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Reprogrammation cellulaire thérapeutique in vivo par fusion cellulaire

En 2000, E Lagasse et al. publiaient dans Nature Medicine que la transplantation de cellules médullaires ayant un phénotype identique à celui de cellules souches hématopoïétiques (CSH) corrigeait la fonction hépatique de souris tyrosinémiques Fah-/- ((→) m/s 2001, n° 4, p. 491) [1]. Les hépatocytes FAH+ de ces receveurs exprimaient des marqueurs spécifiques du donneur, ce qui avait fait émettre l’hypothèse d’une « transdifférenciation/plasticité » des CSH. Mais la preuve irréfutable de cette potentialité hépatique de CSH que constituait l’analyse clonale se faisait attendre. Elle ne viendra pas puisque cette même équipe de M. Grompe, et celle de D. Russell concluent, après une analyse rigoureuse des proportions des génomes du donneur et du receveur dans les animaux fah-/- transplantés avec des cellules de moelle de souris sauvages, qu’une fusion cellulaire est à l’origine de la restauration d’hépatocytes FAH+ [2, 3]. Si les cellules de moelle osseuse s’étaient différenciées en hépatocytes, le génotype du donneur aurait dû prédominer largement sur celui du receveur, surtout compte tenu de l’important avantage sélectif des cellules FAH+ chez le receveur fah-/- après retrait de la drogue correctrice (NTBC). Or l’analyse par Southern Blot était incompatible avec cette hypothèse, puisque l’ADN du donneur était toujours très inférieur à ce qui était théoriquement escompté. La stratégie est particulièrement rigoureuse: utilisation de donneurs et de receveurs identifiables par des marqueurs génétiques facilement quantifiables en Southern blot, analyse des génotypes du foie de receveurs secondaires et tertiaires (après transplantation d’hépatocytes des receveurs fah-/- corrigés par le greffon médullaire initial). La fusion est directement visualisée par l’analyse du caryotype des hépatocytes individuels qui confirme la présence de cellules ayant 80 ou 120 chromosomes, résultant de la fusion entre une cellule du donneur et un hépatocyte fah-/- diploïde ou tétraploïde (les hépatocytes peuvent être tétraploïdes). Une aneuploïdie est présente, et souvent le caryotype des cellules originales du donneur est très modifié. Ce dernier point est important dans une perspective thérapeutique: en effet, la vertu thérapeutique de ces hétérocaryons est fascinante car non seulement le noyau de la cellule hématopoïétique mature du donneur est « reprogrammé » et transcrit le gène fah, aboutissant à la production d’une protéine FAH fonctionnelle par l’hybride, mais ces hétérocaryons prolifèrent et peuvent restaurer la fonction hépatique de receveurs fah-/- secondaires, voire tertiaires. Futés, ils peuvent aussi faire une mitose réductionnelle et devenir diploïdes, alléchant ainsi les pauvres chercheurs en leur faisant miroiter une transdifférenciation insoupçonnée. Ce n’est pourtant pas le moment de les décourager!

De l’ordre dans le noyau

Dans les noyaux cellulaires des mammifères, chaque chromosome occupe un volume distinct appelé territoire chromosomique [4]. Ces territoires rendent compte d’une architecture du noyau potentiellement liée à l’activité transcriptionnelle. En conséquence, il est important de comprendre comment s’établissent et se maintiennent les territoires chromosomiques les uns par rapport aux autres si l’on veut élucider les liens entre l’organisation spatiale du noyau et l’expression génique. Deux équipes, dont la nôtre, ont récemment caractérisé la dynamique de cet arrangement au cours du cycle cellulaire en créant des motifs fluorescents stables sur la chromatine, motifs qui peuvent être suivis au cours du temps dans les cellules vivantes [5, 6]. Ces études ont, d’une part, confirmé que l’arrangement des territoires chromosomiques est maintenu en interphase [7] et, d’autre part, montré que cet arrangement est globalement transmis lors de la mitose, même si les conclusions des deux articles divergent sur ce point. J. Walter et al. ont observé que dans les cellules Hela, des domaines de chromatine proches dans la cellule-mère se retrouvent proches dans les cellules-filles dans la majorité des cas, mais que cette règle n’est pas absolue [5]. D. Gerlich et al. ont montré que l’organisation des territoires chromosomiques les uns par rapport aux autres est globalement transmise au cours de la mitose et qu’elle peut être observée dès la transition métaphase-anaphase. Alors que l’organisation en trois dimensions des chromosomes est perdue lors de la formation de la plaque métaphasique bidimensionnelle, elle est restaurée lors de l’anaphase par une séparation asynchrone des chromatides-soeurs. Le minutage du départ de la plaque métaphasique étant défini pour chaque chromosome, la position des chromosomes les uns par rapport aux autres est ainsi rétablie de la même façon à la fin de chaque mitose. Ce mécanisme reste cependant mystérieux: a-t-il pour unique fonction de maintenir l’organisation des chromosomes ou a-t-il un rôle spécifique au cours de la mitose? La question reste ouverte.

