Corps de l’article

On n’insistera jamais trop sur la hiérarchie des catégories dans la théorie phénoménologique de Charles S. Peirce qu’il a baptisée « phanéroscopie ». Mais sans nier l’insertion idéologique des idées, il est possible de mettre en valeur des processus de pensée dont la mise en œuvre ou en pratique a des conséquences qui améliorent le bien-être de l’homme, de tous les hommes, et, par le fait même, permettent de vérifier leur bien-fondé comme hypothèse de travail, ou, comme le disait John Dewey, garantissent leur assertibilité.

Pragmatique de la relation du signe à l’objet

Type ou légisigne et token ou réplique : sans réplique, le légisigne est vide ; sans légisigne, pas de réplique, mais un sinsigne muet.

Les trois relations de tout signe à son objet possible sont respectivement iconique, indiciaire et symbolique. Examinons d’abord celle qui est apparemment la plus simple à comprendre : l’indice dont l’index de la main est le type :

L’indice n’affirme rien ; il dit seulement : « là ». Il se saisit pour ainsi dire de vos yeux et les force à regarder un objet particulier et c’est tout. Les pronoms démonstratifs et relatifs sont des indices presque purs, parce qu’ils dénotent les choses sans les décrire. Ainsi les lettres dans un diagramme géométrique et les nombres souscrits qui, en algèbre, distinguent une valeur d’une autre, sans dire ce que sont ces valeurs.

3.361[1], ES[2] : 144

Les indices ont besoin de symboles pour parler, encore que les symboles qui sont des généraux soient par eux-mêmes vides :

Sans [symboles], il n’y aurait pas de généralité dans les énoncés, car ce sont les seuls signes généraux ; et la généralité est essentielle au raisonnement [...]. Mais les [symboles] seuls n’énoncent pas ce qui est le sujet du discours ; et cela ne peut pas, en fait, être décrit en termes généraux ; cela ne peut qu’être indiqué. Aucune description ne permet de distinguer le monde réel (actual) du monde de l’imagination. D’où le besoin de pronoms et d’indices : et plus est compliqué le sujet, plus grand en est le besoin.

3.363, ES : 145

Bien que les logiciens se satisfassent de ces deux relations à l’objet, Peirce est allé plus loin dans son analyse et a montré qu’à elles seules ces deux relations sont insuffisantes pour raisonner. Pour raisonner, nous avons besoin d’un troisième type de relation qui se présente sous la forme de diagrammes logiques et d’images sensorielles (la plupart du temps visuelles). Ces diagrammes et images, Peirce les appelle des icônes :

Avec ces deux genres de signes seuls, on peut exprimer n’importe quelle proposition ; mais on ne peut pas raisonner sur elle, car le raisonnement consiste dans cette observation que là où se trouvent certaines relations, il s’en trouve d’autres, et il requiert en conséquence que les relations raisonnées soient exprimées dans une icône.

3.363, ES : 145-146

Pragmatique de la relation du possible à l’existant

Rhème et indice : le rhème ou prédicat n’est rien sans l’indice qui lui donne existence au sujet de la proposition.

Peirce publie en 1885 « On the Algebra of Mathematics ». Cet article marque une rupture définitive dans la philosophie de la logique de Peirce : l’indice n’est plus conceptuel, comme il l’était en 1867, mais proprement « existentiel » : Second.

Soit la proposition « Ceci est rouge ». Dans cette proposition, « ceci » n’est évidemment pas une substance bien que « ceci » désigne un objet. « Ceci » est un « déterminant », un « quantificateur existentiel ».

Qu’est-ce qu’un quantificateur existentiel pour Peirce après 1885 et qu’implique-t-il ? La réponse est dans la description que Peirce en donne en termes d’« haeccéité », terme qu’il emprunte à Duns Scot, mais auquel il donne un sens occamien. Je peux dire « Ceci est rouge », non parce que « ceci » serait un terme général tenant lieu de quelque chose de particulier existant dans le monde extérieur. Tout au contraire, si je peux dire « Ceci est rouge », c’est parce que la « ceci-ité » (thisness) – l’haeccéité – fait que quelque chose existe. L’haeccéité est principe d’individuation et d’existence.

