Corps de l’article

La difficulté que les organisations ont à acquérir et à conserver une position concurrentielle durable résulte souvent de leur incapacité à attirer et retenir du personnel compétent (Pfeffer 1994). C’est en partie pour cette raison que la gestion des ressources humaines (GRH) constitue une fonction importante dans la recherche d’une plus grande performance organisationnelle (Arthur 1994). Parmi les différentes activités de la GRH, la gestion de la rémunération semble constituer une activité à fort potentiel permettant aux entreprises qui en font bon usage d’aspirer à une plus grande efficacité (Becker et Huselid 1998 ; Gerhart, Trevor et Graham 1996). Toutefois, la mise en place de politiques et de pratiques de rémunération, même progressives, n’est pas une garantie de succès si ces dernières ne sont pas adaptées à un certain nombre de facteurs contextuels propres aux organisations (Gerhart 2000). La théorie de la contingence suggère que la rémunération peut avoir une influence positive sur la performance lorsque les stratégies de rémunération sont couplées à des conditions spécifiques (Balkin et Gomez-Mejia 1990). Jusqu’à ce jour, les chercheurs en rémunération se sont principalement intéressés à étudier deux types de contingence, soit la contingence externe (ex. : stratégie d’affaires) (Gomez-Mejia 1992 ; Montemayor 1996) et la contingence interne (ex. : organisation du travail, gestion de la qualité, culture organisationnelle) (Cooke 1994 ; Allen et Kilmann 2001 ; Kerr et Slocum 1987). Si ces études ont permis de faire avancer nos connaissances sur la gestion des systèmes de rémunération, ces recherches se sont limitées soit à n’étudier qu’un seul élément du contexte, soit à prendre en compte une gamme très limitée de stratégies de rémunération ou soit à mesurer des relations bivariées. À notre connaissance, aucune recherche n’a évalué l’influence simultanée des éléments du contexte externe et interne sur une grande variété de politiques de rémunération.

S’appuyant sur une enquête réalisée auprès de 252 organisations au Québec, cette étude a pour principal objectif d’examiner s’il existe un lien entre les caractéristiques organisationnelles et le choix des politiques de rémunération. Nous chercherons à savoir si les entreprises qui ont opté pour des stratégies externes et internes particulières ont également opté pour des politiques de rémunération différenciées. Le présent article sera structuré de la façon suivante. Après avoir exposé le cadre théorique de notre étude, un certain nombre d’hypothèses de recherche seront proposées. Par la suite, les éléments méthodologiques et les résultats de la recherche seront présentés. En dernier lieu, nous discuterons des résultats et nous identifierons les limites et les implications pratiques de cette recherche.

Cadre conceptuel et hypothèses

Les choix d’une organisation à l’égard de ses politiques de rémunération peuvent se regrouper en trois grandes dimensions : le fondement, le design et la gestion du système de rémunération (Gomez-Mejia et Welbourne 1988). À l’intérieur de ces dimensions, les gestionnaires sont confrontés à une série de choix sur lesquels ils semblent exercer une certaine discrétion (Gomez-Mejia et Balkin 1992). Selon le schéma 1, le type de stratégie externe ou d’affaires aurait pour effet d’orienter les choix à l’égard des politiques de rémunération. De la même manière, les entreprises qui privilégient certaines stratégies internes ou de développement organisationnel seraient portées à adopter des politiques de rémunération cohérentes avec ces éléments contextuels.

Schéma 1

Lien entre les stratégies et le système de rémunération

Lien entre les stratégies et le système de rémunération

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La théorie de la contingence appliquée à la GRH a permis de mettre en exergue principalement deux formes d’alignement : l’alignement vertical et l’alignement horizontal (Delery et Doty 1996). L’alignement vertical, par l’entremise de la perspective comportementale, suggère que chaque stratégie externe (stratégie d’affaires) requiert des comportements spécifiques et que le rôle de la GRH est justement de stimuler ces comportements (Schuler et Jackson 1987). De l’autre côté, l’alignement horizontal appuie l’idée que se sont les stratégies internes à l’entreprise qui sont la source d’un avantage concurrentiel et que la cohérence entre les politiques de rémunération et les systèmes de ressources humaines (organisation du travail, gestion de la qualité, culture organisationnelle) serait plus déterminante que la cohérence entre les pratiques de rémunération et les stratégies d’affaires (Baird et Meshoulam 1988).

