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Problématique

Dès qu’ils font leurs premiers pas dans le milieu scolaire, les enfants sont amenés à développer leur culture scripturale, celle-là même dans laquelle s’enracineront leur capacité à produire des textes et leur maitrise de la norme orthographique, conditions importantes pour réussir à l’école et pour exercer une citoyenneté critique et responsable (Geoffre et al., 2019). Plusieurs études soulignent l’importance du choix des activités susceptibles de faire progresser les élèves dans cet apprentissage. Ainsi, travailler la production d’écrits en plaçant la focale sur l’encodage, et ce de manière précoce, semble présenter un intérêt pour favoriser les apprentissages liés à la maitrise de l’écrit (Brissaud et al., 2016 ; Castany-Owhadi et al., 2019 ; Kervyn et al., 2014 ; Pasa et al., 2015). De la même manière, passer du temps à planifier la tâche d’écriture, à revenir sur l’écrit produit et à encoder en autonomie des unités linguistiques réfère à des tâches dont l’effet est significatif sur le développement des compétences d’écriture et de compréhension, quels que soient les élèves du début du primaire considérés, ceux en réussite comme ceux en difficulté (Goigoux, 2016).

Cependant, plusieurs études récentes (Brissaud & Fayol, 2018 ; Goigoux, 2016) montrent que l’enseignement de la production d’écrits fait figure de parent pauvre dans les classes du début de l’enseignement primaire : les enseignants francophones y consacrent moins de temps qu’à l’enseignement de la lecture, proposent peu d’activités authentiques de production d’écrits et abordent l’apprentissage de l’écrit via des activités courtes, décrochées, qui servent souvent de prétextes pour enseigner la langue (orthographe, lexique…) sans tisser de liens entre ces ressources langagières et la production d’écrits (Gourdet, 2018). Les recherches descriptives sur les pratiques enseignantes en fin de maternelle et au début de l’enseignement primaire pointent en effet, s’agissant des tâches d’écriture, une nette prédominance en classe de la copie et du graphisme (Bachelé & Kervyn, 2019 ; Boiron & Kervyn, 2012 ; David & Morin, 2013 ; Mauroux & Garcia-Debanc, 2013 ; Zerbato-Poudou, 2002). Il en va de même au début de l’enseignement primaire : au sein du temps de classe consacré à l’écriture, les tâches de copie sont les plus nombreuses ; les élèves sont amenés à écrire, mais ils le font la plupart du temps avec des lettres pré-imprimées, en termes d’unités « mots » et non d’unités « textes » ; peu d’activités sont consacrées à la planification et à la révision de textes (Goigoux, 2016).

Si de telles tâches dominent dans les pratiques d’enseignement de l’écriture au premier cycle du primaire, c’est sans doute en partie parce que les enseignantes, souvent eux-mêmes en difficulté avec l’écrit, n’ont pas tous construit une représentation de l’écriture associée à des finalités expressives et réflexives autant que communicatives (Bucheton, 2014) et qu’ils se sentent peu formés et peu outillés pour accompagner les élèves dans leur apprentissage de l’écriture (Cremin & Oliver, 2017 ; David et al., 2018). Survalorisant le texte produit au détriment du processus d’écriture (Brissaud & Fayol, 2018 ; Communauté française, 2015), les enseignants, notamment en Fédération Wallonie-Bruxelles, éprouvent des difficultés à exploiter les traces de l’écriture, à enseigner les stratégies qui s’y rapportent (David & Guerrouache, 2018) et passent souvent à côté du travail d’épaississement (Bucheton, 2014) du contenu des textes. De plus, leur conception de l’acte d’écrire étant souvent limitée à l’encodage des mots, elles et ils se focalisent sur les aspects formels (orthographe, graphie) plutôt que sur le contenu du texte (Pilorgé, 2010).

Dans cette contribution, nous rendons compte d’une recherche à visée descriptive concernant onze classes de 1re année du primaire. Menée dans le cadre de la vaste réforme entreprise depuis 2016 dans le contexte éducatif belge francophone[2], cette recherche initiée par un groupe de travail[3] porte sur l’accompagnement des enseignants dans la mise en oeuvre d’un outil didactique relatif à l’écriture : les ateliers d’écriture de Lucy Calkins (2016, 2017). Ce dispositif prend le parti de favoriser l’encodage en situation de production d’écrits sans attendre que les jeunes élèves ne maitrisent le geste graphique ou ne soient entrés dans la lecture. Si nous l’avons retenu dans le cadre de la présente recherche, c’est parce qu’il paraissait à priori susceptible de rencontrer la double exigence caractéristique de la robustesse des outils didactiques : intégrer « les connaissances actuelles sur l’écriture, sur son enseignement et son apprentissage en contexte scolaire ainsi que sur l’ingénierie didactique » (exigence scientifique, théorique) et prendre en compte « les caractéristiques des utilisateurs, les exigences et les contraintes de leur métier et de leur milieu » (exigence de cohérence avec les caractéristiques et les besoins du terrain) (Kervyn, 2020, p. 2-3). C’est principalement cette deuxième exigence que la présente étude vise à questionner dans la mesure où le dispositif choisi est issu d’un contexte éducatif anglo-saxon.

