Corps de l’article

La critique féministe adressée à la pratique des sciences, depuis les années 80, a eu certes une influence sur le tournant marqué par la rupture avec un passé caractérisé par l’exclusion des femmes en ce domaine (Davis et autres 1996 ; Rosser 1995 ; Morse 1995 ; Kahle 1985). Cependant, malgré l’intégration de plus en plus grande des femmes en sciences, il y a encore beaucoup à faire pour lever les obstacles qui jalonnent leur parcours. À cette fin, le rôle de l’enseignant et de l’enseignante (Théberge 1999 ; Rail et Dallaire 1997 ; Solar 1995 ; Acker et Oatley 1993), dans l’établissement du rééquilibre des inégalités entre les sexes, s’avère des plus important. C’est ce qui justifie le choix de notre approche pédagogique dans le cours « Problématique de l’enseignement des sciences » donné à l’Université d’Ottawa depuis plusieurs années par une des auteures. Dans ce cours, les étudiants et les étudiantes participent à un processus de réflexion sur le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante qui consiste notamment à promouvoir l’accès des femmes au savoir et aux carrières scientifiques.

Nous présenterons ci-dessous en cinq points un exemple de formation à l’enseignement qui incorpore la problématique de l’égalité des sexes en sciences. Dans la première partie, nous précisons quelques éléments relatifs au cadre contextuel et conceptuel dans lequel s’inscrivent nos activités de formation. La deuxième partie décrit l’approche pédagogique utilisée dans l’enseignement d’un cours obligatoire (« Problématique de l’enseignement des sciences ») destiné aux futurs enseignants et enseignantes de chimie, de biologie, de physique, de sciences de la Terre et de mathématiques, cours dans lequel une place substantielle est faite à la question de la sous-représentativité des femmes en sciences à l’école comme sur le marché du travail. Dans la troisième partie, nous présentons les résultats d’analyse d’entrevues menées auprès de participantes et de participants volontaires, à la suite du cours, en vue d’approfondir les éléments abordés relativement à la question d’égalité des sexes en sciences. Quant à la quatrième partie, elle est consacrée aux diverses façons dont ces futurs enseignants et enseignantes de sciences comptent contribuer à l’égalité des sexes en sciences par la mise en oeuvre des apprentissages effectués dans ledit cours. La cinquième partie qui tient lieu de conclusion révèle des éléments susceptibles d’amener des changements, à moyen et à long termes, quant à la condition des femmes en sciences mais aussi quant à la pratique des sciences en général.

Le cadre contextuel et conceptuel

À l’Université d’Ottawa, le programme de formation initiale à l’enseignement dure un an après l’obtention d’un baccalauréat. Les candidates et les candidats à ce programme sont issus de diverses disciplines et sont en quête de la carte de compétence requise dans les écoles franco-ontariennes. Le programme est divisé en trois niveaux selon que les candidates et les candidats s’intéressent à l’enseignement au primaire-moyen (de l’éducation préscolaire à la sixième année), au moyen-intermédiaire (de la quatrième à la dixième année) ou à l’intermédiaire-supérieur (de la septième à la treizième année, ou plutôt à la douzième selon la dernière réforme en Ontario). Parmi les candidats et les candidates, à l’intermédiaire-supérieur, qui se spécialisent dans l’enseignement des sciences, se trouvent ceux et celles qui ont comme option chimie-biologie, chimie-physique, biologie-physique et qui doivent prendre le cours « Problématique de l’enseignement des sciences ». Ce cours a été créé et donné pour la première fois en 1994. Selon la description inscrite dans l’annuaire de l’Université d’Ottawa (2001), le cours doit traiter des éléments suivants : « Concepts de base (épistémologie, didactique, stratégies d’enseignement) et historique du développement de l’enseignement des sciences ; approches contemporaines à l’enseignement des sciences ; identification et analyse des principales problématiques. » Depuis la création de ce cours en 1994, le nombre d’étudiants et d’étudiantes qui s’y sont succédé a graduellement augmenté de 1994 à 2002, et ce, dans des proportions plus ou moins égales entre femmes et hommes. Pour ce qui est de ces proportions, les études féministes dans le domaine des sciences y sont pour beaucoup, car, en général, il y a bien davantage d’hommes que de femmes à l’intermédiaire-supérieur comparativement au primaire-moyen et au moyen-intermédiaire et dans les autres disciplines de l’intermédiaire-supérieur. Toutefois, il reste encore un long chemin à faire pour en arriver à une véritable représentativité des femmes dans l’enseignement des sciences dans les écoles, les établissements d’enseignement collégial et encore davantage dans les universités ainsi que dans les carrières scientifiques (Sethna et Mujawamariya à paraître ; Smith 2000 ; Valentine 2000 ; Kirkpatrick et Cuban 1998 ; Acker et Oatley 1993 ; AAUW 1992 ; Brush 1991 ; Statistics Canada 1990 ; Robertson 1988). Notre étude s’apparente donc à une recherche-action selon Ley (1979 : 10), pour qui le projet de recherche-action veut élargir la conscience collective en vue de rendre possible le changement social. Ainsi que renchérit Auclair (1980 : 188), les activités de recherche-action améliorent la qualité de l’information et le jugement critique :

Le terme de recherche-action [est] employé pour désigner une méthodologie susceptible de permettre aux individus de s’informer sur le milieu dans lequel ils vivent, et sur eux-mêmes ; de diffuser la bonne information qui les amènera à penser correctement ; de faire appel à leur sens [...] pour qu’ils découvrent des solutions originales à leurs problèmes quotidiens [l’italique est de nous].

Dans le cas qui nous intéresse, ces activités de recherche font partie intégrante des activités de formation.