De l’existant. L’ultime différence constitutive de l’« existence » est topologique : deux existants par ailleurs absolument identiques ne peuvent pas occuper le même lieu.

La secondéité authentique consiste en une chose agissant sur une autre, l’action brute. Je dis brute parce que, dans la mesure où l’idée d’une loi ou d’une raison apparaît, la tiercéité apparaît. Quand une pierre tombe à terre, la loi de la gravitation n’agit pas pour la faire tomber. La loi de la gravitation est un juge : le juge peut articuler la loi jusqu’à la fin des temps, mais sans le bras fort de la loi, le shérif brutal, qui donne effet à la loi, celle-ci n’est rien.

[...] La chute actuelle de la pierre est purement et simplement l’affaire de la pierre et de la terre à ce moment-là.

8.330

Je ne m’étonnerais pas si quelqu’un suggérait que l’idée de loi est peut-être essentielle à l’idée d’une chose agissant sur une autre. Mais ce serait certainement la suggestion la plus insoutenable que l’on puisse imaginer, considérant qu’aucun de nous, après s’être toute sa vie imposé la discipline de regarder les choses du point de vue déterministe, n’a jamais pu s’imposer de chasser l’idée qu’il peut accomplir n’importe quel acte de volonté. C’est un des exemples les plus singuliers de la manière dont une théorie préconçue rend un homme incapable de voir les faits, que beaucoup de déterministes semblent penser que personne ne croit réellement à la liberté de la volonté, le fait étant qu’eux-mêmes y croient quand ils ne théorisent pas. Cependant, je ne pense pas qu’il vaille la peine de se disputer à ce sujet. Soyez déterministe si vous approuvez le déterminisme ; mais je pense tout de même que vous devez admettre qu’aucune loi de la nature ne fait tomber une pierre, se décharger une bouteille de Leyde ou marcher une machine à vapeur.

1.323 v. 1903

Principe d’individuation. C’est une expérience qui ne consiste pas en une « perception sensorielle ». Certes, dit Peirce en 1903,

[...] nous percevons les objets qui se trouvent devant nous ; mais ce dont nous faisons l’expérience – la sorte de chose à laquelle le mot « expérience » s’applique plus particulièrement – est un événement [quelque chose d’indicible, d’unique, d’individuel].

Une locomotive passe à toute vitesse en sifflant près de moi. Au moment où elle passe, la note du sifflet baisse soudain. [...] Je perçois le sifflet si vous voulez. J’en ai de toute façon une sensation. Mais on ne peut pas dire que j’ai une sensation de ce changement de note. J’ai une sensation de la note plus basse. Mais la connaissance du changement est d’un genre plus intellectuel. Cela, j’en fais l’expérience plus que je ne le perçois. Il appartient à l’expérience de nous faire connaître les événements, les changements de perception. Or ce qui est proprement caractéristique des changements de perception est un choc [...]. C’est plus particulièrement aux changements et aux différences de perception que nous appliquons le mot « expérience ».

1.336

Principe d’existence. Cette unicité de l’expérience est donc la résultante d’un couple : action-réaction, effort-résistance. Principe d’individuation, l’haeccéité est principe d’existence.

L’existence est ce mode d’être qui réside dans l’opposition à un autre. Dire qu’une table existe, c’est dire qu’elle est dure, lourde, opaque, sonore, autrement dit qu’elle produit des effets immédiats sur les sens, et aussi qu’elle produit des effets purement physiques, attire la terre (autrement dit, qu’elle est lourde), réagit dynamiquement à d’autres choses (autrement dit, qu’elle a une force d’inertie), résiste à la pression (autrement dit, qu’elle est flexible), a une capacité thermique donnée, etc. Dire qu’il y a à côté d’elle une table fantôme qui ne peut affecter les sens ni produire d’effets physiques d’aucune sorte, c’est parler d’une table imaginaire. Une chose qui ne s’oppose à rien, ipso facto n’existe pas.

