Corps de l’article

Comme l’indique le titre, l’ouvrage concerne non pas les jeux mais le jeu en Chine. En d’autres termes, il s’agit plus ici d’une réflexion d’ordre sociologique que d’une description proprement ethnographique. C’est à la fois un apport tout à fait original à la connaissance de cette partie du monde, et une faiblesse que je regrette. Par goût porté sur les descriptions techniques préconisées par l’École d’André Leroi-Gourhan, Lucien Bernot, Georges Condominas et Léopold Cadière, le génial vietnamologue, je m’attendais à découvrir sous l’élégante plume d’Elisabeth Papineau, qui écrit bien et fluide, et cite abondamment mais à propos, la charpente solide d’une ethnographie ou d’une sociographie descriptive détaillée, montrant les divers types de jeux en Chine. Mais ici pas ou presque pas de descriptions. Pas un dessin, pas un croquis, pas une carte, pas une photographie. Ce sera pour une prochaine fois. Le lecteur est donc obligé de reporter son attention sur le seul texte qui enseigne cependant beaucoup, de façon très complémentaire du corpus descriptif attendu en vain. Si l’auteur avait choisi de présenter également le détail ethnographique des jeux, les instruments, les règles, les contextes, les joueurs et leur milieu, nous aurions là un extraordinaire ouvrage de référence. En l’état, c’est cependant, sur la question théorique et globale du jeu en Chine actuelle, surtout lorsqu’elle fait face à l’État, un travail d’une remarquable incise et qui s’avèrera, on peut le supposer, d’importance pour toute recherche ultérieure portant sur ce thème ; pas seulement pour ce qui concerne la Chine étant donné l’impact et l’importance des diasporas chinoises. On regrette d’ailleurs l’impasse faite par l’auteur sur ces diasporas, au moins celles des pays existant dans les Marches proches de la Chine. Il faut noter aussi, à son bénéfice, que l’auteur connaît parfaitement son sujet, qu’il le couvre avec l’usage et (probablement) la maîtrise de la langue et de l’écriture chinoise contemporaines ; performance à saluer. La bibliographie en témoigne comme la multitude d’informations issues de cette source primordiale parsemant le livre.

L’analyse sociologique est bien construite, mais si les réflexions proposées au long des divers chapitres sont pertinentes, ouvrant des pistes de recherche intéressantes, en revanche, l’hypothèse présentée comme point de départ de ce travail paraît bien faible sinon futile, même si l’auteur a pris la précaution de dire dès les premières lignes que son travail est « né de la rencontre répétée d’un lieu commun au sujet de la culture chinoise, qui se résumerait par l’affirmation suivante : “les Chinois sont joueurs” ». Papineau a beau se placer a priori en contre, arguant d’une « variabilité culturelle interne aux cultures », il n’empêche qu’elle répond en fin d’ouvrage à cet aphorisme pour dire qu’effectivement les Chinois paraissent bien être passionnés de jeu à un point qui devient culturellement pertinent. Si j’ai trouvé enrichissante sa façon d’aborder la question du jeu, en général puis particulièrement en Chine (mais toujours d’un point de vue globalement général), j’ai également glissé dès les premières pages sur l’aphorisme qui ne présente guère d’intérêt en soi. D’une part parce que c’est anecdotique et d’autre part parce qu’à mon sens les Chinois (et les habitants d’Asie du Sud-Est) s’adonnent effectivement au jeu à un point que leur passion est vice et en tous cas caractéristique culturellement. Mais une fois énoncé ce lieu commun, on n’en sait pas beaucoup sur le monde chinois (ou sur le monde sud-est asiatique). Il paraît évident en effet que le jeu a de façon générale un impact socialement beaucoup plus grave en Chine (et en Asie du Sud-Est) qu’en Europe par exemple, même si évidemment il y existe aussi. La meilleure preuve en est que les paris, les jeux d’argent, les jeux de hasard, même d’apparence anodine, sont interdits (et l’interdiction appliquée) dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est. Ce n’est pas le cas dans les pays d’Europe. Par ailleurs, au sortir de cet ouvrage, si l’on comprend peut-être mieux le monde chinois, ou la fonction sociale du jeu en Chine, en revanche, on ne sait jouer ni au mah-jong ni au go

L’intérêt du livre de Papineau est donc ailleurs, notamment dans l’analyse brève mais fine des rapports interactifs entre jeu et loisir, ludisme, sports, mais aussi politique, argent, électronique, esthétique et insolence, voire opposition sinon rébellion.

Outre le manque affligeant d’iconographie, même la plus minimaliste, on peut regretter enfin la maquette fantaisiste, le choix de polices de caractères non appropriées et des coquilles typographiques nombreuses (à la différence du texte, bien écrit). En premier lieu, pourquoi noter mah-jong et go dans le titre alors que les expressions retenues dans le corps de l’ouvrage sont respectivement majiang et weiqi? Ces reproches là, tenant à l’apparence du livre, sont à adresser non à l’auteur mais à l’éditeur qui n’a tout simplement effectué aucune mise en forme. C’est regrettable et nuit à la clarté, et donc à la lecture. En résumé : dans la forme un essai, dans le fond, abstraction faite de la description sociographique qui manque, une réussite.