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Avec la matière : images du scénario #44, « Danser la matière », lors d’un atelier d’exploration avec les élèves de seconde de l’enseignement Arts Danse. Lycée Jean Monnet, Montpellier (France).

Photographies d’Yves Massarotto.

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COMPOSE & DANSE est un dispositif numérique connecté qui permet à la danse de s’inviter dans les lieux de vie. Consacré à une mise en partage des savoirs subjectifs sur le corps contenus dans l’acte de composer une danse, COMPOSE & DANSE propose un atelier virtuel à distance : il s’agit de faire l’expérience du surgissement de la danse en soi. L’hypothèse repose sur le postulat que la danse est la simple expression du poétique présent à l’état latent en chacun·e : car si la danse préexiste potentiellement à tout mouvement, tout le monde peut entrer dans la danse à tout moment.

Je suis à la fois artiste depuis une trentaine d’années et jeune chercheuse; ma recherche doctorale s’est envisagée à partir du trait d’union qui relie recherche et création. « Ce trait d’union permet de faire converser, de mettre ensemble, de conjoindre » (Citton, cité dans Citton, Deck et Rasmi, 2021) les versants théoriques et pratiques qui nourrissent tant la recherche que la création. « Un trait d’union qui invite à prendre les choses par le milieu » (idem), et qui incite à regarder les conversations qui adviennent. Car com-prendre les choses par le milieu, c’est se laisser embarquer dans « des objets énigmatiques » (idem). COMPOSE & DANSE est certainement un objet énigmatique, n’ayant pas pris forme dans un objectif prédéterminé, mais s’étant plutôt nourri de nombreuses conversations artistiques, théoriques, techniques ou technologiques. Ces « conversations créatives » (idem), engagées depuis la naissance du projet et tout au long de son déploiement, ont été déterminantes dans la compréhension de ce qui se jouait à chaque étape et ont concrètement influencé formes et contenus.

COMPOSE & DANSE est désormais une application Web[1] : compose-danse.art/

COMPOSE & DANSE, capture d’écran de la page d’accueil.

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COMPOSE & DANSE

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Librement accessible, cet outil numérique invite la danse à prendre place dans le quotidien de tout·e habitant·e d’un environnement connecté. COMPOSE & DANSE est un dispositif en ligne qui, au-delà d’être un objet énigmatique, peut être qualifié d’« atelier virtuel » : « atelier » dans le sens d’un « terrain de recherche » qui interroge notamment les modalités d’appropriation des savoirs et savoir-faire qu’il induit; et « virtuel » au sens de « qui existe sans se manifester », ou « qui est à l’état de simple possibilité ou éventualité ». J’attribuerai cette définition d’atelier virtuel aux scénarios à danser publiés dans COMPOSE & DANSE : « Un scénario est une trame écrite, visuelle ou sonore : des consignes à saisir, à interpréter à votre façon pour composer une danse, une danse unique, la vôtre » (COMPOSE & DANSE, s.d.).

Le scénario : une invitation épistolaire à entrer dans la danse

L’ambition de COMPOSE & DANSE est d’éveiller la créativité de chacun·e, à distance et sans modèle. Le scénario est une guidance à danser conçue en collaboration avec des artistes, des pédagogues, des chercheur·euses, des critiques et des thérapeutes, entre autres. À partir de ces invitations épistolaires, il est possible de découvrir et de goûter en toute autonomie quelques-unes des pratiques plurielles de la fabrique de la danse, majoritairement puisées dans l’histoire de la création chorégraphique en danse contemporaine.

COMPOSE & DANSE expérimente l’atelier à distance : le geste chorégraphique est virtuellement proposé, et une guidance accompagne l’internaute vers l’expérience sensible de la composition du corps dansant. En première instance, au coeur de cette conversation avec la danse, ma recherche-création propose de faire personnellement l’expérience de quelques savoirs subjectifs du corps, intrinsèques au mouvement dansé. Cet article vous propose de faire concrètement de même : dans une démarche de « déprise » et de « reliance » tout à la fois, le lecteur ou la lectrice – c’est-à-dire vous – éprouvera quelques-uns des va-et-vient incessants, entre expérience pratique et savoirs conceptuels, qui ont fondé ma recherche.