1.457

En bref, je peux dire « Ceci est rouge », non parce que « ceci » est mis pour une substance, car, dans ce cas, le quantificateur existentiel ne serait qu’un élément constitutif du quantificateur universel et n’aurait pas de fonction propre ; et c’est bien ce qui se passe chez Aristote. Je peux dire « Ceci est rouge », parce que le quantificateur existentiel est une fonction sui generis dont la nature est radicalement différente de celle du quantificateur universel et que, de plus, il constitue l’acte de fondation du monde des existants sans lequel le quantificateur universel ne pourrait pas exercer sa fonction d’universalisation.

Il y a donc trois univers : l’univers du possible, l’univers des existants et l’univers du discours.

De ces trois univers, les expressions logiques sont les suivantes :

  1. Univers du possible : f(x) = fonction propositionnelle = rhème = prédicat.

  2. Univers des existants : (x) ax = quantificateur existentiel : Il existe au moins un x, tel que x est a.

  3. Univers du discours ou de la pensée = médiation :

    (x) [Px → Qx] = quantificateur universel :

    Pour tout x, si x est P, alors x est Q.

Figure

Les trois univers

Les trois univers

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Quelle est la nature des réalités correspondant à ces différentes catégories ? Sont-ce des individus ou des généraux ?

Historiquement, Peirce fut d’abord de 1851 à 1867 un nominaliste inconditionnel : seuls les seconds – les existants individuels concrets – sont réels. Réalité et existence étaient alors des termes synonymes. Il insistait en 1857 sur le fait que « la réalité [renvoie] à l’objet de l’objet lui-même » (Peirce, 1984 : 18).

À partir de 1867, et plus précisément à partir de l’hiver 1867-1868, dans un inédit dans lequel il critiquait le positivisme, Peirce distinguait l’existence de la réalité. Ce qui est réel est, à partir de ce moment-là,

[...] ce qui est indépendamment de ce que nous croyons et qu’on pourrait à proprement parler inférer de la discussion la plus complète de la somme de toutes les impressions des sens que ce fût.

Peirce, 1986 : 127

Notons que cette sorte de réalité, bien que générale, n’est pas à proprement parler Troisième, puisqu’elle apparaît comme la généralisation de Seconds. Ce ne fut pas avant les années 1875, quand Peirce conçut la logique des relations et la nouvelle méthodologie, que les Troisièmes cessèrent d’être des abstractions et devinrent des règles opératoires, a priori vides, du type « si p, alors q ».

Mais ce ne fut que beaucoup plus tard, vers 1890, que Peirce concéda que les Premiers étaient également réels. Il écrivait en 1891 :

[A]u commencement [...] il y aurait eu un chaos de sentiment non personnalisé, étant sans liaison ni régularité, aurait été à proprement parler sans existence. Ce sentiment, se transformant ici et là en pure arbitrarité, aurait semé le germe d’une tendance généralisante.

6.33[3]

En résumé, à partir des années 1890, tout est réel – et il y a trois sortes de « généraux » :

Tableau 1

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Le discours ethnologique[4]

Des théoriciens du discours qui s’inspirèrent de Peirce, deux ont leur place ici : Lacan et Jakobson, Lacan pour la clinique, Jakobson pour la linguistique et l’ethnologie. Voici ce qu’écrivait ce dernier en 1963 :

[Charles S. Peirce] est l’un des plus grands précurseurs de l’analyse structurale en linguistique. Peirce n’a pas seulement établi la nécessité de la sémiotique, il en a aussi esquissé les grandes lignes. Le jour où on se décidera à étudier soigneusement les idées de Peirce sur la théorie des signes, des signes linguistiques en particulier, on se rendra compte du précieux secours qu’elles apportent aux recherches sur les relations entre le langage et les autres systèmes de signes.

