Corps de l’article

Introduction

La professionnalisation de l’enseignement nécessite une plus grande responsabilité des acteurs sur le terrain. En fait, ce qui différencie un métier d’une profession réside surtout dans la responsabilité attribuée à la personne qui l’exerce (Huberman, 1978). Il s’agit, entre autres, de la responsabilité de l’enseignant envers la réussite de l’étudiant. Au Québec, relativement à cet aspect, le Conseil permanent de la jeunesse (1992) souligne que « l’engagement professionnel et humain de ceux qui travaillent pour la réussite ne peut être remplacé ni par les programmes ni par les ressources financières » (p. 34). On reconnaît le rôle des enseignants comme intervenants de première ligne (Conseil supérieur de l’éducation, 1995) et l’impact significatif qu’ils peuvent avoir auprès des étudiants (Gouvernement du Québec, 1996).

Malgré l’abondance des écrits relatifs à l’effet enseignant quant à ses pratiques pédagogiques, nous nous trouvons paradoxalement, comme le soulignent notamment Mingat (1994), Jarousse (1995), Anderson (1992) et Fang (1996), devant un manque de recherches consacrées aux croyances des enseignants. Au cégep[1], on n’échappe pas à cet état de choses. Bien que plusieurs questions touchant les étudiants, telles que la pédagogie et l’évaluation, aient été débattues depuis leur avènement, les croyances des enseignants quant à la réussite et à l’échec scolaires font trop peu l’objet de recherche. Notre propos a pour but d’étudier le type de facteurs auxquels l’enseignant du collégial attribue l’échec des étudiants et de faire le lien entre chacune de ces explications (enseignant, étudiant, école et société) et certaines caractéristiques professionnelles de l’enseignant. Dans un premier temps, nous traiterons de la problématique de l’échec scolaire au collégial et de ses conséquences. Nous aborderons, par la suite et dans l’ordre, le cadre théorique, la méthodologie utilisée, les principaux résultats et enfin, la discussion relative à ces derniers.

Problématique

Selon plusieurs sources, dont les données du Service régional des admissions du Montréal métropolitain de 1992 (Terrill et Ducharme, 1994), de la Direction générale de l’enseignement collégial (Levesque et Pageau, 1990) et du ministère de l’Éducation du Québec (Gouvernement du Québec, 1996), seulement les deux tiers des étudiants admis au collégial obtiennent leur diplôme. Parmi ceux qui n’abandonnent pas, la moitié obtient un diplôme avec un an de retard, soit après trois ans. Quant à l’autre moitié, les deux tiers ne l’obtiennent qu’à l’issue de quatre ans, soit après deux années de retard (Levesque et Pageau, 1990). Ce qui revient à dire que seulement 17 % de l’effectif estudiantin admis termine dans les délais prescrits.

Il va sans dire que l’échec et l’abandon au collégial sont lourds de conséquences, et ce, autant pour l’étudiant que pour le système scolaire et la société québécoise. D’abord, les échecs et les abandons engendrent des conséquences sur l’estime de soi de l’étudiant, sur la confiance en ses possibilités et sur sa motivation, ce qui diminue ses chances d’accès à l’université et ses chances de trouver un emploi (Conseil des collèges, 1988). Rivière (1996), tout en distinguant plusieurs étapes du décrochage scolaire (prédécrochage, décrochage et postdécrochage), note qu’au lendemain de leur décision de quitter le cégep, les décrocheurs « […] se sentent néanmoins incompétents, marginaux, presque anormaux et honteux » (p. 147).

Le processus d’abandon perturbe aussi le fonctionnement du groupe-classe. Comme les étudiants sont souvent évalués à partir de travaux de groupe et puisque l’abandon ne se fait qu’après cinq ou six semaines de cours, l’étudiant qui abandonne vient affecter la vie du groupe-classe, ce qui nécessite un réajustement de la part de l’enseignant (Conseil des collèges, 1988). En plus, l’échec affecte la crédibilité du système scolaire ; avec le fort taux d’échec et d’abandon des études, l’enseignement collégial québécois ne semble pas répondre à sa mission de contribuer à hausser le taux et le niveau de scolarisation de la population.

Les échecs et les abandons ne sont pas sans conséquences pour la société. À propos des 100 000 décrocheurs de 1991, Moisset et Toussaint (1992) estiment pour le Québec un manque à gagner fiscal d’entre 4 et 5 milliards de dollars, soit environ les deux tiers des dépenses globales consacrées à l’enseignement primaire et secondaire public et privé en 1989. Le Conseil des collèges (1988) souligne que « la reprise d’un cours à la suite d’un échec ou d’un abandon exige des coûts additionnels à la formation » (p. 49), et il s’interroge sur l’efficacité de cet investissement.

Le Conseil des collèges (1992) ajoute à ces conséquences déjà connues d’autres effets susceptibles d’engendrer un sentiment de manque de contrôle chez les enseignants, dont un sentiment de « culpabilité et d’impuissance » qui aurait pour conséquences l’épuisement professionnel, le désengagement et la baisse de motivation (Conseil supérieur de l’éducation, 1991), comme en témoigne l’extrait suivant :

Dépourvus de moyens adéquats pour venir en aide aux élèves et pour agir efficacement sur leur motivation, [les enseignants] subissent une pression constante, ils se sentent démunis face au problème et envisagent avec peu d’optimisme leurs chances de contribuer significativement à une meilleure réussite scolaire de leurs élèves. Ils voient alors s’éloigner d’eux un des éléments les plus gratifiants de leur profession.

