Corps de l’article

Introduction

Au Québec, le nombre de personnes proches aidantes s’élèverait à 1 500 000 (gouvernement du Québec, 2023). Le terme proche aidant a évolué au fil des décennies. Jadis, durant les années quatre-vingt, le terme aidante naturelle, était d’usage, mais a fait l’objet de vives critiques de la part de certains (Conseil du statut de la femme, 2018). À cet égard, d’autres expressions ont été préférées par différents auteurs, dont personne soutien, soignant(e), soignant(e) naturel(-el), soignant(e) familial(-el), aidant(e) familial(e) (Saint-Charles et Martin, 2001).

Aujourd’hui, les publications officielles utilisent le terme personne proche aidante (PPA) pour identifier une personne offrant des soins et du soutien à un(e)proche de façon temporaire ou permanente. La Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes définit la personne proche aidante de la manière suivante : « […] toute personne qui apporte un soutien à un ou à plusieurs membres de son entourage qui présentent une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre, peu importe leur âge ou leur milieu de vie, avec qui elle partage un lien affectif, familial ou non » (gouvernement du Québec, 2023). La définition de la proche aidance a aussi évolué pour être plus inclusive (Observatoire québécois de la proche aidance, s.d.). Une PPA peut être un(e)membre de l’entourage ou de la famille offrant des soins, ou du soutien à une personne gravement malade ou blessée ou ayant besoin de soins de fin de vie (gouvernement du Canada, 2023). D’ailleurs l’aide peut être offerte dans différents milieux : au domicile, en soins de courte ou de longue durée, en ressource intermédiaire.

La proche aidance est une réalité « en progression – même en accélération », comme le souligne Bernard (2021), et plusieurs facteurs sont contributifs à ce phénomène, entre autres : le vieillissement de la population, la désinstitutionnalisation, la diminution de la durée des hospitalisations et le transfert de responsabilités jadis assumés par les services publics vers les familles (Grenier et coll., 2021 ; Bernard, 2021). L’expérience de proche aidance est déjà abondamment décrite dans la littérature scientifique et comporte plusieurs défis : une responsabilité face à autrui se traduisant, entre autres, par un souci constant de son bien-être. Cette responsabilité peut s’avérer parfois lourde et exigeante sur le long cours et entraîner des enjeux majeurs sur le plan de la santé physique, mentale, affective, sociale et professionnelle pour la PPA (Conseil du statut de la femme, 2018 ; Observatoire de la proche aidance, s.d.). Cette dernière assume souvent plusieurs rôles dans la vie de la personne aidée, surtout lorsque celle-ci est entièrement dépendante. Or, pour plusieurs PPA, une séparation de longue durée avec leur proche ne faisait aucun sens durant la pandémie. Car, au Québec, durant cette période de crise sanitaire, les visites dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux ont été limitées pendant la première[1] (25 février 2020 au 11 juillet 2020) et la deuxième vague (23 août 2020 au 20 mars 2021) (INSPQ, 2023). Quelques exceptions ont eu lieu en fonction des politiques locales. À ce titre, certain(e)s PPA ont décidé d’héberger leur proche à domicile, dont certain(e)s en fin de vie.

L’article traite de la proche aidance sur le long cours et plus spécifiquement des soins de fin de vie à domicile durant la pandémie. L’article est divisé en 4 parties. La première partie discute de la proche aidance, des deuils successifs vécus par les PPA et du poids des responsabilités et des impacts sur leur santé physique et psychique. La seconde partie présente la méthodologie de recherche et d’analyse. La troisième partie expose les témoignages des PPA ayant pris soin d’un proche à domicile en fin de vie. La quatrième partie procède à une analyse des résultats. Cette partie propose également, à partir des analyses et de la littérature, des pistes pour améliorer les soins et services de fin de vie à domicile. Et enfin, la conclusion, invitant, entre autres, les autorités à faire un retour sur ce contexte de crise inédit pour éviter certaines tragédies humaines.