Les activités de formation

À l’intérieur du cours « Problématique de l’enseignement des sciences », les activités d’enseignement-apprentissage consistent en une réflexion historique et critique sur l’enseignement des sciences. Les futurs enseignants et enseignantes circonscrivent les multiples facettes de l’enseignement des sciences, analysent les raisons de cet enseignement et, finalement, se familiarisent avec les diverses manières d’enseigner les sciences. Dans ce processus, les étudiants et les étudiantes s’appuient, d’une part, sur les discussions amenées dans le cours portant sur le contenu de ce dernier et enrichies de leurs expériences personnelles antérieures à l’école et, d’autre part, sur l’analyse critique d’articles scientifiques qui traitent de l’enseignement des sciences. La collecte de ces articles, qui ne doivent pas dater de plus de cinq ans[1], incombe aux étudiants et aux étudiantes à raison d’un article par personne. À la fin de la session, chaque étudiant ou étudiante présente à ses collègues une synthèse réflexive dans laquelle il ou elle expose et discute sa pratique enseignante de demain. Les autres doivent évaluer cette synthèse et la commenter.

Ce cours s’inscrit dans une approche constructiviste dans ses dimensions épistémologique, psychologique et pédagogique (Jonnaert et Vander Borght 1999 ; Hodson 1998 ; Larochelle, Bednarz et Garrison 1998 ; Fourez 1994 ; Reiss 1993 ; Tobin 1993) et se situe dans un contexte de renouvellement de l’enseignement des sciences. En effet, bien que depuis un demi-siècle on procède à des refontes des objectifs d’enseignement-apprentissage, nombreux sont les auteurs et auteures qui soutiennent que la « scientification » de la société ne s’accompagne pas de celle des individus (Mathy 1997 ; De Vecchi et Giordan 1994 ; Solomon et Aikenhead 1994 ; Gagné 1993 ; Orpwood 1990 ; Giordan 1989 ; Fourez 1989 ; Viovy 1989 ; Wautelet 1989 ; Layton 1988 ; Aikenhead 1981 ; Page 1979). Pour De Vecchi et Giordan, la raison principale de cette situation réside dans l’élève, « ce présent-absent » du système éducatif. Même si l’élève est là, on tient rarement compte de ce qu’il ou elle sait ou croit savoir. Cela semble d’autant plus vrai quand il s’agit des filles. Les études (Valentine 2000 ; Solar 1995 ; Briski 1992 ; AAUW 1992 ; OCDE 1986) ont démontré que les enseignantes et les enseignants ont plus d’interactions avec des garçons qu’avec des filles, attitude renforcée lorsqu’il s’agit des activités d’enseignement-apprentissage relatives aux sciences.

En vue d’une action concertée entre la recherche sur l’enseignement des sciences et la pratique de cet enseignement, les théoriciens et les théoriciennes préconisent une approche éducative qui s’inscrit dans une perspective constructiviste ou socioconstructiviste (Jonnaert et Vander Borght 1999 ; Hodson 1998 ; Larochelle, Bednarz et Garrison 1998 ; Fourez 1994 ; Reiss 1993 ; Glaserfeld 1985, 1983 ; Giordan et autres 1983) selon laquelle chaque élève, à partir de ce qu’il ou elle sait déjà, construit peu à peu son savoir en interagissant avec d’autres et l’environnement. Voilà ce qui nous a amenées à privilégier une approche constructiviste qui met en avant une réflexion critique sur les rapports hommes-femmes dans les processus de construction, d’appropriation et d’utilisation des savoirs scientifiques par et dans la société. Ce cours destiné aux futurs enseignants et enseignantes de sciences au secondaire traite donc des aspects suivants : épistémologie des sciences, histoire des sciences, représentations sociales des sciences et relations sciences-technologies-société. Lors de la première séance du cours, nous insistons sur le caractère réflexif et critique de la formule pédagogique mise en oeuvre qui interpelle chacune et chacun en vue d’une participation active.

L’introduction au contenu du cours, proprement dit, commence avec différentes définitions de l’enseignement des sciences formulées, sur-le-champ, par les personnes présentes. Ces définitions sont ensuite explicitées les unes après les autres selon le sens de chaque mot retenu par « l’auteur ou l’auteure ». L’objectif n’est pas d’en choisir une meilleure et de laisser tomber les mauvaises, mais plutôt de faire prendre conscience aux étudiants et aux étudiantes de la diversité des conceptions possibles afin que chaque personne puisse enrichir la sienne au contact de celles des autres. C’est dans cette ambiance que se poursuit le cours ; on y aborde, entre autres, les questions suivantes : 1) Qu’appelle-t-on sciences ? 2) Comment et par qui ces sciences sont-elles produites ? 3) Quel rapport existe-t-il entre sciences et sociétés, technologies et cultures ? 4) Comment ces sciences ont-elles été enseignées dans le passé, comment le sont-elles aujourd’hui et comment devraient-elles l’être, et pourquoi ? Ce cours pourrait carrément se résumer en six mots clés : quoi, pourquoi, comment, hier, aujourd’hui et demain. Nous croyons que, tout comme les sciences elles-mêmes, l’enseignement des sciences n’est pas figé dans le temps. Et tout au long de cette réflexion sur l’enseignement des sciences, nous accordons une attention particulière à la question des femmes dans cette sphère d’activité, ce qui inclut leur faible représentativité, que ce soit dans les productions scientifiques, à l’école comme sur le marché du travail. Selon les propos amenés spontanément par les étudiantes et les étudiants, nous tentons de leur faire prendre conscience des omissions, volontaires ou inconscientes, de la contribution des femmes au patrimoine scientifique de l’humanité, des raisons de l’exclusion des sujets féminins à l’école scientifique et dans les carrières scientifiques ou encore des façons de rendre justice aux femmes.