Êtes-vous prêt·e à entrer dans la danse? Pour composer votre danse, vous serez, cher lecteur, chère lectrice, seul·e maître du jeu : le scénario ne sera que le tracé du chemin, que vous et vous seul·e parcourrez, à votre façon… Le scénario choisi vous emmènera dans la pratique de composition d’une chorégraphe qui a puissamment marqué la danse contemporaine : Odile Duboc[2]. Bruno Danjoux[3], danseur de feue Odile Duboc, est l’auteur du scénario #44, « Danser la matière », publié dans COMPOSE & DANSE le 4 mars 2021.

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Scénario #44

« DANSER LA MATIÈRE »

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Afin de s’adapter au format de la revue et à l’objectif imparti à ce texte, les mots-guides proposés ci-après diffèrent quelque peu de ceux du scénario d’origine. Avec l’accord de son auteur, la guidance sera ici fragmentée, prolongée et enrichie afin de permettre aux lecteur·trices de prendre part à la complexité qui se déploie entre éprouver et penser. Cependant, si vous préférez explorer votre danse par vous-même, depuis l’application en ligne, vous pouvez scanner le code QR ci-dessus ou suivre ce lien[4] :

compose-danse.art/recipes/603b5708e6ad7354d336c51c

Maintenant et ici même, là où vous vous trouvez, cher lecteur, chère lectrice, aventurez-vous dans l’expérience sensible du surgissement de la danse.

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Attrapez quelque chose en tissu :

un coussin,

un plaid,

un sac peut-être?

ou une écharpe,

un gilet?

Choisissez une matière que vous pourrez toucher à souhait!

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Prenez cette matière entre vos mains…

Commencez doucement à la toucher,

Du bout des doigts d’abord,

Puis à pleines mains…

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Caressez,

frottez…

Serrez,

étirez…

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Prenez le temps d’explorer différents touchers :

pincer, plier, écarter, froisser, lisser…

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Chaque exploration peut s’étendre jusqu’à plusieurs minutes :

prenez soin d’accorder à votre corps

tout le temps dont il a besoin pour clarifier la sensation.

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Soupeser…

Soulever…

Laisser pendre…

Lancer…

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En reliance avec la danse du Projet de la matière (1993) d’Odile Duboc

Suspendons l’action quelques instants pour nous pencher sur le dessein d’un scénario. L’objectif de l’atelier virtuel de COMPOSE & DANSE est d’ouvrir quelques portes sur les savoirs subjectifs du corps contenus dans l’acte de composer une danse. Ainsi, pour commencer, l’auteur du scénario s’attache-t-il à éclairer une pratique chorégraphique, opérant un focus, d’une part sur la qualité de la matière-corps en elle-même, et d’autre part sur les procédés ou processus qui permettent à cette matière de prendre forme. En l’occurrence, Danjoux s’est plongé une nouvelle fois dans sa mémoire corporelle, tout en procédant à une fouille méticuleuse des archives de Duboc[5]. À travers Projet de la matière[6], l’oeuvre sur laquelle se fonde ce scénario, la chorégraphe a cherché à faire surgir une qualité de corps bien singulière[7]. « La lutte que nous engageons chaque instant de notre vie pour résister à l’attraction terrestre n’est perceptible que dans l’abandon de notre corps » (Duboc, citée dans Contre Jour – Centre Chorégraphique National de Franche-Comté, 1993 : 3), précise-t-elle en préambule de la note d’intention du projet :

[N]ous chercherons pour toucher au plus profond de la sensation, à inventer avec un plasticien au fil de la création, des volumes ou éléments de « décor » de consistances et formes diverses, créant des niveaux et des reliefs différents, et autorisant le danseur à relâcher son corps, une partie de celui-ci non plus sur l’horizontalité de la scène mais en divers niveaux

(ibid. : 4).

L’originalité du projet réside dans la création simultanée du mouvement – matière dansée – et de la matière dite « décor ». […] [D]eux processus créatifs s’influencent et se contraignent mutuellement afin qu’à tout moment, la création n’existe qu’au singulier. L’objectif du projet est de « parvenir à un spectacle qui permette de parler du déséquilibre mental par la prise en compte du déséquilibre physique. » (Odile Duboc)

(Contre Jour – Centre Chorégraphique National de Franche-Comté, 1993 : 6).