Proche aidance sur le long cours, deuils et coûts directs et indirects

Le deuil est souvent associé à la mort, toutefois il en est autrement dans le contexte de la proche aidance. En effet, les personnes proches aidantes (PPA), au-delà des tâches et responsabilités qu’elles assument, vivent des pertes et des deuils successifs (Guerra-Martín, et coll., 2023 ; Grenier, 2020), et ce, parfois à partir de l’annonce du diagnostic de la personne atteinte. Le contexte évolutif de la maladie entraîne bien souvent des pertes et des deuils (Crête, 2009). Crête (2009) parle alors d’un processus de deuil qui est « dynamique, systémique et évolutif ». La perte de capacité, l’annonce d’un diagnostic, ou l’aggravation de la maladie sont souvent synonymes de charge supplémentaire pour la PPA. Cette charge entraîne des coûts humains et financiers (Grenier, 2011 ; 2020) pouvant affecter la santé physique et mentale des PPA. Qui plus est, l’accompagnement d’un proche s’inscrit et se vit dans une « expérience émotionnelle spécifique […] les proches sont confrontés à des épisodes émotionnels intenses » (Micelli, 2016). D’ailleurs, comme le soulignent Gascon Despatie et Houle (2022), les PPA peuvent ressentir « une grande variété d’émotions avec lesquelles ils ont à composer […] Ces affects sont identifiés comme étant un défi important de leur rôle et peuvent devenir suffisamment intenses pour être perçus comme un facteur, pouvant affecter leur propre santé mentale ». Ainsi, l’état de santé mentale gagnerait à faire l’objet de plus de préoccupation, afin de repérer une détérioration pour intervenir (Gascon Despatie et Houle, 2022).

Aux contraintes physiques et morales induites par le poids des activités quotidiennes et de la responsabilité face à la personne accompagnée s’additionnent les coûts financiers (Beaudet et Allard, 2020 ; Ethieret coll., 2014 ; Biegel, 2001 ; Bocquet et coll., 2001 ; Bradley et coll., 2023 ; Brodaty et coll., 2003 ; Bruton-Cyr, 2023 ; Conseil du statut de la femme, 2018 ; Kempeneers et coll., 2015), dus aux demandes d’aides professionnelles et payantes (Miller et McFall, 1991). Antoine et coll. (2010) soulignent que l’aide apportée par les PPA a un certain coût : « […] la disponibilité, des efforts, ainsi que des dépenses, nécessaires pour l’accès à des aides professionnelles, voire pour l’acquisition de matériels spécifiques (…) des exigences importantes, souvent désignées par le terme fardeau, sur les aidants et l’ensemble du réseau d’aide « informelle ». Une situation également rapportée par le Vérificateur général du Québec (2013) ; les personnes assument une part grandissante des coûts des soins et des services. Cette charge et son alourdissement peuvent devenir une menace à l’équilibre de la PPA et, comme le soutiennent Hulko et coll. (2020), « elle affecte d’autant plus celles pour qui l’utilisation de ressources privées et l’accès aux réseaux publics sont incertains en raison de leur position sociale ». Cette situation constitue un risque pour la précarité économique des PPA et un stress de plus.

Poids des responsabilités et ses effets sur les PPA

À long terme, tel qu’évoqué plus haut, l’aide et le soutien offerts par les PPA peuvent devenir un lourd fardeau. Une étude réalisée par le Conseil du statut de la femme (2018) mentionne qu’un peu plus du tiers (36,6 %) des aidants et des aidantes rapportent que leurs responsabilités sont stressantes ou très stressantes. Le portrait est toutefois différent entre les hommes et les femmes. Ainsi, un nombre plus élevé de femmes, soit 45 %, considèrent leurs responsabilités stressantes ou très stressantes (Conseil du statut de la femme, 2018). Un écart qui s’expliquerait par « le cumul des responsabilités » pour elles et la nature des tâches (Conseil du statut de la femme, 2018). Les femmes sont plus nombreuses à donner une grande variété de soins qui exige un engagement personnel, tel que : le « soutien émotionnel, [l’]organisation des soins, etc. […] certaines tâches, par exemple être à l’écoute ou donner des soins personnels à un ou à une proche vivant de graves problèmes de santé ou ayant des limitations physiques importantes, réclament un plus fort investissement émotionnel que d’autres, comme l’entretien de la pelouse, et pourrait nuire à la capacité des femmes à gérer leurs propres émotions » (Conseil du statut de la femme, 2018).