Jakobson, 1963 : 27-28

Et en 1966 :

L’un des traits les plus importants de la classification sémiotique de Peirce réside dans la perspicacité avec laquelle il a reconnu que la différence entre les trois classes fondamentales de signes n’était qu’une différence de place au sein d’une hiérarchie toute relative. Ce n’est pas la présence ou l’absence absolues de similitude ou de contiguïté entre le signifiant et le signifié, ni le fait que la connexion habituelle entre ces constituants serait de l’ordre du fait pur ou de l’ordre de l’institutionnel pur, qui sont au fondement de la division de l’ensemble des signes en icônes, indices et symboles, mais seulement la prédominance de l’un de ces facteurs sur les autres. C’est ainsi que ce savant parle d’« icônes pour lesquelles la ressemblance est assistée par des règles conventionnelles » ; et l’on se souviendra des diverses techniques concernant la perspective, que doit assimiler le spectateur pour accéder à la compréhension des tableaux de telle ou telle école de peinture ; la différence de taille des silhouettes revêt des significations opposées selon les codes picturaux ; dans certaines traditions médiévales, les personnages vicieux sont expressément et uniformément représentés de profil, et seulement de face dans l’art de l’ancienne Égypte. Peirce avance qu’« il serait difficile, sinon impossible, de citer un exemple d’indice absolument pur, comme de trouver un signe qui soit absolument dépourvu de qualité indicative ». Même un indice aussi typique qu’un doigt pointé dans une direction reçoit dans différentes cultures des significations dissemblables ; par exemple, pour certaines tribus d’Afrique du Sud, indiquer un objet du doigt, c’est le maudire. Quant au symbole, « il implique nécessairement une sorte d’indice » et « sans avoir recours à des indices, il est impossible de désigner ce dont on parle ».

1966 : 26-27

Je ne pense pas qu’il y ait plus de réelles difficultés à interpréter Peirce en termes ethnologiques qu’en termes cliniques, pourvu qu’on spécifie les dates des textes et le public auquel ils s’adressent. Ainsi, Peirce utilise le concept « dégénéré » quand il veut être compris des mathématiciens ou des logiciens. Et, à ce propos, le concept mathématique de « dégénérescence » n’implique aucune idée de « détérioration ». Mais quand Peirce s’adresse aux philosophes, il utilise d’autres concepts comme les trois catégories phanéroscopiques. Dans le premier cas, il dirait qu’une « proposition » est un cas dégénéré d’« argument » (« argument », au sens de Peirce, c’est-à-dire dans n’importe quel système ordonné). Dans l’autre cas, il dirait qu’un Troisième est « vague et vide », une simple « structure » et qu’un Second est la réplique singulière et unique d’un Troisième, le meilleur exemple en étant la relation entre le « type » et le « token ». Mais ce serait un non-sens que de parler ici en termes de « dégénérescence », parce qu’en tant que Premier le « Type » n’est pas une catégorie « authentique », mais une catégorie « accrétive » (Deledalle, 1979 : 62-64).

Je pense aussi que beaucoup de malentendus concernant Peirce sont dus à la lecture jakobsonienne de Peirce, tout en reconnaissant que, sans Jakobson, la pensée de Peirce aurait été tout simplement ignorée en France. Je commenterai plus loin un passage de la citation de Jakobson qui résulte d’une mauvaise lecture.

Je terminerai par des réponses à des questions qui m’ont été posées sur des points précis relatifs à la sémiotique de Peirce :

  • Non, il n’y a pas de forme dégénérée de l’icône. La catégorie de l’icône est un cas dégénéré de l’indice, l’indice étant la catégorie authentique de la Secondéité. Dans ce contexte, étant donné qu’il y a trois catégories authentiques : la Priméité, la Secondéité et la Tiercéité qui sont respectivement constituées de un, deux et trois éléments « indécomposables », la Priméité n’a pas de cas dégénéré : la Priméité est affection pure, ce que Maine de Biran appelait affection simple, l’affection avant d’être sentie. La vie offre d’innombrables cas que chacun de nous expérimente, mais que nous ne pouvons pas exprimer ; la Secondéité avec ses deux éléments est authentique en tant qu’indice, Second de Second, mais dégénéré en tant que Premier, comme icône ; la Tiercéité avec ses trois éléments est authentique comme Troisième (Troisième d’un Troisième), par exemple les « structures » correspondant aux idées d’implication, de loi, de généralité, de continuité, etc., mais dégénérée au second degré dans le cas d’une structure en action dans un processus donné, hic et nunc, et aussi dégénérée au premier degré comme « Tertialité » ou « Mentalité », comme « la façon dont quelque chose [un processus dans le cas présent] est pensé ou représenté » (1.534).