Au sujet des femmes en sciences

Dans l’enseignement en général et dans l’enseignement des sciences en particulier, tous les acteurs et actrices sont porteurs de représentations susceptibles de contribuer à la reproduction des rapports inégaux entre les femmes et les hommes. En effet, l’école est souvent le reflet de la société dans laquelle se meuvent ces actrices et acteurs. Et pour un contexte plus équitable, il est essentiel de mettre en avant des formes de pédagogie soucieuses de favoriser des rapports égalitaires entre les filles et les garçons. C’est pourquoi nous avons privilégié, tout au long de notre cours, la pédagogie que Bouchard et autres (1996) qualifient de progressiste, égalitaire et engagée, et que d’autres (Dei et autres 2000) appellent « pédagogieinclusive » tout en espérant donner le goût à nos étudiants et étudiantes qui enseigneront bientôt les sciences de faire de même avec leurs élèves. Selon Bouchard et autres (1996 : 28), une pédagogie est qualifiée de progressiste :

[...] dans la mesure où elle permet de développer le goût de l’effort et du dépassement, d’encourager doublement ceux et celles qui éprouvent des difficultés, de se soucier de développer l’estime de soi, de témoigner de la considération aux élèves et comporte des défis. D’égalitaire ensuite, parce qu’elle permet de favoriser dans le langage, dans l’organisation de la classe, dans le contenu du cours, dans le matériel scolaire, dans les méthodes de travail une représentation équitable des femmes et des hommes. Pédagogie engagée enfin, car elle s’attache à modifier ses perceptions, ses attitudes, ses pratiques, ses valeurs, ses relations avec les élèves des deux sexes.

Notre pratique d’enseignement-apprentissage est soutenue par les quatre paramètres suivants : la parole, la prise de pouvoir, la participation active et la mémoire. Chaque paramètre fait partie d’un duo que Solar (1995) appelle les « axes paradigmatiques des pédagogies de l’équité ». Ces paramètres sont issus des pédagogies féministe, antiraciste et de la libération, chacune étant caractérisée par la transgression (hooks 1994).

De quoi l’enseignement des sciences a-t-il à se libérer ?

Depuis 1994, les étudiants et les étudiantes du cours « Problématique de l’enseignement des sciences » participent notamment à un débat intitulé : « Que peuvent les femmes en sciences ? » en vue d’évaluer leur compréhension des questions relatives au genre en sciences et de les sensibiliser à leur rôle d’agent social ou d’agente sociale de changement dans l’engagement des femmes en sciences. Pour orienter les discussions en petits groupes, il leur est demandé de donner leurs opinions sur les sujets suivants :

  1. le potentiel, les performances et le rendement scolaires des femmes comparés à ceux des hommes ;

  2. les facteurs pouvant influer sur l’orientation scolaire scientifique des femmes ;

  3. le nombre réduit de femmes en sciences exactes à l’école comme sur le marché du travail ;

  4. le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante dans la promotion de l’accès des femmes au savoir et aux carrières scientifiques.

Il est intéressant de noter que plusieurs principes suggérés par la Direction générale de la condition féminine de l’Ontario (1995 : 1) appuient notre démarche pédagogique déjà mise en place depuis 1994. Ces principes font appel à des projets ayant pour objet :

  1. d’assurer que les facultés d’éducation fournissent aux étudiantes et aux étudiants en formation préalable à l’enseignement l’information, les possibilités d’analyse et les ressources pertinentes par rapport aux questions liées à l’égalité des sexes ;

  2. d’assurer que les facultés d’éducation donnent aux étudiantes et aux étudiants en formation préalable à l’enseignement la possibilité de développer les aptitudes et les analyses nécessaires, de façon que dans l’avenir, ces personnes soient en mesure de fournir un milieu d’apprentissage dans lequel les étudiantes soient à l’aise, qui leur permet de prendre des décisions claires à propos de leur vie scolaire et de leur future carrière et de développer une confiance en soi positive et l’excellence.

Cela a alors été une occasion d’évaluer l’impact réel de notre approche de façon formelle. D’où l’opportunité de démarrer un projet de recherche. C’est ainsi qu’en 1996 des neuf étudiants et étudiantes qui suivaient le cours, cinq se sont portés volontaires afin de poursuivre les réflexions amorcées au sujet de l’égalité des sexes en sciences. Comme tous leurs collègues, ces étudiants et étudiantes sont titulaires d’un baccalauréat en sciences (chimie, biologie, physique) et se préparent à enseigner au secondaire. Ils sont âgés de 21 à 24 ans. Leur participation au projet de recherche a consisté en des entrevues individuelles du type semi-structuré, pour une durée de 45 à 60 minutes, et enregistrées sur cassette audio. Aux quatre sujets ci-dessus mentionnés et discutés collectivement, il s’en ajoutait un cinquième portant sur :

  • les apprentissages effectués eu égard aux questions d’équité des sexes en sciences abordées dans le cours « Problématique de l’enseignement des sciences ».

Pour permettre à la personne interrogée d’élaborer ses réponses à sa guise, au moment de l’entrevue, les questions étaient ainsi formulées :

  • Il y a moins de femmes en sciences exactes que d’hommes. Selon toi, quelles seraient les raisons de ce phénomène ?

  • Selon certaines personnes, les femmes réussissent moins en sciences exactes que les hommes. Quelle est ton opinion ?

  • Y aurait-il des facteurs externes qui influeraient sur l’orientation scolaire scientifique des femmes ?

  • Si oui, peux-tu en nommer quelques-uns ?

  • Comment ces facteurs agissent-ils ?

  • Quel est le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante dans l’accès des filles aux sciences ?

  • Est-il possible pour une femme d’atteindre les mêmes performances qu’un homme en sciences exactes ?

  • Qu’as-tu appris dans ce cours au sujet du genre ?

Après une analyse de contenu (L’Écuyer 1987), nous reprendrons dans les pages qui suivent quelques éléments de réflexion des personnes ayant pris part à cette étude sur la problématique des femmes en sciences.

Des propos de futurs enseignants et enseignantes[2]

Les points saillants des propos tenus par les participants et les participantes à notre étude sont de quatre ordres : 1) les capacités intellectuelles et la réussite des filles en sciences comparées à celles des garçons ; 2) les facteurs favorisant l’égalité ou l’inégalité des sexes en sciences ; 3) les obstacles à l’égalité des sexes en sciences ; et 4) les stratégies susceptibles de contribuer à l’établissement du rééquilibre des inégalités entre les sexes en sciences.

