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AUJOURD’HUI, L’INSTITUT DE LEADERSHIP est logé dans l’École de kinésiologie et de loisir de l’Université de Moncton et son objectif principal est «  d’assurer la publication et la diffusion des connaissances et des résultats de recherche dans les domaines de l’éducation physique, de la kinésiologie et de la récréologie[1]». Pourtant, lors de sa fondation en 1972 dans l’ancien Département d’éducation physique, l’Institut s’employait davantage à la formation de leaders dans les écoles et les communautés francophones dans le cadre de stages, de cliniques et de cours de perfectionnement professionnel. Cet article vise à présenter les deux premières décennies de l’Institut afin d’analyser l’évolution de ses objectifs, de ses activités et de ses ressources et d’évaluer son influence en Acadie. L’article constitue le premier travail de recherche concernant cet organisme situé au sein d’une des plus grandes institutions de l’Acadie contemporaine, l’Université de Moncton. Si l’historiographie par rapport à cette période met l’accent sur les préoccupations linguistiques et nationalistes des Acadiens, plusieurs Acadiens de l’époque se sont aussi intéressés aux questions de mieux-être et de santé physique[2]. La création de l’Institut de leadership s’inscrivait dans la tendance moderniste générale chez les élites acadiennes, pendant les années 1970, visant une société plus rationnelle à l’aide des sciences et l’établissement d’un espace civique proprement acadien[3]. D’ailleurs, les projets de l’Institut avec les districts scolaires et les gouvernements provinciaux menèrent au développement d’une culture politique à l’Université de Moncton en parallèle avec le mouvement étudiant, beaucoup plus analysé par les experts à ce jour[4]. Les professeurs chercheurs de l’Institut étaient donc des acteurs importants dans le domaine de l’enseignement, mais également dans la lutte continuelle des francophones en milieu minoritaire.

Initiatives gouvernementales des années 1970 et 1980

Si le gouvernement canadien a parrainé quelques études concernant les sports à partir des années 1920, l’adoption de la Loi sur la santé et le sport amateur en 1961 a marqué un tournant important[5].

Le problème de sédentarité, encore très visible au sein de la société canadienne[6], semblait déjà bien inscrit dans l’opinion publique de l’époque. Des études établissaient un lien entre la vie sédentaire et l’augmentation des taux de maladies cardiovasculaires et des dépenses gouvernementales dans le domaine de la santé[7]. Cependant, le Programme de santé et de sport amateur du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, lancé au début des années 1960, visait avant tout les athlètes et leur réussite sur les plans national et international, par exemple avec la création des Jeux du Canada en 1967[8]. En effet, Radio-Canada rappelait le 27 septembre 1969 qu’«  inciter la population à la pratique des sports et à l’activité physique, telles sont les premières orientations prises par le gouvernement fédéral dès le début des années 1960[9]». Pourtant, dans les faits, il y avait très peu dans ce programme pour les citoyennes et les citoyens, une tendance partagée par d’autres pays occidentaux, comme l’a écrit le sociologue français Jacques Defrance : « le monde des sports acquiert une indépendance décisive au plan international entre 1950 et 1970 notamment […] et les impératifs du sport de haut niveau et de la compétition deviennent prépondérants[10]».

En 1971, le Programme de santé et de sport amateur fut divisé en deux avec la création de Sport Canada et de Récréation Canada. Annonçant cette création, le ministre de la Santé, John Munro, souligna : « Le sport est surtout vu comme un enjeu pour la santé de la population. Cette politique a la conséquence de fondre le sport d’élite dans le sport de participation[11]». La même année, une campagne nationale appelée ParticipACTION[12]fut lancée, visant à promouvoir l’activité physique dans tout ménage canadien au moyen de la publicité et de guides mis à la disposition du grand public[13]. En 1972, un colloque national eut lieu sur la santé et l’excellence physique, réunissant des participants de chaque province. L’année suivante, une annonce télévisée comparant le niveau de condition physique des Canadiens et des Suédois fut diffusée pendant les matchs de la Ligue canadienne de football[14].

En 1978, lors de la première conférence fédéral-provincial-territorial des ministres responsables du Sport, de l’Activité physique et des Loisirs, le gouvernement fédéral fit appel à la contribution des provinces. La ministre de la Santé nationale et du Bien-être social[15]souligna alors que les provinces étaient les principales responsables dans le domaine des loisirs – un service social au même titre que l’éducation et la santé[16].

Au Nouveau-Brunswick, des efforts avaient déjà été entrepris au début des années 1970 en vue de valoriser le mieux-être de tous les citoyens. Les réformes du premier ministre, Louis Robichaud, surtout le programme Chances  égales pour tous[17], voulaient assurer à toutes les Acadiennes et à tous les Acadiens l’accès à l’éducation. Sur le plan de l’éducation physique, le gouvernement provincial avait insisté pour que chaque nouvelle école construite soit dotée d’installations sportives, y compris des gymnases[18]. Ainsi, le gouvernement Robichaud avait participé à la création de l’Université de Moncton en 1963 et à une école normale francophone assurant la formation d’enseignants d’éducation physique en langue française. La création du Département d’éducation physique, en 1968, permettait aux étudiants d’obtenir un baccalauréat en éducation physique après quatre années d’études approfondies.

L’opinion publique s’intéressait également à la question de la santé physique dans les collectivités. Par exemple, la Fédération des travailleurs du Nouveau- Brunswick demanda que les écoles soient utilisées pour les loisirs, que les installations sportives soient à la disposition des groupes communautaires. Un représentant de la Fédération affirma qu’il fallait valoriser les sports parce que «  nous avons fait une génération qui va rester collée devant un écran de télévision[19]».

En somme, les années 1960 et 1970 représentèrent une période d’innovation et de leadership au Canada, caractérisée par de nouvelles approches en matière de promotion de la santé[20]. Les initiatives en ce sens reflétaient la tendance générale au Canada, où « l’État providence » s’invitait au sein de la société civile en assumant de nouvelles responsabilités envers la santé et le bien-être de sa population. Au Nouveau-Brunswick, cette période de libéralisme moderne correspondait à l’avènement d’un premier ministre acadien, Louis J. Robichaud[21]. Si les élites

traditionnelles acadiennes s’inquiétaient du fait que leur lutte identitaire serait déformée par la montée d’un État interventionniste où les Acadiens seraient toujours minoritaires, une nouvelle génération de militants y répondit plus positivement avec la création « de nouvelles organisations qui remplaceront en quelque sorte l’ancien réseau institutionnel[22]». L’Institut de leadership constitue un bon exemple, tant de cette mouvance nationale où primait une préoccupation générale pour la santé physique de la population, que de l’initiative de la nouvelle élite acadienne d’engager les institutions publiques dans la promotion du mieux-être par l’activité physique et les loisirs.

