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L’OUVRAGE COLLECTIF L’Acadie, hier et aujourd’hui : l’histoire d’un peuple, publié sous la direction de Phil comeau, Warren Perrin et Mary Broussard Perrin (opelousas, Andrepont Publishing, et tracadie-Sheila, Grande Marée, 2014), a paru dans le cadre du congrès mondial acadien 2014. Bien que certains universitaires aient participé à l’ouvrage, il ne s’agit pas d’un ouvrage savant dans le sens classique du terme. D’ailleurs, au lieu de s’en tenir à une introduction commune, les trois directeurs ont choisi d’utiliser toute la gamme des synonymes pour présenter l’ouvrage : un prologue, une introduction, un avant-propos et un mot du directeur (ne sont-ils pas trois?). en plus des quatre textes d’introduction, le livre de 496 pages ne contient pas moins de 59 articles, en plus d’un épilogue. comme l’indique la quatrième de couverture, l’objectif de l’ouvrage est de rendre « compte des réalités historiques et contemporaines des Acadiens et des cadiens à travers le monde ».

La page couverture de l’ouvrage me semble représentative des textes à venir. en effet, les images de la première de couverture montrent deux femmes travaillant le coton sur un rouet. Bien que la toile date de 1977, elle témoigne de l’Acadie historique, celle d’hier. Sous le titre, on trouve les photos de 10 personnes se réclamant de l’identité acadienne ou cadienne. Parmi elles, on reconnaît aisément Zachary richard, Michel Bastarache, françoise enguehard, Herménégilde chiasson, Barry Ancelet et Jean-Marie Nadeau. Les autres sont moins connues, mais contribuent également au collectif. Évidemment, tous ces collaborateurs ont participé au développement de l’Acadie contemporaine, mais il est révélateur que les six personnes susmentionnées appartiennent à la même génération et ont un âge moyen de 65 ans. Sans vouloir faire de l’âgisme, il me semble que leur Acadie n’est peut-être pas celle d’un Gregory Kennedy, d’une Pénélope cormier, d’un Jonathan roy, d’un Kirby Jambon ou d’un Arthur comeau. Bref, il y a beaucoup plus d’hier que d’aujourd’hui dans cet ouvrage.

Certains articles se rapprochent du témoignage personnel d’un individu au détriment d’une réflexion plus collective. Par exemple, le texte d’ouverture de Zachary richard reste sur le mode de l’anecdote alors que le texte qui clôt le recueil retrace la relation de Warren A. Perrin avec l’Acadie. en fait, si quelqu’un n’avait jamais vu monsieur Perrin, ses « Vingt-cinq ans de découvertes du monde acadien » sont truffés de photos avec diverses personnalités de la francophonie. tout comme l’article du chantre de la Louisiane, on reste dans les souvenirs de la grande famille francophone. on retrouve quelques autres photos dans le collectif qui apportent peu à la réflexion sinon comme traces d’une suite d’évènements personnels.

Le livre est divisé en cinq parties qui s’intitulent « Acadie du monde », « cultures de l’Acadie », « Acadie remarquable », « La dignité d’un peuple » et « Historiques des régions acadiennes ». La première partie touche à des sujets généraux et assez variés. Warren Perrin se penche sur la première Acadie, qui se termine en 1755. il s’agit d’une synthèse juste qui repose sur des références assez récentes. Dans l’article suivant, Perrin entremêle les questions démographiques avec des portraits de femmes acadiennes et cadiennes importantes. Les autres articles de cette partie, beaucoup plus courts, abordent les questions de la langue française, de la généalogie et du congrès mondial acadien. Le discours demeure accessible pour le grand public.