Le concept de cellules souches tumorales

Le concept de « cellules initiatrices de tumeurs » ou « cellules souches cancéreuses » repose notamment sur les travaux de J. Dick et al. [8], montrant que dans les leucémies aiguës myéloïdes (LAM), une sous-population de cellules qui exprimait des marqueurs similaires à ceux des cellules souches hématopoïétiques normales était douée d’une activité clonogénique in vivo. L’étude de M. Al-Hajj et al. suggère que ce concept pourrait s’appliquer aux tumeurs solides [9]. Le modèle est celui de carcinomes mammaires humains: les tumeurs primaires (neuf échantillons) ou leurs métastases ont été dissociées, puis débarrassées des cellules contaminantes. Les cellules épithéliales ainsi purifiées ont été triées par cytométrie de flux sur le critère de l’expression ou non de trois molécules impliquées dans l’adhérence cellulaire [CD44, CD24 et ESA, ou Ep-CAM epithelial cell-adhesion molecule)]. Dans le tissu mammaire normal, ESA est exprimé par les cellules luminales et présent à la surface des progéniteurs. Le potentiel tumorigène des populations cellulaires non fractionnées et des différentes sous-populations triées a été évalué in vivo, après greffe des cellules humaines dans le coussin adipeux mammaire de souris immunodéficientes NOD/SCID (non-obese diabetic/severe immunodeficient). Dans ces essais, des tumeurs palpables sont détectées douze semaines après la transplantation de 5x104 cellules non triées; en revanche, il suffit de greffer seulement 1000 cellules CD44+ CD24-/faible, ou 200 cellules CD44+ CD24-/faible ESA+, pour obtenir un résultat identique. L’analyse des tumeurs issues in vivo de ces deux sous-populations montre la reconstitution d’une hétérogénéité d’expression de ces marqueurs, semblable à la complexité de la tumeur initiale dont les cellules greffées étaient issues. Quatre passages successifs dans l’animal ont conduit à des résultats similaires sans signe de décroissance de tumorigénicité. Quant aux cellules CD44+ CD24+, elles n’induisent aucune tumeur, même six mois après la greffe. Les cellules CD44+ CD24-/faible et CD44+ CD24-/faible ESA+ constituent respectivement 11 % à 35 % et 2 % à 4 % des cellules tumorales épithéliales analysées. Aucun autre critère, caractéristiques morphologiques ou distribution dans les différentes phases du cycle cellulaire, ne permet de les individualiser dans la population non fractionnée. Cette petite population de cellules épithéliales initiatrices de tumeurs, identifiables par leur phénotype, possède des propriétés caractéristiques de cellules souches: une très forte capacité de prolifération, une aptitude à s’autorenouveler et à donner naissance à une descendance diversifiée. L’identification de telles cellules constitue une étape importante pour le développement de nouvelles méthodes diagnostiques et stratégies thérapeutiques des carcinomes mammaires.

La mystérieuse disparition du nucléole

Le nucléole est un domaine nucléaire de grande taille qui fabrique les ribosomes de la cellule. Le nucléole est présent dans tous les noyaux des cellules actives et quand l’activité de fabrication des ribosomes s’arrête, le nucléole est démantelé. On sait qu’au cours de la reprogrammation des noyaux somatiques après transfert nucléaire, l’événement le plus spectaculaire est la disparition du nucléole. On ne connaissait pas jusqu’à présent les causes moléculaires de cet événement. Les auteurs de ce travail ont montré pour la première fois que deux protéines présentes dans le cytoplasme des oeufs de xénope sont responsables de la disparition du nucléole des noyaux somatiques. En effet l’incubation de noyaux ayant un nucléole dans un tampon contenant ces protéines, provoque la disparition du nucléole en deux heures. En fait il s’agit de la disparition du nucléole visible en contraste de phase et de la délocalisation d’une protéine, B23, impliquée dans la maturation des ARN ribosomiques, tandis que la transcription est maintenue. Les deux protéines (FRGY2a et FRGY2b) ont 4 domaines de liaison à l’ARN qui fonctionnent indépendamment de la séquence de l’ARN. Par mutation de ces quatre domaines, les auteurs montrent le rôle de ces séquences dans le désassemblage du nucléole. Les auteurs proposent que l’interaction de ces protéines avec les ARN ribosomiques est responsable du désassemblage du nucléole mais ceci n’est pour le moment qu’une hypothèse de travail. La portée générale de ces observations est aussi qu’il faut prendre en compte le rôle des ARN dans la structuration de domaines nucléaires et cela ouvre un champ d’investigation très large.

Au palmarès de la transdifférenciation de la cellule médullaire: la cellule pancréatique endocrine!

L’identification de la cellule souche pancréatique est un peu comme la quête du Graal: on croit souvent l’atteindre mais son existence finit toujours par être remise en question (voir l’Encadré de R.Scharfmann, p. 695 de ce numéro). Certes, une différenciation pancréatique de cellules multipotentes a déjà été obtenue in vitro à partir de cellules d’ilôts pancréatiques, de cellules ovales hépatiques ou de cellules souches embryonnaires. Rarement cependant celles-ci ont-elles permis la correction d’un diabète induit chez le rongeur. Une nouvelle source extra-pancréatique manquait encore: la moelle osseuse! Une équipe new-yorkaise vient d’utiliser le système conditionnel de la recombinase cre pour suivre la différenciation de cellules médullaires en cellules sécrétrices d’insuline [11]. Dans cette étude, des cellules médullaires mâles, n’exprimant le marqueur GFP (green fluorescent protein) que si le promoteur de l’insuline II de rat est actif (animaux double-transgéniques pour la recombinase Cre sous la dépendance du promoteur de l’insuline II -ins2Cre- et pour la GFP floxée sous la dépendance du promoteur ubiquiste ROSA -Rosa/stoplox/GFP-), ont été transplantées chez des souris femelles irradiées létalement. Des cellules exprimant la GFP ont été identifiées 4 à 6 semaines après la transplantation dans les ilôts pancréatiques des souris transplantées. Ces cellules fluorescentes, sur coupe comme après culture ex vivo, expriment l’insuline et portent le chromosome Y. La fréquence de l’événement est estimée par tri cellulaire à 2 ou 3 %, ce que n’illustrent pas les images in situ présentées. Les cellules positives ainsi triées répondent au glucose et au glucagon et expriment les transcrits d’autres marqueurs comme HNF1α et β ou PAX6 après RT-PCR. Elles n’expriment pas en revanche le marqueur hématopoïétique CD45. Enfin, la transplantation de cellules médullaires de souris Ins2-Cre à des souris transgéniques Rosa/stoplox/GFP ne permet pas de révéler la présence de cellules fluorescentes, suggérant que cet événement n’a pas eu lieu par fusion d’une cellule médullaire avec une cellule pancréatique. Devant la prévalence des diabètes de types 1 et 2 et la difficulté d’établir une thérapie cellulaire efficace à grande échelle [12], on peut naturellement concevoir que les enjeux d’une telle observation sont considérables. Pourtant, pour élégante qu’elle soit et comme beaucoup des articles relatant la plasticité des cellules médullaires, cette observation repose exclusivement sur des co-marquages, sur l’expression par RT-PCR de marqueurs pancréatiques par des cellules triées par FACS et enfin sur des résultats négatifs pour démontrer l’absence de fusion. La nature de ces cellules, les mécanismes impliqués et la relevance biologique de ces événements restent toujours les inconnues principales et pourtant incontournables à résoudre avant d’espérer faire de ces cellules un outil thérapeutique.

