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Inscrit dans une démarche transdisciplinaire, cet ouvrage d’une grande qualité propose un renouvellement de l’approche de la population des jeunes de la rue. La socialisation marginalisée définie « comme le désir d’insertion par la marge » (p. 59) est un des concepts clé qui en étaye toute la démonstration. Pour dépasser l’aporie apparente de la formule de socialisation marginalisée, l’auteur démontre la nécessité de sortir d’une grille de lecture binaire opposant la marge à la norme, en remettant en question la pertinence de la notion d’exclusion qui, selon lui, situerait abusivement les marginaux en dehors de la société. Il réhabilite les jeunes de la rue en tant qu’acteurs et sujets de leur propre histoire. C’est à l’intérieur d’une problématique propre à l’adolescence, au delà des clivages sociaux sur fond de mutation du lien social, que cette population est analysée. La modification du contexte social s’exprime à travers une crise d’autorité, l’échec de la famille en tant que grand intégrateur et l’obsession de l’insécurité urbaine.

Comment se formalise la construction identitaire à travers l’appropriation de l’espace? Telle est la principale question à laquelle répond cet ouvrage. Loin des approches purement descriptives, l’auteur propose de sonder la sphère des significations liées aux pratiques d’appropriation à partir d’une double démarche de compréhension et d’explication. Il s’attache à décoder les sens que revêtent les pratiques socio-spatiales des jeunes et ce, depuis leur propre système de représentations et leurs relations à leur famille, relations qui sont parties prenantes de la formation de l’individu. L’une des hypothèses majeures est que l’appartenance à la rue passe par une identification socio-symbolique et qu’elle se réalise à travers le mythe de l’autonomie naturelle et par une « projection familialiste » qui nourrit les interactions des jeunes entre eux. Il s’agit pour ces derniers de sortir du non-sens. C’est pourquoi ils élaborent des repères de survie. La rue acquiert un statut d’espace transitionnel. Toutefois, cette socialisation marginalisée n’est pas exempte de dangers.

L’ouvrage se divise en trois parties. La première offre une lecture critique de la littérature scientifique consacrée à la marginalité. L’auteur souligne l’inanité des approches descriptives de comportements des jeunes de la rue et reproche aux travaux consacrés à cette catégorie de faire l’économie d’un traitement théorique de leurs concepts et de leurs catégories analytiques. La deuxième partie est consacrée à une mise à l’épreuve des hypothèses, à Montréal, à partir d’un échantillon de 30 jeunes âgés de 16 à 25 ans. Le traitement des données empiriques débouche sur une typologie des parcours. Le dernier volet est opératoire avec, à l’appui, la présentation d’un exemple de modèle d’intervention sociale. Selon l’auteur, la grande faiblesse des actions de prise en charge des jeunes réside dans leur dimension « familialiste ». Aussi souligne-t-il la nécessité d’instaurer de nouvelles formes d’identification en rupture avec ce modèle, notamment par l’intermédiaire de médiations d’inspiration socio-psychanalytique axée sur l’appropriation des actes sociaux et la formation du sujet. L’enjeu n’est pas alors de résoudre des problèmes, mais plutôt de favoriser la socialisation des jeunes.