Conseil des collèges, 1992, p. 48

Ces appréhensions se trouvent confirmées dans la recherche de Berthelot (1991). Dans son étude représentative sur les enseignants du collégial, elle a montré que, bien que ces derniers attribuent la qualité des apprentissages des étudiants à leurs propres méthodes, 80 % d’entre eux ne se montrent pas prêts à endosser la responsabilité de l’échec de leurs étudiants.

Cadre théorique

Les explications que donne l’enseignant au sujet de l’échec et de la réussite se situent dans deux pôles de recherche. Le premier pôle, d’obédience sociologique, a vu ses prémices en France à la suite de critiques qui ont accusé les travaux en sociologie de l’éducation les plus connus de mener les enseignants à adopter des attitudes de fatalisme et de démission à l’égard du rendement scolaire des étudiants (Snyders, 1976, dans Berger, 1979). Le deuxième pôle trouve son inspiration dans la psychologie sociale et particulièrement dans la théorie de l’attribution (Weiner, 1979). Ce courant s’est développé à la suite d’études qui ont montré que les perceptions qu’entretiennent les enseignants au sujet de leurs étudiants influencent le comportement et les résultats de ceux-ci (Rosenthal et Yacobson, 1968). Dans la foulée de ces premiers travaux, d’autres recherches sont venues élucider les mécanismes par lesquels les comportements des enseignants influencent les résultats scolaires. Leurs croyances au sujet de l’échec et de la réussite, et plus précisément les attributions qu’ils en font, constituent, entre autres, l’un des mécanismes qui influencent leurs attitudes et, par là, les performances de leurs étudiants.

En l’absence d’une théorie complète et satisfaisante qui soutiendrait notre questionnement, nous proposons un modèle théorique construit à partir de résultats, de constats et d’hypothèses existant dans les écrits qui ont trait à la sociologie de l’éducation et à la psychologie sociale, sans pour autant négliger la problématique du rendement scolaire propre au collégial. Selon Deschamps (1977), « l’attribution est le processus par lequel l’individu cherche les causes d’un comportement, c’est-à-dire la recherche d’une structure permanente mais non directement observable qui sous-tend les effets, les manifestations directement perceptibles » (p. 15). En résumé, l’attribution vise, notamment, à comprendre ce qui se passe autour de soi afin de rendre son environnement le plus stable possible, de lui donner un sens (Weary, Stanley et Harvey, 1989), d’acquérir un meilleur pouvoir sur son comportement et sur celui des autres, en comprenant ce comportement (Weiner, 1980, 1984 ; Vallerand et Bouffard, 1985).

Explications de l’échec : pour une approche systémique

Le modèle que nous avons élaboré s’articule autour de trois grands pôles : les variables de processus, les variables prédictives et les résultats ou effets produits.

Les variables de processus : les explications de l’échec

Les variables de processus rendent compte des différents types d’explications que donne l’enseignant à propos de l’échec et de la réussite. Dans le cadre de ce travail, nous regroupons les attributions de l’échec en facteurs liés à l’étudiant, soit son milieu socio-économique et culturel, et à l’école (attributions externes à l’enseignant), puis en facteurs liés à l’enseignant (facteurs internes). Nous optons pour une telle classification afin de dépasser les difficultés de la classification relative à la théorie de l’attribution (Weiner, 1979) qui consiste en un regroupement des facteurs en interne/externe, stable/non stable, contrôlable/non contrôlable et global/spécifique). De fait, ce modèle s’est avéré trop restreint une fois appliqué aux attributions des enseignants, d’où son éclatement, comme en témoignent les nombreux travaux dans le domaine, dont ceux de Cooper et Burger (1980), de Hall, Hines, Bacon et Koulianos (1992) et de Gosling (1992).

Figure 1

Processus des attributions de l’enseignant à l’égard de l’échec et de la réussite : une approche systémique

Processus des attributions de l’enseignant à l’égard de l’échec et de la réussite : une approche systémique

-> Voir la liste des figures

Ces explications de l’échec et de la réussite peuvent être influencées par six biais ou sources d’erreurs. L’erreur fondamentale désigne la tendance à situer les causes d’un événement chez les personnes plutôt que dans l’environnement (Hewstone, 1989 ; Ross, 1977). Le type de question posée, globale ou spécifique, serait également une source d’erreurs dans le regard que l’on peut poser sur les explications (Gilly, 1980 ; Léger, 1983 ; Schubauer-Leoni et Perret-Clermont, 1988). Le biais de complaisance, qui signifie s’attribuer le succès d’autrui et rejeter son échec, a aussi été observé (Clark et Peterson, 1986 ; Wiley et Eskilson, 1978). De même, le biais de l’humilité, qui consiste à s’attribuer l’échec et à rejeter la réussite (Ames, 1975 ; Beckman, 1973 ; Tom et Cooper, 1984), semble fort possible dans les sources d’explications rencontrées. Le plan ou l’angle sous lequel le point de vue de l’enseignant est considéré, acteur ou observateur (Storms, 1990 ; Anderson, 1991 ; Hewstone, 1989), peut également affecter les explications. Enfin, l’effet polydoxique, soit la coexistence de différentes conceptions des causes de l’échec qui émergent selon les situations dans lesquelles l’enseignant est amené à les évoquer (Pagès, 1986, dans Monteil, Bavent et Lacassagne, 1986), fait de plus partie des aspects à considérer.

