction des structures nécessaires à l’éducation et des infrastructures administratives ainsi que l’intégration des femmes et des filles à la « société civile » afghane[33].

Afin de démontrer le sérieux de son appui à la reconstruction de l’Afghanistan, le gouvernement allemand obtint l’accord du Bundestag pour détacher 1 200 soldats au sein de la « Force internationale d’assistance à la sécurité » (isaf), une force qui devait sécuriser la capitale afghane et ses environs[34]. D’une durée de six mois au départ, l’affectation des 1 200 soldats de la Bundeswehr fut prolongée par le Bundestag deux fois au cours de l’année 2002. En outre, de février à août 2003, l’Allemagne a assumé la direction conjointe de l’isaf avec les Pays-Bas. En plus de fournir des troupes pour le maintien de la sécurité à Kaboul et dans les environs, la rfa a participé dès janvier 2002, à la reconstruction matérielle et financière de l’État afghan. Toutefois, l’Allemagne ne s’est pas limitée à ces mesures et a contribué aussi à la lutte au terrorisme de plusieurs manières : une centaine d’hommes des forces spéciales allemandes a été engagée dans le cadre de « Liberté immuable » pour traquer les talibans et les terroristes d’Al-Qaeda dans les montagnes afghanes.

Cependant, la participation politique et militaire allemande à la lutte au terrorisme et à la reconstruction de l’Afghanistan n’avait pas été sans susciter de vives critiques quant à une Allemagne par trop affirmative sur la scène internationale. Alfred Frisch rappelait ainsi qu’en France, certains considéraient par exemple « la réunion sur l’Afghanistan à Bonn, dans l’ancienne capitale de l’Allemagne fédérale, comme une confirmation du retour de l’Allemagne dans le cercle des pays capables de s’occuper du destin du monde, en signalant et en faisant valoir ses prétentions nationales de puissance[35] ». Pourtant, par sa nouvelle identité, l’Allemagne, en contribuant à la défense d’une identité occidentale et des valeurs en découlant, n’avait fait que manifester sa solidarité envers ses partenaires.

B — L’Irak dans le contexte de la lutte au terrorisme : repli sur une identité allemande ou deutscher Weg ?

Avec la question irakienne, la solidarité de Berlin envers Washington dans l’après 11 septembre allait peu à peu laisser place à une solidarité critique et à un repli sur une identité allemande et européenne. De fait, dès la fin de janvier 2002, le président américain pensait déjà à la deuxième phase de la guerre au terrorisme lorsqu’il évoqua l’Axe du mal et ses intentions de débarrasser l’Irak du régime de Saddam Hussein par les armes. Des voix discordantes se firent toutefois entendre dans plusieurs pays européens et en particulier en Allemagne. Dans une entrevue accordée à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel en février 2002, Fischer déclarait en effet : « La coalition internationale contre le terrorisme n’est pas en soi un passe-droit pour une invasion d’un quelconque pays. » Et puis il répétait essentiellement les propos de son chancelier tenu en décembre 2001 lorsqu’il affirmait : « Jusqu’à maintenant, on ne m’a pas présenté de preuves qu’il y aurait quelque lien entre le terrorisme d’Oussama ben Laden et le régime en Irak[36]. »

Quelque temps après, Fischer faisait part du malaise européen concernant la tendance des dirigeants américains à agir seuls sans tenir compte de l’avis de leurs partenaires de l’Alliance atlantique au sujet de la question irakienne. Les mots qu’il eut alors à leur égard furent des plus cinglants : « Ces gens-là traitent leurs partenaires comme des satellites[37]. » Certes, le mot « satellites » pouvait paraître exagéré, puisqu’il peut évoquer, dans le jargon de la diplomatie, les pays satellites est-européens de l’époque de la guerre froide qui, sans initiative et sans voix, gravitaient autour de l’urss. Mais il n’en témoignait pas moins de l’irritation des Européens, et tout particulièrement de celle des Allemands, à propos de la diplomatie américaine dont ils dénonçaient l’unilatéralisme. Celui-ci heurtait évidemment de plein fouet la préférence allemande pour le multilatéralisme qui constituait une des pierres d’assise de son identité sur la scène internationale.