La recherche décrite dans cet article vise ainsi à étudier la mise en oeuvre de ce dispositif dans le contexte éducatif de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Plus précisément, elle consiste à observer les interactions entre l’enseignement dispensé à partir de cet outil (nécessairement reconfiguré par les utilisateurs) et les apprentissages concomitants des élèves, dans le but de décrire les progrès des élèves, d’une part, et de comprendre les éventuels obstacles rencontrés par les enseignants, d’autre part. Par la suite, ces observations devraient permettre, au-delà de la présente recherche, de déterminer l’intérêt d’engager une étude de type expérimental centrée sur l’analyse des effets du dispositif (relations causales), de choisir les leviers d’accompagnement à privilégier dans le cadre d’une telle étude et de déterminer, le cas échéant, l’éventuelle amélioration des apprentissages des élèves sous l’influence de l’outil expérimenté.

En outre, alors que de nombreuses recherches s’appuient soit sur des analyses quantitatives, soit sur des analyses qualitatives, souvent présentées dans une relation d’opposition, la présente recherche recourt, sur le plan méthodologique, à un devis mixte. En effet, nous gageons que le croisement des méthodes susmentionnées permet à l’une d’éclairer, de compléter, de nuancer l’autre, et inversement, et qu’une telle lecture plurielle de notre objet de recherche favorise l’approche de sa complexité. C’est la raison pour laquelle cette étude s’appuie sur des données quantitatives et qualitatives pour décrire, d’une part, l’évolution des compétences scripturales des élèves au terme de l’intervention et, d’autre part, la mise en oeuvre du dispositif des ateliers d’écriture par les enseignants. Constate-t-on des progrès dans la manifestation des compétences scripturales des élèves ? Ces progrès s’observent-ils dans des contextes contrastés, notamment chez les élèves identifiés comme présentant des difficultés à entrer dans la langue écrite ? Ce dispositif est-il susceptible de rencontrer un certain degré d’adhésion des enseignants du primaire en Fédération Wallonie-Bruxelles ? Telles sont les principales questions abordées dans ce projet de recherche pilote.

Éléments de cadrage théorique : les principes qui sous-tendent les pratiques efficaces d’enseignement de l’écriture

Si, comme nous l’évoquions dans la problématique, certaines pratiques sont identifiées comme peu porteuses pour développer les compétences rédactionnelles des apprentis scripteurs, d’autres semblent avoir fait leurs preuves dans certains contextes. Du moins les principes qui les sous-tendent semblent-ils faire l’objet d’un certain consensus de la communauté scientifique et auprès des acteurs des systèmes éducatifs (cf. les recommandations issues de conférences de consensus – CNESCO, 2018 – ou de méta-analyses – par exemple, Graham et al., 2012a). Ce sont quelques-uns de ces principes que nous déplions succinctement ci-après (cf. présentation plus développée dans André et al., 2022 ; De Croix et al., 2020).

Une exposition précoce à l’écriture : les activités d’écriture approchées et l’encodage autonome

De nombreux travaux inscrits dans des champs disciplinaires complémentaires (didactique du français, linguistique, psycholinguistique) ont mis en évidence l’influence des activités de production d’écrits sur l’apprentissage de la lecture-écriture et l’intérêt d’une exposition à l’écriture (Écalle & Magnan, 2002 ; Fitzgerald & Shanahan, 2000 ; Graham & Hebert, 2011). En rupture avec une conception ancienne répandue qui voulait que les activités d’écriture succèdent à l’apprentissage de la lecture, nombre de chercheurs défendent depuis longtemps l’intérêt d’accorder une place légitime aux activités d’écriture dès les débuts des apprentissages de l’écrit (Chartier, 2007 ; David & Morin, 2013). L’hypothèse est posée que l’écriture pourrait contribuer au développement de certains aspects de la lecture qui n’ont pas été préalablement et complètement intégrés (Shanahan, 2009 ; Brissaud et al., 2016) et qu’un équilibre entre l’enseignement de la lecture et de l’écriture pourrait accroitre l’efficacité de ces deux acquisitions (David & Morin, 2013 ; Riou, 2017). 

Pour autant, tous les contextes d’écriture ne se valent pas : ce sont les activités d’écriture approchées qui favorisent les plus grands progrès chez les jeunes scripteurs (Rieben et al., 2005 ; Sénéchal et al., 2012). Les enfants du préscolaire qui pratiquent régulièrement des écritures autonomes (ou « autographies »), avec une rétroaction de l’adulte sur la norme, obtiennent en effet de meilleurs résultats dans des situations de reconnaissance et de production de mots (Fraquet & David, 2013). C’est notamment la dimension dialogique de ces productions écrites qui favorise leur effet sur l’acquisition de l’écrit : dans un contexte d’échange, les élèves sont conduits à verbaliser leurs solutions graphiques, leurs savoirs, leurs stratégies avec les autres (et notamment avec l’enseignant, qui tente de les organiser par un travail réflexif de structuration des connaissances). De la même manière, les classes de 1re année du primaire au sein desquelles les élèves passent plus de 30 minutes par semaine à produire des écrits en encodant eux-mêmes progressent davantage que les autres[4] (Dreyfus et al., 2017 ; Goigoux, 2016). La gestion des interactions, selon qu’elle favorise ou non la prise de conscience et de décision des élèves sur les micro-tâches à exécuter que demandent les essais d’écriture, quelles que soient les unités linguistiques mobilisées, exercerait une influence sur les performances des élèves de 1re année du primaire. En particulier seraient profitables à tous les élèves les reformulations qui permettent aux enfants de construire une vigilance précoce quant aux contraintes de l’écrit (Dreyfus et al., 2017).