Les variables prédictives ou de présage

Les variables prédictives , ou de présage, englobent deux groupes de variables : celles qui ont trait à l’enseignant (sociodémographiques, socioprofessionnelles et sociocognitives) et celles relatives au contexte. Cette dernière catégorie de variables est à son tour divisée en deux dimensions : l’une concernant les caractéristiques de l’étudiant (sexe, origine sociale, origine ethnique, performances, etc.) et l’autre, les caractéristiques de l’institution (matière enseignée, degré d’enseignement, situation de face-à-face, système éducatif, etc.).

Les variables résultats

Les variables résultats font état de l’effet que produiraient les explications de l’échec ou de la réussite sur les sentiments de l’enseignant, ce qui conditionnerait ses comportements à l’égard de ses étudiants en termes d’aide qu’il leur apporte, d’efforts qu’il va fournir, d’évaluation, de motivation, de sentiment de puissance et de contrôle sur l’apprentissage de ses étudiants.

Le modèle retenu prend ainsi en considération trois composantes interreliées qui considèrent autant les variables de processus (ou de comportement) que les variables prédictives et les variables résultats, ce qui nous permet de nuancer et de préciser le type d’attribution selon les caractéristiques de l’enseignant qui les formule, les caractéristiques de l’étudiant à l’égard de qui l’attribution est formulée, le contexte dans lequel l’attribution est formulée et les différents biais ou sources d’erreur qui peuvent altérer ces explications. Autrement dit, il est question de s’interroger sur qui formule les attributions (caractéristiques de l’enseignant), à l’égard de qui (caractéristiques des étudiants), dans quel contexte ou situations avec quelles conséquences et quels biais possibles.

Par ailleurs, en partant du fait que les attributions dépassent le cadre de la classe et de l’école, il faudrait sans doute tenir compte d’autres acteurs (les parents, les pairs et d’autres intervenants). Dans le cadre de cet article, nous nous limitons à l’étude des explications que donne l’enseignant de l’échec en tenant compte d’un seul biais, soit l’erreur fondamentale, et de quelques-unes de ses caractéristiques (le sexe, l’âge, l’expérience professionnelle, le statut professionnel (permanent/non permanent), le perfectionnement, la scolarité et le sentiment d’efficacité professionnelle).

L’erreur fondamentale

Les explications que donne l’enseignant de l’échec sont susceptibles d’être influencées par différents biais dont l’erreur fondamentale. Ross (1977) a utilisé cette expression pour désigner la tendance des gens à surestimer l’explication des événements par des causes internes (facteurs reliés à la personnalité) et à sous-estimer les causes externes (la situation, les circonstances) (Hewstone, 1989 ; Ross, 1977).

Explication de l’échec et caractéristiques sociodémographiques

Les explications de l’échec et de la réussite peuvent être associées à certaines caractéristiques sociodémographiques des enseignants, dont le sexe et l’âge. Sans pour autant exprimer des schèmes de croyances spécifiques pour chacun des deux sexes, plusieurs études en sont arrivées à la conclusion que les explications de l’échec et de la réussite varient selon les professeurs hommes et femmes ; toutefois, les résultats demeurent non concordants à ce chapitre. Si certaines études ont observé chez les enseignantes une plus grande volonté à partager avec les étudiants leurs responsabilités, et ce, autant à l’égard du succès que de l’échec (Scherer et Kimmel 1993 ; Guskey, 1981), d’autres observent chez les femmes une plus grande tendance à se sentir responsables de la réussite scolaire de leurs étudiants et, chez les hommes, une plus grande tendance à se sentir responsables de l’échec scolaire (Potvin et Papillon, 1992 ; Léger, 1983). Au cégep, Berthelot (1991) notait chez les professeures la présence de signes d’épuisement professionnel et des témoignages d’un sentiment d’impuissance et d’impression de ne pas être à la hauteur de la tâche.

La différence dans l’explication de l’échec et de la réussite a été analysée également selon l’âge de l’enseignant. Bourgeois (1983) et Léger (1983) ont observé que plus les enseignants sont âgés, plus ils accordent de l’importance au don, à l’intelligence et aux facteurs sociologiques, ce qui revient à dire à des facteurs externes. Dans le contexte précis du collégial, Berthelot (1991) a remarqué que ce sont les plus âgés qui sont les plus nombreux à dire n’avoir jamais eu le sentiment d’impuissance face au travail ou l’impression de ne pas être à la hauteur de la tâche.

Explication de l’échec et caractéristiques socioprofessionnelles

Il semble y avoir un consensus selon lequel un enseignant plus qualifié aurait tendance à se considérer plus responsable de l’échec que ne le ferait un enseignant possédant une moins grande qualification. C’est du moins ce que nous ont révélé les études de Léger (1983), de Tetlock (1980), de Beckers (1995) et de Kaszap (1996).