Les capacités intellectuelles et la réussite en sciences

C’est à l’unanimité que les répondantes et les répondants à cette étude reconnaissent les mêmes performances intellectuelles aux filles et aux garçons, en sciences exactes, et vont même jusqu’à dire que, dans certains cas, les filles réussissent mieux que les garçons. Selon ces étudiantes et étudiants, si les différences entre les filles et les garçons sur le plan physique se manifestent par des différences concernant la force physique, il n’y a pas de différence sur le plan intellectuel. Cependant, à leur avis, la société a choisi de valoriser les hommes plus que les femmes et a pour complices des hommes qui, dans leur enseignement, utilisent des stratégies qui ne permettent pas aux femmes de se démarquer et des outils d’évaluation inadaptés à la façon d’apprendre des femmes. Voici quelques illustrations de leurs opinions :

Je pense qu’une femme peut atteindre les mêmes performances que les hommes, peut-être qu’elle atteint ces performances d’une façon différente et que malheureusement notre système d’évaluation ne tient pas compte de ça [...] Mais je pense que c’est aussi possible pour une femme de très bien réussir, de mieux réussir que certains hommes.

1996-Éric

C’est certain qu’on peut obtenir les mêmes performances [...] mais moi ma question ça serait : est-ce possible qu’un jour on va voir une femme être valorisée autant qu’un homme, une femme qui va être montée au même niveau que ceux qui ont les mêmes connaissances qu’elle et qui sont valorisés ?

1996-Betty

Moi je dis que c’est pas parce qu’on est inférieure aux gars [...] c’est peut-être de la façon qu’on a juste des profs, puis que c’est des hommes qui nous enseignent, eux autres ont une façon de voir tu sais [...] Moi je crois et je maintiens que les femmes sont égales aux hommes [...] mais c’est juste qu’on a à l’apprendre d’une autre façon.

1996-Darlyn

C’est vrai que dans d’autres domaines, au niveau physique les hommes, c’est certain qu’ils peuvent lever des choses plus lourdes que des femmes, mais au niveau mental, je ne verrais pas pourquoi les femmes ne seraient pas capables d’atteindre les mêmes performances.

1996-Claude

Les facteurs favorisant l’égalité ou l’inégalité des sexes en sciences

Ces étudiantes et étudiants sont nombreux à affirmer que tout commence à la maison où les parents perpétuent ou combattent les préjugés et les stéréotypes véhiculés dans la société. À leur avis, le soutien familial semble être le facteur le plus important par rapport à l’intérêt et à la réussite des filles en sciences exactes. Ce soutien peut prendre plusieurs formes : soutien matériel à travers les jouets (outils scientifiques), soutien verbal à travers les suggestions de carrière et soutien moral à travers l’écoute. Cependant, ils estiment que, au-delà de l’encouragement reçu dans la famille, une certaine motivation intrinsèque et un certain intérêt conditionnent grandement la réussite des filles en sciences. Et pour maintenir cette motivation et cet intérêt surtout chez la fille, l’enseignante et l’enseignant devraient se montrer vigilants :

Dans mes études, je sais ce que je veux faire et je sais où je vais me rendre, mais c’est parce que j’ai eu ma mère qui me poussait en arrière, et c’est pas tout le monde qui a cela non plus. Souvent c’est dans la famille même, les parents [...] moi j’avais un support moral à la maison [...] ma mère ça a été une grande part de ma réussite.

1996-Aline

Moi j’ai toujours adoré les sciences [...] quand j’étais toute jeune, ils [mes parents] m’ont acheté un microscope avec des lames toutes préparées [...], donc l’intérêt a toujours été là, ça m’a aidé beaucoup...

1996-Betty

Quand j’étais jeune, ils [mes parents] m’ont dit, tu devrais t’en aller là-dedans [en sciences]... Ça fait que, dans le fond, si mes parents m’avaient dit : « tu vas être secrétaire », peut-être que je serais une secrétaire ! Tu sais, je ne dénigre pas le fait que les secrétaires ne sont pas bonnes ; ce n’est pas ce que je veux dire, mais tu sais peut-être que je n’aurais jamais pensé aux sciences...

1996-Darlyn

Et comme le souligne si bien Darlyn, l’autre clé qui ouvre la porte aux sciences est dans la main de l’enseignant ou de l’enseignante :

Dans le fond, le fardeau est sur le dos du prof, tu sais, si tu veux faire aimer ça aux jeunes, faut que tu saches un petit peu aller les chercher... C’est sûr que le jeune, il faut qu’il découvre qu’il aime ça mais... si le prof ne lui donne pas d’opportunités de découvrir qu’il aime ça, bien il ne le saura jamais, ça va rester caché, tu sais.

1996-Darlyn

Des chercheuses et des chercheurs qui se sont penchés sur la question des responsabilités des parents et du rôle du personnel enseignant dans la poursuite des études et carrières scientifiques des filles, Jewett (1996), entre autres (cité par Valentine 2000 : 3), indique que “parental and societal perceptions and teacher behavior and expectations are the main reasons that girls turn away from science and thus don’t compete for the technical jobs”. Et Valentine (2000 : 3) de renchérir :

Teachers and parents pass on their likes and dislikes in very subtile ways. A teacher who may have disliked math or science in his own schooling is responsable for teaching these subjects to K-5 graders. Elementary teachers spend less than 2 hours a week instructing sciences. Are these science, math phobic teachers, who are generally female passing these fears onto their students especially the female students who are seeing their female teachers as role models ?

