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L’ouvrage de Hall Gardner et Radoslava Stefanova, « The New Transatlantic Agenda » n’offre que peu d’éléments nouveaux dans le débat sur les relations entre les États-Unis et l’Europe, mais il comporte quelques bons chapitres d’auteurs aussi connus que John Ikenberry, Jan Zielonka et David Calleo et un très bon chapitre de Radoslava Stefanova sur le conflit des Balkans. Le livre offre ainsi un panorama des relations entre le super pouvoir, irritant parce que trop puissant mais réassurant à la fois pour l’Europe. Celle-ci est fille de la guerre froide ; elle s’est construite grâce à la protection américaine. Il faut rappeler qu’une des conditions du plan Marshall, en 1947, était la coordination des États européens, ce qui cadrait avec les visions francaises de contenir l’Allemagne dans une structure suffisamment contraignante pour éviter de nouveaux dérapages impérialistes.

L’Europe a ainsi connu une ère de stabilité, en complète opposition avec les siècles passés de guerres et de conflits incessants. Stabilité qui a été assurée par la présence bienfaitrice des États-Unis et grâce à l’environnement structuré dans laquelle elle s’est immergée. Derrière l’ordre occidental démocratique se profile l’idée que le monde doit être maillé d’organisations et d’institutions qui contôlent la conduite des États et assurent la coopération. L’architecture institutionnelle de l’après-guerre est le témoin d’une véritable prolifération d’organisations internationales qui ont transformé le paysage institutionnel de l’Europe. Il y a trois institutions centrales – l’Union européenne, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (otan) et l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe (osce) – qui s’allient à d’autres : la Commission des Nations Unies pour l’Europe (unece), le Conseil de l’Europe, l’Union de l’Europe occidentale (ueo), l’Association européenne de libre-échange (aele).

L’otan est partie intégrante de la construction européenne. Elle n’est pas seulement une alliance militaire. Comme le disait Foster Dulles : elle est un cadre de coopération pour quelque chose et non pas seulement contre quelque chose. L’otan a enchaîné l’Allemagne dans son filet sécuritaire en même temps qu’elle a contenu les Soviétiques. L’ordre du jour de l’otan s’est d’ailleurs aussi transformé sous la pression de nouveaux problèmes régionaux : prévention et gestion des crises, stabilisation régionale, conflits ethniques.

Mais la dépendance de l’Europe vis-à-vis des États-Unis s’est peu à peu distendue depuis près de cinquante ans et les frictions ont été nombreuses dans des domaines aussi divers que le commerce, le militaire ou le politique. Il y a ainsi une divergence croissante entre les intérêts américains et européens. Il y a plus de trente domaines dans lesquels l’Europe s’oppose aux États-Unis, de la guerre de la banane, au boeuf aux hormones et aux ogm. Les préoccupations des États-Unis eux-mêmes ne se concentrent plus sur l’Europe, mais se tournent vers l’Asie et vers le continent émergent, la Chine.

L’Europe ne peut plus compter sur les États-Unis pour sa défense et doit essayer de se bâtir une politique commune de défense et de sécurité et une armée commune qui seront également positifs pour le continent américain. Car, comme le rappelle David Calleo, la domination américaine pose une menace contre les autres États si elle s’exerce de manière arbitraire et abusive. Il faut se rappeler la Loi Helms Burton contre laquelle le Canada et l’Europe se sont battus avec acharnement et la Loi 301 qui menace de rétorsion tout partenaire commercial qui ne respecterait pas les règles américaines de droits de propriété intellectuelle. Les États-Unis n’assument plus certaines de leurs obligations. Ils n’ont pas ratifié un certain nombre d’accords multilatéraux dont celui sur les mines antipersonnel, la protection environnementale et le changement climatique et la cour internationale criminelle.