Le perfectionnement

Les résultats de Scherer et Kimmel (1993) ont montré l’effet positif de la formation quant aux types d’attributions de l’enseignant. À l’issue de leur formation, les enseignants auraient tendance à attribuer davantage le succès aux étudiants eux-mêmes, comparativement à leur mode d’attribution avant leur formation. En tenant compte du contexte du collégial où le perfectionnement des enseignants prend de plus en plus d’ampleur et où on s’attend à une formation pédagogique qui toucherait un effectif plus important dans les années à venir à cause du renouvellement du personnel enseignant, nous entrevoyons une plus grande efficacité chez les enseignants qui auraient suivi une formation professionnelle et qui, dans une telle éventualité, feraient des attributions différenciées au sujet de l’échec scolaire.

L’expérience professionnelle

On peut noter le manque de consensus quant à l’effet de l’expérience de l’enseignant sur le type d’attribution qu’il fait par rapport au rendement scolaire. Sur cette question, Carr et Kurtz-Costes (1994) constataient le manque de relation significative entre le nombre d’années d’expérience et le type d’attribution des enseignants quant à la réussite et à l’échec, tandis que Guskey (1981), Wallace et Thompson (1995), Ross, Bierbrauer et Polly (1974) et Tetlock (1980) ont plutôt observé un effet significatif.

Cependant, il y a lieu de préciser, comme le fait Guskey (1981), que les enseignants débutants et les enseignants les plus expérimentés se sentent plus responsables de la réussite comparativement aux enseignants d’expérience moyenne. Si l’étude de Wallace et Thompson (1995) a montré que les enseignants inexpérimentés se sentent plus responsables du succès des étudiants et rejettent la responsabilité de l’échec sur les étudiants, celle de Ross, Bierbrauer et Polly (1974) en est arrivée à la conclusion que les enseignants qui ont de l’expérience rendent les étudiants responsables autant de l’échec que du succès. Ces résultats rejoignent ceux de Hall, Villeme et Burley (1989) qui ont observé chez les enseignants débutants le caractère plutôt interne qu’externe des attributions, et ce, aussi bien pour l’échec que pour la réussite.

Au cégep, l’ancienneté sert de principe de répartition de la charge de travail. Les anciens ont la priorité pour ce qui est du choix des cours et des heures de travail, ce qui n’est pas sans retombées sur l’encadrement des étudiants (Corriveau, 1991). À partir de ce constat, nous postulons que les enseignants les moins expérimentés, en raison de leur charge de travail élevée, se sentiraient moins responsables de l’échec. Dans le même ordre d’idées, Kaszap (1996) a montré que le professeur de cégep dont les étudiants perçoivent le mieux ses exigences est celui qui a 10 ans et plus d’expérience, comparativement à celui qui en a moins de 10 ans. À partir de cette étude, le profil de l’enseignant le moins expérimenté semble être en relation avec le sentiment d’impuissance et avec la perception la plus défavorable que se font les étudiants de ses exigences. Finalement, ces constats nous amènent à nous interroger sur le type d’explication relativement au rendement scolaire que donnent les enseignants expérimentés et non expérimentés.

Le statut professionnel

Au collégial, nous entrevoyons une relation entre le type d’explication de l’échec et le statut de l’enseignant (permanent/non permanent). Nous formulons ce postulat en prenant en compte à la fois les interrogations que soulèvent Tardif et Lessard (1999) au sujet des conséquences de la précarité sur le travail de l’enseignant et les résultats empiriques de Kaszap (1996) selon lesquels un professeur permanent aurait des étudiants qui perçoivent davantage ses exigences et son insistance sur celles-ci, et que les étudiants sont plus nombreux à réussir qu’avec un professeur non permanent.

Le sentiment d’efficacité professionnelle

En général, le sentiment d’efficacité est perçu comme la croyance ou la conviction que les enseignants peuvent influencer la façon dont les étudiants apprennent bien, même s’ils sont considérés comme difficiles ou non motivés (Guskey et Passaro, 1994). Dans le prolongement des travaux de Bandura (1997), Ashton et Webb (1982 ; 1986), Guskey et Passaro (1994) montrent que les attributions que font les enseignants au sujet de l’efficacité de l’enseignement reflètent les attentes des enseignants au sujet des conséquences de l’enseignement dans son ensemble. D’autres études nous révèlent que les enseignants qui croient que les enseignants en général et qu’eux-mêmes en particulier peuvent motiver les étudiants à performer, ont tendance à expliquer le rendement scolaire par des causes internes comparativement à ceux qui croient que ni eux ni les autres enseignants ne peuvent influencer les performances des étudiants (Groenewold, 1990).

En résumé, nous avons mis en évidence que le profil de l’enseignant pourrait amener des variations concernant ses explications de l’échec, selon qu’il est homme ou femme (Scherer et Kimmel, 1993 ; Guskey, 1981 ; Potvin et Papillon, 1992 ; Léger, 1983), selon son âge (Bourgeois, 1983 ; Léger, 1983), selon sa formation (Scherer et al., 1993 ; Beckers, 1995 ; Léger, 1983 ; Greenwood, Olejnik et Parkay, 1990 ; Wallace et Thompson, 1995 ; Bar-Tal, 1982 ; Försterling, 1985), selon son expérience professionnelle (Carr et Kurtz-Costes, 1994 ; Guskey, 1981, Wallace et Thompson, 1995 ; Tetlock, 1980), de même que selon son sentiment d’efficacité (Ames, 1983 ; Guskey et Passaro, 1994 ; Hall et al. 1992 ; Ashton et Webb, 1982 ; 1986 ; Greenwood, Olejnik et Parkay 1990).