La création de l’Institut de leadership

L’Institut de leadership sportif vit officiellement le jour en 1972 à l’Université de Moncton[23], mais il avait déjà commencé au stade embryonnaire en 1970, « lorsque le département d’éducation physique a voulu, à un moment donné, coordonner ses services afin de présenter un meilleur rendement à la population environnante en ce qui concerne le développement de la qualité de leadership[24]». Au début, sous la direction de feu Vance Toner[25], le Département d’éducation physique mit l’accent sur une formation complémentaire destinée aux nouveaux diplômés en éducation physique[26]. Mais, devant la grande demande de services de professeures et de professeurs en éducation physique, il devint nécessaire que l’Institut clarifie son rôle et ses buts.

Lors d’une réunion de planification stratégique en 1974, l’Institut fut renommé Institut de leadership en sport, loisirs et santé physique. De plus, ses objectifs principaux furent redéfinis et consistaient maintenant à améliorer les connaissances de la population francophone des Provinces de l’Atlantique en sport et en récréation, ainsi qu’à améliorer ses accomplissements en ces domaines[27]. Ces objectifs devaient être réalisés au moyen d’une stratégie visant la formation de leaders sur le plan régional capables d’organiser et de mener diverses activités sportives et récréatives.

Pour donner suite à cette même réunion de planification stratégique, le directeur de l’Institut, à cette époque Jean Gaudet[28], présenta une liste de sept recommandations, signalant la portée élargie des services envisagés. Il insistait sur la nécessité d’engager une personne à plein temps pour les besoins de gestion de l’Institut et sur l’importance de la mise en place d’un centre de documentation comportant des publications en français relatives aux activités physiques et aux loisirs. Portant un regard avant-gardiste, il souligna la nécessité de la centralisation de l’administration des projets accordés par le gouvernement fédéral dans le domaine de l’activité physique et des loisirs pour les francophones des Provinces de l’Atlantique. De plus, il mit l’accent sur l’importance de la constitution d’un comité consultatif au sein de l’Institut, formé de représentants régionaux du ministère de la Jeunesse, pour coordonner les aspects relatifs à l’évaluation, l’animation, la mise en marché des programmes et la promotion des besoins des francophones de leur région[29]. L’Institut se dota alors d’une nouvelle structure[30]et poursuivit sa progression. En 1979, son mandat fut réorienté vers la recherche et le développement de nouveaux programmes scolaires. Ce rôle s’accordait mieux avec le travail des professeurs chercheurs, les objectifs du gouvernement provincial et les besoins de la population francophone. En outre, cette évolution témoignait de l’importance des sciences pour légitimer le processus de modernisation en Acadie[31]. Elle favorisa l’établissement de nouveaux partenariats au sein du système scolaire ainsi que des organismes communautaires, menant à une nouvelle phase d’expansion de l’Institut, surtout vers la fin des années 1980. Les prochaines sections retracent et expliquent l’évolution de l’Institut pendant ses deux premières décennies.

La formation des leaders de demain : 1969-1978

Les toutes premières activités de l’Institut de leadership mirent l’accent sur des stages ou des cliniques de leadership sportif. L’envergure de la première clinique proposée en 1969 témoigne des ambitions des organisateurs. Au lieu d’une séance de fin de semaine, ceux-ci voulaient offrir un cours de 21 jours à 30 personnes. La clinique aurait un directeur et un adjoint administratif, quatre enseignantes ou enseignants, et une ou un psychologue. Les candidates et les candidats seraient hébergés et nourris pendant leur séjour. Cinq sorties scolaires étaient prévues. Le budget préliminaire était de 18 510 $, mais l’Institut ne disposait pas alors des fonds nécessaires pour réaliser ce projet[32].

Les difficultés financières se poursuivirent en 1970 et 1971. Dans une lettre datée du 13 mai 1971, Vance Toner expliquait au ministère de l’Éducation de la Nouvelle- Écosse qu’il fallait poursuivre la planification des activités prévues pendant la période estivale malgré l’absence de confirmation officielle quant à la subvention gouvernementale attendue[33]. En fin de compte, quatre cliniques de leadership sportif furent données à l’Université de Moncton pendant le mois d’août. Les organisateurs avaient remarqué que « l’urgence de fournir l’entraînement au leadership pour les instructeurs de tous les sports chez les francophones est évidente. Il n’y a rien eu de fait en ce domaine dans notre région depuis quelques années[34]». Ils avaient choisi quatre sports – hockey, gymnastique, basketball et volleyball – parce qu’« il nous semble déraisonnable pour une première fois de vouloir embrasser toutes les disciplines sportives  ». Ces quatre sports avaient été sélectionnés parce que la logistique nécessaire existait. Le budget pour toutes les cliniques – le coût d’une formation d’une semaine donnée à 30 candidats – s’élevait à 18 300 $, soit à peu près le même montant que la seule clinique proposée en 1969. Les quatre cliniques de 1971 offraient la possibilité de former 120 personnes au lieu de 30, et auraient eu un plus grand impact sur l’expansion des sports déjà populaires dans la région.

Le texte de l’annonce publicitaire du stage de leadership en basketball indiquait que c’était le gouvernement fédéral, par une subvention du ministère de la Santé, qui finançait les cliniques[35]. Ainsi, l’Institut disposait des fonds nécessaires pour mener à bien quelques cliniques. Toutefois, les gouvernements provinciaux gardèrent un rôle important dans le projet, à savoir la sélection de participants. Au Nouveau-Brunswick, cette charge incombait au ministère de la Jeunesse alors que, dans les trois autres Provinces de l’Atlantique, elle relevait du ministère de l’Éducation. À cette époque, l’Institut de leadership étant encore embryonnaire; le stage fut donc offert officiellement par le Département d’éducation physique de l’Université de Moncton.