Loin de nous l’intention d’accuser les enseignantes et les enseignants du primaire d’être responsables du sort actuel des femmes en sciences, car il ne faut pas négliger l’environnement social comme source d’influence, autant sinon plus importante que le milieu familial ou scolaire. Comment reprocher à ces personnes de ne pas offrir ce qu’elles n’ont pas et ce qu’elles n’ont pas elles-mêmes reçu ? Nous voulons plutôt souligner le fait que l’école n’est pas ou n’a pas été nécessairement toujours une solution. Parfois, sinon souvent, elle fait même partie des obstacles qui détournent les filles des études et carrières scientifiques, comme le font si bien remarquer les participants et les participantes à notre étude.

Les obstacles à l’égalité des sexes en sciences

Au dire de ces étudiants et étudiantes, tout comme la famille, l’école est une arme à double tranchant relativement aux stéréotypes véhiculés dans la société. En effet, que ce soit dans des documents écrits ou audiovisuels (télévisuels), à propos des carrières scientifiques, il n’y a pas sinon très peu de place faite aux femmes. Pendant que la famille paternaliste actuelle confine souvent les femmes aux rôles traditionnels, celui ou celle qui enseigne les sciences (plus souvent un homme) perpétue dans sa classe, consciemment ou non, les mêmes clichés. En outre, au risque de voir son cercle d’amis et d’amies se briser, la fille qui veut embrasser les sciences fait souvent face à la pression des autres élèves, sans oublier que plus tard, dans sa carrière, la femme est aux prises avec des tâches ménagères sans toujours pouvoir compter, à égalité de parts, sur la collaboration de son partenaire :

Je regarde beaucoup la télévision puis j’aime aller au cinéma et je vois que c’est encore là les stéréotypes, que les scientifiques ce sont les hommes... C’est vraiment rare que tu vas voir une femme scientifique. Donc je pense que les gens ont cette mentalité-là et je pense que les filles ne sont pas encouragées à aller dans les sciences.

1996-Betty

Il y a un manque de la part des conseillers d’orientation qui n’encouragent pas les filles à poursuivre, qui n’encouragent pas le fait qu’une fille peut bien réussir en sciences exactes [...] pis malheureusement, il y a aussi des pressions à la maison, la perpétuation des stéréotypes familiaux, la mère qui n’a jamais travaillé, qui a travaillé à des tâches de la maison, ne sera pas nécessairement prête à supporter les projets de sa fille qui veut s’en aller en génie, en physique ou en mathématiques.

1996-Éric

C’est encore le découragement de certains professeurs, la vision des sciences comme quelque chose qui est difficile. Donc sans même l’essayer tu peux penser que non, c’est quelque chose qui est trop difficile pour moi puis juste laisser faire. Je trouve que les femmes aussi c’est plus important pour nous autres, disons, notre image [...] Je sais que moi au secondaire mes amis riaient de moi [...] parce que j’étais en sciences et puis j’ai aussi eu du découragement quand je suis venue à l’université quand j’ai dit que je voulais étudier en biochimie, ha ! Tu te compliques la vie pour rien, c’est trop difficile !

1996-Betty

C’est un cercle vicieux en fin de compte, tu as la famille, t’as l’école et tu as la mentalité de tous les gens qui fait que c’est un peu... »

1996-Darlyn

... plutôt très décourageant et extrêmement dommageable, pour les jeunes filles qui voudraient cheminer en sciences. C’est ce qui amène ces étudiants et étudiantes à conclure que la famille, l’école et la collectivité devront unir leurs efforts pour changer les construits de la société afin de permettre aux femmes de s’engager dans des études et des carrières non traditionnelles. Autrement dit, changer de stratégies.

Les stratégies pour l’égalité des sexes en sciences

Pour permettre aux filles de participer activement aux sciences et d’en profiter pleinement, les répondants et les répondantes notent que femmes et hommes devraient être traités équitablement, que ce soit à la maison, à l’école ou au travail, ce qui n’est pas encore le cas :

Ça commence chez vous la mentalité, tu sais comme si chez vous les gars et les filles c’est pas pareil, puis à l’école...

1996-Darlyn

La façon dont les élèves sont traités en salle de classe, les filles comparativement aux gars, souvent les filles sont, pas dorlotées mais on dirait que si un gars s’énerve ou fait des coups plates, le prof va souvent le laisser faire, mais si c’est une fille, il va la traiter différemment [...] moi, dans mes classes lorsque j’étais au primaire et au secondaire : les filles, il fallait qu’elles soient fines, tandis que les garçons étaient un petit peu tannants mais c’est pas grave, c’est des gars [...] quand j’ai fait mon stage je le remarquais encore, mais je pense que le prof ne le réalise pas, c’est le subconscient on dirait.

1996-Claude

Avec les élèves comme tels [...] tu veux qu’il y ait plus de femmes en sciences, il faut que tu sois équitable avec tes élèves, il ne faut pas que tu aies de préférences avec les filles qu’avec les gars.

1996-Aline

Cette tâche exige non seulement un changement d’attitudes mais aussi un changement de rôles. En particulier dans le domaine de l’enseignement des sciences, les plus jeunes (au primaire) ont besoin de modèles masculins, tandis que les élèves les plus âgés (au secondaire, au collégial et à l’université) ont soif de modèles féminins. Car, insistent les répondantes et les répondants, lorsque l’encouragement et le soutien familial font défaut, le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante reste déterminant quant au devenir de l’élève en ce qui a trait aux sciences. Cet encouragement réside dans la relation élève-enseignant ou enseignante, à travers des stratégies inclusives par rapport à celui ou celle qui apprend et au contenu, lesquelles ne semblent pourtant pas populaires chez les enseignants, soutiennent ces futurs enseignants et enseignantes, alors que ce sont eux qui dominent la sphère de l’enseignement des sciences :

Au secondaire, c’était des hommes qui étaient mes profs de science parce que moi j’ai toujours pris « option science », je n’ai pas eu souvent de profs femmes [...] je pense que c’est encore un préjugé de dire que les femmes sont meilleures avec les enfants que les gars [...] quand j’ai fait mes classes nature, il y avait un prof qui était un homme puis il était à la maternelle, ça fait que tu sais c’est rare. »

1996-Darlyn

Je pense peut-être en partie le manque de modèles et peut-être aussi que l’histoire des sciences ayant été écrite par des hommes, on fait moins mention des contributions des femmes, donc ça a une espèce d’enchaînement qui fait qu’il y a moins d’exemples de femmes qui ont réussi, donc de femmes qui sont intéressées par les sciences exactes [...] de la façon dont c’est présenté, l’enseignement des sciences exactes n’est pas très global [...] c’est très artificiel et c’est très froid. On ne tient pas compte des émotions, de l’aspect global, humain de la personne et c’est peut-être pour ça aussi là... que ça n’attire pas les femmes.