Il n’est donc pas étonnant que lors de son voyage en Europe en mai 2002, le président Bush ait choisi le Bundestag pour expliquer aux Européens sa doctrine concernant le terrorisme et les raisons pour lesquelles le régime irakien de Saddam Hussein devait être renversé[38]. Deux mois plus tard, dans le cadre du sommet franco-allemand à Schwerin, le chancelier Schröder annonça son opposition à toute intervention de son pays en Irak sans mandat de l’onu. Après avoir approuvé la position du président français Jacques Chirac qui excluait fermement une participation de son pays à une guerre contre l’Irak sans feu vert préalable des Nations Unies, il ajoutait que sans celui-ci, il n’y aurait « aucune majorité parlementaire allemande pour une action contre l’Irak[39] ».

À partir de ce moment, le chancelier allemand ne cessa de répéter sa position, saisissant chaque occasion pour exprimer son opposition à une opération militaire que décideraient de manière unilatérale les États-Unis. Il en fit même un enjeu majeur lors de la campagne électorale en Allemagne au cours de laquelle il se fit beaucoup plus incisif sur cette question que tout autre dirigeant européen.

Au début du mois d’août 2002, alors que la campagne électorale battait son plein, il montrait toutefois les limites du multilatéralisme à l’allemande en excluant toute participation de l’Allemagne à une éventuelle intervention militaire américaine en Irak, même au cas où il y aurait un mandat de l’onu pour agir en ce sens[40]. Affirmant que l’Allemagne n’était pas encline « à des passe-temps guerriers », il écartait même une contribution financière de son pays à une guerre qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des problèmes qui se posaient dans cette région du globe[41]. Il faisait ainsi implicitement référence à la nécessité de résoudre le conflit israélo-palestinien comme condition sine qua non au rétablissement de la stabilité au Moyen-Orient.

Selon le chancelier, « une éventuelle guerre contre le régime dictatorial de Saddam Hussein pouvait s’avérer un jeu dangereux qui risquerait non seulement d’entraîner une escalade du conflit au Proche-Orient, mais aussi de détruire la coalition internationale contre le terrorisme[42] ». Une intervention militaire en Irak pouvait amener les États arabes à se montrer solidaires de Saddam Hussein ou, à tout le moins, à accentuer leur ressentiment envers l’Occident. Elle pouvait même pousser Saddam Hussein à se rapprocher des extrémistes islamiques[43]. Cependant, il rappelait que cela ne remettait en cause ni la solidarité de la Chancellerie avec la Maison-Blanche dans la lutte contre le terrorisme ni l’engagement de troupes allemandes dans les Balkans et en Afghanistan[44]. « L’Allemagne a, après les États-Unis, le plus grand nombre de soldats engagés dans des opérations internationales. La limite est atteinte », soulignait-il[45], en faisant allusion aux quelques 10 000 soldats de la Bundeswehr déployés à l’étranger[46].

Mais c’est au diplomate Fischer à qui revenait le mérite d’avoir développé en substance l’argumentation de son gouvernement : « La guerre contre le terrorisme n’est pas gagnée et elle ne peut l’être que si la coalition qui le combat se maintient. Or une intervention en Irak la fera éclater et toute la région versera dans l’instabilité[47]. » Il tirait donc la conclusion que vouloir renverser le régime irakien par les armes reviendrait à s’engager dans une mauvaise voie, les priorités étant la guerre contre le terrorisme et la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien[48]. C’est pourquoi, en somme, il s’opposait lui aussi à toute contribution allemande à une guerre en sol irakien, qu’elle soit d’ordre militaire ou financier. Il rappelait cependant que l’Allemagne resterait solidaire de ses alliés dans le combat visant à éradiquer le terrorisme, car la « lutte contre le terrorisme doit être menée jusqu’à ce que sa défaite soit complète. De cet engagement, nous restons pleinement solidaires[49] ».