Le succès des quatre cliniques de leadership sportif offertes en 1971 suscita un nouvel investissement de la part du Conseil consultatif national de la santé et du sport amateur. Sept stages furent ainsi offerts en 1972 grâce à ce financement, y compris de nouveaux stages en athlétisme et en soccer. Le stage de gymnastique fut divisé en deux – gymnastique olympique et gymnastique artistique. Un total de 74 instructeurs s’inscrivirent à ces cours, dont deux de la Nouvelle-Écosse et cinq de l’Île-du-Prince-Édouard[36]. Le journal L’Évangéline rapporta le franc succès de l’École de hockey. Cette activité avait lieu depuis 1968 à l’Université de Moncton. En 1972, elle fut organisée par l’Institut. Le directeur, Jean Gaudet, renomma l’activité « École scientifique de hockey », qui compta 225 participants venus des Provinces maritimes, du Québec et des États-Unis[37].

L’année suivante, les gouvernements provinciaux ajoutèrent des fonds à la subvention fédérale, ce qui permit une expansion considérable du programme d’été de 1973. Pour la première fois, l’Institut organisa des stages dans les domaines des sports aquatiques, des loisirs et de la santé physique. Selon Jean Gaudet, le programme d’été atteignit ses objectifs. Le nombre total de participants aux stages tripla, divers nouveaux groupes se montrèrent intéressés par les stages consacrés à la santé physique et aux loisirs. Jean Gaudet a expliqué que leur rétroaction démontrait que « much need is felt in the community for further help[38]», ajoutant qu’il était difficile d’attirer des participants de l’extérieur du Nouveau-Brunswick. Il fut impossible d’offrir tous les stages prévus, faute de ressources humaines ou financières. Gaudet estimait qu’il y avait des décisions à prendre concernant « what to reoffer and to whom ». L’Institut rédigea alors un questionnaire et organisa des rencontres avec divers représentants communautaires afin de mieux « answer the needs of the people[39]».

Le programme d’été de 1974 fut encore plus ambitieux que celui de 1973, mais plusieurs stages échouèrent. On dressa une liste de points à améliorer, notamment le faible nombre d’inscriptions, le manque de publicité et le manque de dynamisme dans certaines régions, ainsi que la question des équivalences universitaires pour les participants. On souligna à nouveau la nécessité qu’une personne soit embauchée à temps plein pour s’occuper de l’Institut, ainsi que l’importance de désigner des promoteurs dans chaque région et le besoin de recruter plus de personnes de renom à titre de formateurs afin d’attirer les participants. Si l’on voulait augmenter le nombre d’inscriptions aux stages, « il faut jouer de ruse[40]», pouvait-on lire.

La discussion par rapport aux objectifs de l’Institut et à son fonctionnement se poursuivit après le programme d’été de 1974. Lors d’une réunion tenue en octobre, les représentants de l’Institut, du ministère de la Jeunesse du Nouveau-Brunswick et des collèges affiliés discutèrent de plusieurs points. Il y avait eu beaucoup de confusion concernant le rôle et les responsabilités de l’Institut vis-à-vis du gouvernement provincial et d’autres organismes. Il fallait considérer l’Institut « comme un outil pour le développement du leadership francophone – outil pour identifier les intéressés ou les compétents, et outil pour mettre sur pied les projets dans les régions  ». Par ailleurs, l’Institut «  ne veut pas doubler les efforts des associations sportives, mais plutôt les supplémenter en ce qui concerne le développement des Francophones[41]». Cette discussion mena à une question plus large : de qui relève l’Institut? Le rapport de réunion indique que « la réponse n’est pas sortie clairement durant la réunion[42]».

Le programme d’été de 1975 s’avéra le point culminant des activités organisées par l’Institut pendant sa première décennie, avec 26 stages et 400 participants. Les stages avaient lieu dans plusieurs régions, y compris la Baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, et la Péninsule acadienne, au Nouveau-Brunswick[43]. Pourtant, tout n’était pas rose et, malgré les droits d’inscription aux stages et les subventions fédérales, des restrictions financières limitèrent certaines activités. La situation empira en 1976, particulièrement à cause du retrait des subventions fédérales. L’Institut se devait de diminuer ses activités, et ce, jusqu’en 1979. Jean-Guy Vienneau[44]signala au ministre qu’il fallait aller chercher des fonds pour des projets spécifiques ainsi que de nouveaux partenaires auprès des organismes privés. Entre- temps, seules les activités en mesure de s’autofinancer, comme l’École de hockey ou les cours aquatiques, auraient été organisées[45]. En fin de compte, trois écoles de sport, trois clubs sportifs et trois cours de certification des entraîneurs furent organisés pendant le reste des années 1970[46].

