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Le déficit immunitaire combiné sévère (DICS) lié à l’X est dû à des mutations du gène codant pour la sous-unité γc, commune à plusieurs récepteurs de cytokines, qui conduisent à un défaut complet de développement des lymphocytes T et des cellules natural killer. La maladie est létale au cours de la première année de vie en l’absence de greffe de moelle osseuse allogénique.

Un succès clinique indéniable pour la thérapie génique du DICS…

Le DICS lié à l’X réunit une série de facteurs favorables à la réussite de la thérapie génique: ciblage possible de précurseurs hématopoïétiques, capacité d’expansion considérable des précurseurs transduits et, enfin, longue durée de vie des lymphocytes T ainsi produits. Dix patients ont été traités par transfert ex vivo du gène γc dans leurs précurseurs médullaires CD34+ à l’aide d’un vecteur rétroviral murin MFG (dérivé du virus Moloney de la leucémie murine, MoMuLV) défectueux pour la réplication: une correction stable du déficit immunitaire a été obtenue chez neuf d’entre eux, avec un recul dépassant 4,5 ans pour les essais les plus anciens [1-3], les enfants se développant et vivant normalement dans un environnement non protégé ((→) m/s 2000, n°5, p.681). L’efficacité de ce traitement a été confirmée par une équipe britannique chez quatre autres patients [4], et rapportée par l’équipe de C. Bordignon à Milan (Italie) pour une autre forme de DICS, le déficit en adénosine désaminase [5]. L’ensemble de ces résultats permet d’envisager un développement de cette thérapeutique pour la prise en charge des maladies héréditaires graves du système immunitaire, à chaque fois qu’un avantage sélectif peut être conféré aux cellules transduites par l’expression du transgène: c’est le cas d’autres formes de DICS, ainsi que du syndrome de Wiskott-Aldrich [6] ((→) m/s 2002, n°8-9, p.797).

… mais des complications sérieuses dans certains cas

La survenue d’une complication sévère de la thérapie génique chez deux des enfants traités pour DICS lié à l’X soulève néanmoins la question des risques inhérents à cette approche. De quoi s’agit-il? Près de trois ans après le traitement, deux enfants - les plus jeunes au moment du traitement - ont développé une prolifération clonale de lymphocytes T différenciés. Ces cellules partageaient certaines caractéristiques avec des cellules leucémiques - aspect blastique, croissance rapide, clonalité et anomalies génétiques secondaires [3], mais présentaient aussi quelques propriétés les en distinguant - caractère différencié, présence de trois clones anormaux chez un patient et phénotype cytologique et cytogénétique variable chez l’autre. La survenue de ces complications a nécessité la mise en place d’un traitement par chimiothérapie chez les enfants, suivi d’une allogreffe de moelle osseuse chez l’un d’entre eux. Une rémission complète a aisément été obtenue chez l’un d’eux, alors qu’un petit nombre de cellules du clone pathologique est encore détectable chez le second [3].

Que s’est-il passé ?

Le mécanisme en cause est aujourd’hui à peu près compris. Il n’est lié ni à une réplication du rétrovirus murin, ni à la présence de séquences de type VL30 (un rétrotransposon connu pour être présent dans certains rétrovirus murins) apportées par le vecteur. Dans les deux cas, c’est un événement de mutagenèse insertionnelle survenu au sein du locus du même proto-oncogène, LMO-2, qui est responsable. L’insertion du provirus dans le premier intron dans l’un des cas, et près du promoteur dans l’autre, provoque un effet enhancer du LTR (long terminal repeat) viral sur la transcription du gène LMO-2. Il en résulte une expression aberrante de la protéine, probablement responsable de la transformation cellulaire. On sait en effet que l’expression aberrante de LMO-2 est associée à une forme de leucémie aiguë lymphoblastique, et que des souris transgéniques pour LMO-2 développent une leucémie en un an.