De nombreuses PPA se retrouvent souvent en situation de dépression et de détresse émotionnelle (Belzile-Lavoie, 2018 ; Brodaty et coll., 2003 ; Grenier et Laplante, 2020 ; Lavigne et Grenier, 2015 ; Turcotte, 2013). Une étude a démontré qu’une prestation de soins de plus de 20 heures par semaine est significativement associée à des manifestations dépressives chez les PPA (Nik Jaafar et coll., 2014).

D’autres manifestations ont aussi été observées, au plan psychique et physique, telles que des troubles anxieux, des épisodes psychotiques, des infections plus fréquentes (Belzile-Lavoie, 2018 ; Conseil du statut de la femme, 2018 ; Dyck et coll., 1999 ; Martin, 2013), une fatigue anormale, des plaintes de nature somatique, des problèmes respiratoire, immunitaire et cardiovasculaire, des carences nutritives et des troubles de sommeil (Starr, 2023 ; Wilcox et King, 1999 ; Von Känel et coll., 2001 ; Cohen, 2002 ; Parks et Pilisuk, 1991).

Ainsi, les rôles assumés par la PPA comportent de nombreux enjeux pour leurs santés physique et mentale. Le travail de soin à domicile se réalise dans un contexte où la « frontière entre le care et le cure est poreuse » (Godfroid et Biaudet, 2016). En effet, les PPA assument, au-delà du lien avec la personne accompagnée, de multiples rôles, et sont à la fois « des fournisseurs de services, de soutien et de soins » (Antoine et coll., 2010). La relation PPA et Personne aidée (PA) est transformée au rythme des pertes ; les PPA doivent alors s’adapter. Malaquin-Pavant et Pierrot (2007) parlent de chronologie adaptative selon l’évolution des pertes et elles préfèrent à 6 grandes étapes – du diagnostic jusqu’au décès. D’ailleurs, lorsque le rôle d’aidant devient prédominant, la nature de la relation se modifie et demande une adaptation pour les PPA ; « devant un conjoint transformé, l’expérience de soins s’avère plus confrontante » (Lamontagne et Beaulieu, 2006). Cette transition peut constituer une source de difficultés et de stress supplémentaire, en raison de l’alourdissement de la charge. Certains éléments peuvent faciliter ou au contraire compliquer cette transition de rôles pour les PPA lors d’une fin de vie à domicile dont, entre autres, le besoin d’information pour gérer la maladie, les symptômes et la médication, d’être soutenues durant le deuil (Pépin et Hébert, 2020).

La prise en charge de la maladie à un stade plus avancé, comme l’indique Fekih-Rodhane et coll. (2018), est susceptible d’exiger davantage de soins et de soutien des PPA et peut donc rendre les PPA plus vulnérables à la détresse psychologique (Nik Jaafar, et coll., 2014). À ce sujet, plusieurs études indiquent que l’état de santé des PPA se détériore graduellement lors de l’accompagnement les amenant à prendre conscience de leurs limites (Starr et coll., 2023 ; Lamontagne et Beaulieu, 2006). La fragilité de la santé du PPA s’accroît avec la détérioration de celle de la personne accompagnée (De Padova et coll., 2021 ; Streck et coll., 2020).

Or, dans un contexte de fin de vie à domicile, les PPA assument une présence continue en offrant différents soins (Robinson et coll., 2017).

L’application des mesures sanitaires a entraîné des contraintes inédites (Bourque et Avenel, 2020). Les PPA ont fait face à différentes situations. Certains ont vu leur rôle s’alourdir, d’autres n’ont pu accompagner leur proche en fin de vie, ou encore les visiter (Éthier, 2022). Face à cette situation, des PPA ont décidé de prendre soin de leur proche dans un contexte de fin de vie à domicile, comme le démontre le projet COVIDEUIL[2].

