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Au milieu des années 1990, les MRC du Québec devaient débuter la révision de leurs schémas d’aménagement respectifs. Oeuvrant à la MRC des Pays-d’en-Haut, je contactai le Conseil de la culture et des communications des Laurentides afin que ce dernier m’assiste pour « déterminer toute partie du territoire présentant pour la municipalité régionale de comté un intérêt d’ordre historique, culturel, esthétique ou écologique » (Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, article 5, alinéa 1er, paragraphe 5o). De fil en aiguille, l’idée a fait son chemin, au point que six autres MRC de la région ont reconnu la pertinence de cette démarche. Il est toutefois rapidement apparu que le projet posait un défi qui outrepassait la simple désignation de territoires d’intérêt. Le paysage ne se laisserait pas saisir aussi facilement.

D’autres partenaires qui pouvaient être intéressés par cette problématique des paysages ont alors été approchés et se sont progressivement joints au projet. Avec l’appui financier et technique du Conseil régional de développement, des ministères de la Culture et des Communications, de l’Environnement, des Transports, de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation de même que d’Hydro-Québec, une ambitieuse recherche était initiée. Des chercheurs de la Chaire en paysage et environnement – nouvellement créée – de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ont alors été mandatés pour réaliser cette recherche sur la caractérisation des paysages d’intérêt patrimonial des Laurentides. L’idée de la publication d’un ouvrage disponible en librairie s’est imposée d’emblée, la demande pour un tel document étant fortement ressentie.

Après quatre années de travail, Évolution du territoire laurentidien a pris forme. L’ouvrage, abondamment illustré de cartes, de schémas et de photographies en couleur, compte sept chapitres. Le premier présente les deux espaces témoins qui incarnent le mieux les caractères biophysiques et les affectations du sol de la région. Ces deux espaces témoins vont, dans l’est, de Saint-Jérôme à Sainte-Adèle et, dans l’ouest, de Saint-Joseph-du-Lac à Lachute.

Le second chapitre constitue le coeur de l’ouvrage. Il présente le cadre conceptuel de la recherche. Les auteurs y distinguent certaines des dimensions fondamentales du paysage; ils y rappellent que : « 1) le paysage renvoie à deux entités indissociables que sont la réalité physique (composantes biophysiques et anthropiques) et l’observateur; 2) l’image résultant de la perception de la réalité physique peut varier considérablement d’un individu à l’autre, d’un groupe à l’autre, d’une période à l’autre; 3) les appartenances sociales et culturelles agissent comme filtres de la réalité; elles conditionnent le regard et modulent l’image résultante; 4) le terme paysage désignera l’image résultant du regard porté sur la réalité, cette image influençant à son tour les interventions » (voir croquis 1 à 4, pp. 17-18).

Une réflexion est ensuite proposée sur le couple paysage-patrimoine. Les auteurs distinguent quelques grands types de paysages, soit les « paysages emblématiques », les « paysages identitaires » et les « paysages de proximité », puis présentent les concepts de capital-paysage et d’émergence paysagère, notant que cette émergence « procéderait des investissements de valeurs. Les formes de l’espace géographique […] investies appelleraient une appropriation de cet espace par les individus, les groupes ou les collectivités » (croquis 5, p. 23).

Le chapitre 3 – une contribution de Jean-Pierre Ducruc du ministère de l’Environnement – présente une des bases de données utilisées pour la caractérisation du capital-paysage, soit « le cadre écologique de référence ». On y spatialise et y décrit les districts écologiques et les ensembles topographiques sur lesquels se sont déployées les différentes vagues du peuplement de la région des Laurentides. Au chapitre suivant, les auteurs synthétisent les concepts du chapitre 2 et les informations du troisième chapitre pour caractériser le capital-paysage d’intérêt patrimonial présent sur le territoire étudié. L’analyse propose une comparaison dans le temps (1928 vs 1992) de plusieurs portions de territoire avec cartes et photos à l’appui. On parvient ainsi à faire ressortir les permanences, les évolutions lentes, aussi bien que les transformations profondes.

Le chapitre 5, pour sa part, explore le phénomène de l’émergence paysagère en passant en revue les valorisations anciennes – dont témoignent les cartes postales et les guides touristiques – et actuelles du territoire – signalées par l’aménagement et la mise en valeur d’espaces appropriés par différents types de résidents, notamment les nouveaux campagnards mobilisés par les formes sensibles de l’Établissement.

Quant aux chapitres 6 – une contribution de Marie-Odile Trépanier de l’Institut d’urbanisme – et 7, ils visent, d’une part, à présenter un éventail de moyens et de stratégie de protection et de mise en valeur du capital-paysage, au nombre desquels figurent des outils juridiques et techniques bien connus des aménagistes, et, d’autre part, à instaurer une méthode de travail menant à l’analyse, à la compréhension et à la caractérisation du capital-paysage.

Si, au départ, certains voyaient dans ce projet une occasion d’identifier quelques outils permettant de repérer et de caractériser aisément les paysages du territoire des MRC laurentidiennes, tous ont découvert en bout de piste un outil de travail unique et exemplaire qui leur servira durant de nombreuses années encore, aussi longtemps du moins que la prise en compte du capital-paysage ne sera pas une priorité dans les pratiques de l’aménagement du territoire au Québec. À l’heure où la quête de paysages mobilise des acteurs de plus en plus nombreux, il faut saluer la publication de cet ouvrage.