Il me faut expliquer ici pourquoi l’on peut penser qu’il y a des cas dégénérés de l’icône, bien qu’il n’y en ait pas : parce que Peirce parle d’« hypoicônes », qui sont respectivement comme Première l’image, comme Seconde le diagramme et comme Troisième la métaphore. Mais cette division n’est pas ce que Peirce appelle une « préscission », parce qu’elle n’est pas « ordonnée ». Les hypoicônes sont divisées de la même manière que la « discrimination » et la « dissociation », bien que l’idée des catégories reste inchangée : l’idée de Premier en relation avec le « sentiment » (ici l’image), l’idée de Second avec l’« action » (ici le diagramme : le diagramme en tant que dessiné, et pas simplement pensé), l’idée de Troisième comme « métaphore », c’est-à-dire comme « médiation ». Ce qui importe chez Peirce, c’est qu’une métaphore n’est pas une idée abstraite, mais est réellement liée à son objet en tant que Premier, et seulement pensée comme Troisième comme hypoicône.

  • J’ai déjà répondu à l’idée que « le signe dégénéré est une détérioration de la relation triadique ». Ce n’est pas une détérioration. C’est une subdivision d’une relation générale telle que la définition d’un triangle comme figure à trois côtés qui est un triangle « authentique », et le triangle isocèle qui est un cas « dégénéré » du triangle tel que défini. La définition propre de la « dégénérescence » est « la condition d’un état inférieur ou type d’être, obtenu par spécification ».

  • On ne peut pas dire que « l’icône et l’indice sont des aspects dégénérés du symbole », parce que l’idée de « dégénéré » s’oppose à l’idée d’« authentique », et que les seules catégories authentiques sont le Premier, le Second et le Troisième : il n’y a rien avant le Premier, seulement un Premier avant un Second, et bien entendu un Second et un Premier avant un Troisième.

Tableau 2

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Reprenons pour terminer la citation de Jakobson qui est peut-être responsable de la difficulté rencontrée dans l’interprétation peircienne de la trichotomie icône-indice-symbole :

Ce n’est pas la présence ou l’absence absolues de similitude ou de contiguïté entre le signifiant et le signifié, ni le fait que la connexion habituelle entre ces constituants serait de l’ordre du fait pur ou de l’ordre de l’institutionnel pur, qui sont au fondement de la division de l’ensemble des signes en icônes, indices et symboles, mais seulement la prédominance de l’un de ces facteurs sur les autres.

1966 : 26
  1. Jakobson est en train d’expliquer Peirce en termes saussuriens. Il parle de « signifiant » et de « signifié », mais ne mentionne pas l’« interprétant » . C’est bien dommage, car en revanche il a bien vu que l’icône se rapproche de la similarité par l’aspect émotionnel du signe, et l’indice de la contiguïté par l’action que révèle l’aspect pragmatique du signe. Il eut suffi d’ajouter la troisième relation avec l’objet : le symbole qui entretient la même relation avec la continuité que l’aspect inférentiel du signe.

  2. La raison pour laquelle on doit parler dans un cas donné d’une icône plutôt que d’un indice ou d’un symbole, selon Jakobson, est seulement « la prédominance de l’un de ces facteurs sur les autres ». Mais il ne tient pas compte de la hiérarchie des catégories. Hiérarchiquement, une icône par elle-même ne peut pas agir et, par conséquent, être un indice ; un indice par lui-même implique une icône, mais en soi il n’a aucune signification ; il est ce qu’il est par pur hasard. C’est pourquoi un signe mental doit être triadique : un symbole, et inclure nécessairement un indice et une icône. L’homme peut penser à un indice, mais si l’indice est authentique, il ne peut en aucun cas être concevable symboliquement. La même chose peut être dite d’une icône d’un Premier authentique. C’est la pure relation possible d’une possibilité.

  3. Une troisième difficulté chez Jakobson est qu’il considère l’icône, l’indice et le symbole comme des signes. Or ils ne sont pas des signes. Ils sont différents types de relation entre un signe-representamen et un objet. Lequel objet est « proposé » par un signe-interprétant dans une sémiose.