Méthodologie

Accompagnement en fin de vie à domicile durant la pandémie

L’étude COVIDEUIL 

Il est difficile de rapporter des statistiques aux échelles nationale et internationale sur les soins palliatifs à domicile et en milieu communautaire en dehors des établissements de soins de longue durée qui ont fait l’objet de très peu d’attention durant la pandémie (Cdnhomecare, 2021). On sait toutefois que plusieurs patients ont souhaité mourir auprès de leur proche dans un « environnement familier » (Cdnhomecare, 2021) en raison des restrictions sanitaires dans les établissements de santé et de services sociaux :

L’isolement et les restrictions imposés aux visiteurs dans les établissements ont encore déplacé les soins vers le domicile, les patients faisant face à la perspective de mourir seuls […] À mesure que la pandémie gagnait du terrain, le système de santé a connu un passage rapide des soins hospitaliers et institutionnels aux soins à domicile et en milieu communautaire, en particulier pour les personnes ayant besoin de soins palliatifs et de fin de vie (Cdnhomecare, 2021).

De fait, les soins de fin de vie à domicile auraient augmenté au Québec, malgré la rareté des services de soins palliatifs à domicile (Cdnhomecare, 2021). L’étude COVIDEUIL a permis, entre autres, de mieux comprendre les enjeux des soins de fin de vie à domicile, même si ce n’était pas l’objet initial de l’étude.

L’étude COVIDEUIL a visé à mieux connaître les réactions de deuil durant la pandémie par l’entremise d’un sondage comportant 188 questions dans le but de décrire les expériences de fin de vie, de mort et de deuil vécues par un proche d’une personne significative. L’étude a enregistré 955 répondants, dont 609 ont ajouté des commentaires qualitatifs pour contextualiser leurs réponses. À partir de ces données qualitatives, une analyse secondaire a été réalisée portant sur la question des soins de fin de vie à domicile. Le volet qualitatif provient d’une analyse du contenu des réponses « autre » ou des espaces offerts aux commentaires pour « expliquer leur réponse ». Ces réponses « ouvertes » ont en effet permis de recueillir d’importantes données qualitatives, notamment auprès de 71 PPA. Ces personnes ont ainsi décrit, parfois avec beaucoup de détails, les circonstances particulières de l’accompagnement de leur proche lors de ses derniers jours et de son décès. L’ensemble des commentaires des participants à l’étude a fait l’objet d’une étude attentive puis codifié à l’aide du logiciel NVivo (version 20), selon la méthode d’analyse thématique (Paillé et Muchielli, 2012). De telles données, issues d’une approche inductive, provenant de réponses ouvertes à un sondage en ligne peuvent être interprétées avec certaines précautions, mais de façon tout à fait fiable (LaDonna et coll., 2018). Les thèmes se rapportant à la fin de vie, l’accompagnement en fin de vie, les soins à domicile et à la proche aidance ont été identifiés et mobilisés pour ce texte. Les thèmes utilisés et les extraits de verbatims ont aussi été soumis aux collègues pour ce texte.

Résultats

Accompagner un proche en fin de vie et mourir près des siens : quelques enjeux

Durant la pandémie, des PPA ont fait le choix d’accompagner un proche en fin de vie à domicile pour vivre cette proximité, comme le souligne ce témoignage :

« Ma mère avait pris la décision de rester à la maison pour pouvoir être auprès de nous, tandis que si elle avait été à l’hôpital ou dans une maison de fin de vie, nous n’étions pas [là] pour pouvoir être avec elle. »

(P1)[3]

La fin de vie à domicile ne s’improvise pas, car au-delà de la présence, de la supervision et de la gestion des soins et médicaments, l’environnement exige d’être adapté et sécuritaire, comme l’évoque cette PPA :

« Comme je ne pouvais voir mon père à l’hôpital, j’ai organisé son retour à la maison dans le contexte d’une fin de vie à prévoir. Lits d’hôpital, chaise d’aisance, fauteuil roulant. J’ai passé 11 jours à ses côtés. J’ai vécu son dernier déclin et j’ai même participé à sa toilette funéraire »

P6

Les familles doivent parfois se mobiliser pour prendre le relais d’une PPA qui peut être épuisée ou à bout de moyens face à la fin de vie. La motivation demeure d’éviter que leur proche meure seul ou loin des siens : 