L’Union européenne a adopté un certain nombre de décisions au cours des conseils européens qui réunissent chaque six mois, la présidence tournante de l’ue et les États membres. En 1992, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, réunis à Petersberg, décident d’organiser des missions de gardiens de paix et de secours et donnent les orientations de l’Union de l’Europe occidentale (ueo), la prévention des conflits et des efforts de maintien de la paix en coopération avec l’osce et le Conseil de sécurité. Ces décisions balayent les cultures différentes et les sensibilités des États membres. L’ueo réunit actuellement dix pays : le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal, l’Italie, le Luxembourg et la Grèce. L’Irlande et le Danemark restent observateurs ; la Norvège, l’Irlande et la Turquie sont membres associés ainsi que neuf pays d’Europe centrale et orientale qui sont partenaires associés. En 1995, l’Autriche, la Suède et la Finlande, à leur tour, deviennent observateurs.

L’accommodation de tous ces statuts devient problématique. Les non membres peuvent participer à la prise de décision sauf au moment où la décision est prise par le Conseil européen. De plus, il y a un Euro-corps dont les origines remontent à la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense. Ce corps devrait à terme devenir le bras armé de l’ueo et comprend des contingents français, allemands, belges et luxembourgeois. L’Union doit renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique et devenir une composante de la défense de la nouvelle Europe. Un lien s’établit entre l’otan et l’ue qui se veut plutôt complémentaire que rival de l’otan. L’ueo est un tampon entre l’ue et l’otan.

À Helsinki, en décembre 1999, le conseil a décidé de doter l’ue d’un corps armé de près de 60 000 hommes, en plus d’éléments aériens et navals qui pourraient réagir en 60 jours à toute opération de gestion des crises. Le secrétariat du conseil abrite désormais un mécanisme de coordination pour la gestion des crises. En juin 2000, au sommet de Feira, au Portugal, quatre domaines prioritaires ont été identifiés : la police, le renforcement de la règle de droit, l’administration et la protection civile. En 2003, l’ue devrait disposer de 5 000 officiers de police pour exécuter des missions civiles. À Nice, en décembre 2000, des procédures ont été approuvées et de nouvelles relations avec l’otan ébauchées. Un comité politique et de sécurité le cops a été créé pour exercer le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de gestion de crise.

Toutes ces initiatives visent à combler ce que Christopher Hill appelle le fossé de capacité et d’attentes de l’ue (capabilities-expectation gap). Pourtant, l’ue ne parvient pas à exprimer des décisions collectives. Le problème, comme le souligne Jan Zielonka, n’est pas la persistance des divergences entre les États membres mais la faible légitimité des politiques extérieures européennes. La construction de la défense européenne n’est pas une chose aisée, car au coeur des relations ambiguës entre les États-Unis et l’Europe, certains États membres tentent de toutes leurs forces d’atténuer les désirs d’indépendance de l’ue vis-à-vis de son ancien protecteur, ce qui est désiré ardemment par la France. Les États-Unis ne sont pas dénués d’ambiguïté, satisfaits que l’Europe se prenne en main, mais en même temps jaloux et préoccupés par ces désirs d’indépendance. Jamais autant qu’au moment de la crise yougoslave, ces ambiguïtés n’ont transparu, les Européens étant partagés entre l’Heure européenne et la tendance naturelle à suivre les États-Unis. Les Européens restent les partenaires de second plan de l’Alliance transatlantique, suivant les mots de Stefanova. L’Italie et l’Allemagne ont été tirées vers une guerre qu’elles ne voulaient pas mener mais pensaient qu’elles devaient faire tandis que la France et la Grande-Bretagne étaient tirées vers une guerre qu’elles auraient mené différemment. Il reste qu’il existe des clivages idéologiques et stratégiques fondamentaux entre les États-Unis et l’Europe qui se sont manifestés au moment de la guerre yougoslave et dans le conflit du Moyen-Orient.

L’Alliance souffre d’une distribution inégale des ressources : les États-Unis mènent les combats militaires et les Européens assument le budget financier. Une distribution plus équilibrée de la gestion des crises serait salutaire et serait la clé de la préservation d’une Alliance robuste dans le futur.

Cet ouvrage est d’une lecture facile et extêmement utile pour ceux qui réfléchissent sur l’avenir de la relation entre les États-Unis et l’Europe.