Une pratique régulière et un enseignement structuré des stratégies d’écriture

Allouer un temps d’écriture régulier, voire quotidien, et enseigner comment écrire pour mettre en oeuvre une variété d’intentions d’écriture constituent deux caractéristiques des situations d’enseignement qui se révèlent les plus favorables à l’apprentissage progressif de l’écriture à l’école (Graham et al., 2012a). Les apprentis scripteurs ont en effet besoin de temps longs et lents et de variation pour mettre en oeuvre la réflexivité langagière qu’exige l’activité d’écriture (Bucheton, 2014). Si elle ne peut à elle seule améliorer les compétences rédactionnelles des élèves, la pratique régulière de l’écriture constitue une condition nécessaire à leur apprentissage (Goigoux, 2016).

Il semble également pertinent d’enseigner les processus et les stratégies d’écriture afin que les scripteurs soient en mesure de les utiliser de façon autonome et flexible (Graham et al., 2012a). Plusieurs études (Brissaud et al., 2016 ; De Smedt & Van Keer, 2014 ; Graham et al., 2012b ; Graham & Harris, 2019 ; Graham & Sandmell, 2011 ; voir Morin et al., 2009 pour des études antérieures) mettent en évidence l’efficacité des pratiques d’enseignement explicite (Gauthier et al., 2013) des stratégies rédactionnelles. Ces contextes pédagogiques favorisent l’amélioration de la qualité des écrits en proposant un enseignement structuré. Il s’agit de faire la démonstration d’une stratégie d’écriture par l’utilisation de celle-ci devant les élèves. L’enseignant compose un texte tout en verbalisant en temps réel la démarche qu’il met en oeuvre. Il se pose en modèle lorsqu’il met en mots les « quoi », « pourquoi », « comment », « quand » mettre en oeuvre la stratégie enseignée, c’est-à-dire les connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles (Fernandez et al., 2019 ; Tardif, 1997) qui fondent l’autonomisation et l’expertise en écriture. Par ailleurs, l’enseignant accompagne les élèves en leur proposant des feedbacks réguliers sur les processus cognitifs mis en oeuvre et sur la qualité des écrits produits. Cet accompagnement diminue graduellement (Graham et al., 2012a) jusqu’à ce que les élèves soient capables de gérer seuls les différentes composantes de la production d’écrits (planification, mise en texte, révision, correction). Il semble en outre que l’enseignement des stratégies ainsi que l’entrainement à l’autorégulation cognitive des stratégies rédactionnelles (Morin et al., 2009) impacte positivement la motivation, et plus particulièrement le sentiment d’auto-efficacité (De Smedt & Van Keer, 2014) et l’engagement des élèves (Troia et al., 2009).

L’automatisation progressive des gestes de mise en texte et l’intégration, dans l’écriture, du travail sur les codes de la langue

L’automatisation progressive de l’écriture manuscrite, de l’orthographe, de la construction de phrases, mais également de l’utilisation du clavier et du traitement de texte, permettra peu à peu aux jeunes scripteurs d’allouer davantage d’attention au développement de leur pensée ou à la révision de leurs écrits (Graham et al., 2012a). Le travail spécifique sur les codes de la langue écrite, multiples et imbriqués, doit donc être intégré à l’activité d’écriture dont il fait partie, dans une recherche d’équilibre et de « passages » féconds (Bucheton, 2014, p. 220).

Une communauté de scripteurs

Outre les habiletés en écriture, les élèves ont besoin de se sentir appartenir à une communauté d’auteurs engagés qui disposent d’une marge de manoeuvre dans le choix des sujets, des formats ou des procédures d’écriture ; qui interagissent et collaborent en situation de production d’écrits ; qui communiquent et publient leurs écrits et bénéficient d’occasions répétées de réagir à propos des écrits de leurs pairs (Graham et al., 2012a). En effet, plusieurs études mettent en avant l’importance des interactions (avec un pair ou avec l’enseignant) et des approches collaboratives (écriture en dyade, cercles d’auteurs...) qui constituent un levier dans l’amélioration de la qualité des écrits produits (Colognesi & Lucchini, 2018 ; De Smedt & Van Keer, 2014 ; Graham et al., 2012b). Ces opportunités de formuler et de recevoir des feedbacks tout au long du processus d’écriture constituent un étayage (Cavanagh & Blain, 2016) car elles permettent aux scripteurs d’expliciter les démarches cognitives mises en oeuvre et d’utiliser le métalangage (Marin & Lavoie, 2020). De plus, ces interactions alimentent la motivation à écrire. Ainsi, le plaisir et le partage de ses productions écrites avec autrui contribuent au développement d’une posture d’auteur (Tauveron, 2007) et favorisent l’instauration d’un rapport positif à l’écriture (Barré-de Miniac, 2002). Comme on le voit, les éléments qui précèdent plaident en faveur de la mise en place de communautés d’auteurs engagés (dont fait bien entendu partie l’enseignant dès lors qu’il partage ses écrits et se présente en tant que scripteur aux élèves de la classe).

Un environnement littératié adapté

Enfin, l’environnement littératié dans lequel les élèves apprennent à écrire soutient les apprentissages lorsque les ressources langagières et culturelles accessibles aux enfants sont nombreuses et diverses (livres jeunesse, outils, supports d’écriture, référentiels mis à la disposition des scripteurs, affichage des textes produits et de traces des stratégies découvertes…) (Barrett et al., 2015 ; Frier & Vadcar, 2017). Un tel environnement favorise l’établissement de liens constants entre lecture, écriture et oral, par exemple lorsqu’il s’agit d’amorcer le travail d’écriture à l’oral (Morin et al., 2009) ou d’étudier les procédés littéraires à réinvestir ensuite dans ses propres écrits (Tauveron, 2007).