« Je l’ai fait transférer [mon père] du domicile de sa conjointe à chez-moi, car elle voulait qu’il aille à l’hôpital pour ses derniers moments. La maison de soins palliatifs ne pouvait pas le prendre et il serait décédé seul à l’hôpital. Ma soeur a demandé une lettre de son médecin des soins palliatifs pour sortir du Saguenay et pouvoir venir à [ville] m’aider »

P28

Une dame en phase terminale demande à retourner auprès des siens pour les derniers moments de sa vie. L’exigence des soins est également soulignée ici par les PPA. Les deux témoignages indiquent l’ampleur de la tâche dans le contexte. L’aide de l’entourage dans le partage des responsabilités et le soutien des services professionnels offerts par les CISSS/CIUSSS-volet CLSC sont vus ici comme un soutien indispensable au maintien d’un équilibre qualifié de précaire :

« Ma mère était hospitalisée à Québec, loin de son domicile. Quand les médecins lui ont annoncé qu’elle était en phase terminale (novembre 2020), elle s’est “battue” afin qu’ils lui permettent de revenir mourir à domicile et organiser le transport par avion-ambulance. Elle ne voulait pas mourir seule à l’hôpital, et préférait vivre ses derniers moments entourés de sa famille. Ils lui ont accordé sa demande quelques jours plus tard, elle est revenue à la maison vers la fin novembre. […] il allait de soi que j’allais accompagner ma mère comme proche aidante. Au départ je m’en [suis] beaucoup mis sur les épaules, j’avais de la difficulté à déléguer… Mais avec l’aide de mes soeurs, de mon père et de l’équipe du soutien à domicile au CLSC, j’ai pu trouver un certain équilibre (précaire j’en conviens) dans l’accompagnement de la fin de vie de ma mère. »

P4

« Il était en soins palliatifs à la maison depuis 8 semaines. Je me suis occupée de lui 24 heures sur 24 avec le soutien de l’équipe de soins palliatifs du CLSC. »

P2

La pandémie a également généré des coûts pour des PPA pour certains soins à domicile. Dans les deux témoignages suivants, l’aide professionnelle a fait la différence :

« Les services soins palliatifs étant fermés, l’urgence-hôpital inaccessible, nous avons décidé que notre maman resterait à la maison. Une grande chance d’avoir pu s’offrir les coûts [pour engager] une infirmière privée, pour les soins. Et l’accompagnement d’une infirmière pivot CLSC soins palliatifs. »

P37

« J’ai eu la chance avec mes deux enfants d’accompagner en fin de vie mon époux décédé à la maison avec un grand support de mon CLSC de [ville] et une jeune médecin extraordinaire [nom]. Tout le personnel a été formidable. J’ai reçu de l’aide plus que j’en demandais et cela a beaucoup aidé pour débuter notre deuil. Je souhaite cette aide physique et morale à tous ceux qui ont à vivre la perte d’un être aimé. »

P49

L’aide à domicile, comme évoqué précédemment, a été parfois absente étant donné le contexte pandémique, entraînant certains risques pour les personnes plus vulnérables :

« Je devais avoir l’aide du CLSC afin de m’accompagner dans les soins médicaux à lui prodiguer sauf que la seule personne présente à part moi était une infirmière qui venait à la maison une fois semaine pour une période de 5 à 10 minutes seulement. »

P48

« Ma fille étant handicapée et avec certains problèmes a dû demeurer à la maison au lieu de voir son médecin et être hospitalisée comme d’habitude, quand elle faisait de la température… Le suivi à distance était un risque. » 

P9

La condition de santé et le niveau de soins nécessaires ont parfois obligé les PPA à transférer leur proche en centre hospitalier :

« Mon mari voulait mourir à la maison, mais comme son état de santé s’est détérioré, j’ai dû le faire transporter à l’urgence de l’hôpital. »

P18

« Par la suite [ma mère] s’est installée chez ma soeur. Ma soeur, son conjoint et ses enfants, mon père et moi étions là aussi pour prendre soin d’elle. Nous l’avons transférée en maison de soins palliatifs une semaine avant son décès lorsqu’il nous a été évident que nous ne pouvions plus lui offrir tous les soins dont elle avait besoin. »

P30

Les contraintes liées à la pandémie ont été pour certaines PPA extrêmement difficiles à vivre, voire incompréhensibles pour elles dans certains cas :