Alignement vertical

La perspective comportementale, qui est au coeur du concept d’alignement vertical, suggère que les caractéristiques organisationnelles, comme la stratégie d’affaires, requièrent des attitudes et des comportements uniques afin d’assurer le succès de ladite stratégie (Delery et Doty 1996 ; Youndt et al. 1996). Une stratégie d’affaires exige des comportements spécifiques pour réussir, et l’utilisation de pratiques de rémunération vise pour l’essentiel à stimuler, récompenser et contrôler ces comportements. Les organisations doivent implanter les pratiques de rémunération qui vont susciter les comportements les plus compatibles avec les stratégies d’affaires. Deux typologies en matière de stratégie ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs en GRH : les stratégies concurrentielles de Porter (1980) et le degré de diversification de Rumelt (1974).

Stratégies concurrentielles

Selon le modèle de Porter (1980), pour être concurrentielles, les entreprises doivent opter pour l’une ou l’autre des deux grandes stratégies génériques : (1) le leadership par les coûts, ou (2) la différenciation de leurs produits et services. Le choix d’une stratégie générique quelconque exigerait l’appui de politiques de rémunération particulières. Par exemple, lorsqu’une entreprise privilégie une stratégie de différenciation de ses produits et services, elle cherchera auprès de ses employés des comportements orientés vers l’autonomie et la créativité, car l’innovation est la clé du succès de cette stratégie (Swiercz 1995 ; Herbert et Deresky 1987). À l’opposé, lorsque le leadership par les coûts est la stratégie adoptée, des comportements orientés vers le conservatisme et la prudence seront encouragés (Herbert et Deresky 1987). Par conséquent, le choix des politiques de rémunération sera réalisé de manière à supporter ces différents comportements. Un système de rémunération fondé sur la performance avec un salaire de base avantageux et une plus grande transparence de l’information caractérisera une stratégie de différenciation, alors qu’une politique salariale à la remorque du marché, faisant peu usage d’incitatifs et étant plus secrète serait davantage cohérente avec une stratégie orientée principalement vers le contrôle des coûts (Montemayor 1996 ; Galbraith et Merrill 1991). Ces considérations nous amènent à proposer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1. Le type de stratégie concurrentielle utilisé aura une influence sur le choix des politiques de rémunération à l’égard : (a) du fondement du système de rémunération ; (b) du design du système de rémunération, et (c) de la gestion du système de rémunération.

En matière de stratégies d’affaires, les entreprises peuvent également opter pour une plus ou moins grande diversification de leurs produits et services, ce qui constitue un questionnement relatif à l’incidence du degré de diversification sur les choix des politiques de rémunération.

Degré de diversification

Le succès d’une stratégie de diversification est souvent le résultat des mécanismes de contrôle qui y sont associés, car la diversification implique à un moment ou à un autre une séparation entre l’actionnaire et la gestion. Les systèmes de rémunération, dans un contexte de diversification, auraient comme objectif d’aligner les valeurs et comportements des employés sur ceux des actionnaires de manière à réduire les problèmes d’agence (Jensen et Meckling 1976). Les entreprises seraient donc portées à rechercher une certaine cohérence entre leurs politiques de rémunération et leur degré de diversification. Par exemple, lorsque l’entreprise est faiblement diversifiée (produit unique), sa structure de gestion est habituellement simple et nécessite peu de règles, ce qui n’est pas le cas d’une entreprise moyennement diversifiée (produit dominant). Dans un contexte de diversification moyenne, les règles sont omniprésentes afin de décourager les actions indépendantes et de conserver une ligne directrice et une vision commune (Gomez-Mejia 1992). Toutefois, quand le degré de diversification s’accroît considérablement, chaque unité d’affaires devient indépendante l’une de l’autre et cherche à se recentrer sur son métier de base réduisant ainsi l’importance des règles et d’une vision commune à l’échelle corporative (Napier et Smith 1987). Cette recherche d’une plus grande flexibilité et autonomie incitera autant les entreprises faiblement que fortement diversifiées à adopter des politiques de rémunération orientées vers la performance, l’équité externe et une gestion moins bureaucratique. À l’opposé, des politiques de rémunération plus formelles orientées vers la cohésion interne et le salaire garanti seront l’apanage d’une stratégie de produit dominant (Balkin et Gomez-Mejia 1990). Ces observations nous amènent à proposer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 2. Le type de stratégie de diversification utilisé aura une influence sur le choix des politiques de rémunération à l’égard : (a) du fondement du système de rémunération ; (b) du design du système de rémunération, et (c) de la gestion du système de rémunération.

L’alignement horizontal

Les approches stratégiques traditionnelles assument que les firmes d’une même industrie sont identiques à l’égard des ressources stratégiques qu’elles contrôlent (Wright et McMahan 1992). Cependant, les organisations disposent d’une certaine latitude leur permettant de développer des stratégies internes qui leur sont propres. Des études ont montré que les pratiques de rémunération avaient une plus grande valeur ajoutée lorsqu’elles étaient utilisées pour appuyer des stratégies de développement organisationnel telles que les nouvelles formes d’organisation du travail, la gestion de la qualité et la culture d’entreprise (Cooke 1994 ; Kochan et Osterman 1994).

