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Les astrocytes forment la principale population de cellules gliales du système nerveux. Depuis le milieu du XIXe siècle, où le tissu nerveux non-neuronal fut qualifié de « glue » par Virshow, et jusqu’à ces dernières années, les astrocytes ont été considérés comme des éléments passifs, des cellules de soutien. De fait, les étroites interactions que ces cellules entretiennent les unes avec les autres par l’intermédiaire de jonctions serrées de type gap ont longtemps laissé croire aux électrophysiologistes que le syncytium astrocytaire était inerte. Une conception balayée dès l’apparition des techniques de patch-clamp, démontrant la vaste gamme de canaux ioniques, dépendant ou non du voltage, exprimés à la surface cellulaire. En parallèle, leur faible imprégnation par la technique de coloration argentique développée par Golgi ne permettait pas de trancher nettement en faveur de la théorie cellulaire, tandis que les neurones offraient à Cajal un magnifique champ de démonstration. Ici encore le progrès technique, et l’apparition de la microscopie électronique, vinrent bouleverser les dogmes et établir la réalité.

Ainsi, au cours des dernières années, de nombreuses fonctions ont été reconnues aux astrocytes [1]. Parmi celles-ci figure la constitution de l’architecture cérébrale au cours du développement. Les astrocytes embryonnaires de la glie radiaire servent de « rails » lors de la migration des neurones immatures de l’espace périventriculaire vers les couches externes du cortex cérébral. L’astrocyte est également nécessaire à la formation de la barrière hémato-cérébrale. De plus, son rôle majeur dans la formation et la plasticité des synapses entre neurones a été mis en évidence [2], [3]. Par ailleurs l’astrocyte est le seul lieu de stockage du glucose dans le système nerveux, donc la seule source énergétique des neurones, et les facteurs de croissance sécrétés par les astrocytes sont essentiels à la conservation des fonctions neurales et à la survie cellulaire.

L’ensemble de ces donnés permet de modifier profondément notre conception de l’astrocyte, qui apparaît maintenant comme une cellule très active qui participe en particulier au contrôle de l’environnement local dans le système nerveux central.

Un autre dogme mis à mal au cours de la dernière décennie a été celui de neurones immuables de la naissance à la mort [4]. Deux zones du cerveau, la zone sous-ventriculaire et la zone sous-granulaire de l’hippocampe, abritent des cellules souches qui donnent naissance à de nouveaux neurones tout au long de la vie, y compris à l’âge adulte. Mais il existe également des cellules souches adultes capables de donner naissance aux différentes lignées cellulaires du système nerveux central, y compris des neurones, dans d’autres régions du cerveau, comme le striatum, ou la moelle épinière. Toutefois ces cellules restent quiescentes dans le contexte de la physiologie normale du système nerveux. D’où l’idée simple: l’environnement local conditionne la capacité des cellules souches adultes à proliférer et à se différencier. Reste à le démontrer et à en déterminer les mécanismes. Un article du groupe de Fred Gage [5], l’un des pionniers du domaine avec Sam Weiss et Arturo Alvarez-Buylla, a récemment mis en évidence le rôle des astrocytes dans le contrôle de la neurogenèse dans l’hippocampe chez l’adulte.

Pour suivre le devenir des cellules souches, les auteurs utilisent une technique préalablement décrite qui leur permet d’isoler de façon clonale des cellules souches d’hippocampe de rat adulte, puis de les transfecter avec un rétrovirus qui s’intègre dans le génome des cellules hôte, et permet l’expression du marqueur fluorescent (GFP) dans la descendance de ces cellules. En présence de FGF-2 (fibroblast growth factor-2), les cellules prolifèrent et restent indifférenciées. Les auteurs observent, après retrait du FGF-2, une différenciation spontanée en neurones (MAP 2αβ+), oligodendrocytes (RIP+, GalC+) et astrocytes (GFAP+), dans une très faible proportion: 1 à 2 % des cellules. Cette proportion peut atteindre 5 % si les conditions de culture incluent la laminine, l’acide rétinoïque et le sérum de veau foetal. Mais plus de 10 % de neurones ou d’astrocytes sont détectables si les cellules souches sont cultivées en milieu défini sur une monocouche d’astrocytes et de neurones prélévés sur des animaux nouveau-nés. La substitution des astrocytes par des fibroblastes est inefficace. Curieusement, une monocouche constituée seulement de neurones stimule la différenciation en oligodendrocytes, tandis qu’une monocouche uniquement composée d’astrocytes de l’hippocampe reproduit l’effet inducteur neurogénique. Les astrocytes produisent donc un ensemble de facteurs solubles et transmembranaires qui favorisent la différenciation des cellules souches adultes en neurones. De plus, cet effet est dépendant du stade de développement, les astrocytes issus d’animaux nouveau-nés ayant un effet plus marqué que les astrocytes adultes. Il existe également une spécificité régionale: en effet, s’il existe des cellules souches isolées dans de multiples endroits du système nerveux central, y compris la moelle épinière, seuls les astrocytes de l’hippocampe sont capables de stimuler la neurogenèse. Les auteurs indiquent même que les astrocytes de la moelle épinière stimulent préférentiellement la différenciation en astrocytes et en oligodendrocytes, sans toutefois détailler les données.

Une nouvelle voie est donc ouverte vers la caractérisation des facteurs qui, probablement en combinaison, induisent la sortie du cycle cellulaire des cellules souches et leur engagement dans un lignage spécifique. Une voie importante pour la médecine régénérative du système nerveux central.