Le destin musculaire des cellules mésenchymateuses de la membrane synoviale humaine

On connaît les cellules souches mésenchymateuses (CSM) qui coexistent dans la moelle osseuse avec les cellules souches hématopoïétiques.Or des CSM aux propriétés comparables à celles de la moelle peuvent être isolées d’autres tissus, par exemple les membranes synoviales humaines (hMS). Une équipe belge montre désormais que ces cellules sont capables de participer à la régénération du muscle squelettique lésé [13]. En effet, trois semaines après l’injection de hMS-CSM portant le marqueur β-galactosidase dans un muscle de souris nude lésé par la cardiotoxine, les auteurs ont détecté des fibres musculaires marquées. Certaines fibres murines expriment au niveau de leur sarcolemme des protéines spécifiquement humaines. En établissant une cinétique d’expression de gènes musculaires humains, les auteurs retrouvent un profil d’expression récapitulant le programme ontogénique de différenciation musculaire (expression précoce de Myf5 qui diminue au cours du temps alors que celle des protéines myogénine, dystrophine, desmine ou créatine kinase musculaire augmente entre 4 et 30 jours). Ainsi, les cellules mésenchymateuses acquièrent d’abord un phénotype de détermination myogénique avant leur différenciation terminale. Six mois après l’injection, l’analyse ultra-structurale de cellules mononucléées retrouvées en périphérie des fibres du muscle injecté et exprimant la β2 microglobuline humaine confirme qu’il s’agit de cellules satellites. Alors que les hMS-CSM initiales ne présentent aucun critère de différenciation musculaire, les cellules musculaires isolées d’un premier receveur ayant reçu des hMS-CSM expriment après leur culture in vitro l’isoforme MyHC-II humaine. Implantées chez un second receveur, ces cellules peuvent également se différencier in vivo. Enfin, les hMS-CSM ont été implantées dans le muscle de souris mdx, modèle murin de la dystrophie musculaire de Duchenne, sous traitement immunosuppresseur. Des groupes de myofibres exprimant la dystrophine humaine sont observés dans le muscle ayant reçu des cellules hMS-CSM, et la proportion de fibres dont les noyaux sont au centre (stigmate des fibres en régénération, donc non corrigées) est significativement diminuée. L’efficacité de cette approche est très modérée, comparable à celle qui est obtenue après injection in situ d’un vecteur plasmidique codant pour la dystrophine. Néanmoins, la population cellulaire étudiée ici est moins hétérogène et donc mieux caractérisée que la plupart des cellules dont on a tenté de démontrer le destin musculaire [14]. De plus, contrairement aux cellules satellites, les MS-CSM peuvent être facilement amplifiées in vitro. L’avenir serait-il dans la cellule mésenchymateuse?

Les prions nous montent au nez

Les maladies à prions sont des maladies relativement rares et touchent 1,5 personnes par million d’habitants et par an environ. Ces cas sont représentés principalement par des maladies de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) et sont d’origine sporadique (85 % des cas), héréditaire ou acquise. En 1995, une nouvelle forme phénotypique de MCJ, appelée nouveau variant ou vMCJ, est apparue au Royaume-Uni et a touché 144 personnes dans le monde. Le diagnostic de certitude de ces maladies n’est fait que post-mortem, sur la mise en évidence de lésions histologiques caractéristiques et sur la détection de la PrPSc par immuno-histochimie au niveau cérébral. Ainsi, sauf dans le cas des formes familiales, on ne dispose pas de diagnostic de certitude du vivant du patient. Néanmoins, dans le cas des vMCJ, la détection de la PrPSc dans les amygdales représente une aide diagnostique très importante [15]. La recherche de marqueurs périphériques de la maladie est primordiale pour l’établissement d’un diagnostic précoce de ces maladies. C’est pour cette raison que les résultats de l’équipe du Dr Monaco apparaissent importants [16]. Ces auteurs ont analysé le cerveau et les régions périphériques du système olfactif de 9 patients atteints de MCJ sporadique par des techniques d’immuno-histochimies et de Western blot. La présence de PrPSc a été mise en évidence dans le cerveau des 9 patients atteints de MCJ ainsi qu’au niveau du neuro-épithélium et du bulbe olfactif. Aucune PrPSc n’a pu être détectée dans la muqueuse respiratoire. L’analyse des mêmes tissus prélevés sur des patients témoins atteints d’autres maladies neurodégénératives ne montre aucune accumulation de PrPSc. Cette découverte doit être validée sur un plus grand nombre de patients, mais elle ouvre la voie au développement de nouveaux outils diagnostiques des MCJ du vivant du patient par simple biopsie de la muqueuse olfactive. Par ailleurs, ces résultats posent le problème d’une part, d’un éventuel risque de transmission chirurgicale par voie nasale et d’autre part, d’un éventuel risque de dissémination de l’agent infectieux par les sécrétions nasales, hypothèses qui demandent à être vérifiées expérimentalement.

Polarité ligand-récepteur: un mécanisme pour réparer

Les cellules épithéliales sont la barrière entre le monde extérieur et le monde intérieur des organismes pluricellulaires depuis les diblastiques comme l’hydre et les méduses jusqu’à l’homme. Un épithélium fermé empêche l’entrée des pathogènes et contrôle les échanges. Le domaine apical des cellules épithéliales fait face au milieu externe alors que le domaine basolatéral est au contact du milieu interne. Entre les deux domaines se trouvent des jonctions intercellulaires, notamment les « jonctions serrées » qui contrôlent le passage des ions et des petites molécules entre les cellules et qui maintiennent la structure de l’épithélium. À l’intérieur des cellules épithéliales, le trafic de membranes est contrôlé de manière polarisée, certaines voies acheminant les composants apicaux, d’autres les basolatéraux. Le groupe de M.J. Welsh (LKSD, Cleveland, Ohio, USA) montre que l’héréguline, un facteur de croissance apparenté à l’epidermal growth factor, est ségrégée vers le domaine apical de l’épithélium pulmonaire alors que ses récepteurs erB2, erB3, et erB4 sont ciblés vers la face basolatérale des cellules [17]. Ainsi, dans une situation normale, le ligand n’active pas son récepteur et la mitose n’est pas stimulée. En revanche, à la suite d’une blessure entraînant la rupture de la barrière épithéliale, l’héréguline peut rencontrer son récepteur et activer la division cellulaire. La fermeture d’une blessure épithéliale dépend de cette activation. Le mécanisme ainsi révélé montre l’importance de la polarité cellulaire et a des implications dans la compréhension des maladies des épithélium. En effet, des blessures répétées des épithéliums pourraient entraîner une stimulation répétitive de la division cellulaire, elle-même à l’origine des cancers épithéliaux. Une hypothèse passionnante…

