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Par son titre évocateur et une partie considérable de son contenu, Ethnoarchaeology in Action qui peut prétendre à un hommage et sans doute à un élargissement de l’étude de Hodder (1982) Symbols in Action, vise à présenter une diversité de thèmes à l’intention des ethnoarchéologues. Nicholas David et Carol Kramer, de l’Université de Calgary et de l’Université d’Arizona respectivement, ont entrepris des travaux surtout en Afrique et en Asie. Les auteurs exposent eux-mêmes leur point de vue respectif : Kramer préfère l’approche « naturaliste » (« processualiste ») tandis que David soutient le point de vue « antinaturaliste » (« postprocessualiste »). En plus de présenter leurs propres travaux, David et Kramer exposent une grande quantité d’études de cas ethnoarchéologiques puisées à travers le monde. L’ouvrage comporte une bibliographie exhaustive et témoigne d’un effort sérieux d’inclure des sources qui ne sont pas anglo-saxonnes, notamment en français. Les exemples, bien illustrés, fournissent au lecteur des renseignements abondants. Des nombreux dessins, tables et photographies d’ethnoarchéologues in action allègent la prolixité du texte.

L’ouvrage comporte quatorze chapitres, dont trois traitant du sujet et de son historique, des tentatives d’approches théoriques, des méthodes et de l’éthique de terrain. Outre une conclusion bien articulée, le reste des chapitres regroupent les thèmes suivants : les processus de formation des sites, la subsistance, l’étude des objets et les différents styles, les schèmes d’établissement, les structures des sites et l’architecture, les métiers spécialisés, le commerce et les échanges, et les coutumes funéraires et l’idéologie. Le chapitre portant sur l’éthique offre un intérêt particulier et sera sans doute apprécié des praticiens, compte tenu que ce sujet est rarement abordé dans ce type d’ouvrage.

Les auteurs notent le paradoxe entre les avantages de l’ethnoarchéologie par rapport à l’archéologie du point de vue économique, logistique et politique et son institutionnalisation plutôt faible, notamment par l’absence de spécialisation dans l’enseignement et la recherche et la carence de revues dans ce domaine. On peut s’interroger, cependant, puisque le caractère fondamental de la sous-discipline l’empêche justement de s’épanouir davantage. David et Kramer soulignent que l’ethnoarchéologie n’est ni une théorie ni une méthode, mais une stratégie de recherche (p. 2). En effet, c’est en prenant leur distance par rapport aux propos tenus par J. O’Connell (1995) qui voudrait établir une théorie générale du comportement pour promouvoir la rigueur intellectuelle de l’ethnoarchéologie que David et Kramer se laissent influencer par les « cautionary tales » (Simms 1992 : 186) retenus par de nombreux praticiens. Sans entrer dans les détails, il faudrait souligner que les travaux de O’Connell et de ses collègues, bien qu’ancrés dans les stratégies optimales d’approvisionnement, font partie d’un programme beaucoup plus vaste de l’écologie du comportement ou écologie évolutionniste (behavioral or evolutionary ecology) qui dépasse le thème plutôt restreint de la subsistance. On pourrait d’ailleurs jeter un coup d’oeil sur les travaux de « deuxième génération » dans ce domaine en consultant par exemple Adaptation and Human Behavior de Cronk et al. (2000) ainsi que les applications et récents débats en archéologie « évolutionniste » (voir Boone et Smith 1998). Il serait donc prématuré d’affirmer, comme le font David et Kramer, que la décoration de la poterie ou les pratiques funéraires ont peu de rapport avec le succès reproductif des individus (p. 42). Comme le soulignent Barton et Clark (1997) dans Rediscovering Darwin, le potentiel néo-Darwinien en archéologie et en ethnoarchéologie semblerait inépuisable. Il est donc quelque peu regrettable que les auteurs de Ethnoarchaeology in Action n’expriment pas plus d’enthousiasme concernant la « théorie » au sens large. Cette dernière est essentielle pour guider nos observations et en arriver à l’explication de phénomènes. Au-delà de ces considérations, nous ne devons pas oublier l’apport que pourraient nous fournir les vastes bases de données inter-culturelles, notamment celles du Human Relations Area Files, comme sources d’inférences (Peregrine 2001).

Malgré ses faiblesses, l’ouvrage de David et Kramer permettra sans doute de sensibiliser un plus grand nombre d’archéologues aux données ethnographiques dans la poursuite de leurs travaux, et de les inciter à contribuer à des domaines connexes comme l’anthropologie appliquée. De plus, les auteurs soulignent l’importance d’études ethnoar-chéologiques à long terme, étalées sur plusieurs décennies, afin de donner à cette sous-discipline un plus grand dynamisme permettant d’expliquer le changement.