1996-Éric

Par exemple à mon stage, le secteur des sciences, il y avait neuf professeurs et seulement une femme. Donc quel rôle est-ce que ça joue ça ? Si t’as un homme devant la classe puis si cet homme-là est correct, fine ! Mais si cet homme a des préjugés, tu sais, il peut le faire inconsciemment puis décourager les filles d’aller en sciences puis donner plus d’attention aux gars. Donc eux apprennent plus.

1996-Betty

En attendant que les stratégies inclusives soient adoptées sur une large échelle, ces étudiants et étudiantes, tout au moins la majorité, ont compris la nécessité d’agir maintenant en apportant leur contribution à l’établissement du rééquilibre des inégalités entre les sexes en sciences exactes. Les voies choisies varient d’un individu à l’autre parmi lesquelles on retrouve : 1) des stratégies d’enseignement-apprentissage axées sur les interactions (discussion) ; 2) l’utilisation d’exemples qui intéressent les deux sexes ; 3) l’utilisation d’anecdotes ; 4) la démythification des sciences ; 5) la lutte contre les stéréotypes sexuels liés aux sciences ; 6) l’enseignement de l’histoire des sciences relatant les contributions des femmes et des hommes ; 7) la mise au point d’outils d’évaluation qui permettent de rendre justice aux performances des filles ; et 8) l’utilisation d’un modèle sur les plans professionnel et familial. Les témoignages de ces étudiants et étudiantes de 1996 rendent compte des résolutions qui se prennent à l’issue de ce cours :

Je vais essayer dans mon enseignement de mettre l’emphase, de démontrer que les filles peuvent aussi [bien] réussir que les hommes.

1996-Éric

C’est banal mais, dans un cours de sciences, c’est important de faire l’histoire des sciences, d’utiliser des noms de femmes et de hommes, c’est un détail, mais ça rentre dans la tête des jeunes à un jeune âge. Comme ça, plus tard, ils vieillissent comme pas racistes, comme pas sexistes non plus, si on utilise toutes les cultures et tous les sexes.

1996-Aline

Tout compte fait, les propos de ces futurs enseignants et enseignantes corroborent les données des études récentes (Brownlow, Smith et Ellis 2002 ; UNESCO 2000) sur la persistance d’embûches à l’accès des femmes au savoir et aux carrières scientifiques. Les défis sont bien de taille dans la mesure où sont mis en jeu d’innombrables facteurs dont :

  1. la famille ;

  2. autres élèves ;

  3. le personnel enseignant ;

  4. les médias ;

  5. le modeling ;

  6. les conseillers ou conseillères d’orientation ;

  7. les activités parascolaires ;

  8. les styles d’apprentissage ;

  9. la nature même de l’activité scientifique ;

  10. la mythification d’une science masculine ;

  11. la perception quant à l’intérêt des femmes en sciences ; et

  12. la confiance qu’ont les femmes en elles-mêmes par rapport aux sciences.

Chacun de ces facteurs pourrait à lui seul constituer l’objet d’un cours complet en vue d’outiller efficacement les futurs enseignants et enseignantes de sciences relativement aux inégalités dont sont victimes les femmes en sciences. Cependant, dans les modestes conditions du cours dont il est question dans le présent article, quels espoirs pouvons-nous nourrir devant cette vaste entreprise ?

Quel est le potentiel de changements dans la pratique enseignante de demain ?

Au Canada comme dans plusieurs pays, les femmes dominent la carrière enseignante à l’éducation préscolaire et au primaire. Toutefois, quel est le profil de ces enseignantes ? Pour la plupart, elles craignent les sciences ou les détestent et ne se sentent pas nécessairement qualifiées pour les enseigner (Valentine 2000 ; AAUW 1998). Alors que, comme le souligne Gadrey (s.d.) le goût pour une matière particulière se construit d’abord au contact de l’enseignant ou de l’enseignante. Après avoir donné ce cours pendant huit ans, nous avons vu évoluer des promotions d’étudiants et d’étudiantes et recueilli au fil de leurs travaux de fin de trimestre leurs impressions relatives à l’apport de cette activité. Nous reprenons ici certains propos qui, retenus délibérément, soulignent tour à tour le caractère réflexif du cours au sujet de l’activité scientifique, des meilleures façons d’enseigner les sciences pour les rendre accessibles à toutes les couches de la société et en particulier aux femmes, conformément aux objectifs énoncés au début de notre article. Ainsi, Claude était fier de dire :

On avait beaucoup de discussions, puis c’est ça qui était le fun d’avoir les points de vue des autres [...] C’était très intéressant [...] [La professeure] nous poussait à comprendre puis à ouvrir l’esprit.

1996-Claude

Un an plus tard, Jeannine écrivait dans sa synthèse réflexive :

Il m’est apparu évident dès le départ que ce cours allait provoquer chez moi des changements, mais je ne savais pas dans quelle mesure et à quel niveau [...] Concernant les changements survenus dans mon cheminement [...], les diverses définitions, offertes par chacun et chacune, de l’enseignement avaient déjà réussi leur oeuvre, c’est-à-dire me faire réfléchir ! Par la suite, il y a eu d’autres points saillants [...] L’exemple de la fécondation a été totalement révélateur pour moi et m’a fait réaliser l’importance de bien replacer les travaux dans une perspective historico-épistémologique, de façon à bien comprendre ce qui a motivé, dirigé et même contrôlé dans une certaine mesure les chercheurs de l’époque.