Les jeunes d’abord

Les cellules sécrétrices mettent en application ce principe qui serait tellement incorrect s’il s’appliquait systématiquement dans la vie en société: « les jeunes d’abord ». Ainsi les grains de sécrétion qui fusionnent les premiers après une stimulation sont les derniers produits alors que les plus anciens restent en réserve. La fusion des vésicules de sécrétion avec la membrane plasmique au cours de l’exocytose suit un ordonnancement précis. Les vésicules de sécrétion sont réparties dans différents compartiments: compartiment de réserve, compartiment lentement libérable et compartiment prêt à être libéré. Le groupe de R. Chow (Keck USC School of Medicine, Los Angeles, CA, USA) utilise une protéine fluorescente dont la couleur change au cours du temps [18]. D’abord verte cette protéine fluorescente devient rouge au bout de 16 heures. Fusionnée au facteur natriurétique auriculaire, cette sonde permet d’obtenir dans les cellules des grains de sécrétion dont la couleur change avec l’âge du granule. En utilisant cet outil, les auteurs montrent qu’une stimulation par la nicotine entraîne l’exocytose des grains de sécrétion verts, les plus jeunes, localisés en périphérie, alors que ceux qui sont jaunes et rouges, plus anciens, restent immobiles plus au centre de la cellule. Par contre le Ba2+ entraîne la libération des grains plus anciens et qui ne sont pas arrimés à la membrane plasmique. Cette observation reprend en fait des données anciennes qui montraient l’exocytose préférentielle de la dopamine nouvellement synthétisée par l’équipe du prix Nobel 1970 Julius Axelrod. Ces travaux maintenant classiques ne sont pas cités dans l’article du groupe de Chow. C’est l’application du principe…

Les jeunes d’abord!!!

Cibles de FMRP, responsable du syndrome de l’X fragile

Le syndrome de l’X fragile, forme la plus répandue de retard mental héréditaire, est dû à des mutations, en particulier une expansion de triplets CGG, dans le gène fmr1 conduisant à l’absence de protéine fonctionnelle FMRP [19]. La protéine FMRP est une protéine majoritairement cytoplasmique qui se lie à l’ARN et participe à la formation d’un complexe ribonucléoprotéique mRNP associé aux ribosomes activement engagés dans le processus de la traduction. Compte tenu de la présence de signaux de localisation et d’exportation nucléaire, FMRP est vraisemblablement une protéine navette impliquée dans le transfert de l’information génétique du noyau vers le cytoplasme. L’identification des ARN cibles de la protéine FMRP permettra sans doute de mieux appréhender les fonctions de cette protéine et la physiopathologie du syndrome de l’X fragile.

Très récemment, deux études ont permis de caractériser certains de ces ARN. K.Y. Miyashiro et al. [20] ont utilisé la technique d’APRA (antibody-positionned RNA amplification) associée à des hybridations sur puces à ARN. La majorité des ARN ainsi identifiés codent pour des protéines ayant un rôle dans la plasticité synaptique et la maturation neuronale. L’étude de la souris invalidée pour fmr1 a également montré des différences dans la distribution cellulaire et/ou la quantité de certains ARN identifiés, confirmant l’hypothèse selon laquelle FMRP contrôle l’expression et la localisation de ces transcrits. Parallèlement, F. Zalfa et al. [21] ont étudié l’interaction de la protéine FMRP avec l’ARN BC1. Leurs résultats montrent que ce petit ARN, non traduit, interagit directement avec FMRP. Cette interaction conduit alors au recrutement de certains ARNm tels Arc, α-CAMKII ou MAP1B grâce à l’existence de courtes séquences complémentaires entre BC1 et ces ARN. La spécificité d’action de FMRP serait donc relayée par son interaction avec BC1. L’absence de FMRP conduirait donc à une dérégulation de la traduction des ARN cibles, expliquant ainsi le délai de maturation synaptique observée chez les patients et les souris invalidées pour fmr1.

Comment aller dans les dendrites?

Les neurones sont subdivisés en deux domaines: somato-dendritique et axonal. La polarité cellulaire des neurones joue un rôle crucial dans la physiologie neuronale: les neurotransmetteurs sont libérés dans les synapses par les terminaisons axonales; ils activent des récepteurs post-synaptiques dendritiques, transmettant ainsi l’information d’un neurone à l’autre. La polarité neuronale se traduit par un ciblage spécifique des récepteurs et des canaux soit vers l’axone soit vers les dendrites mais les mécanismes moléculaires d’adressage restent obscurs. Deux équipes nous en apprennent un peu plus. D’une part, l’équipe de D.B. Arnold (University of South California, Los Angeles, CA, USA) met en évidence un signal de type di-leucine, présent dans les canaux potassium dendritiques qui cible spécifiquement vers les dendrites [22]. D’autre part, le groupe de G. Banker montre que le ciblage axonal de la synaptobrévine, une protéine des vésicules synaptiques, met en jeu un mécanisme de rétention axonale, la synaptobrévine allant initialement dans les deux compartiments alors que la protéine d’adhérence cellulaire NgCAM est envoyée spécifiquement dans l’axone. L’ensemble de ces données montre la diversité des mécanismes de ciblage et des routes vers les domaines spécifiques des cellules polarisées.

Des classes I pour sentir les phéromones

L’organe voméronasal est une petite poche reliée à l’hypothalamus, qui est le siège des régulations du comportement sexuel dans le cerveau et présent chez les animaux comme chez l’homme. L’organe voméronasal des mammifères joue un rôle important dans la détection des phéromones. Les récepteurs des phéromones sont de deux types: V1R et V2R. Le groupe de C. Dulac (Harvard University, Boston, MA, USA) montre que M10, une famille de molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I, a une expression restreinte aux neurones exprimant V2R. Les molécules M10 sont impliquées dans le transport des V2R vers la surface cellulaire. Les protéines M10 font partie d’un complexe multi-moléculaire qui inclue la β2-microglobuline. Dans les souris dépourvues de β2-microglobuline, les V2R ne sont pas correctement localisés. Un défaut d’agressivité des mâles est observé chez ces souris, conséquence probable du défaut de détection des phéromones [24]. Ce rôle d’escorte des récepteurs des phéromones par les molécules de classe I ouvre de nouvelles perspectives dans l’étude de cette famille de molécules dont la fonction n’est pas restreinte à la réponse immunologique.

Vaccination par le peptide amyloïde dans l’Alzheimer: les patients sont-ils morts guéris?