Éléments de méthodologie

Les objectifs de recherche

La présente étude cherche à évaluer, par l’observation des progrès des élèves et de l’appropriation d’un outil par les enseignants, les retombées d’un accompagnement des enseignants par des chercheurs lors de la mise en oeuvre d’un dispositif didactique structuré. Si l’on prend pour référence la typologie des résultats issus de recherches en didactique du français établie par Goigoux (2023), cette étude relève de la catégorie des recherches qui envisagent conjointement les trois pôles du triangle didactique (savoirs, professeurs, élèves) et, plus spécifiquement, de la sous-catégorie « analyse des interactions entre l’enseignement dispensé et les apprentissages concomitants des élèves » (Goigoux, 2023, p. 23). L’objet étudié dans ce type de recherches concerne les relations entre l’enseignement et les apprentissages des élèves, non l’effet de l’enseignement sur les apprentissages. Il s’agit de décrire les pratiques d’enseignement (ici modifiées par l’introduction d’un dispositif didactique), d’une part, et les apprentissages des élèves, par le recours à une mesure approfondie à deux moments distincts de l’année scolaire, d’autre part, sans chercher à déterminer l’effet des unes sur les autres. Précisons par ailleurs que les chercheurs sont impliqués, non dans la conception de l’outil, mais dans l’accompagnement de sa mise en oeuvre dans les classes par les enseignants (Goigoux, 2023).

Ainsi, la recherche présentée dans cet article poursuit-elle deux objectifs complémentaires :

  1. décrire l’évolution des compétences scripturales des élèves au terme d’une intervention soutenue par un accompagnement sur le terrain (étude 1) ;

    1. s’assurer que les élèves, notamment ceux identifiés comme étant en difficulté au début de l’intervention et/ou issus de contextes de classes moins favorisés sur le plan socioéconomique, progressent (étude 1 et étude 2) ;

    2. examiner le degré de convergence entre la catégorisation par les enseignants des élèves présentant des besoins peu élevés à élevés en lecture-écriture et les résultats obtenus par les élèves lors du prétest (étude 1) ;

  2. décrire la mise en oeuvre du dispositif des ateliers d’écriture pour cerner le degré d’adhésion des enseignants à l’outil et aux principes pédagogiques et didactiques sous-jacents (étude 3).

Le dispositif mis en oeuvre : les ateliers d’écriture de récits inspirés des petits moments

Le dispositif retenu dans le cadre de cette recherche s’appuie sur les principes qui sous-tendent les pratiques efficaces d’enseignement de l’écriture que nous avons examinés dans la partie théorique de cet article. En effet, Calkins et ses collègues (2017) proposent de mettre en place quotidiennement des ateliers d’écriture, selon une approche intégrée de la langue d’enseignement dans laquelle les quatre compétences de base sont indissociables (enseignement conjoint de la lecture, de l’écriture, de l’écoute et de la prise de parole). L’ouvrage choisi[5] cible l’apprentissage des stratégies d’auteur à travers l’écriture de petits moments inspirés du vécu des élèves. Les élèves sont amenés à produire des textes signifiants sur un sujet de leur choix qu’ils adressent à leur communauté de lecteurs. Par ailleurs, l’analyse des procédés littéraires utilisés par les auteurs dans des textes modèles permet d’articuler apprentissage de la lecture et apprentissage de l’écriture. Les enfants apprennent ainsi à planifier avant d’écrire, à se servir de dessins pour enrichir leur texte, à étirer les syllabes des mots pour mieux épeler et encoder, à donner vie à des personnages, à étudier les procédés utilisés par les auteurs pour captiver leurs lecteurs, à corriger à l’aide d’une liste de vérification...  L’enseignement explicite de stratégies d’écriture est conjugué à des principes qui visent le plaisir, le développement d’une posture d’auteur et le partage de ses productions écrites avec autrui. 

Chaque atelier d’écriture (50 minutes) comporte quatre grandes étapes. La première étape, d’une durée de dix minutes, correspond à la phase d’enseignement (modelage) d’une stratégie d’écriture (la planification, l’enrichissement du texte, la révision, la description précise de l’action…). L’objectif de cette mini-leçon est de construire progressivement un répertoire de stratégies d’écriture que les élèves pourront mobiliser dans leurs projets d’écriture. Une fois la mini-leçon achevée, les élèves sont invités à se (re)plonger dans leurs projets d’écriture, en autonomie. Au cours de cette phase d’écriture individuelle (de 30 à 40 minutes), l’enseignant mène de brefs entretiens individuels ou en sous-groupe de quatre à cinq élèves de manière à offrir une pratique guidée. Ces entretiens revêtent une fonction d’étayage. Ils visent la perception de l’intention d’écriture de chaque élève et amènent l’enseignant à aider l’enfant à mettre en mots et à approfondir son sujet : quel est le sujet abordé dans l’écrit ? D’où est-il venu ? Quelle suite l’élève envisage-t-il de donner au texte ? Pour relancer l’attention des élèves durant la phase d’écriture, un point d’enseignement (en cours d’atelier) est généralement effectué par l’enseignant. Celui-ci peut prendre la forme d’un rappel de stratégies étudiées précédemment dont la mise en oeuvre est omise ou mal effectuée par les élèves observés par l’enseignant ce jour-là. Enfin, l’atelier se clôt par un moment de partage des écrits au cours duquel l’élève lit son récit à son partenaire en duo ou à l’ensemble de la classe. La mise en évidence des apprentissages réalisés fait également partie des enjeux de ce moment de partage et participe au développement du plaisir d’écrire.