Organisation du travail

Les nouvelles formes d’organisation du travail, telles que les équipes autonomes, ont pour effet de modifier les structures de pouvoir et de communication au sein des entreprises (Cohen et Bailey 1997). Cette réforme du travail a pour incidence d’accroître généralement le degré d’autonomie des membres et l’interdépendance des tâches, accentuant ainsi l’importance de l’esprit d’équipe et de la collaboration (Wageman 1995). Cette collaboration à l’intérieur des équipes de travail ne pourra conduire à la solution coopérative que dans la mesure où elle est accompagnée d’un programme de rémunération approprié (Levine et Tyson 1990). La nature complexe des compétences que suscitent ces équipes invite les organisations à promouvoir une politique salariale de leader assortie d’incitatifs collectifs afin de ne pas nuire à la dynamique de groupe (Dunphy et Bryant 1996). La gestion de la rémunération y est décentralisée et transparente, de manière à laisser aux membres le soin d’identifier les plus méritants (Flannery, Hofrichter et Platten 1996). Cependant, la difficulté d’évaluer les performances individuelles au sein des équipes, en raison de l’interdépendance des tâches, milite en faveur de bonis basés sur le rendement de l’équipe plutôt que sur la performance de chacun des membres (Wageman et Baker 1997). Ces considérations nous amènent à proposer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 3. La présence plus ou moins grande des équipes autonomes de travail aura une influence sur le choix des politiques de rémunération à l’égard : (a) du fondement du système de rémunération ; (b) du design du système de rémunération, et (c) de la gestion du système de rémunération.

Gestion de la qualité

Selon Allen et Kilmann (2001), certaines politiques de rémunération seraient plus appropriées que d’autres dans un contexte de gestion de la qualité. L’investissement en gestion de la qualité inciterait les organisations à faire évoluer les critères d’évaluation de la performance de façon à récompenser le groupe plutôt que l’individu (Olian et Rynes 1991). L’élargissement des responsabilités (ex. : résolution de problèmes, amélioration continue), qu’exige cet environnement de travail, amène les entreprises à verser des salaires de base un peu plus élevés de manière à attirer et retenir les personnes possédant ces compétences (Snell et Dean 1992, 1994). En matière de gestion du système de rémunération, l’étude de Fosam, Grimsley et Wisher (1998) suggère que la transparence, la justice procédurale et la qualité des communications sont des conditions importantes de succès d’une démarche de gestion de la qualité. De plus, dans un souci d’une plus grande cohérence, la valorisation de l’autonomie et de la transparence dans la gestion de la qualité requiert que les décisions soient davantage décentralisées (Knouse 1995). Ces considérations nous amènent à proposer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 4. L’importance accordée à la gestion de la qualité aura une influence sur le choix des politiques de rémunération à l’égard : (a) du fondement du système de rémunération ; (b) du design du système de rémunération, et (c) de la gestion du système de rémunération.

Culture d’entreprise

La culture d’entreprise est considérée comme le reflet des valeurs, des symboles, du langage, de l’idéologie, des rituels et des mythes perceptibles dans les organisations (Pettigrew 1979 ; Deal et Kennedy 1983). À l’image de la culture, les politiques salariales sont imprégnées de symbolisme de telle sorte que chaque forme de rémunération a le potentiel de transmette un message différent (Kerr et Slocum 1987). Dans le but d’assurer une plus grande cohérence avec la culture participative, les pratiques de rémunération doivent signaler une plus grande démocratisation dans les milieux de travail. Une plus forte transparence et décentralisation dans la gestion de ces pratiques s’avère nécessaire pour assurer cette cohérence. En outre, la participation des employés aurait plus de chance de succès dans un environnement où les récompenses financières viennent appuyer l’implication des employés dans la prise de décisions (Smith et Brannik 1990). Ces considérations nous amènent à proposer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 5. L’importance accordée à la culture participative aura une influence sur le choix des politiques de rémunération à l’égard : (a) du fondement du système de rémunération ; (b) du design du système de rémunération, et (c) de la gestion du système de rémunération.

Les études récentes sur les différents types de contingence ont montré que les stratégies externes (alignement vertical) avaient un faible pouvoir de prédiction (Hunter 1996 ; Becker et Huselid 1996). En revanche, les stratégies internes (alignement horizontal) seraient un meilleur déterminant des politiques de rémunération (Delery et al. 1996). Ces résultats nous amènent à proposer une dernière hypothèse :

Hypothèse 6. Les stratégies internes permettent de mieux prédire les politiques de rémunération que les stratégies externes.