Schröder mena avec brio une campagne électorale, où s’entremêlaient thèmes pacifistes et nationalistes. En affirmant haut et fort son opposition à toute intervention militaire en Irak, même avec un mandat de l’onu, non seulement il mettait en garde son allié américain contre les dangers d’une telle intervention, mais il soulignait du même souffle que son pays n’avait pas à avoir honte de proclamer son désaccord. De fait, pour illustrer la position de son gouvernement qui refusait l’identité occidentale telle qu’elle était proposée par l’administration américaine, il avait recouru à maintes reprises au slogan général de sa campagne électorale « La voie allemande » (der deutsche Weg), ce qui n’était pas sans rappeler aux observateurs les plus inquiets le fameux Sonderweg, cette voie particulière allemande empruntée jadis par les Bismarck, Guillaume ii et Hitler[50].

La soi-disant dérive de l’Allemagne avait suscité moult controverses, d’autant plus que c’était la première fois qu’elle osait adopter ouvertement une position radicalement différente de celle des États-Unis en matière de politique étrangère depuis la fin de la guerre froide. Nombreux furent ceux qui, tant en Allemagne qu’à l’étranger, accusèrent le chancelier de sacrifier les liens du pays avec son allié américain pour faire des gains électoraux. Certains avancèrent qu’il serait même difficile de reconstruire le lien transatlantique, d’autant plus que l’Allemagne, par son refus de tout compromis, s’isolerait et perdrait sa place chèrement acquise à la table des grandes puissances[51].

Selon Wolf Dieter Eberwein, la position du gouvernement Schröder dans le dossier irakien ne témoignait aucunement d’une volonté de faire bande à part au sein de la communauté internationale et surtout de l’otan. « Il y a des arguments qui reviennent toujours en Europe. Dès que l’Allemagne commence à s’exprimer d’une manière qui ne soit pas tout à fait acceptable pour les Américains, les Français ou les Britanniques, ces derniers commencent à gueuler et à évoquer le Sonderweg. » La réalité, poursuivait-il, c’est que « l’Allemagne est l’un des seuls pays du monde à avoir une politique étrangère fondée sur le multilatéralisme qui soit réellement valable et crédible[52] ». En effet, il ne s’agissait aucunement d’une remise en cause des principes fondamentaux de l’identité allemande en matière de politique étrangère et de sécurité.

Aux critiques l’accusant d’isoler son pays sur la scène internationale, Schröder rétorquait, au cours de la campagne, qu’elles étaient non fondées. « L’Allemagne n’est pas isolée, comme certains le pensent. Mes arguments contre une intervention militaire sont partagés par le secrétaire général de l’onu, Kofi Annan, par le responsable des Affaires étrangères de l’ue, Javier Solana, et par d’autres gouvernements en Europe. » Selon le chancelier, la crainte d’un isolement de son pays ne tenait pas la route, car en septembre 2002, l’Allemagne fournissait, après les États-Unis, le deuxième plus important contingent en soldats engagés dans des opérations internationales. Par exemple, elle déployait à l’étranger un tiers de soldats de plus que la Grande-Bretagne. Et cette présence internationale lui coûtait annuellement deux milliards d’euros. D’après lui, c’était donc un non-sens de dire que l’Allemagne ne voulait pas faire sa part au sein de la communauté internationale ou remplir ses obligations dans le cadre de l’Alliance atlantique. Bien au contraire, elle participait à des opérations de rétablissement ou de maintien de la paix comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Et elle n’entendait aucunement remettre en question l’engagement de ses troupes en Afghanistan dans le cadre de la lutte contre le terrorisme à laquelle elle prenait part au sein de l’opération « Liberté immuable ». « Ce n’est pas s’isoler que de faire valoir son point de vue au sujet de la question irakienne », ajoutait-il[53]. D’ailleurs, ces propos du chancelier n’étaient pas sans rappeler ceux que son ministre des Affaires étrangères avait tenus en pleine crise du Kosovo en février 1999 à l’effet que les divergences d’opinions étaient courantes et allaient de soi entre des alliés ou des partenaires véritablement démocratiques[54].