Retenue en guise de point focal de l’étude 3, la mini-leçon (première étape de l’atelier) représente une source potentielle de difficulté dans l’appropriation des ateliers d’écriture. En effet, par son caractère structuré s’apparentant à la phase de modelage de l’enseignement explicite décrit par Gauthier et al. (2013), elle revêt un caractère novateur pour les enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Bien que très brève, cette phase comporte quatre éléments invariants fortement intégrés. Elle débute par la connexion qui permet d’engager les élèves dans l’atelier du jour en le reliant aux précédents et en nommant la stratégie à enseigner. Ce point d’enseignement doit être clair et rendre visible la stratégie ciblée (le quoi et le comment) et son objectif (le pourquoi). Après la connexion vient l’enseignement. Durant ce deuxième moment de la mini-leçon, l’enseignant se pose en modèle de scripteur expert. Il rend transparentes les démarches cognitives en s’appuyant sur un texte modèle. Concrètement, il montre comment il (ou un auteur) applique la stratégie ciblée dans une situation réelle d’écriture en nommant les étapes suivies de façon à ce que les élèves puissent les mobiliser dans leurs textes. Lors du troisième moment de la mini-leçon, l’engagement actif, tous les élèves mettent oralement en pratique la stratégie qui vient d’être enseignée avec un partenaire d’écriture. Ils écrivent à voix haute. Enfin, la mini-leçon se termine par le lien. À cette étape, l’enseignant résume l’essentiel de l’enseignement du jour pour que les élèves le réinvestissent dans leur travail d’auteur.

Le devis de recherche adopté : un design mixte intégré

S’inscrivant dans le paradigme de complémentarité assigné à l’une des catégories de recherche à méthodologies mixtes (Castro, 2020 ; Greene et al., 1989), la recherche évoquée poursuit une visée descriptive par la récolte de données quantitatives et qualitatives. En effet, notre intention est d’étudier les interactions entre l’enseignement dispensé à l’aide des ateliers d’écriture et les apprentissages des élèves. Cet objectif implique de suivre la cohorte et de mesurer les apprentissages des élèves à deux moments éloignés de l’année scolaire. Mais il requiert aussi de s’intéresser à la mise en oeuvre du dispositif par les enseignants. En effet, les outils didactiques ne produisent pas systématiquement les effets attendus sur les apprentissages des élèves : d’une part, l’appropriation des outils par l’enseignant implique des adaptations liées à son contexte ; d’autre part, l’usage de ces outils par les élèves dépend de multiples facteurs motivationnels et organisationnels (Galand & Janosz, 2020). Il est d’autant plus important d’observer de façon fine la mise en oeuvre du dispositif par les enseignants que ces derniers sont confrontés à des pratiques dites innovantes, susceptibles de les éloigner de leur façon ordinaire de faire la classe.

Cette étude revêt un design « intégré » (Creswell & Plano-Clark, 2011, p. 69-70) qui propose l’emboitement de trois études dont les données sont prélevées simultanément (figure 1). L’étude principale est menée dans onze classes de 1re année du primaire. L’analyse quantitative porte sur les progrès des élèves entre le début et la fin de la période de mise en oeuvre du dispositif. Cette évolution est étudiée à la fois selon les classes et selon les profils d’élèves (identifiés par leur enseignant comme présentant des besoins élevés ou peu élevés en lecture-écriture au début de l’intervention, sans aller jusqu’à des troubles spécifiques). Deux indicateurs ont été sélectionnés pour ces analyses : 1) la valeur sonore des lettres relative à l’encodage des mots et 2) la progression du récit relative au traitement de la chronologie et de l’organisation du texte.

La deuxième étude porte sur les productions écrites de deux élèves de l’échantillon de la première étude mais en envisageant cette fois la tâche de production écrite dans toute sa complexité, ce qui implique la prise en compte de plusieurs composantes du texte en interaction. Cette étude vise également à déterminer si les progrès semblent, le cas échéant, pouvoir concerner potentiellement tous les élèves, y compris ceux qui présentent des performances initiales fragiles.

La troisième étude porte sur l’appropriation du dispositif par deux des dix[6] enseignants de l’échantillon de la première étude. L’accent est mis sur la première phase du dispositif, la plus éloignée a priori des pratiques professionnelles répandues au sein du contexte de la Fédération Wallonie-Bruxelles : la mini-leçon. Il s’agit d’analyser la variabilité observée dans la mise en oeuvre des gestes professionnels posés par les enseignants au regard des attendus du dispositif. Cette analyse qualitative a pour but de cerner le degré d’adhésion des enseignants au dispositif didactique proposé et aux principes sur lequel ce dernier s’appuie.

Figure 1

Design de l’étude mixte

Design de l’étude mixte

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L’échantillon

Cette recherche porte sur onze classes de la Fédération Wallonie-Bruxelles au sein desquelles le dispositif des ateliers d’écriture a été mis en place entre février et juin 2018[7]. Ces onze classes reflètent une diversité géographique et une diversité de profils d’écoles (voir tableau 1). Elles correspondent à des terrains professionnels éloignés de la sphère d’influence des concepteurs de l’outil.

Tableau 1

Description de l’échantillon de l’étude mixte

Description de l’échantillon de l’étude mixte

* En Belgique francophone, un ISE (indice socio-économique) est calculé pour chaque école. Il se situe entre 1 (écoles les plus défavorisées) et 20 (écoles les plus favorisées).