Méthodologie

Les données ont été recueillies en 1997 à l’aide d’un questionnaire distribué par courrier aux vice-présidents ou directeurs des ressources humaines des entreprises québécoises du secteur marchand non agricole. L’enquête a permis de recueillir 252 questionnaires exploitables. Le taux de réponse est de 11,4 %.

Mesure et analyse des variables

Les variables ont été regroupées en quatre grandes catégories : les politiques de rémunération, les stratégies externes, les stratégies internes et les variables de contrôle.

Les politiques de rémunération ont été mesurées à l’aide de 15 items sur une échelle de type « Lickert » comprenant cinq modalités variant de « tout à fait en désaccord » à « tout à fait d’accord ». L’analyse factorielle a permis d’identifier cinq facteurs dont les valeurs propres étaient supérieures à 1 et dont le pourcentage cumulatif de variance expliquée est de 63,44 %. Outre ces cinq variables construites sur des mesures de perception, nous avons ajouté une variable objective (le pourcentage moyen de bonus) pour caractériser un aspect particulier relié au design du système de rémunération. Parmi l’ensemble des variables, deux se rapportent au fondement du système de rémunération, deux au design du système et deux aux modes de gestion de la rémunération.

  • Fondement du système de rémunération

  • l’importance de la performance individuelle et du risque (5 indices ; α = 0,71)

  • l’importance des critères collectifs de performance (3 indices ; α = 0,72)

  • Design du système de rémunération

  • la position salariale par rapport au marché (2 indices ; α = 0,60)

  • le niveau de bonus exprimé en pourcentage du salaire de base

  • Gestion du système de rémunération

  • la transparence des informations de nature salariale (3 indices ; α = 0,61)

  • la décentralisation des décisions de nature salariale (2 indices ; α = 0,79)

Pour mesurer les stratégies externes ou d’affaires, nous avons utilisé la typologie de Porter (1980) et celle de Rumelt (1974). La typologie de Porter a été mesurée à l’aide d’une échelle de type Lickert à cinq modalités, variant de « pas du tout important » à « très important ». Nous avons utilisé la question suivante : Quelle est selon vous l’importance des éléments suivants dans la compétition à laquelle doit faire face votre organisation : le prix, la qualité, l’innovation, la distribution et le service ? L’analyse factorielle a permis de dégager deux facteurs (65 % de la variance expliquée). Le premier est composé de quatre items (qualité, innovation, distribution et service ; a = 0,72) et l’autre d’un seul item (prix). En ce qui a trait à la typologie de Rumelt (1974), trois groupes d’entreprises en fonction de la diversité de leurs produits et services ont été identifiés, soit : (1) produit unique : la ligne principale de produits correspond à 95 % ou plus du chiffre d’affaires ; (2) produits dominants : de 70 % à 95 % du chiffre d’affaires, et (3) produits diversifiés : moins de 70 % du chiffre d’affaires.

Trois types de stratégies internes ont été étudiés : l’organisation du travail, la gestion de la qualité et la culture d’entreprise. Le degré d’évolution dans l’organisation du travail a été cerné par le degré d’utilisation des groupes autonomes et semi-autonomes de travail. Les répondants devaient indiquer le pourcentage de salariés couverts par cette forme d’organisation du travail. Les résultats ont été codés : 0 pour aucun salarié couvert ; 1 pour 1 à 33 % des salariés ; 2 pour 34 % à 66 % des salariés et 3 pour plus de 66 %. L’importance accordée à la gestion de la qualité a été cernée par la réponse à la question : Comment situez-vous votre organisation en matière de gestion de la qualité ? Une échelle de type Lickert à sept modalités comprenant à l’une des extrémités l’énoncé suivant : « nos efforts sont concentrés sur le contrôle des produits finis ou services fournis » et à l’autre : « nous utilisons une combinaison de pratiques de qualité totale des plus sophistiquées à travers toute l’entreprise et avec nos partenaires ». La culture d’entreprise a été évaluée à l’aide trois items sur une échelle de type Lickert comprenant cinq modalités variant de « tout à fait en désaccord » à « tout à fait d’accord ». Les questions concernaient principalement le concept de management participatif. L’analyse factorielle a permis d’identifier un seul facteur (a = 0,66) dont la valeur propre était supérieure à 1 et dont le pourcentage de variance expliquée était de 59,22 %.

Afin de pouvoir évaluer la contribution respective de chacune des stratégies utilisées, il est apparu essentiel d’utiliser trois variables de contrôle (taille, secteur d’activités et pourcentage de syndicalisation) de manière à neutraliser l’influence de ces dernières dans l’analyse de régression utilisée. Ces trois variables ont souvent été identifiées dans d’autres études comparables comme ayant une influence significative sur les politiques de rémunération (Freeman et Kleiner 1990 ; Tremblay et Marcoux 1994).