En 1999, une étude montrant une diminution notable du fardeau amyloïde dans le cerveau de souris transgéniques surexprimant le peptide Aβ avait suscité d’immenses espérances (et engagé des sommes non négligeables) [25]. À la suite de ces résultats, à partir de l’été 2000, environ 360 patients avaient participé à un essai multicentrique de vaccination par le AN-1792, dont le promoteur était la société Elan. Cet essai fut cependant interrompu en phase IIa, en janvier 2002, après qu’environ 5 % des patients aient développé une encéphalite méningitique dont les symptômes suggéraient une cause inflammatoire. L’autopsie d’une patiente ayant présenté ces symptômes vient d’être publiée [25] et confirme que susciter une réaction inflammatoire contre l’Aβ présente à la fois des effets positifs et négatifs. Après 42 semaines sans modifications notables, l’état de la patiente se détériora rapidement et elle perdit toute autonomie en moins de deux semaines. L’imagerie cérébrale révéla des altérations massives de la substance blanche et la patiente décéda au bout d’un an sans qu’aucune amélioration de sa condition n’ait été constatée. À l’examen, le cerveau de la patiente présentait beaucoup moins de plaques dans l’ensemble du néocortex (à l’exception du gyrus frontal médian) que les cerveaux de sept patients atteints d’Alzheimer mais n’ayant pas été immunisés. L’infiltrat lymphocytaire des leptoméninges fut confirmé en relation avec l’amyloïde vasculaire, celle-ci apparaissant même augmentée par l’immunisation. L’infiltration de la substance blanche par des macrophages confirma les données de l’imagerie. Enfin, la présence d’Aβ dans la microglie suggère que sa clairance est augmentée. Cette étude confirme que l’approche immunologique n’est pas sans effet dans la maladie d’Alzheimer. En revanche, il paraît un peu curieux qu’aucune donnée sur les effets du AN-1792 sur les capacités cognitives ne soit disponible plus d’un an après l’arrêt de l’essai. Mais peut-être ceci est-il en rapport avec le fait que les dégénérescences neurofibrillaires, second stigmate majeur de la maladie, et dont les quantités apparaissent plus directement corrélées à l’étendue de la démence que celles des plaques, ne sont pas affectées par la vaccination par le peptide amyloïde…

Des causes épigénétiques pour les différences comportementales chez la souris, ou telle mère, tel fils

Depuis les origines de la génétique et des neurosciences, le problème des parts respectives de l’inné et de l’acquis dans les comportements a été posé. Une communication récente discute à nouveau cette question [27]. Les auteurs ont utilisé une implantation in utero d’embryons de souris C57BL/6J (B6) de 12-16 heures dans des mères porteuses de la même souche ou de souche BALB/cJ (BALB). Ces deux souches consanguines avaient été choisies car leurs performances comportementales diffèrent considérablement dans des tests faisant intervenir l’émotion, comme le champ ouvert et le labyrinthe en croix surélevée, l’apprentissage (labyrinthe aquatique de Morris) ou les performances sensori-motrices (PPI, pair pulse inhibition). Les performances comportementales des souris mâles adultes issues de ces mères porteuses ont ensuite été comparées avec celles de souris issues des mêmes portées mais ayant été adoptées 12 heures après leur naissance par des nourrices B6 ou BALB. Quatre conditions développementales différentes ont donc été établies pour des souris B6, génétiquement identiques: prénatal BALB/postnatal BALB, prénatal BALB/postnatal B6, prénatal B6/postnatal BALB et prénatal B6/postnatal B6. L’« adoption » pré-ou post-natale par des mères B6 ne modifie aucunement les performances des souris. En revanche, à part dans le PPI, les performances des souris B6 se développant dans un utérus BALB et « élevées » par une mère BALB correspondent à celles de souris BALB et sont très nettement différentes des souris B6. Ces différences ne peuvent être attribuées qu’à des facteurs épigénétiques. Mais ceux-ci ne sont pas seulement prénataux car les souris se développant dans les utérus BALB puis élevées par des mères B6 présentent un phénotype B6. Cette étude confirme l’importance de l’environnement périnatal sur l’acquisition de comportements complexes. Les auteurs font le rapprochement entre les différences de comportement maternel exprimées par les mères B6 et BALB, les premières léchant beaucoup plus les souriceaux dans les cinq jours après la naissance. Ces résultats ne sont pas sans implications sur les conclusions souvent hâtives des études comportementales réalisées sur des souris dont un gène a été invalidé. Même en ayant tenu compte du fond génétique des souris étudiées, faudra-t-il reprendre toutes les études comportementales des souris knock-out sur des souris conditionnelles avec des protocoles d’élevage du type de ceux développés dans l’étude de D.D. Francis et al.? Du travail en perpective pour les animaleries… Surtout en période de congé parental!

Sur les traces des premiers européens

Au sud de l’Italie, dans une région fertile du Nord-Ouest de la Campanie, les paysans racontent que le diable a laissé ses traces sur les pentes du vieux volcan Roccamonfina. En y allant voir de plus près, deux archéologues du pays ont effectivement retrouvé plusieurs séries d’empreintes de pas et ont alerté une équipe de paléontologie. Celle-ci a effectué des relevés et des analyses de ces marques qui ont hanté l’imagination populaire depuis des temps immémoriaux. L’étude vient d’être publiée [28]. Les « marques du diable » sont en fait des pas d’êtres humains, probablement les plus anciens que l’on connaisse, du moins en Europe. Certes, chacun se souvient de la retentissante découverte faite en 1979, de traces de pas (deux adultes et un enfant) laissées par des hominidés il y a 3,5 millions d’années [29]. Mais il s’agissait d’êtres beaucoup plus primitifs qui, comme Lucy, venaient tout juste d’accéder à la bipédie. À Roccamonfina, les trois séries d’empreintes laissées dans la lave volcanique (pléistocène moyen) et datant de 385000 à 325000 ans environ, proviennent de sujets parfaitement bipèdes. Deux sont linéaires, mais la troisième va en zigzag, probablement pour négocier plus facilement la descente. Elles se situent en effet sur des pentes abruptes. À certains endroits où l’inclinaison est de 80°, les pieds ont glissé et, de part et d’autre, on observe des traces de mains, paumes ouvertes, sans doute pour prévenir la chute. Ces hommes ne devaient pas mesurer plus d’un mètre cinquante, d’après la taille de leurs pieds (20 cm de long/10 cm de large) dont la cambrure est perceptible dans certaines empreintes. Les traces furent laissées dans les cendres de la seconde phase éruptive du volcan Roccamonfina qui, d’après les études stratigraphiques en a connu trois [30]. Le vieux volcan est à présent éteint depuis longtemps et, si le diable y revient danser la sarabande, il y a peu de chances qu’il puisse encore y laisser sa trace.