1997-Jeannine

Pour cette étudiante-maître, enseigner les sciences signifie désormais développer l’esprit critique chez les jeunes en bâtissant sur ce qu’ils et elles connaissent, leur faire comprendre que la science est certes capable de merveilles mais aussi d’atrocités, car elle est faite par des humains, leur faire comprendre que la science n’a pas de réponse à tout et qu’elle est accessible...

Et pour vanter les mérites de cette activité, la même future enseignante mentionnait :

Je désire simplement mettre l’emphase sur l’apport appréciable que le cours aura su apporter à mes conceptions sur la science. Le constructivisme, l’accommodation cognitive, l’importance d’intégrer l’histoire des sciences seront toutes des choses de première importance dans mon enseignement de demain...

Tout comme Jeannine, Marcel a vu évoluer sa conception de l’enseignement des sciences, particulièrement au profit des jeunes filles :

En tant que futur enseignant, je crois qu’il est important de s’arrêter et d’expliquer les obstacles de l’accessibilité des femmes sur le marché du travail ; la responsabilité d’assurer que tous les élèves, indépendamment de leur sexe, reçoivent la même qualité d’enseignement m’incombe ; il est important d’éliminer les obstacles qui se présentent devant une jeune femme qui souhaite poursuivre ses études postsecondaires dans le domaine des sciences. Ceci peut se faire en donnant des exemples de femmes qui ont réussi.

1999-Marcel

Pour atteindre cet idéal, Marcel a choisi de ne pas imposer sa manière de penser à ses élèves conformément à la théorie relative aux différences entre la pensée psychologique d’une femme et celle d’un homme : « Je vais tenter d’encourager les élèves, garçons et filles, à poser des questions ou à demander de l’aide lorsqu’ils ou elles en ont besoin. »

C’est au nom du même idéal que Doris veut incarner le modèle d’enseignante qu’elle a vu en action. Et c’est en considérant sa classe comme un « chaudron d’or » qu’elle pense pouvoir réaliser son rêve :

Chaque élève, dans ma classe, sera une pièce d’or pour moi, et la classe elle-même un trésor ! Les enfants et les adolescents peuvent être très difficiles parfois [...] mais il n’en demeure pas moins que ce sont des enfants, et des adolescents ; ils sont jeunes et traversent des moments difficiles, tout comme nous en avons eu à traverser pour devenir ce que l’on est. Voilà pourquoi je crois que si on les considère comme des petits trésors, qu’on les valorise, on pourra tirer le meilleur d’eux-mêmes et parfois sans qu’ils s’en rendent compte.

1999-Doris

Quant à Jeff, physicien de formation, sa pratique enseignante va consister en la mise en oeuvre de la « théorie des trois I » qu’il a lui-même élaborée au contact du cours. La presque quasi-absence de femmes dans les sciences physiques et même dans les manuels d’enseignement est à l’origine de sa motivation à combattre les préjugés et à détruire les stéréotypes de genre. Son arme est la suivante : intégration + innovation + initiative. Pour lui, l’intégration des femmes en sciences (physique) passe par le recours à des stratégies pédagogiques axées sur les besoins d’apprentissage de ces femmes, ce qui interpelle l’enseignant ou l’enseignante à l’innovation, que ce soit dans ses rapports avec les élèves ou le choix des exemples pour, d’une part, illustrer les concepts enseignés et, d’autre part, ne pas avoir peur d’être le premier ou la première à proposer de nouvelles idées ou plutôt à prendre l’initiative en matière d’égalité des sexes en sciences : « Nous sommes les enseignants de demain, dit-il, c’est à nous de faire les bons changements. Une intégration du cours [Problématique de l’enseignement des sciences] avec la théorie des trois I peut faire diminuer les stéréotypes de genre [en sciences] ». (2000-Jeff)

Chris est également préoccupé par les stéréotypes dont ceux qui sont véhiculés à la télévision à l’endroit des femmes en sciences, mais il croit fermement qu’il pourra, dans son enseignement, contribuer à attirer plus de femmes en sciences :

Par exemple, quand je montrerai des documents visuels en classe, je vais m’assurer qu’il y ait des femmes en train de faire des emplois que nous ne voyons pas souvent exécutés par des femmes (génie). De plus, j’utiliserai dans les démonstrations les objets plus familiers aux filles comme une corde à danser pour expliquer les ondes en physique, les bas de nylon ou les vernis à ongles pour expliquer les polymères.

2001-Chris

Sabine abonde dans le même sens que Chris, mais elle insiste davantage sur l’impact que peuvent avoir les conférencières venant de divers domaines scientifiques :

Inviter des femmes scientifiques pour venir parler aux élèves, car il existe des femmes qui ont inventé des gadgets, des outils, des procédés biologiques. Auprès des filles, un exemple féminin donne toujours un meilleur impact qu’un exemple masculin. Ces filles ont besoin d’un bon modèle féminin qui a une attitude positive envers les sciences. De plus, l’enseignant doit s’assurer de varier ses méthodes d’enseignement pour rejoindre les deux sexes. Mais il est important que les jeunes filles puissent voir l’accomplissement des femmes en sciences dans l’histoire et aujourd’hui. Ce faisant, on peut sûrement diriger des jeunes filles vers des carrières en sciences. Ensemble nous pouvons créer l’égalité !