L’analyse de régression multiple avec la méthode d’entrée forcée (enter) a été utilisée sur chacune des politiques de rémunération afin d’évaluer la contribution de chaque catégorie de variables et de vérifier le bien-fondé ou non des hypothèses formulées. Les variables de contrôle ont été entrées en premier dans un seul bloc, suivies par les stratégies externes et les stratégies internes. Des tests d’utilité ont été réalisés afin de vérifier si l’ordre d’entrée des variables pouvait exercer une influence sur les résultats obtenus.

Résultats

Le tableau 1 présente les moyennes, les écarts-types et la matrice de corrélations de l’ensemble des variables. Le tableau 1 révèle qu’il ne semble pas exister de problèmes majeurs de « multicolinéarité », à l’exception de la relation entre la variable « produit unique » et « produits dominants » (r = –,64). Toutefois, la variable « produit unique » a été exclue du modèle de régression afin d’être utilisée comme la modalité de référence. Afin d’évaluer le degré de multicolinéarité entre les variables indépendantes, nous avons utilisé le test de tolérance et le VIF (variance inflation factor). Les résultats de ces indicateurs de diagnostic suggèrent que la multicolinéarité ne pose pas de problème dans la présente étude.

Le tableau 2 présente les résultats de l’analyse de régression pour les différents modèles. Les résultats obtenus montrent que les stratégies externes ont peu d’influence dans le choix des politiques de rémunération. Seules les stratégies concurrentielles ont une influence significative, et ce, uniquement sur les politiques de rémunération basées sur la performance collective (R2 = ,04*) et la transparence (R2 = ,03*)[1]. Ces résultats confirment partiellement les hypothèses 1(a) et 1(c), mais ne supportent pas l’hypothèse 1(b), ni l’ensemble de l’hypothèse 2. Parmi les relations significatives observées, les entreprises qui préconisent une stratégie de différenciation de leurs produits et services tendent à utiliser davantage des critères collectifs de performance (β = ,16 ; p < ,05) et à ne pas privilégier une politique salariale de leader (β = –,13 ; p < ,10). En revanche, les entreprises qui optent pour une stratégie basée sur le prix de leurs produits et services tendent à accorder plus d’importance à la transparence des informations salariales (β = ,18 ; p < ,01) et à moins décentraliser les décisions de nature salariale (β = –,12 ; p < ,10).

Concernant l’hypothèse 3, les résultats montrent l’existence d’une relation significative entre les stratégies internes et le choix des politiques de rémunération. Le degré de diffusion des équipes autonomes ou semi-autonomes de travail permet d’expliquer 1,6 % de la variance à l’égard de la politique reliée au risque et à la performance individuelle, 3,4 % de la variance de la politique liée à la performance collective et 3,9 % des variations au plan de la transparence des informations. Toutefois, le test d’utilité révèle que l’ordre d’entrée des variables modifie significativement les résultats observés pour les équipes de travail. Seul le lien avec la performance collective demeure robuste (β = ,13 ; p < ,10), ce qui supporte partiellement l’hypothèse 3(a) et infirme les hypothèses 3(b) et 3(c).

Tableau 1

Table de corrélations

Table de corrélations

* p 0,05 ; ** p 0,01

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Tableau 2

Résultats de l’analyse de régression entre les différentes stratégies et les politiques de rémunération

Résultats de l’analyse de régression entre les différentes stratégies et les politiques de rémunération

T p 0,10; * p 0,05 ; ** p 0,01; *** p 0,001

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En ce qui a trait à la gestion de la qualité, les résultats révèlent que cette stratégie prédispose les entreprises à faire des choix de politiques de rémunération différenciés. Une stratégie interne orientée vers la gestion de la qualité explique 2,8 % de la variance à l’égard de la transparence des informations et 1,8 % de la décentralisation des décisions salariales, ce qui appuie notre hypothèse 4(c). Les entreprises qui font des efforts soutenus en matière de qualité opteraient davantage pour la transparence (β = ,14 ; p < ,05) et la décentralisation (β = ,13 ; p < ,10) dans leur mode de gestion de la rémunération. En ce qui concerne les politiques liées au fondement du système de rémunération, les résultats ne se révèlent pas concluants, infirmant ainsi l’hypothèse 4(a). Pour ce qui est du design du système de rémunération, les résultats montrent que la stratégie de qualité permet d’expliquer 2,1 % de la variance relative au pourcentage de bonis octroyé aux employés. Les entreprises qui valorisent la gestion de la qualité recourent à des incitatifs pécuniers plus élevés que les autres entreprises afin de reconnaître la contribution de leurs employés (β = ,12 ; p < ,10). En revanche, la gestion de la qualité n’est pas significativement reliée au choix d’une politique salariale de leader, l’hypothèse 4(b) ne peut être que partiellement confirmée.