Le contenu, la forme et la qualité de l’adresse de la guidance, c’est-à-dire le corps même du scénario, ont été travaillés en s’immergeant dans l’incarné et en se projetant dans l’agir. L’invitation doit être à la portée de toutes et de tous. Pour ce faire, les mots ont été soigneusement choisis, les phrases ont été composées avec parcimonie, à la recherche d’une certaine économie de langage que seul l’écrit peut apporter. Au-delà du sens de la phrase et du mot retenus, les non-dits et les espaces vides revêtent également leur importance, afin que le lecteur-danseur ou la lectrice-danseuse survole le texte et se saisisse en mouvement des vides. L’important est de s’engager dans l’expérience et de construire son interprétation singulière de la guidance : c’est ce que visait Danjoux.

La guidance n’est ainsi qu’un prétexte pour accéder à la sensation.

Avec la matière : images du scénario #44 « Danser la matière », lors d’un atelier d’exploration avec les élèves de seconde de l’enseignement Arts Danse. Lycée Jean Monnet, Montpellier (France).

Photographies d’Yves Massarotto.

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Le temps singulier du sentir

Dans ce chemin d’introspection, d’éveil du regard intérieur, le temps accordé à l’expérience est essentiel. L’autonomie du lecteur-danseur-interprète ou de la lectrice-danseuse-interprète du scénario se joue en premier lieu dans la découverte du temps qui lui est nécessaire à l’éprouver de la sensation. Il·elle doit s’accorder le temps qu’il faut jusqu’à ce que la sensation se clarifie. Il n’y a plus là de finalité à « bien danser », puisque c’est l’effectivité même du mouvement qui est visée : l’éprouver, lui faire place, lui accorder le temps qui lui convient.

Ainsi, à travers cette expérience sensible du sentir, chacun·e prend conscience de la temporalité unique et réelle de son propre corps. Et si ce scénario devait être traversé à plusieurs, collectivement dans un temps partagé – comme ce fut le cas lors du colloque L’atelier en acte(s) : espace de création, création d’espace –, ses interprètes seraient, là, confronté·es à la pluralité des temps et des rythmes propres à chacun·e. Cette diversité peut s’apparenter à la notion d’« idiorrythmie » (Barthes, 2021 [1977]) définie par Roland Barthes. L’idiorrythmie, « mot formé à partir du grec idios (propre, particulier) et rhuthmos (rythme) », est un terme que Barthes a extrait du vocabulaire monastique pour répondre à son « fantasme d’une solitude collective » : « Il s’agissait pour Barthes de réfléchir sur un mode de “vivre ensemble” (en petits groupes) qui permette à chacun de développer et de cultiver, dans un cadre commun, le “rythme propre” – idiorrythmie – à son individualité singulière » (Citton, 2010).

Retrouvons le cours de notre expérience pratique de la matière, cette fois conscient·es et respectueux·euses des rythmes singuliers du vécu de l’expérience corporelle… Pour ce faire, munissez-vous d’une horloge disposant d’un chronomètre et d’un minuteur (sur votre téléphone mobile, par exemple). Cette prochaine étape de notre expérience se déroulera en deux parties : chronométrez la première, puis reportez à l’identique le temps passé sur une alarme afin de déterminer à l’avance le temps imparti à la deuxième.

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1ère partie

(Lancez votre chronomètre, lisez le premier texte de guidance ci-dessous, puis commencez…)

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Reprenez votre matière entre les mains…

Retrouvez tranquillement votre exploration :

Tordre…

Lâcher…

Ramasser…

Entourer…

Etc.

Mettre en boule, dérouler, aplanir, etc.

Puis, comme pour sentir plus distinctement,

vous laisserez vos yeux se fermer…

Et reprendrez l’exploration…

Le regard tourné vers l’intérieur,

vous vous accorderez tout le temps qui convient

pour goûter en conscience la texture de la matière…

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2e partie

(Notez le temps que vous avez alloué à la première partie, reportez-le sur un minuteur, lisez le texte de guidance ci-dessous, déclenchez le minuteur, fermez les yeux, puis commencez…)

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Entrez dans le jeu du faire et défaire…

Entre chaque toucher, votre matière retrouvera-t-elle un état neutre?

Vous prêterez attention au temps qu’il faut pour faire…

Et pour défaire…

Vos différentes explorations s’inscriront naturellement dans votre corps…

Puis, les yeux toujours fermés, vous lâcherez votre matière…

Vous éprouverez physiquement le geste sans la matière…

Le jeu du faire se poursuivra,

ainsi que celui du défaire…

Votre corps retrouvera tranquillement toutes les sensations explorées…

Vous observerez combien votre mémoire sensorielle se révèle fidèle, sensible…

Vous goûterez infiniment cette mémoire incroyable de votre corps,

de vos cellules...