Évidemment, Schröder s’est défendu d’avoir exclu inconditionnellement tout soutien allemand à une attaque contre l’Irak pour des motifs électoraux ou économiques. Sa position reposait sur des considérations pragmatiques, avait-il dit. Premièrement, la guerre contre le terrorisme international et, en particulier, contre les talibans en Afghanistan n’était pas terminée. Deuxièmement, non seulement on était loin d’avoir consolidé la paix en Afghanistan, mais également d’avoir terminé la reconstruction de ce pays. Enfin, les États-Unis avaient modifié brusquement la stratégie concernant la lutte contre le terrorisme, en se donnant désormais pour objectif de renverser militairement le régime de Saddam Hussein, alors que l’onu tentait de ramener en Irak par des moyens diplomatiques ses inspecteurs en désarmement. « C’est pourquoi notre non est tout à fait justifié », concluait-il[55].

Selon Sabine van Oppeln, le principe fondamental de la politique étrangère de l’Allemagne est le multilatéralisme, ce qui lui permet de discuter des stratégies politiques à adopter sur la scène internationale. Sa position n’est pas antiaméricaine, ajoutait-elle, elle exprime plutôt une critique vis-à-vis de la stratégie prônée par l’administration Bush en ce qui concerne l’Irak[56]. De fait, l’apparente volonté d’unilatéralisme américaine sur cette question heurtait de front la nette préférence allemande pour le multilatéralisme[57]. Naturellement, pour les Allemands, toute politique unilatérale et, a fortiori la doctrine américaine de la guerre préventive, s’avérait repoussante puisqu’elle leur rappelait les fâcheuses politiques agressives de l’Allemagne d’avant 1945. Ainsi, la politique de l’administration Bush « s’accordait difficilement avec les convictions morales et l’expérience historique allemandes[58] ». Or, ces convictions morales et le passé allemand s’avéraient des éléments cruciaux d’une identité allemande imposée de l’extérieur, c’est-à-dire par les alliés, – et donc les Américains – après 1945. Obligés de faire avec cette identité de « peuple symbole de la culpabilité[59] », il était malaisé et contradictoire de demander aux Allemands de passer outre et d’accepter non seulement de ne pas critiquer une attaque préventive, mais en plus d’y participer.

Dans leur majorité, les Allemands partageaient les inquiétudes de leur gouvernement et, sans nécessairement tomber dans l’antiaméricanisme, n’appréciaient guère le chef de la Maison-Blanche[60]. Le président Bush leur donnait l’impression de se servir des événements du 11 septembre comme prétexte pour régler des questions qui n’avaient rien à voir avec le terrorisme international, de mener une politique de puissance, strictement définie en fonction des intérêts américains les plus étroits et ce, sans tenir compte de ses alliés[61].

En ce sens, la position du gouvernement Schröder convergeait vers la défense d’une identité allemande et européenne de même que des intérêts qui en résultaient. Il cherchait ainsi à être considéré par l’administration américaine comme un partenaire ayant son mot à dire dans la définition de la politique étrangère occidentale et non comme un satellite voué à un rôle de simple exécutant. Pour Berlin, la question n’était pas de savoir à quel moment ni de quelle manière les Allemands devraient participer à une intervention militaire en Irak comme le désirait Washington, mais plutôt si une telle opération était bel et bien justifiée, ce qui montrait bien que l’Irak ne représentait pas à leurs yeux la même menace que pour les Américains[62]. Ce faisant, l’Allemagne et plusieurs de ses partenaires européens refusaient de s’engager dans une guerre qui servirait d’abord les intérêts américains.

Au Bundestag, deux jours après le premier anniversaire soulignant les attentats du 11 septembre, le ministre des Affaires étrangères allemand s’interrogeait sur la pertinence d’une intervention militaire en Irak. « Dieu sait que nous prenons très au sérieux le problème des armes de destruction massive. Mais est-ce que ça signifie, Mesdames et Messieurs, que nous menacerons à l’avenir d’une guerre tous les régimes qui ne sont pas de nature démocratique et qui, de surcroît, disposent d’armes de destruction massive[63] ? »