« J’habite une autre région. Les régions étaient fermées… J’ai dû attendre une autorisation du médecin pour avoir le droit d’y aller [reçue une fois que ma mère] a été hospitalisée). Pour des soins à la maison, il fallait qu’une personne habite avec elle, mais on me le refusait sous menace que les intervenants du CLSC cessent les soins durant 14 jours (dû à ma présence). Mais des bénévoles pouvaient la visiter… »

P19

Discussion

Durant la pandémie, en raison des contraintes et des règles sanitaires imposées dans les milieux de soins, des PPA ont choisi d’accompagner leur proche en fin de vie à domicile. Ainsi, la pandémie a mis en évidence l’importance de la proximité dans les derniers moments de la vie entre les PPA et leurs proches. Des demandes de soins de fin de vie à domicile ont augmenté : « la pandémie a provoqué de nombreux changements dans les soins de fin de vie […] elle a accéléré le retour à domicile de certains patients, leur offrant ainsi une plus grande latitude en regard de la présence des proches à leur chevet » (Nicholas et coll.). Toutefois, comme le soulignent Biaudet et Godrfoid (2016) les tâches sont multiples et concernent autant le corps de la personne, mais également l’adaptation de l’environnement qui devient un « lieu du soin ».

Le retour à domicile de « patient(e)s » a toutefois entraîné certains enjeux pour les personnes aidantes et les personnes accompagnées : « […] la pénurie de personnel avait des répercussions sur la capacité à fournir des soins palliatifs de qualité constante. Les proches aidants ont déclaré que le manque de personnel ajoutait à la pression importante qu’ils subissaient en s’occupant de leur proche à la maison » (Cdnahomecare, 2021).

Certains PPA n’ont pu procéder à un dernier « au revoir », une situation bouleversante pour elles. La perte de contact avec le proche, alors que celui-ci ou celle-ci avait besoin d’un soutien, a été vécue difficilement pas plusieurs PPA (Ummel et Vachon, 2022). Les personnes n’ayant pu accompagner leur proche – procéder au dernier « au revoir », demander pardon, partager un dernier secret, etc. – sont à risque de deuil compliqué (Verdon et coll., 2022 ; Ummel et Vachon, 2021). L’accompagnement des proches en fin de vie constitue un moment important qui peut influencer la trajectoire de deuil (Laflamme, 2020).

L’accompagnement à domicile d’un proche en fin de vie implique, comme l’ont souligné les PPA, certaines obligations : une disponibilité mentale et physique, des ressources professionnelles, matérielles et monétaires, et parfois une réorganisation de l’environnement.

Par ailleurs, les aides formelles et informelles, soit celles des professionnels et professionnelles, et celle des membres de la famille, ont été appréciées, voire salutaires selon les PPA de cette étude. La solidarité familiale et la présence de personnes professionnelles ont, entre autres, constitué des facteurs clés pour la qualité des soins de fin de vie à domicile. L’aide demeure un facteur facilitant et protecteur pour les soins de fin de vie à domicile. La charge est aussi partagée et distribuée. D’ailleurs, l’importance de l’aide formelle dans les soins à domicile est avérée (Lamontagne et Beaulieu, 2006).

Les PPA ont rapporté dans cette étude des enjeux similaires déjà identifiés dans certaines études sur les soins de fin de vie à domicile – la fatigue, la difficulté de déléguer, l’oubli de soi, l’achat de matériel médical, le manque de services spécifiques (Pépin et Hébert, 2020). En regard à ce dernier point, il est toutefois difficile d’affirmer, à partir des témoignages, si la continuité des services, ou encore l’accès à ceux-ci ont été affectés par la pandémie. Toutefois, comme le mentionne Perron et al. (2022), les communications essentielle dans les soins palliatifs et de fin de vie entre les équipes de soin, les personnes soignées et les proches ont été déficitaires à certains moments durant la pandémie. Ceci a certainement généré des risques pour certains et mené les proches à les transférer vers des établissements faute de soins et de suivis requis et continus. Une situation qui peut être vécue difficilement par les PPA qui peut renvoyer à un échec en regard du « contrat moral souscrit avec le malade, à qui on soustrait la possibilité de mourir à domicile […] que l’on n’a pas réussi à « préparer » ou « accompagner » jusqu’au bout (Biaudet et Geofroid, 2016).

