Corps de l’article

L’histoire de la relaxine commence il y a 75 ans lorsque Frederick Hisaw, en étudiant les activités hormonales du corps jaune du follicule ovarien, identifie deux principes actifs, la « corporine », qui induit des transformations de type progestatif dans l’utérus, et la « relaxine » qui provoque un relâchement de la symphyse pubienne [1]. Ce n’est que 50 ans plus tard que la structure de la molécule responsable de l’activité myorelaxante a pu être élucidée [2]. La relaxine est une hormone polypeptidique de structure hétérodimérique appartenant à la superfamille de l’insuline (Figure 1) qui comprend également les insulin-like growth factor-I et -II (IGF-I et -II) et le relaxin-like factor (RLF ou INSL3). Chez la femme, la relaxine est essentiellement produite par le corps jaune alors que chez l’homme, la principale source de relaxine réside dans la prostate [3], [4]. Chez de nombreuses espèces de mammifères comme le porc, le rat ou le cobaye, la relaxine joue un rôle essentiel dans la croissance et le remodelage des organes génitaux pendant la gestation et plus particulièrement au moment de la parturition, en provoquant l’élongation des ligaments pelviens et le relâchement du col de l’utérus [5]. De plus, chez le rat, la relaxine inhibe les contractions spontanées ou induites par l’ocytocine du myomètre utérin. Cependant, chez la femme, la relaxine n’exerce aucune activité sur la relaxation du col de l’utérus pendant l’accouchement. En revanche, dans l’espèce humaine, un pic de relaxine circulante est observé en début de grossesse, au moment de la nidification de l’embryon, et il a été montré que la protéine joue un rôle crucial dans l’induction de la phase de décidualisation [6]. La relaxine, qui favorise aussi l’expression du facteur de croissance endothélial dans l’endomètre utérin, est directement impliquée dans le développement de nouveaux vaisseaux sanguins indispensables à la croissance de l’embryon [7]. Par ailleurs, la relaxine, qui est produite par de nombreux tissus autres que ceux constituant les organes génitaux, n’est pas uniquement une hormone de la grossesse: elle est notamment responsable de la néoangiogenèse après un infarctus ou pendant une cicatrisation, et elle prévient l’apparition de fibrose.

Figure 1

Structure des précurseurs des polypeptides de la superfamille de l’insuline.

Structure des précurseurs des polypeptides de la superfamille de l’insuline.

Toutes les prohormones de cette famille possèdent un peptide C de connexion qui favorise la formation de deux ponts disulfures entre les chaînes A et B de l’hormone mature. Dans la proinsuline, la prorelaxine et le pro-RLF, les chaînes A et B sont respectivement localisées dans les régions C- et N-terminales du précurseur et sont séparées par un peptide C de grande taille qui est excisé au cours de la maturation de l’hormone active. En revanche, pour les pro-IGF-I et -II, le peptide C est de petite taille et il reste présent dans l’hormone mature. Les pro-IGF-I et -II contiennent également dans leur région C-terminale deux autres fragments nommés peptides D et E, le peptide E étant excisé au cours de la maturation de l’hormone. PS: peptide signal.

-> Voir la liste des figures

Alors que la relaxine était l’une des toutes premières hormones peptidiques impliquées dans la reproduction à avoir été identifiée, son récepteur n’avait toujours pas été caractérisé. Cette lacune vient d’être comblée par l’équipe de Aaron Hsueh qui montre que la relaxine est le ligand naturel de deux récepteurs à 7 domaines transmembranaires couplés aux protéines G (RCPG) orphelins, les LGR7 et LGR8 [8]. Ce travail démontre une nouvelle fois la pertinence de la stratégie de pharmacologie inverse, laquelle consiste à identifier le ligand d’un RCPG orphelin à partir de fractions purifiées de tissus ou d’une librairie de molécules synthétiques. Toutefois, la démarche suivie par les chercheurs de l’Université de Stanford diffère assez sensiblement de l’approche classique de pharmacologie inverse telle qu’elle a déjà été décrite dans les colonnes de médecine/ sciences [9]-[10]-[11] et mérite donc qu’on s’y arrête.

Ces chercheurs ont tout d’abord noté que les souris dont le gène du RLF a été invalidé présentent une anomalie de descente des testicules identique à celle qui est observée chez des souris dépourvues du gène GREAT qui code pour un GPCR orphelin [12], [13]. Ce premier constat les a conduits à émettre l’hypothèse que des polypeptides de type relaxine pouvaient être des ligands de GPCR et non pas de récepteurs membranaires de type tyrosine-kinase comme leur appartenance à la superfamille de l’insuline le suggérait (Figure 2). Le fait que la relaxine provoque un accroissement des concentrations intracellulaires en AMPc dans la plupart de ses tissus cibles, et notamment dans les cellules endométriales, confortait cette hypothèse. Parallèlement, cette même équipe avait identifié deux nouveaux RCPG, le LGR6 et le LGR7, dont la structure est apparentée à celle des récepteurs de la LH et de la FSH [14], et la recherche de paralogues du LGR7 dans le génome humain avait amené les auteurs à identifier un nouveau récepteur orphelin, le LGR8, qui s’est avéré être l’orthologue du récepteur GREAT murin. L’ensemble de ces observations indiquait que la relaxine pouvait être un ligand potentiel du LGR7 et/ou du LGR8.