Une nouvelle fonction des anticorps dans la production d’ozone

Les polynucléaires neutrophiles (PN) détruisent les bactéries en produisant des formes actives de l’oxygène grâce à la NADPH (nicotinamide-adénine dinucléotide phosphate) oxydase. Cette enzyme est activée en présence de bactéries porteuses d’anticorps. Elle facilite la réduction de l’oxygène moléculaire en anion superoxyde (O.2) qui va donner naissance par diverses réactions à plusieurs métabolites extrêmement réactifs comme le peroxyde d’hydrogène (H2O2), l’hypochlorite (OCl-), le radical hydroxyle (OH.) et le singulet d’oxygène (1O.2). Une nouvelle réaction vient d’être décrite par B.M. Babior et al. [31]. En présence d’anticorps, le singulet d’oxygène, de durée de vie très courte (1 µs), est stabilisé. Il réagit avec l’eau pour donner un composé intermédiaire, le trioxyde d’hydrogène (H2O3) et l’ozone (O3). La démonstration de la production d’ozone est apportée par le clivage de la double liaison du carmin d’indigo ou, mieux, par l’oxydation de l’acide vinylbenzoïque en 4-carboxybenzaldéhyde qui se fait de manière identique en présence de PN recouverts d’IgG et dans un milieu artificiel contenant de l’ozone alors que les autres métabolites de l’oxygène sont inactifs. L’effet des PN est toujours observé si l’on diminue la concentration des anticorps de surface jusqu’à 50 % de leur valeur basale, ce qui suggère la grande efficacité des IgG pour intercepter et stabiliser le singulet d’oxygène dès sa production par les PN. L’ozone formée a une durée de vie relativement longue. Elle réagit avec le peroxyde d’hydrogène pour donner naissance à des composés encore plus toxiques. Aucune enzyme inactivante analogue à ce qu’est la catalase pour le peroxyde d’hydrogène n’a été décrite pour l’ozone. La génération in vivo d’un oxydant aussi puissant que l’ozone offre de nombreuses perspectives en suggérant un nouveau mécanisme de destruction des bactéries, une nouvelle voie d’amplification de la réaction inflammatoire, un processus d’oxydation des atomes d’azote et de soufre des protéines conduisant à la formation de produits toxiques ou d’autoanticorps réactionnels. Il est aussi intéressant de noter qu’on a là un nouvel exemple de l’intervention des anticorps dans une réaction enzymatique que nous décrivait S. Lacroix-Desmazes récemment ((→) m/s 2003, n° 5, p. 519).

Restez mince, ne fumez pas, faites de l’exercice… vous ne mourrez pas de cancer

On sait depuis longtemps que le surpoids caractérisé par un indice de masse corporelle (poids en kg/taille en m2, IMC) entre 25 et 30 et l’obésité (IMC > 30) sont d’importants facteurs de mortalité, spécialement dans les domaines des maladies cardiovasculaires et du cancer. Cependant, on manquait d’études portant sur de larges populations et tenant compte des autres facteurs comme la consommation de tabac. E.E. Calle et al. [32] viennent de combler cette lacune et d’apporter une démonstration indiscutable de l’effet nocif du surpoids et de l’obésité. Ils ont suivi pendant 16 ans 404576 hommes et 495477 femmes adultes (au-dessus de 30 ans), parmi lesquels 107030 hommes et 276564 femmes n’avaient jamais fumé. Tous étaient indemnes de cancer au début de l’étude. À la fin de l’étude, 32303 hommes et 24842 femmes étaient décédées de cancer. Les sujets furent séparés en 5 catégories selon des valeurs croissantes de l’IMC. Comme le poids est un facteur de risque traitable, on calcula aussi le nombre de décès évitables aux Etats-Unis si l’ensemble de la population adulte de ce pays conservait un poids normal. Les résultats sont impressionnants: les sujets les plus gros (IMC > 40) ont une mortalité par cancer de 52 % (13 à 105 %) plus élevée pour les hommes et 62 % (40 à 87 %) plus élevée pour les femmes que les sujets de poids normal. Dans les deux sexes, un IMC élevé est associé avec des taux élevés de mortalité par cancers de l’oesophage, du colon et du rectum, du foie, de la vésicule biliaire, du pancréas et des reins. Il en est de même pour le myélome multiple et les lymphomes non hodgkiniens. Chez l’homme, l’association obésité-mortalité par cancer est retrouvée pour les cancers de l’estomac et de la prostate et chez la femme, pour les cancers du sein, de l’utérus et de l’ovaire. Le rôle de l’obésité est encore plus marqué si on restreint l’étude aux sujets n’ayant jamais fumé, en particulier les femmes. Le risque relatif passe dans cette catégorie (IMC > 40) de 1,62 à 1,88 (1,56-2,27). En tenant compte de l’ensemble des facteurs de risque, on peut estimer que surpoids et obésité sont responsables de 14 % de toutes les morts par cancer chez l’homme et de 20 % chez la femme. Rapportée à la population du pays, on peut conclure que si tous les adultes vivant aux états-Unis gardaient un poids normal, on éviterait ainsi 90000 décès par an. Un tel enjeu ne peut être obtenu que par un changement draconien des habitudes diététiques et la promotion de l’activité physique.

Une toxine bactérienne protectrice contre le cancer du côlon?