Nous postulons que les enseignants du collégial considèrent les étudiants comme étant les principaux responsables de l’échec, que les enseignants les plus âgés, les plus expérimentés, ceux qui ont suivi un perfectionnement, les plus scolarisés et ceux qui ont un fort sentiment d’efficacité professionnelle se sentent plus responsables de l’échec, et que les professeurs non permanents et les enseignantes attribuent davantage l’échec aux étudiants.

Méthodologie

Variables de l’étude

L’explication que donne l’enseignant à propos de l’échec des étudiants au collégial constitue notre variable dépendante. Les variables indépendantes de l’étude sont le sexe de l’enseignant, son âge, son expérience dans l’enseignement, son statut professionnel (permanent/non permanent), sa formation continue, son niveau de scolarité et son sentiment d’efficacité professionnelle.

Instrument de mesure

Dans le cadre de cet article, nous aborderons trois sections d’un questionnaire.

  • Mesure sociodémographique et socioprofessionnelle. Cette première section porte sur les informations qui ont trait aux caractéristiques sociodémographiques et socioprofessionnelles des enseignants (sexe, âge, expérience dans l’enseignement, statut professionnel permanent ou non permanent, le fait d’avoir suivi une formation et le plus haut diplôme obtenu).

  • Les explications de l’échec. Cette deuxième section contient 28 énoncés représentant des explications possibles de l’échec sur une échelle de type Likert, allant de « Aucune influence » à « Très grande influence ». Chaque dimension des explications de l’échec (enseignant, étudiant, école et société) au collégial a été représentée par sept énoncés dans l’échelle, ce qui répond au principe de validité de contenu. Nous avons veillé également à ce que la progression dans l’explication de l’échec allant de l’enseignant à l’étudiant, à l’école et à la société n’apparaisse pas dans la présentation des 28 énoncés, principe recommandé dans ce genre de cas (Quivy et Campenhoudt, 1995, p. 172).

  • Le sentiment d’efficacité professionnelle. Cette troisième section a consisté en une adaptation de la partie du questionnaire de Guskey et Passaro (1994) portant sur le sentiment d’efficacité professionnelle de l’enseignant. Au départ, les huit énoncés sur une échelle de type Likert allant de « Tout à fait d’accord » à « Tout à fait en désaccord » ont été traduits par une étudiante bilingue au doctorat, puis adaptés au contexte.

Tableau 1

Exemples d’énoncés concernant les explications de l’échec scolaire

Exemples d’énoncés concernant les explications de l’échec scolaire

-> Voir la liste des tableaux

Le questionnaire a été soumis à une vérification empirique auprès d’un groupe de huit professeurs de matières différentes dans l’un des trois collèges où s’est déroulée l’étude. À l’issue de cette évaluation, certains énoncés ont été reformulés, d’autres éliminés ou ajoutés, puis testés de nouveau auprès de deux professeurs avant d’administrer le questionnaire (Bouchamma, 1999). Le test t et l’analyse de variance ont été utilisés.

Tableau 2

Exemples d’énoncés concernant le sentiment d’efficacité professionnelle

Exemples d’énoncés concernant le sentiment d’efficacité professionnelle

-> Voir la liste des tableaux

Au total, 336 enseignants de trois collèges de la région de Québec, dont 184 hommes (54,8 %) et 152 femmes (45,2 %), 248 permanents (73,8 %) et 87 (25,9 %) non permanents, ont répondu au questionnaire. Ils avaient un âge qui se situait entre 23 et 62 ans (M = 43,17), et leur ancienneté dans l’enseignement variait de 0 à 35 ans (M = 15,5).

Échantillon

Le critère qui a présidé au choix des trois cégeps est l’accessibilité. Il s’agit d’un échantillon non probabiliste, à choix raisonné. Bien que cet échantillon trouve des ressemblances dans plusieurs de ses dimensions avec les enseignants du cégep au moment de l’étude, en l’occurrence quant à la répartition des répondants en regard du statut (permanent/non permanent) et du sexe, nous ne pouvons le qualifier de représentatif.

Résultats

Différents types d’explications de l’échec

De prime abord, nous observons que l’enseignant attribue l’échec, en premier lieu, à des facteurs liés à l’étudiant (moyenne de 4,10), ensuite, à l’enseignant (3,74), puis à l’école (3,21) et à la société (3,19). Ces résultats viennent confirmer l’hypothèse selon laquelle les professeurs considèrent les étudiants comme étant les principaux responsables de leur échec.

Comme nous pouvons le voir au tableau 3, les résultats obtenus au test t, pour les explications de l’échec, sont significatifs au seuil de 0,001 lorsqu’elles sont comparées deux à deux : enseignant/étudiant, enseignant/école, enseignant/société, école/société, étudiant/école et étudiant/société. Plus précisément, les enseignants attribuent davantage l’échec à des facteurs concernant l’étudiant comparativement aux facteurs enseignants (dl = 1,335 = 12,48 ; p < 0,001) ; ils attribuent plus l’échec à des facteurs les concernant qu’aux facteurs école (dl = 1,335 = 18,82 ; p < 0,001) ; ils attribuent plus l’échec à des facteurs qui les concernent, comparativement aux attributions concernant la société (dl = 1,335 = 14,38 ; p < 0,001) ; ils croient que l’étudiant est plus responsable de l’échec que l’école (dl = 1,335 = 35,98 ; p < 0,001) et la société (dl = 1,335 = 31,74 ; p < 0,001). Seule la relation école/société s’est avérée non significative (dl = 1,335 = -0,471 ; p > 0,05). Autrement dit, de façon significative, les enseignants se sentent plus responsables de l’échec comparativement à l’école et à la société, mais moins responsables de l’échec que l’étudiant.