Or, dans le contexte pandémique, « privilégier le domicile, plutôt que l’établissement, favorisait l’unité, le vivre-ensemble et les moments de partage, parfois au détriment du bien-être ou des capacités des individus » (Nicholas et coll., 2020).

La pandémie est un caractère inédit. Cependant, l’absence d’une aide suffisante pour les PPA a souvent fait l’objet de critiques de la part de nombreux auteurs (Bourque et coll., 2019 ; Deshaies, 2020 ; Grenier et coll., 2021 ; Lavoie et coll., 2014 ; Morin et coll., 2022). L’accompagnement d’une personne en fin de vie s’inscrit, la plupart du temps, dans un parcours d’aide – sur le long cours. Plusieurs PPA sont épuisées, mettant du coup en péril leurs santés physique et mentale (Kempeneers et coll., 2015). De surcroît, en fin de vie, les PPA sont confrontées à « des épisodes émotionnels intenses » (Micelli, 2016). Le poids des responsabilités est souvent très lourd à porter et entraîne « un risque accru de conséquences négatives sur la santé mentale et physique de l’aidant, lié au “poids” de la prise en charge du malade » (Gisele et coll., 2018).

Des pistes suivant l’analyse des témoignages

La fin de vie à domicile repose sur de nombreux facteurs qui varient selon les situations (Jaquier et coll., 2015), dont la présence et l’implication des PPA (Pépin et Hébert, 2020). Les PPA sont les acteurs principaux des soins à domicile, dont l’aide informelle est estimée à 75 % (Chapell, 2001 ; Grenier, 2011). L’autre part est réalisée par les personnes intervenantes du réseau formel. Des témoignages de PPA dans l’étude de Covideuil mentionnent l’importance des ressources appropriées pour l’aide à domicile, sinon il y a risque pour la personne accompagnée et d’un transfert éventuel vers un établissement. L’étude de Pépin et Hébert (2020) fait le même constat : l’accès aux services 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, est jugé nécessaire par les PPA. D’ailleurs, dans les témoignages plus haut, une PPA rapporte « Je me suis occupée de lui 24 heures sur 24 avec le soutien de l’équipe de soins palliatifs du CLSC. » Les soins de fin de vie à domicile exigent une coordination de différents d’éléments (Couturier, 2018), dont notamment une présence et une continuité dans les soins et services. D’ailleurs, comme l’évoquent Pépin et Hébert (2020), « la stabilité de l’équipe de soins » favorise une relation de confiance avec les PPA et un « meilleur suivi » de la santé de la personne accompagnée. Selon cette même étude, les PPA mettent de côté leurs propres besoins durant cette période, ce qui entraîne un enjeu de reconnaissance de leur propre besoin de soutien (Pépin et Hébert, 2020). Il faut donc porter une attention singulière à leurs propos : « Écoutons et saisissons le moment où ils parleront d’eux-mêmes et demanderont de l’aide » (Viennet, 2016). Mais, demander de l’aide est parfois difficile pour les PPA, et certaines personnes ne se reconnaissent même pas comme des aidantes, et donc ayant droit à une aide formelle. 

Malgré certains efforts dans la dernière décennie quant aux soins palliatifs et de fin de vie offerts à domicile, des inégalités persistent en ce qui a trait à l’accès et à l’offre de soins et de services (MSSS, 2020 ; Cdnhomecare, 2021). À cet égard, le choix du lieu de prestation des soins de fin de vie est compromis par les dispositifs institutionnels. Or, comme le rapportent Antoine et coll. (2010) : « La disponibilité, des efforts, ainsi que des dépenses, nécessaires pour l’accès à des aides professionnelles, voire pour l’acquisition de matériels spécifiques [… constituent] des exigences importantes, souvent désignées par le terme fardeau, sur les PPA et l’ensemble du réseau d’aide « informelle « . » Cette situation peut compromettre leur santé physique et psychologique (Gisele et coll., 2018). Un document produit par l’Appui pour les proches aidants (2016) souligne que des PPA souhaitaient garder leur proche en fin de vie à domicile, mais que les conditions ne se sont pas révélées favorables, entre autres, par le « manque d’aide à domicile, l’impossibilité de prendre un congé sans perte de salaire ou le besoin d’aide financière pour couvrir les coûts supplémentaires ». Même si la majorité des Canadiens souhaite décéder à domicile, la moitié des décès liés au cancer ont lieu dans un établissement de courte durée (Société canadienne du Cancer, 2016).