Quoi qu’il en soit, le gouvernement Schröder, qui fit campagne en martelant sans répit son opposition inconditionnelle à une opération militaire en Irak, contribua à envenimer ses relations avec la Maison-Blanche, qui n’étaient déjà pas très chaleureuses depuis l’évocation de l’Axe du mal par le président Bush. Que celui-ci n’ait même pas pris la peine de féliciter le chancelier, au lendemain de sa victoire électorale, démontre bien à quel point leurs relations n’étaient plus au beau fixe[64]. Dans l’intention de rétablir les ponts entre Berlin et Washington, le nouveau ministre social-démocrate de la Défense, Peter Struck, proposait, le 24 septembre, que l’Allemagne assume davantage de responsabilités en Afghanistan en prenant la direction du commandement de l’isaf conjointement avec les Pays-Bas au début 2003. Cette proposition fut immédiatement interprétée comme étant un dédommagement pour l’irritation causée à l’administration Bush par le gouvernement Schröder au cours de sa campagne électorale et une solution compensatoire pour son refus inconditionnel de participer à une éventuelle guerre en Irak[65].

Pour atténuer encore davantage les tensions avec la Maison-Blanche, Fischer déclarait en septembre 2002, que si son pays refusait de prendre part à une quelconque intervention militaire en Irak, il n’excluait cependant pas sa participation à une opération de maintien de la paix chapeautée par l’onu après une guerre en sol irakien. Suivant cette affirmation du ministre des Affaires étrangères, des troupes de la Bundeswehr pourraient être envoyées en Irak à la suite d’un changement de régime par la force afin d’y accomplir des tâches similaires à celles déjà déployées en Afghanistan dans le cadre de l’isaf. Mais, ajoutait-il, il faudrait qu’une telle mission de stabilisation s’effectue sous un mandat de l’onu[66], montrant à nouveau que l’Allemagne cherchait à conserver une politique de sécurité cohérente avec l’un des principes fondamentaux de son identité nationale : le multilatéralisme et la place prépondérante de l’onu dans celui-ci.

Conclusion

Tant dans le cas du Kosovo et de l’Afghanistan que celui de l’Irak, les dirigeants allemands ont cherché à préserver une identité allemande et européenne à laquelle ils tenaient. Si dans les deux premiers cas, la défense de celle-ci allait de pair avec la défense de l’identité occidentale telle que mise de l’avant par les États-Unis, force nous est d’admettre que dans la question irakienne, ces deux identités ne semblaient pas compatibles aux yeux des responsables politiques de Berlin. Ce faisant, ils se distancèrent donc de la politique de leurs homologues de Washington, quitte à subir les railleries américaines concernant la « vieille Europe ». Néanmoins, dans le cas irakien, comme dans les deux précédents, l’identité défendue en matière de sécurité par les dirigeants allemands reflétait l’opinion d’une majorité de leurs concitoyens.

Au Kosovo et en Afghanistan, la crainte de se retrouver isolés sur la scène internationale avait certainement incité les dirigeants allemands à participer aux interventions militaires aux côtés de leurs alliés de l’otan. Ce sentiment prenait d’abord sa source dans le lourd legs de l’histoire allemande d’avant 1945, a fortiori dans la funeste politique de bascule (Schaukelpolitik) entre l’Est et l’Ouest ayant mené au traité de Rapallo de 1922 et au pacte germano-soviétique de 1939 ; deux ententes faites aux dépens des démocraties occidentales. En 1999 et en 2001, il était donc hors de question de remettre en cause les fondements de la politique d’ancrage à l’Ouest (Westbindung) de la rfa depuis l’après-guerre[67]. De plus, les Allemands devaient témoigner de leur reconnaissance envers l’Alliance qui avait assuré leur sécurité pendant la guerre froide. Il fallait aussi être solidaires des États-Unis, qui avaient joué un si grand rôle dans la reconstruction de leur pays après 1945, dans la défense de l’Europe de l’Ouest contre la menace communiste et dans l’unification de l’Allemagne.