Tableau 3

Différents types d’attributions

Différents types d’attributions

-> Voir la liste des tableaux

Explications de l’échec selon les caractéristiques sociodémographiques

Au cours de cette phase de la recherche, nous avons examiné les relations entre les variables indépendantes, soit les caractéristiques de l’enseignant, avec chaque type d’attribution que fait l’enseignant au sujet de l’échec scolaire (étudiant, enseignant, école et société).

Tableau 4

Analyse de la variance et test de comparaison multiple pour les différents types d’explications de l’échec selon le sexe de l’enseignant

Analyse de la variance et test de comparaison multiple pour les différents types d’explications de l’échec selon le sexe de l’enseignant

Légende – *** : p < 0,001.

-> Voir la liste des tableaux

Les explications de l’échec selon le sexe de l’enseignant

Les résultats obtenus au test t pour chacun des types d’explications de l’échec révèlent que les femmes attribuent de façon significative l’échec à des facteurs liés à l’étudiant (dl = 334 = -3,87 ; p < 0,001). Les femmes, comparativement aux hommes, attribuent davantage l’échec à des facteurs se rapportant à l’étudiant. Ce résultat confirme l’hypothèse selon laquelle les femmes, comparativement aux hommes, auraient tendance à responsabiliser plus l’étudiant de son échec scolaire.

Tableau 5

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’attributions selon l’âge

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’attributions selon l’âge

-> Voir la liste des tableaux

Les explications de l’échec selon l’âge de l’enseignant

En ce qui concerne l’âge, aucune différence entre les moyennes des quatre types d’attributions ne s’est avérée significative ; de même, aucune moyenne n’est significativement distincte entre les différents groupes. L’hypothèse selon laquelle les enseignants les plus âgés se sentent plus responsables de l’échec se trouve ici infirmée par nos résultats.

Attributions de l’échec selon les caractéristiques socioprofessionnelles

Les attributions de l’échec selon l’expérience professionnelle de l’enseignant

Aucune différence significative sur le plan statistique n’a été enregistrée dans les moyennes des différentes attributions de l’échec selon l’expérience professionnelle de l’enseignant. C’est dire que l’expérience de l’enseignant n’explique aucunement le type d’attribution qu’il fait par rapport à l’échec. Comme pour l’hypothèse concernant l’âge, l’hypothèse qui postulait que les enseignants les plus expérimentés se sentent plus responsables de l’échec que les moins expérimentés se trouve infirmée.

Tableau 6

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’attributions selon l’expérience professionnelle de l’enseignant

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’attributions selon l’expérience professionnelle de l’enseignant

-> Voir la liste des tableaux

Les explications de l’échec selon le statut professionnel

Les résultats au test t pour chaque type d’attribution révèlent une seule différence significative et ce, entre les enseignants permanents et non permanents ; cette différence concerne les attributions de l’échec à l’étudiant (dl = 333 = -1,08 ; p < 0,05). Ce sont les enseignants non permanents qui attribuent de façon significative l’échec à l’étudiant. Rappelons ici l’hypothèse qui énonçait que les professeurs non permanents responsabilisent plus les étudiants de l’échec comparativement aux professeurs permanents, hypothèse qui se trouve confirmée.

Tableau 7

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications selon le statut professionnel

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications selon le statut professionnel

Légende – * : p < 0,05.

-> Voir la liste des tableaux

Les explications de l’échec selon le perfectionnement

Le tableau 8 montre une différence significative entre les enseignants qui ont suivi un perfectionnement et ceux qui ne l’ont pas suivi, et ce, en ce qui concerne l’explication de l’échec par des facteurs liés à l’étudiant (dl = 325 = 4,01 ; p < 0,001), à l’enseignant (dl = 211,80 = 2,10 ; p < 0,05) et à l’école (dl = 325 = 2,36 ; p < 0,05). Somme toute, une différence significative est observée entre ceux qui ont suivi un perfectionnement et ceux qui ne l’ont pas suivi. Ce sont les enseignants qui ont suivi un perfectionnement qui attribuent, en proportion plus importante, l’échec aux étudiants, aux enseignants et à l’école, comparativement à ceux qui n’en ont pas suivi. Ces résultats viennent confirmer, en partie seulement, le postulat de l’hypothèse selon laquelle l’enseignant qui aurait suivi un perfectionnement se sentirait plus responsable de l’échec scolaire. Certes, l’enseignant qui a suivi un perfectionnement se sent, d’une part, plus responsable de l’échec que celui qui n’en a pas suivi ; mais, d’autre part, il considère l’étudiant comme étant le premier responsable de son échec et l’école comme responsable aussi, mais dans une moindre mesure.

Tableau 8

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications selon le perfectionnement

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications selon le perfectionnement

Légende – *** : p < 0,001 ; * : p < 0,05.