Face au nombre croissant de demandes pour une fin de vie à domicile, des changements réels doivent être apportés, du début du diagnostic jusqu’à la fin. Les ressources sont insuffisantes. Bien qu’il y ait des avantages pour les PPA, les PA et les institutions, le soutien à domicile en fin de vie ne devrait pas se réaliser au détriment de la santé des PPA et d’une fin de vie digne et sans douleur pour les personnes accompagnées.

Est-ce que la politique nationale pour les PPA, Reconnaître et soutenir dans le respect des volontés et des capacités d’engagement. (MSSS, 2021a) et le plan d’action pour les personnes proches aidantes 2021-2023 apportera des mesures effectives en ce sens pour assurer la bientraitance des PPA.

Conclusion 

La pandémie a mis en lumière le rôle indispensable des PPA. Ce texte témoigne de cette réalité et démontre du même coup les enjeux complexes relatifs à la proche aidance sur le long cours et de surcroît dans un contexte de crise, tel que la pandémie. La fin de vie est l’étape ultime de la maladie. Les PPA assistent souvent impuissantes au déclin de leur proche. Les PPA, par l’exigence de leur rôle et l’aspect émotif du lien les unissant à la personne aidée, vivent l’épreuve du deuil en offrant parallèlement des soins qui deviennent de plus en plus exigeants lorsque la maladie progresse et la fin de vie s’approche. L’aide – formelle ou informelle – est cruciale. Les témoignages des PPA ayant donné des soins de fin de vie à des proches à domicile durant la pandémie ont souligné l’importance de l’aide professionnelle et du soutien concret des membres de leur entourage. Faute de soins, le risque croit que la personne accompagnée soit transférée vers un établissement, comme l’ont vécu certaines PPA durant la pandémie, et avant.

Les soins de fin de vie à domicile risquent d’être plus fréquents et courants avec le vieillissement de la population. Or, pour mieux soutenir la dyade – personne aidante et personne aidée –, pour éviter l’isolement, la détresse émotionnelle et le sentiment d’échec vécu par la PPA par un retour en centre hospitalier, et pour que les soins à domicile en fin de vie soient satisfaisants et sécuritaires, ils doivent être intégrés, orchestrés et financés adéquatement. Or, au Québec, la politique nationale des PPA a récemment été adoptée et différentes orientations structurantes ont été énoncées (MSSS, 2021b) avec un plan d’action. La politique souligne l’importance d’octroyer aux PPA le soutien et les services nécessaires pour qu’elles puissent, si elles le souhaitent, offrir une aide à leur proche, sans compromettre leur santé mentale, physique et autres rôles sociaux qu’elles exercent (MSSS, 2021). Avec cette politique, il ne sera plus question de besoins, mais bien d’un droit confirmé et reconnu pour les PPA. Par cette loi on reconnaît de manière officielle la contribution des PPA au système de santé et de services sociaux québécois. Il faut toutefois attendre de voir les mesures réelles mises en actions, car une politique sans engagement financier n’a pas de portée réelle pour les personnes. De plus, il y aurait lieu de réfléchir en amont sur les mesures à prendre en contexte pandémique ou de tout autre type de catastrophe. Des mesures humanitaires devraient être mises en place sans que ce soit au détriment du bien-être des PPA, et que les proches accompagnés ne meurent pas seuls et isolés de leurs proches aimants. De plus, les inégalités dans l’accès à des soins palliatifs de qualité ont été mises en évidence durant la pandémie, il faudra faire des efforts dans la planification future pour une équité (Cdnhomecare, 2021).

En attendant, l’aide postmortem pour les PPA a toute sa pertinence ici pour faciliter le deuil et éviter une détérioration de leur santé mentale.