Enfin, nos résultats révèlent que la culture participative semble être la stratégie interne la plus déterminante dans le choix des politiques de rémunération. Elle expliquerait à elle seule, 3,4 % de la variance à l’égard du risque et de la performance individuelle, 1,8 % de la performance collective, 1,7 % de la politique de leader, 1,5 % de la proportion de bonis et 1,9 % de la variance à l’égard de la transparence. Ces résultats confirment les hypothèses 5(a), 5(b) et partiellement 5(c). Le test d’utilité montre des R2 encore plus élevés, soit à la hauteur de 6 %, lorsque la variable dépendante est la transparence des informations. Une philosophie de gestion fondée sur la participation des employés à la prise de décisions serait supportée par des politiques de rémunération orientées vers le risque et la performance individuelle (β = ,22 p < ,01), la performance collective (β = ,16 ; p < ,05), le leadership salarial (β = ,15 ; p < ,10), des bonis de performance élevés (β = ,14 ; p < ,10) et une forte transparence au plan de la gestion des informations de nature salariale (β = ,17 ; p < ,05).

De façon générale, les résultats suggèrent que les stratégies internes exercent une influence plus déterminante dans le choix des politiques de rémunération que les stratégies externes, ce qui supporte notre dernière hypothèse. Les stratégies internes permettent d’expliquer 5 % de la variance en regard des politiques reliées au fondement du système de rémunération, 4 % de celles liées au design du système et plus de 8 % des variations en ce qui a trait à la transparence des informations salariales. De plus, il importe de souligner l’importance des variables de contrôle dans le choix des politiques de rémunération. Les variables de contrôle expliquent plus de 15 % de la variance en ce qui a trait au modèle du risque et de la performance individuelle, 3,5 % pour celui de la performance collective, 7,2 % pour le leadership salarial, 7,4 % pour le pourcentage de bonis et 6,7 % des variations pour le modèle de la transparence des informations salariales. D’une façon plus précise, les entreprises qui sont fortement syndiquées accordent moins d’importance au risque et à la performance individuelle (β = –,38 ; p < ,001), adoptent davantage une position de leader au niveau salarial (β = ,24 ; p < ,01), octroient moins de bonis à leurs employés (β = –,16 ; p < ,05), font preuve de plus de transparence (β = ,22 ; p < ,01) et la gestion de leur système de rémunération est plus décentralisée (β = ,14 ; p < ,10). Pour ce qui est de la taille, les grandes entreprises accordent plus d’importance à la performance collective (β = ,16 ; p < ,05) et octroient une proportion de bonis plus élevée à leurs employés (β = ,26 ; p < ,001). Enfin, les entreprises du secteur des services seraient davantage portées à recourir à une politique salariale de leader (β = ,16 ; p < ,05) que les autres.

Discussion

Cette étude avait pour but d’améliorer l’état de nos connaissances sur les déterminants des choix en matière de politiques de rémunération et d’étendre l’application de la théorie de la contingence au domaine de la rémunération chez les employés non-cadres. Nos résultats ont mis en évidence l’existence d’un faible lien entre les stratégies externes ou d’affaires et les politiques de rémunération. L’approche comportementale, préconisée notamment par Jackson et Schuler (1995) et Schuler et Jackson (1987), n’a été que partiellement confirmée par nos résultats. Les choix en matière de politiques de rémunération seraient davantage influencés par la stratégie concurrentielle préconisée par les unités d’affaires (ex. : différenciation vs coûts) que par la stratégie de diversification poursuivie par le corporatif. Les entreprises qui misent sur la différenciation de leurs produits et services (ex. : qualité, innovation, service, etc.) tendent à favoriser un système de rémunération basé principalement sur la performance collective, ce qui est conforme à la littérature. Pour connaître du succès, ces entreprises doivent pouvoir compter sur du personnel polyvalent et capable de travailler en équipe afin d’être leader sur le plan de la qualité et de l’innovation (Balkin et Bannister 1993). Toutefois, et contrairement aux études antérieures de Montemayor (1996) et Arthur (1992), les entreprises de notre échantillon qui poursuivent une stratégie de différenciation ne semblent pas plus portées que les autres à adopter une politique salariale de leader et à pratiquer la transparence dans la gestion des salaires. Contre toutes attentes, ce sont les entreprises poursuivant une stratégie concurrentielle de leadership par les coûts qui manifestent la plus grande transparence au plan salarial. On peut penser que la grande homogénéité des politiques salariales qui caractérise ces entreprises pourrait expliquer cette plus grande ouverture.