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Dans le cadre de la première étude, les compétences scripturales de six élèves de chaque classe ont été mesurées, soit un total de 64 élèves[8] (33 garçons/31 filles). Étant donné les contraintes matérielles et temporelles de l’étude, notre équipe de recherche a fait le choix de limiter la passation individuelle du test à six élèves par classe plutôt qu’à l’ensemble de la classe, de façon à privilégier un nombre de classes et d’enseignants plus élevé. Ces élèves ont été sélectionnés par l’enseignant parmi les élèves considérés comme ayant des besoins moyennement élevés à élevés en lecture-écriture (32 élèves de part et d’autre).

Pour la deuxième étude, deux classes ont été sélectionnées parmi celles ayant le plus progressé au vu des analyses quantitatives (taille de l’effet : +1,44 pour la classe 4 et +2,00 pour la classe 25), de manière à contraster leurs indices socioéconomiques (ISE) et leurs trajectoires évolutives. Les deux classes diffèrent également du point de vue de l’intensité de la mise en oeuvre des ateliers d’écriture (voir tableau 2). Ce choix de classes contrastées vise à investiguer l’hypothèse d’un effet différencié du dispositif en fonction du niveau initial des élèves, à la faveur des élèves performants. Pour ce faire, les productions de deux élèves, Yassine (classe 4) et Arthur[9] (classe 25), tous deux identifiés comme en difficulté par leur enseignante, sont analysées de façon plus approfondie.

Tableau 2

Éléments contextuels de l’étude 2

Éléments contextuels de l’étude 2

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Enfin, les deux enseignantes retenues dans la troisième étude proviennent de classes qui se caractérisent par un degré d’implémentation et d’appropriation élevé. Perrine et Pia exercent dans des écoles d’indice socioéconomique élevé (classes 23 et 25) et ont 20 années d’expérience dans l’enseignement. Perrine travaille l’écriture via des activités de graphisme ou de dictée à l’adulte. Elle ne propose pas d’activités de production écrite, estimant que les élèves doivent maitriser le geste graphique avant de se lancer dans l’écriture. Quant à Pia, elle est en réflexion sur la littératie depuis deux ans et réalise beaucoup d’activités d’écriture avec ses élèves. Elle connaissait le dispositif de Calkins et al. (2016), certains fondements étaient déjà ancrés dans ses pratiques au début de l’intervention.

Les outils de mesure 

Pour mener cette étude au design mixte, nous avons recueilli différents types de données au travers de productions écrites d’élèves, d’entretiens menés en amont et en aval de l’expérience avec les enseignants, de captations vidéo de séances en classe prélevées à différents moments de l’expérimentation.

Étude 1

Un prétest et un post-test en lien avec les objectifs de l’enseignement ont en effet été proposés en amont et en aval de l’intervention (respectivement en février et en juin). La tâche d’écriture (cf. annexe A) retenue comme outil de mesure consistait à narrer un petit moment vécu (issu directement de la vie quotidienne) et à l’illustrer de dessins. L’écrit produit a fait l’objet d’une oralisation par l’enfant, que nous avons transcrite par la suite. Pour objectiver les compétences des élèves, nous avons élaboré une grille de codage à partir des travaux de recherche évoqués dans le cadre théorique de cet article, qui permettent d’isoler avec précision les différents processus qui entrent en jeu dans l’activité d’un apprenti-scripteur et qui sont susceptibles d’être observés, soit dans la situation (observation de l’enfant qui écrit), soit dans le texte lui-même (observation de l’écrit). Cette grille de codage comporte 17 indicateurs observables (cf. annexe B) relatifs au geste graphique, à l’encodage des mots et à la chronologie du récit. Ces trois composantes caractérisent les premiers pas de l’entrée des élèves dans le monde de l’écrit et sont fréquemment mises en évidence dans les travaux de recherche relatifs à l’apprentissage de l’écriture (Brigaudiot, 1998 ; David & Morin, 2013 ; Ferreiro, 2000 ; Goigoux, 2016). Seules la valeur sonore des lettres (encodage des mots) et la progression du récit (chronologie) sont prises en compte dans l’étude 1.

Nous avons réalisé des analyses descriptives (moyenne, écart-type, minimum et maximum) et calculé des tailles de l’effet (g de Hedges) afin de quantifier l’évolution des élèves de chaque classe sur chacun des 17 indicateurs de la grille de codage et sur un score global. Ce score global reprend 13 des 17 indicateurs (n’ont pas été retenus : production de texte, remplissage des lignes, nombre de mots et conjugaison). Il est compris entre 0 et 22. Les analyses réalisées sur ce score global sont présentées en annexe C.

Parallèlement, nous avons cherché à appréhender le degré d’implémentation (intensité de mise en oeuvre, ci-après DI) et d’appropriation (qualité de mise en oeuvre, ci-après DA) du dispositif par les enseignants par l’élaboration de deux indices. L’implémentation désigne la mise en oeuvre effective du dispositif en termes de durée et de fréquence. Elle a été déterminée sur la base de quatre critères : la durée de la mise en oeuvre exprimée en mois (maximum quatre mois), le nombre total de séances menées, le nombre de séances par semaine pour chaque groupe (maximum deux par semaine) et le nombre de stratégies enseignées (maximum 19). Trois niveaux d’implémentation sont distingués : faible (0-5), moyen (6-9) et fort (10-12). L’appropriation désigne quant à elle l’intégration, partielle ou totale, du dispositif à la culture de l’enseignant (Theureau, 2011). Dans notre analyse, elle repose sur la prise d’indices à propos du respect des étapes propres au dispositif et des intentions dont celles-ci sont porteuses (modelage, entretiens, valorisation des élèves, partage des productions et absence de correction des écrits). Trois niveaux d’appropriation sont distingués : faible (0-3), moyen (4-6) et fort (7-10). Ces indices devaient aussi nous permettre d’identifier les classes dans lesquelles effectuer les études de cas (cf. annexe C).