La section culturelle de l’ouvrage est celle qui semblait au départ intéresser le plus le littéraire que je suis. À première vue, on peut s’étonner que la littérature demeure l’enfant pauvre de ce collectif. en effet, si l’on traite de la musique cadienne (3 articles), de la musique en Acadie, du cinéma (2 articles) et des arts visuels (2 articles), on ne retrouve aucun article qui se rapporte à la littérature, alors que l’on sait que cet art témoigne de la vitalité d’une culture qui dépasse sa propre oralité. en fait, comme l’ouvrage propose très peu d’articles sur le Nouveau-Brunswick, il est relativement compréhensible que la littérature ne fasse pas partie des considérations des codirecteurs et de leurs collaborateurs et collaboratrices. il est aussi question de tourisme et de cuisine cadienne. on se demande par contre pourquoi le témoignage de Gisèle faucher et les articles sur les cadiens noirs et les Métis d’origine mi’kmaq et acadienne font partie de cette section alors qu’ils ne traitent pas vraiment des différentes formes de culture.

La section intitulée « Acadie remarquable » (malgré son titre indigeste, car qui, vraiment, n’est pas remarquable?) est peut-être relativement courte, mais elle propose les articles les plus pertinents. tour à tour, il est question du paysage de Grand-Pré, de l’importance de l’aboiteau, d’Évangéline, de Beausoleil Broussard et de la médecine traditionnelle. Quiconque ayant besoin d’un cours Acadie 101 aura une bonne compréhension des éléments essentiels liés à ce peuple.

Sous la rubrique « La dignité d’un peuple », les articles de l’avant-dernière partie traitent d’aspects historiques de tout acabit ainsi que de leurs répercussions dans l’Acadie contemporaine. Par exemple, Warren Perrin pose la question : que peut-on dire de la Proclamation royale du 9 décembre 2003? Quant à Michel Bastarache, il se penche sur « La protection des minorités au canada ». un autre article traite des succès et des difficultés de la fédération acadienne du Québec. La section se termine sur un travail particulièrement minutieux de Jean-françois Mouhot au sujet de relations épistolaires acadiennes. comme la majorité des contributions sont brèves, il ne s’agit pas d’articles de fond qui creusent des enjeux particuliers. L’objectif est plutôt de rendre accessibles de grands pans de l’histoire de l’Acadie et des diasporas acadiennes.

Les articles plus historiques de la dernière section expliquent à l’aide des faits le développement et les difficultés de chaque région acadienne. Si la plupart des articles se limitent à 10 pages au maximum, celui sur « Les cadiens de Louisiane » occupe tout près de 20 pages, ce qui déséquilibre l’ensemble. Malgré tout, les collaborateurs s’avèrent soit d’excellents historiens, soit des gens de la région dont il est question, et l’esprit de synthèse habite chaque contribution.

Le livre a gagné le prix france-Acadie 2015 qui récompensait un ouvrage en sciences humaines. Par la suite, certains commentateurs ont mentionné que l’ouvrage n’aurait pas dû être considéré pour ce prix en raison du trop grand nombre d’articles écrits en anglais et traduits pour la version française. fausse polémique à mon avis. certes, le prix france-Acadie a mérité son lot de critiques par le passé mais, dans ce cas, le choix me semble tout à fait légitime. Dès que l’on sort du Nouveau-Brunswick et du Québec et que l’on s’intéresse à l’Acadie de la diaspora, il est clair que l’Acadie se vit souvent en anglais. ceux et celles qui se réclament de l’identité acadienne, surtout historique, le feront en anglais, même s’ils participent parfois à un mouvement de refrancisation. il est d’ailleurs rafraîchissant de voir qu’un livre traitant si peu du Nouveau-Brunswick remporte le prix france-Acadie.

L’an dernier, visitant la vieille tante de ma conjointe, j’ai remarqué L’Acadie, hier et aujourd’hui sur sa table de salon. Je lui ai demandé ce qu’elle pensait de l’ouvrage. Sans l’avoir lu de la première à la dernière page, elle a affirmé avoir appris énormément en choisissant les articles en fonction de ses intérêts. Selon elle, il s’agit d’une somme colossale d’informations destinées à monsieur et madame tout-le-monde. elle avait raison. L’Acadie, hier et aujourd’hui reste honnête, ne prétend pas être un ouvrage scientifique et offre des textes pertinents sur des sujets parfois occultés par le milieu universitaire.