-> Voir la liste des tableaux

Les explications de l’échec selon la scolarité

Les résultats révèlent une seule différence significative entre les enseignants moins scolarisés et les plus scolarisés pour les attributions de l’échec à des facteurs concernant l’enseignant (dl = 333 = -1,653 ; p < 0,05). Ce sont les enseignants les moins scolarisés qui attribuent de façon significative l’échec à l’enseignant. Ce résultat ne va pas dans le sens de l’hypothèse selon laquelle les professeurs les plus scolarisés se responsabilisent plus de l’échec.

Tableau 9

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications selon la scolarité

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications selon la scolarité

Légende – * : p < 0,05.

-> Voir la liste des tableaux

Explications de l’échec selon une variable sociocognitive : le sentiment d’efficacité professionnelle

Les résultats obtenus pour l’attribution de l’échec à l’enseignant (dl = 329 = -2,876 ; p < 0,05) révèlent que ceux qui ont un fort sentiment d’efficacité professionnelle attribuent davantage et de façon significative l’échec à des facteurs liés à eux-mêmes. Ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les enseignants qui ont un fort sentiment d’efficacité professionnelle se responsabilisent davantage de l’échec scolaire, comparativement à ceux dont le sentiment d’efficacité est faible.

Tableau 10

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications de l’échec selon le sentiment d’efficacité professionnelle

Analyse de la variance et test de comparaisons multiples pour les différents types d’explications de l’échec selon le sentiment d’efficacité professionnelle

Légende – ** : p < 0,01.

-> Voir la liste des tableaux

En somme, nous avons pu constater, chez les enseignants du collégial, des différences significatives dans l’attribution de l’échec à l’étudiant : les femmes, les professeurs non permanents, ceux qui ont suivi un perfectionnement, comparativement aux hommes, aux permanents et à ceux qui n’ont pas suivi de perfectionnement de l’autre côté. Des différences significatives sont également observées dans l’attribution de l’échec à l’enseignant : les moins diplômés et ceux qui ont un fort sentiment d’efficacité professionnelle attribuent davantage l’échec à l’enseignant, comparativement aux plus diplômés et à ceux qui ont un faible sentiment d’efficacité professionnelle. Enfin, une différence significative a été observée dans l’attribution de l’échec à l’école ; ceux qui ont suivi un perfectionnement attribuent davantage et de façon significative l’échec à l’école, comparativement à ceux qui n’en ont pas suivi.

Discussion

L’étudiant est le premier responsable de l’échec

Comparativement aux autres facteurs, les enseignants attribuent l’échec en premier lieu à des facteurs liés à l’étudiant. Ce constat, qui confirme l’hypothèse selon laquelle les enseignants perçoivent les étudiants comme étant les premiers responsables de leur échec, rejoint plusieurs recherches (Parent, Duquette et Carrier, 1993 ; Schubauer-Leoni et Perret-Clermont, 1988 ; Léger, 1983 et Bourgeois, 1983). Cette façon d’expliquer l’échec semble être influencée par l’« erreur fondamentale », biais désignant la tendance à surestimer l’explication des événements par des causes internes (facteurs liés à la personnalité) et à sous-estimer les causes externes (la situation, les circonstances) (Hewstone, 1989 ; Ross, 1977).

Les femmes et les enseignants non permanents responsabilisent plus l’étudiant

Les résultats ont montré que les femmes attribuent plus l’échec à l’étudiant que les hommes. Ces résultats rejoignent ceux de Potvin et Papillon (1992) et de Léger (1983), selon lesquels les hommes se sentent plus responsables que les femmes de l’échec. Mais ils ne correspondent pas à ceux de Scherer et al. (1993) et de Guskey (1981), qui ont observé chez les enseignantes une plus grande volonté de partager avec les étudiants leurs responsabilités à l’égard de l’échec. Toutefois, il convient de mentionner que ces résultats relèvent de relations initiales qui pourraient être nuancées par des variables de contrôle, comme le statut (permanent/non permanent).

Pour ce qui est de l’aspect qui a trait aux conséquences susceptibles d’être engendrées par les attributions externes, nous avons évoqué certaines recherches selon lesquelles les enseignants qui pensent pouvoir motiver les étudiants à réussir sont plus portés à s’attribuer les causes de l’échec scolaire, sont moins enclins au stress que ne le sont les enseignants qui croient que ni eux ni les autres enseignants ne peuvent influencer les performances des étudiants (Groenewold, 1990). Ou encore, que les enseignants à contrôle interne manifestent, entre autres, plus de résistance au stress et plus de responsabilité que ceux dont le contrôle est externe (Soh, 1988).

Le Conseil supérieur de l’éducation (1991) entrevoyait des conséquences néfastes (épuisement professionnel, désengagement, baisse de motivation, etc.) pouvant découler du sentiment du manque de contrôle scolaire que peuvent avoir les enseignants par rapport aux taux d’échec élevés. Sur cette même question, le Conseil des collèges (1992) soulignait le manque de moyens chez les enseignants pour aider les étudiants, ce qui n’est pas sans conséquences sur leur optimisme de contribuer significativement à une meilleure réussite scolaire (Ibid., p. 48).