Un nouvel élan en faveur du sport : les Jeux de l’Acadie

Malgré les perspectives décevantes de l’Institut à la fin des années 1970, nous pouvons déjà constater l’impact considérable de son impulsion dans le développement du leadership sportif francophone à l’échelle provinciale. En 1978 se déroula une série de colloques autour du thème « La situation du sport en milieux francophones au Nouveau-Brunswick  ». Les participants s’entendirent sur le fait qu’il existait un sous-développement du sport chez les francophones et un besoin de rattrapage à cet égard. Les procès-verbaux des colloques soulignent que les francophones devaient davantage s’affirmer et s’organiser dans le domaine sportif – l’Institut ayant déjà montré leur potentiel en ce domaine[47]. La création des Jeux de l’Acadie[48] constitue un bon exemple de ce nouvel élan. À l’occasion du 375e anniversaire de l’Acadie, la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick se pencha sur des projets concernant les différents domaines de la vie acadienne. C’est à cette occasion que Jean-Luc Bélanger, originaire de Balmoral, soumit à la SANB l’idée des Jeux de l’Acadie. S’inspirant des Jeux du Québec, la première édition des Jeux de l’Acadie fut organisée en 1979. Les objectifs de la manifestation sportive étaient multiples. En plus de la volonté d’accroître les infrastructures sportives et d’appuyer le développement économique régional, les organisateurs voyaient indéniablement les Jeux de l’Acadie comme une occasion d’affirmation nationale[49]. Au départ, on pensait que la rencontre sportive ne serait organisée qu’une seule fois. Cependant, en raison du grand succès de ces jeux, il fallait continuer. Donat Thériault, un organisateur important des Jeux de l’Acadie, indique : « Il n’y a pas beaucoup de gens qui savent ça, mais c’est Vance Toner qui, lors des Jeux, a vraiment encouragé les organisateurs à annoncer que ça se poursuivrait l’année suivante[50]». Le problème majeur auquel durent faire face les organisateurs lors de la création des Jeux fut l’absence de coopération du gouvernement provincial. Jean-Guy Vienneau explique que « le gouvernement a commencé à avoir une certaine réticence en se demandant pourquoi on voulait organiser une activité de ce genre uniquement pour les francophones[51]». En plus de la question linguistique, il n’est pas surprenant que les fonctionnaires se soient interrogés sur la création de compétitions régionales étant donné que leur mandat se termine aux frontières provinciales du Nouveau- Brunswick[52]. Cela explique le caractère provincial des premières éditions des Jeux de l’Acadie, qui étaient considérés comme «  un processus d’initiation, d’enseignement, d’organisation et de compétition permettant ainsi à chaque francophone du Nouveau-Brunswick d’expérimenter les bienfaits de l’activité physique et de pouvoir s’affirmer dans un système de compétition qui lui permettra d’atteindre les plus hauts sommets s’il le désire[53]». Plusieurs membres de l’Institut furent impliqués dans l’organisation des Jeux de l’Acadie, particulièrement dans la formation d’instructeurs sportifs. Et en 1981 fut créée officiellement la Société des Jeux de l’Acadie, qui dota «  les Acadiens et francophones d’un outil de développement privilégié[54]». Les Jeux de l’Acadie sortirent alors du cadre néo- brunswickois grâce à la mise sur pied de comités dans toutes les Provinces maritimes. De plus, les organisateurs ajoutèrent de nouveaux groupes d’âge et de nouvelles disciplines[55]. L’histoire des Jeux de l’Acadie, surtout de son expansion au- delà les frontières du Nouveau-Brunswick pendant les années 1980, démontre comment l’organisation sociopolitique en Acadie se renouvelle constamment en fonction des acteurs, y compris des gouvernements, des experts et des élites communautaires[56].

Développement de nouveaux programmes scolaires et activités de recherche : 1979-1985

Pendant ses premières années de service, l’Institut de leadership eut sans aucun doute un grand impact sur la formation d’athlètes, d’instructeurs et d’arbitres francophones, surtout au Nouveau-Brunswick. Cependant, ses efforts semblaient éparpillés, et l’Institut vivait des difficultés de gestion, de coordination et de financement. Était-ce du fait qu’il relevait du Département d’éducation physique de l’Université de Moncton et que son influence restait restreinte à l’extérieur de Moncton? Il faut souligner qu’il s’agissait d’une initiative bénévole entreprise par le corps professoral, qui avait le mérite d’avoir donné le coup d’envoi à un mouvement dans le domaine du sport et de la santé physique. D’autres organismes, surtout le comité organisateur des Jeux de l’Acadie, en étaient devenus des partenaires. Le moment était donc venu de reconsidérer le mandat de l’Institut. En novembre 1979, l’Institut publiait un guide clarifiant ses objectifs, ses programmes et ses services ainsi que sa nouvelle structure organisationnelle. Ce document dégageait trois grands objectifs :

  1. Promouvoir et stimuler le leadership dans les domaines du sport, des loisirs et de la santé physique chez la population francophone des Provinces de l’Atlantique;

  2. Assurer un cadre pour les activités qui dépassent les programmes réguliers du Département d’éducation physique et de loisirs;

  3. Stimuler la production et la publication de documentation en langue française[57].

Si le premier objectif était resté inchangé depuis 1974, le deuxième et le troisième témoignent d’une réorientation de l’Institut vers un rôle d’appui et de coordination auprès du système scolaire en milieu minoritaire. L’Institut visait toujours à offrir certains stages professionnels tels que ceux destinés aux entraîneurs et aux arbitres, mais il mettait l’accent sur la mise en place d’un centre de documentation, l’élaboration de projets d’étude et de recherche, et la présentation d’ateliers de perfectionnement et de conférences[58]. C’est ainsi que les professeurs de l’Institut espéraient accroître leur influence sur le développement des leaders dans les sports, en récréation et en santé physique dans le milieu francophone.

Le rapport annuel de 1982 démontre que la transition avait été largement effectuée. Les projets comprenaient des colloques régionaux, un programme de certification des administrateurs sportifs et des écoles de sport. En même temps, les membres affirmaient qu’il fallait faire plus : « nous sommes convaincus que nous pouvons et que nous devons répondre à des besoins demandés et utiles à l’épanouissement sportif et récréatif des francophones hors-Québec et de la francophone internationale[59]». Toutefois, si les athlètes d’élite avaient toujours suscité l’intérêt des professeures et des professeurs du Département d’éducation physique, ces derniers avaient aussi souligné le grand besoin de services et de programmes destinés aux personnes en réadaptation et aux groupes spéciaux. De nombreux sujets de recherche, ainsi que l’expansion du centre d’information et de documentation, figuraient sur la liste des projets[60].

L’évolution de l’Institut vers la recherche prit beaucoup d’élan avec le projet d’éducation physique à l’école élémentaire (EPEE). Depuis 1977, le ministère de l’Éducation « encourage l’enseignement de l’éducation physique; mais il laisse à chaque commission scolaire et école la discrétion d’appliquer cette recommandation à sa façon[61]». En pratique, cela voulait dire qu’il y avait une grande diversité de programmes d’éducation physique au Nouveau-Brunswick. Le directeur général de la commission scolaire du district no13, Yvon Ouellette, avait demandé à l’Institut de faire une étude sur la situation dans les écoles élémentaires sous son mandat. Le directeur de l’Institut, Vance Toner, devait agir comme animateur au sein d’un comité composé de professeurs d’éducation physique et d’administrateurs[62], dont l’objectif était la création d’un programme modèle d’éducation physique à l’école élémentaire et l’établissement d’un processus rigoureux pour assurer son implantation.

Quelques mois après la première rencontre du comité, Vance Toner proposa la mission, les buts et les objectifs du programme modèle à Yvon Ouellette. Nous y relevons une vision idéaliste de l’éducation physique. Par exemple, en ce qui concerne les buts du programme, Toner citait une étude de 1960 affirmant que « la fin ultime de l’éducation physique coïncide avec la fin ultime de l’éducation et de la vie en général; c’est l’union de l’homme et de la création entière avec le Créateur[63]». En plus de ces éléments spirituels, le document proposait des objectifs relatifs au développement des habiletés physiques, à l’amélioration de la condition physique et à l’apprentissage des habitudes sociales positives (par exemple, le travail d’équipe, le partage et l’esprit sportif)[64]. Le document fut adopté à l’unanimité par toutes les enseignantes et tous les enseignants d’éducation physique, même au niveau secondaire[65].

