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Le député Jean-François Simard présente une monographie de Saint-Grégoire-de-Montmorency, ville de la circonscription qu’il représente depuis 1998. Sociologue de formation, l’auteur démontre que l’évolution de cette communauté demeure intimement liée à celle des principales industries de l’endroit ; celle du bois et ensuite du textile (par exemple, la Dominion Textile).

En priorisant l’analyse du développement industriel comme axe structurant de l’identité locale, Simard entend faire ressortir le caractère spécifique de Montmorency à cet égard. Prenant pour base l’aspect fortement industrialisé de la localité dans la première moitié du xxe siècle, l’auteur étudie plus spécifiquement les caractéristiques des groupes ouvriers de l’endroit. Ce faisant, il démontre une volonté de faire reconnaître le rôle joué par cette communauté dans le mouvement ouvrier au Québec. Il s’agit d’un des aspects intéressants de la recherche, puisque peu d’ouvrages se consacrent à l’apport des petites et moyennes villes à la vie syndicale québécoise.

L’auteur a pour objectif de montrer que, puisque l’identité de Montmorency s’est édifiée sur la base de l’industrie locale, l’usine s’avère le fondement du lien social qui s’y tisse. De fait, Simard questionne l’impact sur l’identité des changements sociaux économiques majeurs survenus principalement au cours du xxe siècle. Selon lui, il y aurait une coexistence entre les cheminements de l’identité et de l’économie.

La démonstration de l’auteur s’effectue en deux grandes parties. La première, qui s’étend du xixe siècle jusqu’à la décennie 1950, correspond à l’époque de la définition et de la solidification du lien d’appartenance. Durant celle-ci, les ouvriers de Montmorency développent un réseau d’échanges véritables, jetant ainsi les bases de la cohésion communautaire autour du milieu du travail. La naissance du syndicalisme, la dénonciation des conditions de travail sous-jacentes aux nombreux conflits qui ont ponctué la vie des ouvriers sont autant de thèmes abordés.

Cependant, l’approche de Simard, qui met l’accent sur le poids des travailleurs dans la structuration de l’identité communautaire, l’amène (volontairement) à délaisser l’influence des élites locales dans le processus (en dehors des acteurs religieux et syndicaux dont il est parfois question). Ainsi, le lecteur conserve l’impression que l’identité repose sur les travailleurs seuls. Cette dernière se révèle pourtant la résultante d’une dynamique plus complexe entre les différents acteurs qui se partagent le pouvoir. Par exemple, à propos de la fermeture d’usines à Montmorency, l’auteur affirme que bien qu’ébranlée, l’identité communautaire survit malgré tout, s’édifiant cette fois sur d’autres bases.

Dans la même section, l’auteur mentionne abondamment les concepts de mémoire collective locale et d’imaginaire local. Il y a aussi de fréquentes références aux écrits du sociologue Fernand Dumont, originaire de Montmorency, ce qui explique peut-être le recours à ces concepts. Dans la mesure où de telles notions sont utilisées couramment, l’auteur aurait pu établir quelques précisions d’ordre méthodologique. Par exemple, il aurait été intéressant, pour le lecteur, de connaître le nombre d’entrevues auxquelles il a procédé mais surtout, la justification du choix des témoins cités dans l’ouvrage et en quoi ils sont représentatifs de la communauté et de la mémoire collective.

L’étude des représentations, à laquelle Simard se livre dans la seconde partie, montre qu’autant l’opposition que l’accord entre les intervenants à Montmorency rendent possible son développement. Cette constatation lui permet d’étayer les différentes transformations vécues par Montmorency, de même que les adaptations auxquelles elle fut confrontée à partir de 1950. C’est ainsi que la recherche d’aspirations plus élevées chez la population, les changements sociodémographiques (entre autres, la forte densité de la population et l’exode des jeunes) et le déclin industriel (notamment la fermeture de la Dominion Textile en 1986) pour ne fournir que quelques exemples, entraînent un affaiblissement identitaire. Le creux économique associé à l’émergence du rôle de banlieue de la ville entraînent des modifications dans sa structure. Montmorency doit faire face à des choix pour survivre (différentes fusions, création de la CODEM). Certaines des initiatives comme l’exploitation commerciale, à des fins touristiques, de la chute Montmorency parviennent peu à stimuler les habitants dans la recherche d’un renouveau identitaire. Bien au contraire, elles ne font qu’affermir leur sentiment de dépossession par rapport à ce qui faisait partie de leur communauté.

En somme, Simard démontre que le développement d’une ville et la formation de l’identité ne se font pas d’une manière linéaire. Aussi, la démonstration de l’auteur permet de juger de la persistance, longtemps après l’entrée dans l’ère industrielle, du caractère traditionnel de Montmorency.

Finalement, le travail de Simard présente un intérêt pour quiconque désire faire connaissance avec une ville, dans ses particularités mais aussi ses ressemblances avec d’autres centres industriels comme nous en retrouvons un peu partout au Québec. Une communauté dont le rythme et le développement se trouvent dictés par l’usine, donc par le quasi-monopole d’une industrie unique. Une communauté forte et fragile à la fois qui doit, pour assurer son avenir, tirer profit autant des dualités que des solidarités locales. Si l’ouvrage de l’auteur se démarque, c’est sur ce point précis.