Figure 2

Comparaison des mécanismes d’action de l’insuline et de la relaxine.

Comparaison des mécanismes d’action de l’insuline et de la relaxine.

Bien que les deux hormones appartiennent à la même famille structurale, leurs récepteurs sont totalement différents. L’insuline (INS) agit via un récepteur tyrosine-kinase dont l’autophosphorylation va activer la cascade de kinases Raf/MEK/ERK. En revanche, la relaxine (RLX) active l’adénylyl-cyclase (AC) par l’intermédiaire d’un récepteur à 7 domaines transmembranaires couplé à une protéine G (GS). IRS-1 et -2: insulin receptor substrate-1 et -2.

-> Voir la liste des figures

Afin de tester cette hypothèse, Aaron Hsueh et ses collaborateurs ont transfecté des cellules 293 T avec l’ADNc codant pour le LGR7 et le LGR8 [14]. Ils ont montré que la relaxine provoque une stimulation dépendante de la dose de la concentration intracellulaire d’AMPc à la fois dans des cellules surexprimant le LGR7 et celles surexprimant le LGR8, avec des EC50 respectifs de 1,5 et 5 nM alors que l’insuline, l’IGF-I, l’IGF-II et le glucagon n’ont aucun effet. Ils ont aussi mis en évidence des différences dans l’expression tissulaire du LGR7 et du LGR8: les transcrits du LGR7 sont fortement exprimés dans le cerveau, l’ovaire, le testicule, l’utérus, la prostate et le coeur, alors que ceux du LGR8 sont principalement détectés dans le cerveau, les muscles, le testicule, l’utérus, la thyroïde et la moelle osseuse. L’utilisation d’anticorps dirigés spécifiquement contre le LGR7 a révélé que, chez la ratte, le récepteur est surtout présent dans le myomètre de l’utérus et dans le vagin. Ces différentes données pharmacologiques et anatomiques suggèrent que la majorité des activités biologiques de la relaxine s’exercent par l’intermédiaire du LGR7. Par ailleurs, le phénotype commun des souris déficientes en RLF et en récepteurs GREAT, ainsi que la forte homologie observée entre le récepteur GREAT et le LGR8 font penser que le LRF pourrait être un ligand naturel du LGR8.

Dans cette même étude, les auteurs ont produit une protéine de fusion constituée du domaine ectoplasmique du récepteur LGR7 et de la région transmembranaire de l’antigène CD8 des lymphocytes T. Après traitement des cellules à la thrombine, cette protéine chimère libère l’ectodomaine du LGR7, dénommé 7BP, qui possède une bonne capacité de liaison de la relaxine. En particulier, l’administration par voie sous-cutanée de 7BP à des souris pendant les quatre derniers jours de la gestation retarde de 27 heures le moment de la parturition. La protéine 7BP se comporte donc comme un antagoniste fonctionnel de la relaxine, à l’instar du domaine N-terminal des récepteurs des hormones gonadotropes et thyréotropes vis-à-vis de la LH, de la FSH et de la TSH [15].

La découverte des récepteurs de la relaxine constitue une avancée importante tant sur le plan fondamental que pour ses applications physiopathologiques éventuelles. La forte identité de structure du LGR7 et du LGR8 avec les récepteurs des hormones gonadotropes suggère que ces récepteurs ont une origine phylogénétique commune. La recherche de récepteurs orphelins paralogues des récepteurs de la LH, de la FSH et de la relaxine pourrait ainsi permettre d’identifier de nouveaux facteurs peptidiques de régulation de la fonction de reproduction. La caractérisation des récepteurs de la relaxine devrait également conduire, à terme, au développement d’agonistes et antagonistes stables de l’hormone, utilisables à des fins thérapeutiques. On peut en effet rappeler que, chez la femme ménopausée, la chute des hormones stéroïdes sexuelles s’accompagne d’une diminution importante des taux de relaxine. Compte tenu de certains symptômes associés à la ménopause tels que la prédisposition au développement de fibroses, les défauts de cicatrisation ou les troubles vasculaires, une hormonothérapie substitutive à base d’agonistes de la relaxine pourrait offrir des perspectives intéressantes.