D’autre part, les principes moraux n’étaient pas non plus sans importance dans la politique allemande lors des deux premières crises. Au Kosovo, il va sans dire que ceux-ci étaient étroitement liés aux responsabilités allemandes face à l’Holocauste et aux crimes de la Wehrmacht dans les Balkans. Bien que certains aient affirmé que, du fait de cette double responsabilité historique, l’Allemagne ne pouvait intervenir militairement, les décideurs allemands prenaient le contre-pied de cette argumentation et justifiaient leur action sur la base même du poids du passé. Ils se donnaient par là une obligation morale d’intervenir avec leurs alliés de l’otan pour prévenir de nouvelles catastrophes humanitaires et pour défendre les droits humains. Pour la première fois au xxe siècle, des soldats allemands combattaient ainsi au nom de valeurs rattachées à l’identité des démocraties occidentales et auxquelles leur nation s’identifiait.

En Afghanistan, il s’agissait plutôt de contribuer à la défense de ces mêmes valeurs face aux menaces du terrorisme international. En ce sens, le gouvernement allemand assumait ce qu’il percevait comme étant sa responsabilité à l’égard d’une identité occidentale commune, de là sa solidarité sans restriction exprimée envers les Américains. Il est également clair qu’il entendait poursuivre l’affirmation d’une nouvelle identité allemande en matière de sécurité. Sachant pertinemment que pour disposer d’un véritable droit de regard dans la gestion des crises internationales, il faut d’abord être en mesure de contribuer politiquement et militairement à leur solution, la rfa participa donc non seulement à l’opération Liberté immuable mais contribua de manière importante à l’isaf.

Toutefois, lors de la crise irakienne, l’Allemagne passa d’une « solidarité sans restriction » à l’égard des États-Unis à une « solidarité critique ». Si dans le cas de la lutte au terrorisme international et dans la reconstruction de l’Afghanistan, l’Allemagne s’était parfois vu accuser de trop vouloir jouer des muscles sur la scène internationale, dans le cas de la question irakienne, elle avait été critiquée pour son refus de s’engager – avant même que la question ne se pose – dans une éventuelle intervention militaire contre le régime de Saddam Hussein. Or, bien que la Grande-Bretagne ait d’emblée assuré les États-Unis de sa participation, la rfa était loin d’être la seule puissance à s’opposer ou à émettre de sérieuses réserves face aux projets américains. En effet, à l’instar de la France par exemple, l’Allemagne avait dénoncé l’unilatéralisme dont avait fait preuve la diplomatie américaine sur cette question. Il n’était donc aucunement question d’une dérive allemande vers un nouveau Sonderweg. Bien au contraire, elle poursuivait son engagement non pas uniquement en faveur du maintien de la paix, de la stabilité et des droits humains mais aussi en faveur de la reconstruction de régions ravagées par la guerre. Ce faisant, le multilatéralisme au sein des institutions de sécurité internationales et occidentales demeurait son moyen de prédilection pour promouvoir son identité en matière de sécurité.

Alors que l’Allemagne s’était sentie interpellée par la nécessité de protéger les droits humains au Kosovo et d’éradiquer le terrorisme international à la suite du 11 septembre 2001, il n’en allait pas de même pour une éventuelle intervention militaire contre l’Irak en dépit du caractère problématique du régime de Saddam Hussein. Vues de Berlin, les priorités devaient plutôt aller à la poursuite de la lutte au terrorisme, à la reconstruction de l’Afghanistan et à la recherche d’une solution durable au conflit israélo-palestinien. En affirmant leurs propres convictions et sans tomber dans l’antiaméricanisme, les dirigeants allemands avaient ainsi cherché à défendre l’identité de leur pays et de l’Europe sur la scène internationale. Si l’Allemagne n’hésitait pas à affirmer sa solidarité transatlantique lorsqu’elle le jugeait nécessaire, elle revendiquait néanmoins le droit d’exprimer un point de vue différent de ses alliés. Mais tout cela n’était pas sans rappeler quelques frictions germano-américaines de l’époque de la guerre froide, notamment les épisodes du « genschérisme » à la fin des années 1980, de la crise des euromissiles sous le chancelier Helmut Schmidt et de la guerre du Vietnam sous la férule du gouvernement de Ludwig Erhard.