On sait depuis longtemps que le cancer du côlon atteint les populations des pays riches: les deux-tiers des nouveaux cas annuels de cancers du côlon apparaissent dans les pays industrialisés dont les populations ne représentent pourtant que le quart de la population mondiale. Les différences d’espérance de vie et d’alimentation expliquent une partie de cette observation, mais d’autres facteurs environnementaux doivent intervenir. Il existe par exemple une relation inverse entre l’incidence de cancers du côlon et l’infection par les bactéries Escherichia coli à tropisme entérique (ETEC) [33], et c’est dans les pays en voie de développement que l’infection par ETEC a l’incidence la plus élevée. Ce qui n’était qu’une constatation devient une relation de cause à effet possible grâce au travail de G.M. Pisari et al. [33]. Les ETEC produisent des entérotoxines, cause fréquente de diarrhées chez les populations endémiques et les voyageurs. Ces entérotoxines (ST) induisent une sécrétion intestinale en se fixant à la guanylyl cyclase-C (GC-C) qui participe à une voie importante de la physiologie intestinale [34]. Lorsque le domaine catalytique intracytoplasmique de GC-C est activé, il induit l’accumulation de GMP cyclique intracellulaire, qui stimule la sécrétion d’eau et d’électrolytes dans l’intestin. Les bactéries auraient ainsi développé une stratégie pour se développer en exploitant la physiologie de l’épithélium intestinal normal. Les peptides ST sont structurellement et fonctionnellement homologues à la guanyline et l’uroguanyline, peptides endogènes des cellules intestinales et ligands naturels de la guanylyl cyclase-C. La GC-C et ses ligands sont également impliqués dans la régulation de la transition des entérocytes d’un état prolifératif à un état de différenciation lors de leur progression le long de l’axe crypte/villosité de l’intestin [35]. L’expression de la guanyline et de l’uroguanyline est perdue au cours de la tumorigenèse colorectale, mais la GC-C intestinale et les effecteurs intracellulaires en aval continuent à être exprimés. Les auteurs ont montré dans cette étude que les ST produits par les ETEC pouvaient inhiber la prolifération des cellules intestinales en interagissant avec GC-C et en activant une voie dépendante du calcium. L’administration orale de ligands de GC-C ou d’effecteurs en aval de cette voie métabolique comme le calcium pourrait offrir une nouvelle voie de prévention ou de traitement des cancers intestinaux.

Fibrillation auriculaire: un canal en vue

Les recherches concernant les causes moléculaires de certains troubles du rythme ont permis de trouver des gènes impliqués dans les syndromes avec QT long congénital (LQT), maladies dominantes autosomiques qui comportent un risque élevé de mort subite. Dans le syndrome LQT1, des mutations du gène KCNQ1 sont en cause. Il code pour une sous-unité d’un canal potassique auquel doit s’associer le produit du gène KCN1. Les mutations qui ont été décrites dans LQT1 exercent un effet dominant négatif sur les courants de repolarisation potassiques en formant des multimères avec les sous-unités normales, réduisant considérablement le nombre de canaux K fonctionnels [36]. Une équipe de Shanghai vient de faire une trouvaille étonnante: KCNQ1 est aussi impliqué dans une fibrillation auriculaire (FA) de transmission autosomique dominante [37], et une mutation faux-sens est détectée chez les malades d’une des grandes familles analysées (mais pas dans les autres familles atteintes de FA congénitale) mais n’existe pas chez 180 sujets témoins. Elle a pour conséquence la substitution d’une glycine à une sérine (très conservée) en position 140, dans le premier segment transmembranaire de cette sous-unité de canal potassique. Mais il s’agit cette fois d’une mutation ayant pour effet un gain de fonction. En effet, ce mutant S140G, co-exprimé avec KCN1, entraîne une augmentation marquée de la densité de courant. On sait que, dans les FA, il y a réduction de la période réfractaire. La mutation S140G provoquerait une augmentation du courant potassique entrant, avec pour conséquence une stabilisation du potentiel membranaire de repos et un raccourcissement de la période réfractaire. Puisque le courant Iks est exprimé à la fois dans les oreillettes et les ventricules, on aurait pu s’attendre à un raccourcissement de l’intervalle QT, ce qui n’a pas été observé chez les malades. En attendant un modèle animal pour des études électrophysiologiques qui permettraient de résoudre ce problème, quelques hypothèses peuvent être formulées pour expliquer l’absence d’allongement du segment QT: l’arythmie ventriculaire, conséquence de la FA, peut fausser la mesure précise de QT ou bien les canaux ioniques étant différemment distribués entre les myocardes ventriculaires et auriculaires, une compensation s’effectue peut-être pour le courant Iks dans les ventricules.

L’autre chien de garde de p53 est un PUMA

Il y a plus de 10 ans maintenant que David Lane a appelé p53 « gardien du génome ». Dans sa surveillance de l’intégrité du génome, et en cas d’altération de celui-ci, la protéine p53 est stabilisée, s’accumule dans les cellules et active l’expression de gènes contrôlant d’une part le cycle cellulaire et, d’autre part, l’apoptose. Le premier chien de garde que p53 envoie pour mettre de l’ordre dans le cycle cellulaire est connu depuis longtemps. Il s’agit de p21CIP1/WAF1, qui inhibe l’activité de plusieurs complexes de cyclines/cdk, arrêtant ainsi le cycle cellulaire en phase G1 et laissant à la cellule le temps de réparer son ADN endommagé. Le chien de garde envoyé par le gardien du génome pour déclencher l’apoptose n’était pas connu jusqu’à récemment: il s’agit d’un PUMA (P53 upregulated modulator of apoptosis). PUMA a été découvert simultanément en 2001 par plusieurs groupes utilisant trois techniques différentes [38-40]. Un rôle important dans l’induction de l’apoptose par p53 lui a été attribué immédiatement, mais cela ne faisait qu’un gène pro-apoptotique de plus dont l’expression était contrôlée par p53. Même si beaucoup d’arguments le suggéraient fortement (expression rapide et forte par p53, protéine PUMA à domaine BH3, de localisation mitochondriale exclusive), le rôle direct et primordial de PUMA dans l’apoptose déclenchée par p53 n’était pas directement démontré. C’est aujourd’hui chose faite grâce à un article récent de J. Yu et al. [41]. Le modèle utilisé est une lignée cellulaire de cancer de côlon, HCT116, contenant une voie de signalisation p53 intacte, et dans laquelle ils ont invalidé p21, PUMA, ou les deux. Dans la situation normale, l’expression de p53 par transfection de son ADNc entraîne l’arrêt du cycle cellulaire dans ces cellules HCT116, ce mécanisme de régulation étant, dans ces cellules, prioritaire sur l’induction d’une apoptose. En l’absence de p21, une réponse apoptotique a été observée dans les cellules HCT116 après transfection de p53. Des cellules HCT116 dépourvues et de p21 et de PUMA ne présentent ni arrêt du cycle, ni apoptose après induction de p53. Les mêmes observations sont faites si les cellules sont soumises à un stimulus hypoxique, ce qui est une manière physiologique d’activer la p53 endogène. Dans le modèle que les auteurs proposent, p21 (et 14-3-3s) et PUMA sont les premiers gènes cibles dont l’expression est activée par p53 sur la voie du cycle cellulaire et l’apoptose respectivement. Reste maintenant à définir comment se fait le choix d’engager l’une ou l’autre voie.