Concernant l’étude sur la situation de l’éducation physique au sein du district scolaire francophone, le Comité d’étude prépara un questionnaire envoyé aux directrices et aux directeurs d’école et aux enseignantes et aux enseignants d’éducation physique afin de recueillir des données utiles[66]. Quelques mois plus tard, Donald Arsenault, professeur à l’Université de Moncton, directeur du Département d’éducation physique et membre de l’Institut de leadership, faisait part de son « rêve » d’un programme « idéal » d’éducation physique. Il imaginait une communauté «  où règne [sic] la démocratie, la fraternité, la coopération et l’amour[67]», et où chaque école disposerait de plusieurs enseignantes et enseignants d’éducation physique, l’objectif étant le développement d’une bonne condition physique chez l’étudiant plutôt que la réussite des athlètes d’élite aux concours.

Arsenault mit l’accent sur l’importance d’installations et d’équipements essentiels, y compris un gymnase, un amphithéâtre, une surface asphaltée et une autre surface verte à l’extérieur. Malgré des critiques que le rapport a soulevées, Donald Arsenault espérait que celui-ci susciterait « des ambitions peut-être un peu plus élevées » pour le nouveau programme modèle[68].

En janvier 1984, une première ébauche du nouveau programme modèle fut diffusée à l’intérieur du comité d’étude sur l’EPEE. Pour ce qui était de l’enseignement, le programme comprenait les activités suivantes  : les jeux, la gymnastique, le rythme (la danse), l’aquatique, l’athlétisme, le plein air (par exemple, le camping et le patinage), le conditionnement physique, le leadership et les combats (par exemple, la lutte). Le programme visait environ 30 minutes d’instruction par jour, « un montant de temps raisonnable, possible et souhaitable ». Les membres avaient avancé six objectifs majeurs pour le nouveau programme[69], soulignant que l’enseignement n’était qu’une dimension de l’éducation physique et qu’il fallait également développer les activités intra-muros et interscolaires[70].

Selon les procès-verbaux du Comité d’étude de l’EPEE, l’évaluation du nouveau programme constitua un sujet épineux. Ainsi, la réunion du 1erdécembre 1983 fut largement consacrée à une discussion des différentes méthodes d’évaluation, à savoir  : l’évaluation normative, continue, formative ou sommative. Plusieurs membres rapportèrent «  les grandes difficultés de l’évaluation  » et d’autres soulignèrent l’importance de l’éducation physique adaptée à l’intention des étudiants de «  classes spéciales  », particulièrement dans le cadre d’activités psychomotrices[71]. Le Comité avait eu à étudier de nouveaux documents précisant 14 habiletés motrices et 4 niveaux de performance[72]. Une version finale du programme modèle put enfin voir le jour à la fin d’avril 1984. Au district scolaire, on commença alors par un projet pilote dans une seule école du district, l’école élémentaire Champlain[73]. Le succès de la collaboration avec l’Institut se traduisit par une recommandation voulant que la commission scolaire retienne les services de l’Institut dans tout projet concernant l’éducation physique[74].

Tandis que Donald Arsenault et Vance Toner étaient impliqués au sein du Comité d’étude de l’EPEE, d’autres membres de l’Institut poursuivaient des projets de recherche concernant la situation des programmes intra-muros et interscolaires au Nouveau-Brunswick. Ainsi, Paul Boudreau détermina que seulement la moitié des écoles francophones possédait un programme intra-muros. Il démontra que plus d’un tiers de ces écoles ne disposaient pas d’un gymnase et que la situation était particulièrement difficile dans le nord de la province. Des lacunes flagrantes concernant les équipements et d’autres installations essentielles furent également soulignées. Devant cette situation, Boudreau ne pouvait que conclure par des recommandations, notamment celle de sensibiliser les directeurs d’école aux bienfaits des programmes intra-muros et à l’importance des gymnases dans les écoles francophones nouvelles construites[75].

Dans une étude menée en parallèle, Daniel Macdonald[76]remarqua des défis similaires à l’égard des programmes interscolaires. Si des programmes existaient dans la majorité des écoles francophones, ils étaient peu financés et restaient concentrés sur quelques sports populaires (par exemple, le volleyball). Macdonald soulignait qu’«  il n’est pas possible de penser que l’éducateur physique puisse enseigner à plein temps tout en entraînant plusieurs équipes sportives et diriger les programmes intra-muros et interscolaires tout en ayant des programmes bien développés[77]». Bref, l’éducation physique et les programmes de sport en Acadie se heurtaient à de lourds obstacles comparativement à la situation observée dans les districts scolaires anglophones. Étant donné le manque d’intérêt de la part des gouvernements pour les programmes interscolaires et intra-muros, le rôle de l’Institut en matière d’action collective acadienne semblait revêtir une importance accrue.

Les années 1980 témoignent d’une période de recherche innovante. Au même moment, une nouvelle génération de chercheurs et d’intellectuels acadiens était formée par les sciences sociales[78]. Au-delà des études concernant la situation dans les écoles francophones ainsi que l’élaboration d’un programme d’éducation physique modèle au niveau élémentaire, plusieurs ateliers et formations destinés aux enseignantes et aux enseignants furent offerts sur divers sujets, y compris le néo- hébertisme, l’éducation à l’aventure et le leadership professionnel en loisir[79]. L’Institut parraina également des colloques, tel celui du conseil pédagogique provincial, et des comités tels que le Comité de développement de l’athlétisme et le Comité de développement du sport en milieu francophone. Les réussites de l’Institut ne passèrent pas inaperçues aux yeux des organismes gouvernementaux. Grâce à de nouvelles subventions[80], l’Institut fut en mesure de fonder et de développer son centre de documentation, de rédiger ou de traduire des manuels consacrés à l’éducation physique et d’augmenter ses programmes de cliniques et d’ateliers. À la fin de l’année 1984, l’Institut disposait même d’un surplus de plus de 11 000 $[81].

C’est principalement à partir de 1984 que l’Institut poursuivit, de concert avec d’autres organismes, de nouveaux projets visant toute la population francophone du Nouveau-Brunswick. La prochaine section examine ces nouvelles activités et leurs réussites.