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Lorsque l’alarme de votre minuteur se fera entendre,

vous ouvrirez lentement les yeux :

et regarderez vos mains, vos bras…

Comme pour éprouver encore un instant

les gestes de vos sensations…

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Une danse de la sensation

Suspendons à nouveau l’expérience, et tournons-nous encore une fois sur ce que peut nous apprendre cette expérience corporelle, au regard de certains concepts théoriques. Le scénario ici révélé est un exemple. L’atelier virtuel mis en jeu par COMPOSE & DANSE déploie une potentialité essentielle : celle d’inviter au surgissement de la danse en chacun·e, possiblement en tout lieu, à toute heure. En immergeant la danse dans le « milieu essentiel de [la] vie » (Laban, 2003 [1963] : 120) quotidienne, Rudolf Laban[8], chorégraphe et penseur majeur de la danse, propose de libérer le mouvement afin qu’il devienne un principe vital : inclure « la danse dans la vie de tous les jours » afin qu’elle devienne « principe d’éducation à la vie » (Saladain, 2017 : 70). Avez-vous l’impression d’avoir dansé? En partant du postulat qu’« il y a déjà une danse, dans tout mouvement dont la source est son senti, aussi ténu et imperceptible soit-il » (Piqué, 2015 : 64), nous pouvons certes considérer que vous avez dansé! En outre, Alice Godfroy et Jean Clam, lors d’une conférence-atelier, précisent que « le senti du mouvement est un senti interne majeur, un senti complexe; en faire l’expérience transforme notre état de présence au monde » (Godfroy et Clam, 2014). Cependant, il y a une condition préalable. Il faut avoir identifié « les sens lourds qui impliquent le mouvement dans un certain sens » afin de laisser apparaître un « mouvement pur » (idem), un mouvement épuré de toute esthétique préalable. « En d’autres termes, il est nécessaire de se libérer d’abord de son idéal […] du bien danser, puis ne pas imposer d’image prédéfinie à son corps » (Piqué, 2015 : 64), cela afin d’éveiller le regard intérieur, constitutif de la perception du senti interne du mouvement. Or le regard intérieur est le premier palier d’une boucle itérative que génère l’expérience de la fabrique du mouvement dansé.

Cette boucle itérative peut être résumée ainsi :

  • L’attention dévoile la sensation.

  • La sensation produit « le mouvement pur », dit exempt d’esthétique ou de sens prédéfinis.

  • Le « mouvement pur » éveille la perception intérieure (du soi situé dans un espace, un temps, et en relation).

  • Cette perception guide l’action à venir, laquelle…

  • … enrichit à nouveau l’attention qui dévoile la sensation… qui produit le « mouvement pur »… qui éveille la perception… et ainsi de suite.

De boucle en boucle, il s’agit non seulement d’approfondir et d’élargir la conscience de soi et de sa présence au monde, mais aussi d’apprécier le mouvement en soi, de rendre ses sensations intelligibles. L’objectif est d’éveiller la mémoire du corps à partir de la conscience des sensations.

Sans la matière : images du scénario #44 « Danser la matière », lors d’un atelier d’exploration avec les élèves de seconde de l’enseignement Arts Danse. Lycée Jean Monnet, Montpellier (France).

Photographies d’Yves Massarotto.

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Reprenons pour la dernière fois le cours de notre expérience :

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(À nouveau, lisez le texte, fermez les yeux, puis commencez…)

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Sans la matière,

les yeux fermés pour commencer,

le jeu du faire et défaire reprendra place…

Votre corps retrouvera tranquillement quelques-unes

des sensations explorées…

Puis, vous prêterez attention à une sensation en particulier.

Vous prendrez le temps de la clarifier,

de plus en plus distinctement le mouvement qui lui correspond prendra forme.

Lorsque mouvement et sensation vous sembleront accordés,

vous ouvrirez les yeux et regarderez votre mouvement,

comme un·e observateur·trice distant·e…

Observez sa forme, son amplitude, sa temporalité, etc.

Ce faisant, que devient votre sensation d’origine?

Est-elle toujours présente à votre conscience?

Comment coexistent sensation et mouvement en vous?