Ces résultats soulèvent néanmoins un ensemble de questions: en particulier, le fait que le même proto-oncogène soit impliqué chez les deux patients ne peut être lié au hasard. Une première hypothèse suggérait que le locus LMO-2 était un site d’intégration préférentiel de provirus (un hot spot physique). Cependant, il est probable que parmi les millions de cellules précurseurs CD34 injectées à chaque patient, plusieurs d’entre elles portaient un site d’insertion rétrovirale proche d’un proto-oncogène, susceptible d’exercer, comme sur LMO-2, un effet enhancer; on sait en effet aujourd’hui que ces provirus s’intègrent préférentiellement au sein de gènes «actifs», principalement à proximité du promoteur [7]. Une autre hypothèse, plus probable, est que les clones porteurs de ce site d’intégration, au locus LMO-2, ont été sélectionnés. Cette hypothèse implique alors l’existence de facteurs additionnels qui, en présence de ce type d’insertion rétrovirale, favorisent un processus de prolifération clonale. Ces facteurs sont potentiellement multiples: activation exogène de la prolifération clonale par stimulation antigénique ou production de cytokines au cours d’une réponse inflammatoire, survenue d’altérations secondaires du génome favorisant la survie et la prolifération cellulaire, facteurs de susceptibilité génétique…

Une notion est cependant troublante dans ce contexte: la mutagenèse insertionnelle, risque connu de l’utilisation de rétrovirus, n’a été au préalable observée qu’une seule fois après transfert de gène expérimental chez la souris [8]. En outre, aucune mutagenèse insertionnelle n’a été observée, ni dans les quatre modèles de transfert du gène γc chez des souris déficientes∈en∈γc, ni à ce jour dans d’autres essais cliniques. Il semble donc que les conditions expérimentales diffèrent de la situation clinique, et que la nature du déficit considéré ici - déficit en γc - joue un rôle.

On peut dès lors proposer le scénario suivant pour rendre compte des complications observées. Le nombre de précurseurs CD34+ à risque d’une insertion rétrovirale proche d’un proto-oncogène serait plus élevé chez les jeunes enfants atteints de DICS lié à l’X, ce qui augmenterait de fait le risque d’insertion au locus LMO-2. Plusieurs arguments sont en faveur de cette hypothèse: la maladie elle-même provoque une accumulation de précurseurs hématopoïétiques, et le jeune âge des enfants atteints de complications (1 et 3 mois au moment du traitement, contre 6 mois et plus pour les autres) peut être associé à la présence d’un plus grand nombre de précurseurs engagés dans le cycle cellulaire et à d’éventuelles caractéristiques spécifiques de l’hématopoïèse foetale ou néonatale. En outre, le risque de mutagenèse insertionnelle serait accru chez les patients atteints de DICS lié à l’X, en raison d’une éventuelle synergie d’action entre LMO-2 et le transgène γc.

Comment éviter ces complications ?

Si les hypothèses avancées ci-dessus se révélaient exactes, l’implication en serait immédiate: le risque serait circonscrit à cette maladie et concernerait les enfants les plus jeunes.

Il doit par ailleurs être possible d’envisager l’utilisation de vecteurs modifiés de façon à réduire le risque d’effet enhancer exercé par le LTR viral: utilisation de promoteur interne avec inactivation du LTR, comme c’est le cas des vecteurs lentiviraux disponibles [9], ou ajout éventuel de séquences insulatrices[*], afin d’isoler le LTR viral et s’opposer à l’activation éventuelle d’un proto-oncogène. Il est également possible d’ajouter une sécurité sous la forme d’un second transgène «suicide», utilisable sous l’effet d’une prodrogue en cas de prolifération clonale. À terme, le ciblage de l’intégration du transgène est aussi une approche attractive, en particulier grâce à l’utilisation d’une intégrase à faible nombre de cibles dans le génome [10].

Conclusions

La survenue des complications décrites ici doit être prise en compte dans l’évolution des techniques et des stratégies de thérapie génique. Il est ainsi essentiel d’évaluer avec précision le rapport bénéfice/risque dans chaque contexte pathologique. Pour le DICS lié à l’X, il semble que l’efficacité de la thérapie génique l’emporte sur l’effet de la greffe de moelle osseuse traditionnelle, en l’absence de donneur HLA identique, dont la toxicité (réaction du greffon contre l’hôte, notamment) est loin d’être nulle. Il importe donc de tirer parti des informations recueillies pour développer rapidement une thérapeutique aussi efficace, mais rendue plus sûre. La modification des vecteurs utilisés, l’ajustement du nombre de cellules transduites injectées et la sélection des patients selon l’âge devraient permettre d’atteindre ces objectifs.