Les années 1980 : l’Institut dans la communauté

Les loisirs avaient commencé à prendre une place de plus en plus importante dans la vie des citoyens de l’Acadie du Nouveau-Brunswick[82]. À cette époque, ils relevaient essentiellement de la volonté et de la disponibilité des bénévoles. En réponse à la demande croissante de la part des citoyens qui recherchaient des activités de loisir, les responsables communautaires adoptèrent cependant une approche « plus systématique et concertée pour la conception, l’aménagement et la gestion des ressources du milieu », un plan directeur[83]. L’expertise des membres de l’Institut fut recherchée afin de réaliser ce travail de planification à long terme. L’Institut prépara un plan directeur qui « identifie les besoins de la population, sert de guide pour un développement ordonné et logique des zones existantes, sert à établir des programmes compréhensifs pour desservir tous les groupes d’âge, toutes les heures du jour, pendant toutes les saisons, à l’intérieur et à l’extérieur. Il sert également à assurer une utilisation maximale de toutes les installations et zones[84]».

L’Institut appuya ainsi plusieurs projets de plan directeur, partout au Nouveau- Brunswick. Dans le cadre de cet article, nous avons choisi d’examiner les cas de Rogersville et de Shippagan parce qu’il s’agit de cas types et que les documents qui en traitent sont parmi les plus abondants.

Le plan directeur de Rogersville

Le plan directeur de Rogersville a été un des premiers entrepris par des municipalités majoritairement acadiennes. Il faut souligner que plusieurs conseils municipaux étaient encore jeunes, créés par les réformes administratives du gouvernement Robichaud pendant les années 1960. Dans le cas de Rogersville, le conseil municipal s’était formé en 1966. Rogersville fait partie du comté de Northumberland, qui comptait, à cette époque, une population principalement rurale d’environ 3  500 personnes, dont 1  200 habitaient au village. La municipalité dénombrait environ 40 organisations à but non lucratif. Mais seule l’Association sportive de Rogersville s’intéressait aux sports et aux loisirs. L’aménagement des installations sportives et récréatives relevait de personnes bénévoles au sein de plusieurs organismes communautaires, y compris l’Association sportive, l’Ancienne Jeunesse, la Société culturelle, la Légion et le Comité paroissial[85].

Le premier travail de l’Institut, réalisé en février 1982 en collaboration avec la Municipalité, fut une étude portant sur les installations sportives et récréatives déjà en place et leur utilisation par les habitants[86]. On retrouvait à Rogersville une piscine, une piste de jogging, un gymnase, un club de motoneige, une salle de quilles, des terrains de baseball et un aréna. Parmi les installations, l’aréna était celle la plus fréquemment utilisée. Le défi principal était le fait que les installations étaient peu fréquentées par le public et donc sous-exploitées[87]. Un sondage effectué en 1985 auprès de 278 personnes de Rogersville indiquait que la marche (58 p. 100) et la bicyclette (23 p. 100) étaient les deux activités les plus populaires. Il y avait aussi des activités plus passives comme les jeux de cartes (14, 4 p. 100), le bingo (14 p. 100), ainsi que le travail à l’aiguille, comme le tricot et la broderie (8 p. 100)[88]. L’Institut rédigea un premier rapport en avril 1986, puis une version finale du plan directeur en septembre 1987, visant une augmentation des activités sportives et récréatives à Rogersville par un meilleur aménagement des installations communautaires.

Les experts de l’Institut signalèrent plusieurs défis concernant la promotion des sports et des loisirs à Rogersville. Premièrement, le conseil municipal ne consacrait pas assez de ressources financières à la gestion et à l’entretien des installations communautaires. Seulement 5 395 $, soit 0,5 p. 100 du budget annuel, était alloué à ces fins en 1981. Deuxièmement, les ressources humaines manquaient, les bénévoles étaient peu nombreux, peu formés pour la tâche d’aménagement et très peu récompensés pour leurs services à la collectivité[89]. Troisièmement, les activités proposées par les organismes à but non lucratif ne semblaient pas répondre aux intérêts de la communauté, qui manifestait une grande indifférence. Le rapport de 1987 soulignait qu’il n’y avait pas d’activités suffisamment variées et équilibrées pour tous les groupes d’âge, surtout pour les adolescents[90].

L’Institut dressa une liste de recommandations pour aider la Municipalité à faire face à ces défis. Le fil conducteur était une meilleure organisation du domaine des sports et des loisirs dans la localité. Par exemple, les experts estimaient que la Municipalité devait s’occuper de l’entretien et de l’embellissement des installations récréatives en même temps qu’elle établissait un environnement facilitant les échanges et les collaborations entre les divers organismes à but non lucratif. Le conseil municipal pouvait créer un programme de recrutement pour les bénévoles, y compris des formations de base et des reconnaissances à l’appui de tous les organismes de la région. Finalement, il fallait consulter la population au moyen de sondages, afin de mieux connaître ses besoins, ses intérêts et ses disponibilités les possibilités de bénévolat[91].

Le plan directeur de Shippagan

Le travail de l’Institut à Rogersville – ses études détaillées, ses rapports pratiques – encouragea d’autres conseils municipaux à solliciter son aide. Par exemple, celui de Shippagan, une ville située dans le nord-est du Nouveau-Brunswick, au bord de la baie des Chaleurs, fit appel à ses services en 1986. Dans le domaine des loisirs, la Ville dessert les gens de Shippagan même ainsi que ceux des régions avoisinantes. Le domaine des sports et des loisirs à Shippagan avait connu une certaine croissance depuis les années 1960, avec la création du Conseil récréatif en 1960 et l’Association athlétique de Shippagan en 1963. La construction d’un aréna, rebaptisé plus tard «  Centre récréatif Rhéal-Cormier  », s’avérait un atout considérable. Le hockey et d’autres activités sportives à l’aréna étaient si populaires qu’un nouvel aréna plus grand et plus moderne avait été construit en 1979. Ainsi, l’expérience à Shippagan illustrait bien les tendances provinciales et nationales, c’est-à-dire l’accent mis sur certains sports populaires et la formation des athlètes, mais très peu de programmation pour monsieur et madame tout le monde. De plus, chaque organisme travaillait de façon isolée et sans concertation avec le conseil municipal. Ce dernier avait alors fait appel à l’Institut en 1986 pour améliorer l’organisation de toutes ses activités sportives et augmenter ses activités dans le secteur des loisirs[92].