Étude 2

Pour analyser les productions des élèves et appréhender leur évolution individuelle, nous nous appuyons sur sept des 17 indicateurs de la grille de codage de l’étude 1 présentée en annexe B : le nombre de mots, la segmentation des mots, la valeur sonore des lettres, la conformité des correspondances graphophonologiques à la norme orthographique, la présence de majuscules et de signes de ponctuation, la présence de connecteurs et le respect de la trame narrative. Combinés, ces indicateurs permettent en effet de mener une analyse globale des productions, en appui sur les qualités attendues d’une séquence textuelle narrative.

Étude 3

Cette troisième étude sert à approfondir l’étude de l’appropriation du dispositif (André et al., 2022) par deux enseignants de l’échantillon, cette fois sous un angle qualitatif. Nous nous focalisons sur la mini-leçon, première phase de l’atelier d’écriture, identifiée comme potentiellement novatrice par rapport aux pratiques ordinaires des enseignants de la FW-B. Les deux enseignantes ont été filmées à deux reprises (au milieu et à la fin d’expérimentation, cf. tableau 3). Lors de cette observation filmée, le cadrage a permis de recueillir un maximum d’informations pour s’approcher d’un recueil écologique. Le chercheur était présent lors des captations vidéo. Par ailleurs, les chercheurs ont mené un entretien avant et après la mise en oeuvre du dispositif avec chaque enseignante. L’analyse qualitative cible quatre séquences vidéo de mini-leçons (deux pour Perrine, deux pour Pia) intégralement retranscrites. Pour chaque séquence filmée, nous avons confronté la pratique de l’enseignante aux éléments essentiels de la mini-leçon décrits ci-avant. Pour y parvenir, nous avons construit une grille d’observation (Bru, 2014 ; Martineau, 2005) composée de 14 gestes professionnels (cf. annexe D) qui sont autant d’indicateurs permettant d’analyser l’appropriation de l’étape de la mini-leçon. Afin de caractériser les adaptations introduites, chacun des films a été mis en lien avec la description spécifique de l’atelier du manuel (Calkins et al., 2016). L’analyse des entretiens a été réalisée grâce à des catégories thématiques (Paillé & Mucchielli, 2012).

Tableau 3

Ateliers mis en place par les deux enseignantes de l’étude 3 lors des captations vidéo

Ateliers mis en place par les deux enseignantes de l’étude 3 lors des captations vidéo

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Résultats des trois études menées

Étude quantitative de l’évolution des compétences scripturales des élèves (étude 1)

Les deux variables retenues dans le cadre de cette publication sont la valeur sonore des lettres et la progression du récit (pour une description complète, voir De Croix et al., 2020). La valeur sonore permet d’appréhender les compétences d’encodage des mots des élèves. Dans cette étude, elle est calculée en effectuant le rapport entre le nombre de lettres du texte produit par l’élève qui traduisent une correspondance au son correct attendu et le nombre de lettres produites au total, en excluant son prénom. Par exemple, dans la production « gettePou eoueavec » (J’ai été [chercher mon petit frère] pour jouer avec [lui]), la valeur sonore est correcte pour 15 des 16 lettres produites, seule la lettre en gras n’a pas une valeur correcte. La progression du récit permet quant à elle d’appréhender les compétences de narration des élèves, en ce qui a trait à la gestion de la chronologie du récit. Dans cette étude, cet indicateur permet d’observer la cohérence, la logique et la vraisemblance de la progression proposée par l’élève d’une étape à l’autre de son récit. Ceci suppose que le récit comporte au moins deux étapes sur les trois (début et milieu ou milieu et fin).

Nous présentons d’abord les résultats selon le profil socioéconomique des écoles, nous demandant si les profils évolutifs des classes se distinguent selon ce paramètre. Ensuite, nous interrogeons les éventuelles différences de trajectoires selon le profil initial des élèves tel qu’il a été identifié par les enseignants.

Les profils évolutifs des classes diffèrent-ils selon les ISE des écoles ?

Examinons les données sous l’angle de chacun des deux critères retenus : la valeur sonore des lettres et la progression du récit.

La valeur sonore des lettres

Comme l'indique la figure 2, dans les six classes présentant les ISE les plus élevés (ISE 15 à 20), la marge de progression est faible : seule la classe 23 présente une forte progression sur la maitrise de la valeur sonore. Ce niveau de maitrise élevé en début d’intervention pourrait être lié à un travail des correspondances graphophonétiques (lien lecture-écriture) plus intensif dans ces classes que dans les autres classes de l’échantillon.

La moitié de ces classes présente un degré d’implémentation (DI) faible à moyen, mais un degré d’appropriation (DA) fort. L’autre moitié (classes 2,19 et 25) présente à la fois un DI et un DA forts (voir annexe C).

