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L’histoire politique moderne est l’histoire des figures du pouvoir. Une fois l’extra-néité d’une norme spirituelle transcendantale disparue et la souveraineté politique répartie en une pluralité d’États, le pouvoir politique, renvoyé à lui-même, se conçoit comme jeu et équilibre de puissances. En postulant comme prémisse un pouvoir qui n’est pas essence, l’auteur se propose d’aborder dans les deux premières parties de cet ouvrage différentes figures de son actualisation moderne (la patrie, le héros, l’histoire, le droit naturel), tandis qu’est traitée dans la troisième et dernière partie la question du présent politique (nos démocraties aujourd’hui), c’est-à-dire la question de la raison d’État, la crise de l’État-nation, la liberté et le rapport fiction-politique. Notons que les chapitres des trois parties sont des études autonomes qui ont été antérieurement publiées dans divers périodiques.

Dans la première partie, il est tout d’abord question de l’amour de la patrie chez Machiavel, comment cette valeur s’inscrit dans une politique de la contingence, comment la patrie est liée à la finalité du bien commun et de la liberté politique. L’attachement à la patrie devient donc en ce sens la condition essentielle au dépassement de l’horizon individuel pour fonder et rétablir les valeurs politiques d’une république libre. Par la suite, on voit ici comment le concept de « curiosité » chez Hobbes est à la base de la différence humaine, spécificité qui fait de lui un être anxieux, désir qui le fait être à la fois rationnel et religieux. Il s’agit pour l’auteur de démontrer le fondement anthropologique du pouvoir chez Hobbes : avant d’être constitutif de la structure de l’État, le pouvoir est désir de l’individu. Et pour achever cette partie, comment la figure du héros politique, si prégnante de Machiavel à Hobbes, sera-t-elle critiquée par Vico? Zarka nous montre qu’en couplant historiographie et politique, Vico remplace la conception anhistorique de l’héroïsme pour l’analyser comme contingence historique, c’est-à-dire comme mode d’être particulier à l’époque aristocratique. Dans la deuxième partie, il est question de la constitution de la conscience historique moderne au XVIIe et XVIIIe siècle. Cette conscience historique se développe sur deux plans : l’historiographie et l’historicité. On voit comment Bodin pose le problème de l’authenticité des sources et fait basculer dans l’histoire le monde humain, naturel et sacré. Naudé amène ensuite les premiers barèmes d’une historiographie critique en posant la question de la certitude et de l’erreur, que Bayle développera avec la corrélation entre certitude historique et certitude des faits. Face à l’histoire, se développe la réflexion sur la fondation du droit, celui-ci se basant soit sur la coutume (Common Law), l’écriture ou la raison naturelle. L’auteur nous montre comment le droit naturel connaîtra une crise à travers les mêmes catégories qui le légitimaient : la personne, la propriété, le contrat.

La troisième partie fait état de la triple crise de ce qu’il nomme l’ultra-modernité ; premièrement, remise en question de la souveraineté nationale de l’État-nation par des entités supranationales et par son incapacité à être maître de toutes les décisions le concernant ; deuxièmement, crise de la liberté individuelle par la perte de l’intérêt public, et, troisièmement, fin de l’utopie du travail comme seul fondement de la sociabilité et de la valeur. Le texte suivant, Peut-on se débarrasser de la raison d’État? montre que loin d’être un archaïsme, la raison d’État serait une rhétorique toujours d’actualité dans nos démocraties, moment où la raison de puissance se substitue à la raison de droit et de justice, moment qui selon l’auteur peut parfois être justifié mais qui représente un réel danger d’arbitrarité. Il est ensuite question du rapport entre fiction et politique. On voit comment pour Pascal la fiction-illusion sert à cacher l’illusion (le hasard) de l’instauration du pouvoir tandis que chez Bentham la fiction-transparence est à la base de l’utilitarisme social : dans le premier cas la fiction devient manipulation, dans le deuxième elle légitime un régime de surveillance généralisé. Pour finir, Zarka commente le Cours de 1976 de Foucault et se penche sur la question du pouvoir non juridique en montrant que l’auteur, contre Hobbes, dégage une histoire du pouvoir qui permet de dévoiler une réalité masquée par le discours juridico-politique de la puissance d’État.

Comme on le constate, l’ouvrage de Zarka est bâti sur différentes thématiques qui n’ont en commun qu’un rapport quelconque avec la politique et la modernité. Le livre a donc le défaut de ses qualités ; autant la multitude de pistes et d’angles d’attaque inattendus sont stimulants pour quiconque s’y intéresse, autant on aurait apprécié que certaines pistes soient prolongées au-delà de leur simple mise en chantier.