Shippagan avait certains défis en commun avec Rogersville, notamment un manque de ressources financières et des difficultés de recrutement de bénévoles. Cependant, les organismes communautaires visés étaient plus développés et donc en mesure d’agir comme partenaires du conseil municipal. Les experts de l’Institut reconnurent les forces de ces organismes, mais ils constatèrent l’absence de consultation de la population. Un sondage effectué révéla que 70  p.  100 de la population de Shippagan n’était que partiellement satisfaite des services de loisirs. Plusieurs personnes indiquèrent que leurs besoins n’étaient pas toujours pris en considération. Le plan directeur élaboré par l’Institut, en tandem avec le conseil municipal, suggérait l’embauche d’employés permanents et qualifiés afin de créer un véritable service des loisirs en ville. Ce service devait être une ressource à la fois pour les organismes bénévoles et pour les habitants de la région. D’autres éléments du plan étaient semblables au plan directeur de Rogersville, par exemple un système de recrutement de bénévoles et la diversification des activités de loisirs à la lumière des sondages effectués auprès de la population[93].

L’élaboration de plans directeurs communautaires constitua un tournant dans l’évolution de l’Institut. Si ses membres étaient toujours recherchés par les districts scolaires et étaient toujours impliqués dans la formation des athlètes élites, l’Institut devenait de plus en plus un centre de ressources à la disposition de toute l’Acadie. L’épanouissement du secteur des loisirs dans les petites localités francophones des Maritimes démontrait une vitalité et un dynamisme en milieu minoritaire.

Faire le lien entre l’école et la communauté

Dans plusieurs petites localités, l’école était un des seuls endroits où se trouvaient des installations sportives ou récréatives. En raison de ses travaux au sein des districts scolaires et dans les municipalités, l’Institut était bien placé pour faciliter l’entraide en Acadie. En 1985, l’Association des conseillers scolaires francophones du Nouveau-Brunswick (ACSFNB) demanda à l’Institut d’effectuer une étude portant sur l’accessibilité des installations scolaires et leur utilisation par le public dans le cadre d’activités communautaires. À première vue, il semblait logique que les habitants utilisent le gymnase, l’aréna, les terrains et les autres installations situées dans les écoles. Le gouvernement provincial avait d’ailleurs explicitement encouragé cette pratique dans le cadre de la loi scolaire du Nouveau-Brunswick. Cependant, dans les faits, les questions de sécurité, de coûts, de surveillance et de responsabilité avaient souvent constitué un frein à l’application de cette loi. L’ACSFNB demanda donc à l’Institut d’étudier la situation dans les districts scolaires francophones et de déterminer «  le statu quo concernant l’utilisation communautaire des installations scolaires[94]». Les chercheurs distribuèrent un questionnaire aux présidents des conseils scolaires et un autre aux directeurs d’école et menèrent des entrevues. Le but était d’identifier les écoles utilisées par le public, les problèmes rencontrés et la nature de l’utilisation. Les questionnaires furent distribués seulement dans les écoles francophones de la province, et les intervenants interrogés  furent avisés qu’il s’agissait d’un défi particulier en Acadie. Quelques districts scolaires étaient réticents à faire circuler les questionnaires à cause de l’impression qu’ils auraient pu donner de ne pas déjà suffisamment appuyer les écoles francophones au niveau des activités sportives. Afin de contrer cette réticence, l’Institut précisa qu’il n’allait pas formuler de recommandations spécifiques[95].

Les résultats des questionnaires démontraient l’existence d’une volonté théorique, de la part des écoles francophones des 15 districts scolaires, d’accueillir les habitants de la communauté. En pratique, plusieurs districts ne le faisaient pas parce qu’il s’agissait d’écoles élémentaires trop petites, sans locaux appropriés[96]. Encore une fois, le manque d’infrastructures en milieu minoritaire renforçait l’isolement et les perspectives limitées de la population. Dans d’autres cas, les responsables des districts ou des écoles soulignèrent que leurs locaux devaient servir en premier lieu aux activités étudiantes et ensuite aux organismes à but non lucratif[97]. Il y avait donc un certain sentiment de priorité et la crainte que le secteur privé ne profite de leur générosité. En général, le problème résidait dans le fait que les politiques étaient vagues et imprécises en ce qui concerne la nature des groupes autorisés à utiliser les installations et la priorité à accorder[98]. Chaque école suivait les politiques établies par son district scolaire, auxquelles s’ajoutaient dans certains cas d’autres politiques spécifiques à l’école. À titre d’exemple, parmi les 15 districts scolaires, seulement 8 tenaient un registre de l’utilisation des installations scolaires, ce qui rendait difficile l’évaluation des taux d’utilisation communautaire des écoles[99].

La plus grande divergence entre les conseils scolaires concernait la tarification. Il existait sept ou huit modes de tarification différents dans les écoles francophones de la province. «  Les modes de tarification varient entre location gratuite, frais d’exploitation, frais de location, dons, taux fixes, dépôt remboursable, pourcentage de revenu ou surcharge pour des activités lucratives ». La tarification posait aussi problème parce que les activités après les heures d’écoles impliquaient des coûts supplémentaires (chauffages, éclairage, entretien). Il n’existait donc pas de consensus entre les districts scolaires à propos de la tarification[100].

Les procédures administratives aussi variaient beaucoup. La responsabilité et la coordination des activités communautaires différaient d’un district à un autre. Dans certains cas, il s’agissait du rôle du directeur de l’école, du directeur administratif du district, de la secrétaire du conseil scolaire ou d’une autre personne désignée. Pour une demande de location, certaines écoles exigeaient la signature d’un protocole. Dans d’autres cas, il fallait remplir un formulaire ou bien simplement appeler pour réserver un local. Dans certains cas, il fallait faire une réservation six semaines à l’avance, dans d’autres cas seulement deux semaines et, enfin, certains conseils n’apportaient aucune précision à propos de la marche à suivre. Le ministère de l’Éducation exigeait que les conseils scolaires informent le public des politiques qui existaient, mais les membres de l’Institut constataient que ces politiques n’étaient pas bien connues de la population[101].