2001-Sabine

Nous pourrions multiplier les exemples de témoignages relatifs aux apprentissages effectués dans ce cours, mais l’un des plus concluants observé, chez presque tous les candidats et les candidates, a été l’emploi spontané du féminin et du masculin dans leurs productions écrites et interventions orales, sans aucune incitation explicite de notre part. Par ailleurs, même si, à leur avis, ils semblent avoir intériorisé la question relative aux inégalités entre les sexes en sciences, un suivi serait nécessaire, croyons-nous, pour vérifier dans quelle mesure le discours qu’ils prônent est effectivement mis en oeuvre pour assumer leur responsabilité sociale que la classe du cours « Problématique de l’enseignement des sciences » de l’année 1999-2000 résume comme suit :

La responsabilité sociale de l’enseignant et de l’enseignante par rapport aux questions de genre est de contribuer à une société qui donne à tous les élèves (filles et garçons) une chance égale, à l’école comme sur le marché du travail.

Conclusion

Notre objectif ultime est de contribuer à la promotion de l’accès des femmes au savoir et aux carrières scientifiques, par l’entremise de la formation de futurs enseignants et enseignantes de sciences. Toutefois, Fullan et Stiegelbauer (1991) ainsi qu’Acker et Oatley (1993 : 261) mettent en garde les acteurs et les actrices de l’éducation relativement à l’implantation des changements : « Accomplishing change requires alterations in materials, teaching approaches, and beliefs. » De plus, il semble, selon ces mêmes auteurs, que les croyances soient spécialement difficiles à modifier. Dans le cas de nos activités de formation, nous n’avons pas eu à faire face à de futurs enseignants et enseignantes qui croient qu’il est strictement déconseillé d’intervenir, auprès des filles et garçons, dans l’intention de modifier leur préférence, au nom de la liberté de choix (Riddell 1992 ; Pratt 1985), afin de les inciter à embrasser des études et carrières non traditionnelles. Au contraire, ils se sont plutôt montrés enthousiastes à donner une attention particulière aux filles (s’il y a lieu) pour s’assurer de l’égalité des résultats. Cependant, les initiatives de ces futurs enseignants et enseignantes ne pourront effectivement porter leurs fruits que si elles rencontrent un terrain fertile, c’est-à-dire un milieu de travail favorable au changement. Nous savons pertinemment, comme le soulignent d’ailleurs Fullan et Stiegelbauer (1991 : 201), que les changements doivent à la fois venir du personnel enseignant et être appuyés par l’environnement : « ”top-down” initiatives may be resented and resisted, [however] individual teacher initiatives may not be well enough supported or generalized to have lasting effects. More promising are initiatives that develop “simultaneous top-down/bottom-up approaches”. »

Néanmoins, la plupart des solutions que se donnent ces futurs enseignants et enseignantes ne nécessitent pas du tout la sollicitation d’une quelconque autorité administrative. Elles interpellent davantage celui ou celle qui enseigne dans sa façon d’être et d’agir : son langage, ses relations avec les élèves, ses attitudes, ses valeurs, ses convictions et ses méthodes de travail. Ce qui, de prime abord, n’engage en rien l’autorité, mais nous semble assez engageant et profitable pour les élèves bénéficiaires.

Bien qu’il existe plusieurs projets et interventions pour encourager les filles à suivre des études et à faire carrière en sciences, rares sont les initiatives qui portent directement sur les programmes de formation initiale des enseignants et des enseignantes de sciences (Valentine 2000 ; Direction générale de la condition féminine de l’Ontario 1995 ; Brummelhuis 1994 ; Julien 1987). Nous avons voulu ici partager notre expérience basée sur une pratique toujours en marche. Nous sommes toutefois conscientes des limites des résultats de nos entrevues compte tenu de la taille de notre échantillon. Une catégorie manquante, dans le sens de L’Écuyer (1987), nous semble évidente en comparant les propos de ces étudiants et étudiantes et les hypothèses avancées dans la littérature à ce sujet. En effet, les futurs maîtres ont à peine mentionné l’influence des valeurs et des croyances de la société ainsi que celles des médias, tant écrits qu’électroniques, et n’ont évidemment pas traité de l’influence relative de la société par comparaison à celles des parents et du personnel enseignant. Il est bien normal, pour ces futurs enseignants et enseignantes, de mettre en évidence leur rôle dans le choix d’une carrière en sciences pour les filles, mais ils devraient l’appréhender dans une perspective sociohistorique plus large et plus contextualisée. Nous croyons qu’ainsi ils permettraient à leurs élèves de développer un meilleur esprit critique, tout en favorisant une certaine responsabilisation (empowerment) à l’égard des enjeux sociaux. Il est intéressant de relever que cette omission peut devenir une piste pour nous afin d’améliorer le contenu du cours « Problématique de l’enseignement des sciences ».

Tout en tenant compte de ces limites, nous voulons rappeler que notre activité s’apparente à une recherche-action et n’a, par conséquent, aucune visée généralisatrice. Sa dimension « recherche » nous sert plutôt d’assise pour améliorer nos interventions pédagogiques, alors que c’est son aspect « action » qui permet aux futurs enseignants et enseignantes de partir du bon pied non seulement quant à l’intégration des filles en sciences mais aussi quant aux questions relatives à la nature et à la pratique des sciences et des technologies. Il serait vain en effet d’attirer des filles dans les cours de sciences si c’est pour finalement les perdre en perpétuant, sur le marché du travail, des règles de jeu (souvent masculines) qui laissent peu de place à leur spécificité et à leur façon de penser (Brownlow, Smith et Ellis 2002 ; UNESCO 2000 ; Knupfer, Rust et Mahoney 1997 ; Marshall 1993 ; Acker et Oatley 1993 ; Kahle 1987). Une éducation à la science émancipatrice devrait permettre aux étudiants et aux étudiantes de re-penser la nature et les pratiques des sciences en ouvrant sur les rôles joués par la culture, les valeurs, la socialisation, les expériences de vie et les croyances dans la construction, l’appropriation et l’utilisation des savoirs scientifiques. Ainsi, nous le souhaitons, le sujet épistémique, qu’il soit fille ou garçon, qu’il représente une culture orientale, européenne, africaine ou amérindienne, pourra peut-être retrouver SA place dans la quête de significations personnelles incarnées dans le vécu des personnes qui donnent naissance et sens aux savoirs scientifiques.