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Puis laissons-nous glisser une ultime fois sur la pente du versant théorique. L’hypothèse admise dans l’atelier de COMPOSE & DANSE repose sur le fait que la danse est l’expression du poétique déjà présent à l’état latent en chacun·e. En effet, si la danse préexiste potentiellement à tout mouvement, chacun·e peut entrer dans un état de danse à tout moment. Il s’agit alors d’explorer cette capacité à laisser la danse surgir dans son corps et à se laisser traverser par elle. Comme Sylvain Prunenec, danseur et chorégraphe, le remarque dans un entretien avec Julie Perrin, « oublier la danse et se dessaisir de sa propension à vouloir la maîtriser, c’est sans doute se donner la chance d’être agi par elle » (Prunenec, cité dans Perrin, 2014 : 10). Assurément, il ne convient pas de penser le scénario comme l’expression d’un·e artiste sachant·e : « être un maître, ce n’est pas d’abord transmettre ce qu’on a dans sa tête. Être un maître, c’est obliger un autre à exercer lui-même sa propre intelligence » (Rancière, 2004). En ce sens, l’invitation à danser proposée par COMPOSE & DANSE n’a pas été pensée comme une transmission d’un ou de multiples savoir-danser, mais s’est appuyée sur la logique de Joseph Jacotot[9], telle que l’expose Jacques Rancière : « L’acte d’apprendre est d’abord un acte. Le savoir ne se transporte pas d’une tête dans une autre. Il y a quelque chose qui se passe dans une tête et quelque chose qui se passe dans une autre tête. Le savoir ne se transporte jamais. […] L’idée de Jacotot est que l’émancipation précède toujours l’apprentissage » (idem). L’objectif de l’atelier virtuel proposé par COMPOSE & DANSE est de construire les conditions propices à l’exploration sensible et poétique du corps en mouvement, afin de prendre conscience de ses potentialités. Pareillement, l’essence du scénario est de guider l’internaute en vue d’engager un processus de découverte du soi créatif qui passe certainement par une « déprise » de ses préjugés et attendus. Comme l’explique Marianne Massin, « l’exercice peut tendre vers l’inspiration et viser à se déprendre des emprises extérieures » (Massin, 2021 : 6). La curiosité et la fantaisie naîtront de l’engagement de chacun·e à s’accorder le temps de l’exercice régulier : vivre et (re)vivre des danses.

En définitive, ma recherche-création s’appuie fondamentalement sur la confiance en la force vive de la danse. Cependant, il sera de la responsabilité de chacun·e de se mettre « à l’écoute » (Nancy, 2002) de soi et du monde comme y invite Jean-Luc Nancy. Peut-être l’internaute visiteur·euse de COMPOSE & DANSE prendra-t-il·elle le temps de faire, de défaire et de refaire ses gestes? Peut-être aura-t-il·elle l’impression de trop faire ou de ne pas assez faire? Peut-être sera-t-il·elle surpris·e, voire déstabilisé·e par quelques mouvements imprévus? Peut-être traversera-t-il·elle des sensations contradictoires? Peut-être ces expériences du sensible conduiront-elles à déplacer sa perception au quotidien? Quoi qu’il en soit, le plus important est qu’il·elle danse… dans sa tête, dans son corps… ici ou ailleurs… à un moment ou à un autre…

« Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus…[10] », disait Pina Bausch

Pour conclure, au-delà d’être un « objet énigmatique » né de nombreuses conversations créatives, COMPOSE & DANSE est un dispositif qui convoque un terrain d’expérimentation du corps sensible à distance. Ainsi, l’atelier virtuel de COMPOSE & DANSE se manifeste-t-il sous la forme d’une potentialité : les scénarios, conçus en collaboration avec des professionnel·les (artistes, pédagogues, chercheur·euses, critiques, thérapeutes, etc.), invitent les internautes à explorer les pratiques de fabrique de la danse. Il ne s’agit certes pas de proposer un enseignement à bien danser. En dansant à la croisée de l’histoire de la danse et de la pratique de la composition, chacun·e développera son propre savoir subjectif du corps. Internet situe l’expérience sensible dans le lieu de vie de l’internaute, chez lui·elle, dans son environnement habituel et connu – presque sécurisant. COMPOSE & DANSE a voulu s’inscrire dans cet espace avec éthique et respect de la personne. C’est pourquoi le facteur principal, qui permettra à cet atelier virtuel d’exercer sa potentialité à faire apparaître la danse au quotidien, réside dans le désir intrinsèque et l’engagement personnel de chaque internaute qui se met à danser. Ces quelques pas de danse éveilleront l’intelligence du corps. Ils participeront certainement à changer regards et postures sur le monde, laissant ainsi affleurer un sourire subtil.