L’Institut estima que 360 groupes avaient utilisé des locaux dans les écoles francophones du Nouveau-Brunswick. La majorité était des groupes sportifs (53  p.  100). En deuxième lieu venait l’utilisation de locaux pour des réunions organisées par des membres de la communauté (organisations communautaires, clubs, etc.). Les groupes de nature privée ne représentaient que 11  p.  100 des utilisateurs, la majorité des conseils scolaires déplorant ce type d’utilisation des structures scolaires. Étant donné que les activités sportives étaient les plus populaires, c’était surtout le gymnase et les auditoriums qui étaient les plus sollicités[102]. L’utilisation communautaire des espaces scolaires favorisait l’amélioration de la relation entre les écoles et la collectivité à laquelle l’école rendait service. Un district fit remarquer qu’il avait noté une diminution du vandalisme et des avantages économiques à la suite de l’ouverture de ces locaux à la communauté.

Bien que l’Institut n’ait pas été appelé à formuler des recommandations spécifiques à la lumière de son étude, les résultats obtenus, grâce aux questionnaires, démontrèrent clairement que de simples efforts de régularisation et de normalisation des politiques d’utilisation et de tarification, ainsi que des échanges entre les responsables des écoles et les utilisateurs potentiels, pouvaient rapidement améliorer la situation. D’une façon moins évidente, mais peut-être tout aussi importante, ce dossier démontrait la confiance des districts scolaires et des organismes communautaires en l’expertise et la bonne volonté de l’Institut. Celui-ci se trouvait au cœur des activités locales dans le domaine des sports et des loisirs; un acteur certes en coulisses, mais primordial dans la formation des leaders communautaires en Acadie.

Conclusion générale

Pendant les années 1960 et 1970, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont essayé d’améliorer la santé physique de leurs populations au moyen de plusieurs initiatives. Cependant, ils ont rapidement opté pour la formation d’athlètes d’élite au lieu d’investir concrètement dans les programmes destinés au grand public. La population francophone minoritaire de la région des Maritimes risquait d’être complètement laissée de côté par ces initiatives, particulièrement du fait du manque d’infrastructures sportives et de personnel qualifié.

L’Institut de leadership a donc répondu au besoin d’une action collective et cohérente pour améliorer la situation en Acadie. Après une phase initiale consacrée plutôt à la formation ponctuelle de leaders partout dans les Provinces de l’Atlantique, puis une période difficile sur le plan financier, l’Institut s’est réorienté vers la recherche à long terme et l’élaboration de programmes de sports et d’éducation physique au Nouveau-Brunswick. Grâce à des études pertinentes faites en collaboration, les membres de l’Institut ont tissé de bonnes relations professionnelles avec les acteurs du système scolaire, le gouvernement provincial et d’autres experts dans leur domaine. À la fin des années 1980, l’Institut avait acquis une reconnaissance enviable, et ses membres se sont alors retrouvés en mesure d’élargir la portée de leurs activités afin d’intervenir sur le plan communautaire et d’entreprendre par la suite l’amélioration de la santé et du bien-être de toute la population acadienne. L’Institut était alors en meilleure position pour répondre aux besoins de la population et il s’est démarqué en tant que référence professionnelle en milieu minoritaire[103].

Il est clair que l’évolution de l’Institut a suivi les tendances régionales et nationales dans le domaine des sports et des loisirs. Au début, l’accent a été mis également sur la formation des athlètes d’élite et la compétition. La création des Jeux de l’Acadie a représenté la fin ultime de cette orientation. Avec le temps, l’Institut s’est engagé davantage dans le secteur des loisirs, visant la santé physique et le mieux-être de toute la population acadienne. Le développement des programmes scolaires d’éducation physique et les plans directeurs communautaires non seulement s’adressaient aux écoliers, mais concernaient même les personnes âgées et les groupes à besoins spéciaux. Ces réussites démontrent que l’Institut était mieux placé que le gouvernement pour répondre aux besoins de la population.

D’autre part, l’Institut a suivi sa propre piste de leadership en milieu minoritaire. Dans toutes les activités, ses membres soulignaient la formation des leaders – les enseignants, les entraîneurs et les bénévoles – parallèlement à un renouvellement général des élites acadiennes face à un État plus interventionniste. Comme d’autres nouvelles organisations en Acadie, l’Institut de leadership a su mettre en valeur la recherche scientifique, par exemple en créant un centre de documentation. Qui plus est, les professeurs chercheurs ont mis l’accent sur la vulgarisation de leurs résultats de recherche, par exemple à l’aide de manuels, de vidéos et d’autre matériel de référence mis à la disposition des enseignantes et des enseignants. Tous ces efforts ont permis de tisser des liens au sein des communautés et entre diverses communautés francophones. Ainsi, l’Institut a constitué une structure et une fondation favorisant l’action collective d’autres responsables au sein des conseils municipaux, des districts scolaires et des organismes à but non lucratif. Cela étant dit, l’Institut n’a jamais perdu son intérêt pour les athlètes d’élite. La participation très importante du Nouveau-Brunswick aux Jeux de la Francophonie en 1989 reflète bien cette réussite[104]. En 1969, il aurait été impossible d’imaginer une équipe d’athlètes acadiennes et acadiens représentant le Canada lors de compétitions internationales.

Le domaine des sports et des loisirs est un terrain d’enquête peu connu par les historiennes et les historiens de l’Acadie. Les enquêtes sur la lutte des Acadiens pour la dualité linguistique en éducation et en santé, la Révolution tranquille des années 1960, le mouvement coopératif et le sous-développement économique des régions acadiennes dominent l’historiographie. Le présent historique de l’Institut de leadership de l’Université de Moncton ajoute à nos connaissances sur cette période. Si certains experts soulignent l’arrivée d’un néonationalisme opposé aux nouvelles interventions de l’État providence, l’Institut constitue un bon exemple des travaux d’une nouvelle génération de militants qui cherchaient à travailler avec le gouvernement[105]. L’Institut était une tentative non gouvernementale, à but non lucratif, de valoriser le mieux-être en Acadie. Ses réussites ont été nombreuses grâce, en grande partie, à l’adaptabilité de ses membres, à leur capacité à répondre aux besoins exprimés par la clientèle et à la volonté d’action collective existant chez la population acadienne. La persévérance des membres de l’Institut constitue la preuve que la recherche, le perfectionnement professionnel et le mentorat peuvent porter des fruits sur les plans local, régional et national. Vingt ans plus tard, l’Institut continuait son travail estimant que le sport est « bon pour l’authenticité, l’intégrité et l’actualisation de la personne[106]».