En France, un enfant sur huit souffre d’un trouble mental

D’après l’ensemble des enquêtes internationales, la prévalence des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent varie de 5 % à 25 %, la moyenne se situant à 12 %, soit la prévalence observée en France [42]. On distingue les troubles spécifiques de l’enfant (troubles envahissants du développement [autisme] et hyperactivité) des troubles de l’adulte débutant dès l’enfance ou l’adolescence (troubles de l’humeur, schizophrénie, troubles anxieux ou troubles du comportement alimentaire). Les troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent s’inscrivent dans les processus de développement et de plasticité cérébraux liés à la maturation du sujet. Certains traumatismes, par exemple des événements intervenant pendant la période anté- ou périnatale (stress prénatal, complications au cours de la grossesse et au moment de la naissance) ont des conséquences à long terme du fait d’une « cicatrisation », ou au contraire d’une adaptation. Ces conséquences évoluent toutefois de façon très diverse en fonction du « terrain », mais aussi du contexte dans lequel surviennent ces traumatismes. Alors que le poids des facteurs génétiques semble important dans l’autisme et l’hyperactivité (l’un des polymorphismes du gène D4 codant pour le récepteur à la dopamine [D2 like] multiplierait par deux le risque d’hyperactivité), les troubles anxiodépressifs s’inscrivent plus volontiers dans un modèle où une susceptibilité génétique est révélée par des facteurs environnementaux: morbidité psychiatrique parentale, qualité des expériences précoces d’apprentissage, conditions socio-affectives dans lesquelles elles se déroulent… Ainsi, alors que la maltraitance a sans conteste des effets massifs sur le développement cérébral de l, les attitudes parentales « normales » retentissent aussi, mais de façon plus subtile, sur l’orientation des réseaux neuronaux impliqués dans les fonctions cognitives et émotionnelles. Elles ne présentent toutefois pas les effets dévastateurs constatés dans certains troubles mentaux de l’enfant.

Les hommes sont-ils en train de perdre leur odorat?

Les récepteurs olfactifs nous permettent de reconnaître et de distinguer entre eux des centaines, ou des milliers, de produits chimiques volatiles. On sait que cette propriété est inégalement répartie entre les individus, et qu’en la matière nous sommes très inférieurs à nombre d’animaux, en particulier aux souris. Cette fonction sensorielle repose sur la très grande famille des récepteurs de l’odorat (OR), codés par environ 1000 gènes répartis sur tous les chromosomes [43]. Les études structurales des gènes OR ont montré qu’environ 60 % d’entre eux sont des pseudogènes, avec interruption de séquence, alors que, pour un nombre sensiblement égal, le nombre des pseudogènes murins n’est que d’environ 20 %. Cette perte de fonction d’une majorité des OR était-elle une spécificité humaine ou la retrouvait-on en général chez les primates? Cette question a été abordée par une équipe israélienne et allemande par l’étude comparée d’une cinquantaine de régions codantes OR chez l’homme et chez une série de singes [44]. Les gènes OR choisis l’ont été au hasard sur 14 chromosomes différents dans la base de séquences HORDE, avec, comme seul critère, une longueur supérieure à 870 pb, et l’exclusion de la sous-famille 7E dont tous les membres sont des pseudogènes. Les séquences orthologues de comparaison étaient celles de trois primates anthropoïdes, chimpanzés, gorilles et orangs-outangs et d’un singe de l’ancien monde, le rhésus macaque. Dans ces séries 54 % des séquences humaines comportent au moins un codon stop, alors que c’est le cas dans 28-36 % des séquences chez les différents primates. Ces séquences ont été étudiées d’un point de vue évolutif en référence à une séquence ancestrale et au temps écoulé depuis la séparation des espèces, en évaluant aussi la proportion des mutations qui introduisent un codon non-sens. Cette proportion est 3,3 fois supérieure chez l’homme comparé aux autres espèces, la vitesse d’apparition d’un codon stop au cours de l’évolution 4,3 fois supérieure. Les auteurs proposent que la pression de sélection n’a pas été la même. Certains OR seraient essentiels pour tous, primates et homme, sélectionnés de façon identique. D’autres, essentiels pour les primates, seraient sans importance pour les humains. Une troisième catégorie d’OR, enfin, a perdu toute fonction chez l’homme, ce sont des pseudogènes. L’odorat ne nous est pas une fonction vitale, il ne modifie pas vraiment notre comportement social, l’évolution pourrait être encore en cours. À suivre.

La progranuline, un tumorigène cicatrisant

Compte tenu des millions de personnes qui souffrent de plaies aiguës et chroniques provenant de brûlures ou d’ulcérations cutanées associées à des maladies comme le diabète, l’identification d’un nouveau facteur de cicatrisation est un événement scientifique et médical majeur. La progranuline, facteur de croissance impliqué dans la tumorigenèse et le développement, était soupçonnée d’intervenir dans la cicatrisation depuis la caractérisation de peptides dérivés de cette molécule dans les leucocytes. Ces soupçons sont devenus certitudes [45]. En effet, chez la souris, l’expression de la progranuline a été démontrée lors de blessures cutanées dans les fibroblastes et les cellules endothéliales de la plaie, qui normalement n’expriment pas cette protéine, ainsi que dans les neutrophiles et les macrophages qui envahissent la plaie en réponse à l’inflammation. L’administration locale de progranuline augmente la quantité de neutrophiles et de macrophages retrouvés au niveau d’une plaie fraîche. Cet effet s’accompagne d’une hypervascularisation de la plaie traitée par la progranuline, à la fois par le nombre plus élevé et la taille supérieure des vaisseaux sanguins qui l’irriguent. In vitro, la présence de progranuline dans le milieu de culture de fibroblastes et de cellules endothéliales augmente la prolifération de ces cellules et la migration de cellules endothéliales à travers un filtre de collagène. Cette cytokine semble donc agir de façon directe sur la prolifération et la migration des cellules lors de la réponse inflammatoire. De même, l’évaluation de l’effet angiogénique de la progranuline in vitro, par la formation de structures tubulaires par des cellules endothéliales, indique que cette protéine augmente la réponse angiogénique par un effet direct sur les cellules endothéliales. Les auteurs de ce travail, qui étudient habituellement l’effet prolifératif de la progranuline dans la tumorigenèse, pourraient bien avoir fait d’une pierre deux coups.