Contrairement aux conclusions de Balkin et Gomez-Mejia (1990) et Gomez-Mejia (1992), nos résultats ont montré que les politiques de rémunération ne diffèrent pas réellement en fonction de la stratégie de diversification préconisée. La situation divergente qui existe souvent entre les stratégies préconisées par le corporatif (ex. : degré de diversification) et celles poursuivies par les unités d’affaires (ex. : différenciation des produits) susciterait un niveau élevé d’ambiguïté, réduisant ainsi la possibilité d’identifier la stratégie dominante nécessaire à l’alignement des politiques de rémunération. De plus, les études qui ont observé une relation entre le degré de diversification et les pratiques de rémunération ont surtout été réalisées auprès des cadres dirigeants (Rose et Shepard 1997 ; Rajagopalan et Prescott 1990). La complexité au plan de la gestion et le degré d’autonomie associé au phénomène de la diversification agiraient davantage sur la rémunération des preneurs de décisions que sur celle des salariés.

En ce qui a trait aux stratégies internes ou de développement organisationnel, celles-ci prédisposeraient plus fortement les organisations à utiliser la rémunération comme levier de changement, appuyant ainsi l’intérêt pour l’alignement horizontal. En concordance avec la théorie des ressources, les entreprises cherchent à créer une certaine cohérence à l’égard des différentes pratiques de gestion utilisées afin de se donner un caractère spécifique et atteindre une position concurrentielle durable (Barney 1991). Cette plus grande capacité d’alignement des politiques de rémunération sur les stratégies internes doit être mise en relation avec le degré d’influence des décideurs RH (Sire et Tremblay 2000). Les DRH posséderaient une plus grande autonomie d’action, une plus forte influence et une meilleure compréhension des enjeux lorsqu’il s’agit d’orienter les actions RH sur des stratégies à forte intensité humaine (ex. : équipes de travail, culture organisationnelle) que lorsqu’il s’agit d’aligner les aspects RH sur les grandes stratégies d’affaires.

Nos résultats indiquent que les entreprises qui utilisent des formes non traditionnelles d’organisation du travail, telles que les équipes autonomes, accordent plus d’importance aux critères de performance collectifs. Lorsque les activités sont assumées par des équipes de travail, il devient difficile et coûteux de suivre et de contrôler les efforts individuels de chacun des membres. L’organisation doit par conséquent introduire des plans de rémunération collectifs afin de motiver les travailleurs à s’engager dans des mécanismes de contrôle mutuel (Levine 1998 ; Chênevert et Tremblay 2000).

En ce qui a trait à la gestion de la qualité, les résultats révèlent que les entreprises qui préconisent cette approche adoptent des politiques de rémunération plus incitatives et plus transparentes que les autres entreprises, ce qui confirme la littérature (Allen et Kilmann 2001). Elles sont aussi plus disposées à pratiquer la décentralisation sur le plan des décisions de nature salariale. Sans doute que ce choix est motivé par l’importance de laisser le soin aux gestionnaires d’utiliser les mécanismes de récompense correspondants aux particularités de leur contexte respectif (Caudron 1993). Considérant la multiplicité des rôles assumés par les employés oeuvrant dans un environnement de qualité totale (ex. : contrôle statistique, maintenance préventive, amélioration continue), il est fréquent de retrouver des mécanismes de compensation salariale pour motiver les employés à participer à ces activités (Lawler 1994).

Nos résultats ont également soulevé l’importance déterminante de la culture participative dans le choix des politiques de rémunération. Les entreprises qui valorisent la gestion participative sont plus enclines à utiliser la rémunération à risque, autant individuelle que collective, et à se positionner comme leader sur le marché des salaires. Cette culture plus participative inciterait les organisations à être plus transparentes dans leur mode de gestion des salaires de manière à afficher une certaine cohérence. Selon Cotton et al. (1988), une plus grande participation agirait sur la démocratisation du milieu de travail, la réduction des conflits industriels et l’engagement des employés envers l’organisation. Ces éléments sont souvent considérés comme des conditions de succès à l’implantation des pratiques de rémunération non traditionnelles. Pour leur part, Poole et Jenkins (1991) soutiennent que la participation des employés joue un rôle modérateur de première importance dans la relation entre les régimes collectifs de rémunération et l’efficacité organisationnelle. Pour être satisfaits des bonis obtenus, les employés seraient portés à revendiquer une plus grande implication dans le processus décisionnel afin de pouvoir exercer une influence sur la productivité. Il est intéressant de remarquer que la culture participative et le travail en équipe sont différemment reliés aux politiques de rémunération. Alors que la culture participative a une influence significative (p < .05) sur l’utilisation des modes de rémunération individualisés et la transparence, de telles relations n’ont pas été observées dans le cas du travail d’équipe. Bien qu’une organisation véhicule des valeurs participatives, cela ne signifie pas pour autant que les structures et la redistribution du pouvoir ont été modifiées d’une manière substantive au profit des travailleurs.