Le collégial est un contexte où la précarité de l’emploi devient de plus en plus importante. À titre d’exemple, dans les trois collèges où s’est déroulée notre enquête, la précarité atteignait en moyenne 48,53 %. C’est dire que, dans un contexte où nous constatons que la moitié du corps enseignant se trouve exclue des privilèges de la sécurité de l’emploi et de la reconnaissance du statut officiel, nous nous interrogeons sur le degré d’engagement de ces enseignants dans la réussite scolaire. Ce sont là les mêmes questions que posaient Tardif et Lessard (1999) à propos des conséquences susceptibles d’être engendrées par la précarité dans la profession enseignante, problème susceptible de compromettre l’unité de ses membres et d’altérer le travail enseignant. Les auteurs soulignent cette situation paradoxale où, d’une part, on défend l’idéal de la profession et, d’autre part, on fait exclure la moitié du corps enseignant des privilèges de la sécurité de la profession. En effet, ce n’est pas en maintenant la moitié du personnel enseignant dans la précarité que la motivation de l’étudiant va être rehaussée, d’autant plus qu’il s’agit d’un contexte où la motivation semble être, selon plusieurs points de vue, le talon d’Achille (Terrill, 1988 ; Conseil des collèges, 1988 ; 1992 ; Corriveau, 1991 ; Terrill et Ducharme, 1994 ; Barbeau, Montini et Roy, 1997).

Le perfectionnement et la qualification ne garantissent pas un sentiment de responsabilité plus important

Les enseignants qui ont suivi un perfectionnement, comparativement à ceux qui n’en ont pas suivi, attribuent l’échec en proportion plus importante à l’étudiant. C’est là un fait qui va à l’encontre de la logique voulant que celui qui aurait suivi un perfectionnement fasse les attributions qui impliquent sa responsabilité. Cependant, il convient de se demander si les types d’attributions changent selon les différents types de formations suivies, ou encore selon leur contenu ou leur durée. Certes, la question reste à approfondir, mais elle dépasse le cadre de cette étude.

Les enseignants qui ont suivi un perfectionnement attribuent davantage, et de façon significative, l’échec à des facteurs associés à l’école, alors que les moins scolarisés responsabilisent davantage l’enseignant. Ces résultats ne s’inscrivent pas dans la logique qui verrait dans la formation professionnelle un moyen qui renforcerait davantage l’identification professionnelle. Sur une question analogue concernant l’identification professionnelle, mais du point de vue de la qualification, Beckers (1995) observait chez les enseignants les plus qualifiés une plus grande identification professionnelle que chez les moins qualifiés.

De ce point de vue, nous pouvons remarquer le manque de consensus dans les études effectuées à ce sujet quant à l’effet du degré de certification sur le sentiment d’efficacité des enseignants. Les unes montrent que les enseignants les plus scolarisés ont un sentiment d’efficacité plus grand que les moins scolarisés (Watters et Ginns, 1995, dans Ross, 1998), alors que d’autres trouvent que les enseignants qui ont des qualifications minimales possèdent un plus fort sentiment d’efficacité. À cet égard, Ross, Cousin et Gadalla (1996) expliquent le fait que les enseignants les plus scolarisés se sentent moins efficaces que ceux qui le sont moins. Les auteurs en arrivent à cette conclusion en raison du principe selon lequel une formation plus poussée amène les enseignants à relativiser l’efficacité de leurs méthodes d’enseignement et à mieux saisir que ce qui réussit aujourd’hui n’est pas garant du succès du lendemain.

Conclusion

En résumé, nous avons pu identifier que l’enseignant du collégial attribue l’échec, dans l’ordre suivant, à des facteurs liés à l’étudiant, à l’enseignant, à l’école et à la société. Parmi les variables considérées dans les relations avec chaque type d’attribution, nous avons pu constater que les femmes, les enseignants non permanents et ceux qui ont suivi un perfectionnement attribuent l’échec de façon significative à l’étudiant ; que les enseignants qui ont suivi un perfectionnement, les moins scolarisés et ceux qui ont un fort sentiment d’efficacité professionnelle se sentent plus responsables de l’échec scolaire ; et que les enseignants qui ont suivi un perfectionnement attribuent plus l’échec à des facteurs associés à l’école. Ces résultats restent cependant à nuancer avec des variables de contrôle ; ici, seules les relations initiales ont été analysées. Il convient aussi de mentionner que l’échec et la réussite sont expliqués différemment selon qu’il s’agit de l’échec de ses propres étudiants ou des étudiants en général. Dans cet article, c’est le point de vue de l’enseignant sur l’échec en général dont il a été question.

Il convient aussi de préciser que l’aspect dynamique de ces attributions fait en sorte qu’elles ne se font pas hic et nunc, abstraction faite d’autres acteurs. Il s’agit en fait d’une construction qui se fait, entre autres, à partir des attributions des autres et, particulièrement, des attributions de leurs propres étudiants qui, eux-mêmes, restent influencés par celles de leurs parents. Ainsi, plusieurs pistes de recherches ultérieures pourraient s’articuler autour des trois axes que nous avons proposés dans le schéma théorique. Ces études pourraient s’articuler autour des biais qui peuvent influencer le type d’attributions de l’enseignant à propos de l’échec et de la réussite, des différents prédicteurs de ces explications (caractéristiques de l’enseignant, de l’étudiant et du contexte) et des conséquences ou effets produits qui feraient état des émotions générales susceptibles d’influencer le comportement de l’enseignant, entre autres, en termes de motivation, d’effort et d’aide à apporter à l’étudiant.