Enfin, la syndicalisation serait, parmi l’ensemble des variables utilisées, la caractéristique la plus déterminante en ce qui a trait au choix des politiques de rémunération. La syndicalisation est associée positivement à une politique de rémunération de leadership, à la transparence et à la décentralisation, et négativement à la rémunération incitative. Les syndicats, par l’entremise de la négociation collective, influenceraient le salaire moyen d’une entreprise (Kornfeld 1993) et standardiseraient les politiques salariales de manière à réduire les disparités entre les employés. Les entreprises fortement syndiquées seraient moins portées vers le risque et la performance individuelle étant donnée l’importance de l’ancienneté comme critère d’augmentation salariale (Freeman et Kleiner 1990). L’existence d’une convention collective et la présence de représentants des employés obligeraient également les entreprises à une plus grande transparence au plan salarial, ce qui est conforme à l’idéologie syndicale. Ces résultats remettent en question l’importance de l’approche stratégique en gestion des ressources humaines et la capacité des organisations à aligner leurs politiques de rémunération sur leurs stratégies. Les syndicats agiraient comme un mode de régulation important en matière de rémunération, relançant ainsi la pertinence de l’approche institutionnelle (Scott 1987).

Conclusion

Le principal apport de cette recherche est d’avoir mis en évidence que les choix en matière de rémunération étaient davantage le résultat des stratégies internes (alignement horizontal) que des stratégies externes (alignement vertical). La mise en place d’équipes autonomes de travail, la gestion de la qualité et la promotion d’une culture participative apparaissent des facteurs déterminants dans le choix des politiques de rémunération. Quant à l’alignement vertical, le degré de diversification associé à la stratégie corporative n’aurait pas d’influence sur la rémunération, ce type de stratégie étant probablement trop éloigné des préoccupations et de la zone d’influence des responsables RH. Cependant, lorsque les stratégies externes sont du ressort des unités d’affaires, des différences plus marquantes sont observées. Quand les stratégies concurrentielles (ex. : différenciation, leadership des coûts) sont établies par les unités d’affaires, l’influence des responsables RH se trouve probablement augmentée. Ce rôle plus stratégique leur permettrait d’agir sur les choix en matière de rémunération qui appuieraient les comportements exigés par ces stratégies. Enfin, la syndicalisation joue un rôle majeur en matière de rémunération. Le pouvoir de négociation des syndicats et leur influence sur les règles de justice procédurale contraignent les entreprises à payer des salaires de base plus élevés que le marché, à éviter les régimes d’incitation fondés sur la performance individuelle et à promouvoir la transparence dans leur mode de gestion.

Cette recherche comporte toutefois certaines limites qui méritent d’être soulevées. Le taux de réponse de 11 % constitue vraisemblablement un frein au caractère représentatif de notre échantillon et à la généralisation de nos résultats. De plus, certains concepts, comme la gestion de la qualité, ont été mesurés à l’aide d’une seule question, ce qui réduit la robustesse de la mesure utilisée. Par ailleurs, étant donné que seul le responsable des RH figure parmi les répondants au questionnaire, il est possible que les questions relatives aux stratégies d’affaires aient été mal comprises par ces derniers et que les résultats auraient pu être différents si d’autres acteurs avaient été sondés (Gerhart 1999). Le lien de causalité constitue également une limite dans une recherche de type synchronique. On ne peut pas écarter la possibilité que les stratégies soient déterminées ou influencées par les politiques de rémunération en présence. Une analyse de type longitudinale pourrait permettre de résoudre ce problème. Par ailleurs, comme la mesure des déterminants et des politiques de rémunération a été effectuée au même moment, on ne peut pas non plus écarter la possibilité que cette étude puisse souffrir d’un problème de variance commune.

Enfin, certaines voies de recherches pourraient être envisagées à la suite des résultats de cette étude. Par exemple, il serait intéressant de reproduire cette étude sur des sous échantillons représentant des entreprises syndiquées et non syndiquées, de manière à analyser si les choix à l’égard de la rémunération sont davantage le fruit des pressions institutionnelles. Des sous échantillons sectoriels pourraient également contribuer à mieux comprendre l’influence de l’environnement économique sur les choix en matière de rémunération. En particulier, il serait intéressant d’examiner si les entreprises axées sur les services et celles qui manufacturent des biens durables adoptent des alignements différents. Les recherches futures pourraient également examiner si les organisations qui ont réussi à aligner leurs politiques de rémunération, comme nous l’avons montré, sont plus efficaces et performantes que celles où l’on retrouve une faible cohérence.