Figure 2

Graphiques de l’évolution des classes avec un ISE élevé sur la maitrise de la valeur sonore

Graphiques de l’évolution des classes avec un ISE élevé sur la maitrise de la valeur sonore

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Dans les classes à ISE faible (1 à 5, cf. figure 3) ou moyen (6 à 14, cf. figure 4), la majorité des classes (trois classes sur cinq) progressent sur la variable relative à la maitrise de la valeur sonore bien que l’intensité de mise en oeuvre des ateliers d’écriture soit moyenne à faible. Cependant, celle-ci pourrait être contrebalancée par l’appropriation forte des enseignants, exception faite de la classe 4. Cette classe présente en effet un profil atypique sur lequel nous reviendrons dans notre étude 2.

Figure 3

Graphiques de l'évolution des classes avec un ISE faible sur la maitrise de la valeur sonore

Graphiques de l'évolution des classes avec un ISE faible sur la maitrise de la valeur sonore

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Figure 4

Graphique de l'évolution de la classe avec un ISE moyen sur la maitrise de la valeur sonore

Graphique de l'évolution de la classe avec un ISE moyen sur la maitrise de la valeur sonore

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La progression du récit

Comme le montrent les figures 5, 6 et 7, sur ce second indicateur, deux classes sont en statu quo (2, 25) parmi les classes dont l’ISE est élevé. La classe 29 présentant un ISE faible est marquée par un recul dans l’évolution des élèves. Les huit autres classes présentent un profil évolutif en progression : les classes 17, 18, 19 et 23 ont un ISE élevé ; la classe 34 a un ISE moyen et les classes 4, 26 et 30 ont un ISE faible.

Il semble que les classes 4, 23, 26 et 34 sont celles qui progressent le plus sur les deux indicateurs retenus. Analysons maintenant la progression de ces quatre classes en fonction des profils des élèves.

Les trajectoires individuelles des élèves se distinguent-elles selon les compétences initiales perçues par les enseignants ?

Si l’on s’intéresse maintenant aux deux variables ciblées dans les quatre classes retenues sous l’angle des profils d’élèves, un premier constat peut être dressé au niveau du prétest.

Sur l’indicateur valeur sonore, il semble que le choix opéré par l’enseignant pour désigner et distinguer les élèves présentant des besoins élevés (0) ou peu élevés (1) en lecture-écriture converge avec les résultats de notre test dans trois classes (4, 26, 34) sur les quatre que contient cette analyse. Ceci montre que les enseignants se sont vraisemblablement appuyés sur leur connaissance des compétences des élèves en décodage pour les classer. En revanche, lorsque l’on s’intéresse à l’indicateur progression du récit, la classification opérée par les enseignants ne converge pour aucun des élèves. Cet indicateur, uniquement visible à l’écrit, donne à penser que les enseignants de ces classes ne disposaient pas de critères pertinents pour évaluer les acquis/besoins des élèves en écriture en raison de l’absence de véritables activités de production d’écrits.

Si nous nous intéressons à la progression des deux profils d’élèves dans chacune des classes, nous observons que 17 élèves sur 23 progressent sur l’indicateur valeur sonore. Si, dans la classe 26, seuls trois élèves sur les six progressent, dans les classes 4, 23 et 34 en revanche, la majorité des élèves, en difficulté ou non, progressent sur cet indicateur (à noter, huit élèves en difficulté sur neuf progressent). La progression se révèle en revanche beaucoup moins nette sur l’indicateur progression du récit : seuls dix des 23 élèves que comptent les quatre classes progressent. Si l’on compare ces quatre classes, c’est la classe 34 qui fait progresser le plus d’élèves. Dans cette classe, deux élèves en difficultés sur trois progressent et l’un d’entre eux reste stable (les élèves présentant des besoins peu élevés connaissent quant à eux trois progressions différentes : l’un progresse, un deuxième reste stable tandis que le troisième régresse). Dans les trois autres classes, seul un tiers des élèves progresse. Dans la classe 4, l’un des trois élèves présentant des difficultés et l’un des deux élèves présentant peu de difficultés progressent alors que les autres élèves restent stables. Dans la classe 23, deux des trois élèves en difficultés ainsi que l’un des trois élèves présentant peu de difficultés progressent. On observe qu’un élève en difficulté connait une régression et que deux élèves présentant peu de besoins en lecture-écriture maintiennent leur performance. Dans la classe 26, seuls deux des quatre élèves présentant des besoins peu élevés progressent. Les deux élèves en difficultés présentent une trajectoire stable.

Figure 5

Graphiques de l'évolution des classes avec un ISE élevé sur la progression du récit

Graphiques de l'évolution des classes avec un ISE élevé sur la progression du récit

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Figure 6

Graphique de l'évolution de la classe avec un ISE moyen sur la progression du récit

Graphique de l'évolution de la classe avec un ISE moyen sur la progression du récit

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Figure 7

Graphiques de l'évolution des classes avec un ISE faible sur la progression du récit

Graphiques de l'évolution des classes avec un ISE faible sur la progression du récit

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Comme on le voit, la diversité des profils évolutifs ne permet pas de dégager une tendance concernant l’adéquation des ateliers d’écriture à un profil de compétences initiales. En outre, la différence de trajectoires selon les indicateurs considérés nous incite à questionner l’interaction entre l’enseignement dispensé et les apprentissages des élèves : si l’évolution positive que connaissent 17 des 23 élèves au niveau de la valeur sonore provient sans doute également des activités d’apprentissage proposées par les enseignants en dehors du dispositif, notamment en lecture (identification des mots), l’évolution positive des neuf élèves sur l’indicateur progression du récit ne peut quant à elle pas être si aisément mise en relation avec d’autres tâches scolaires proposées. Il se pourrait que cette évolution réfère davantage dans ce cas au dispositif introduit. Cette hypothèse nous pousse à considérer à présent les productions écrites dans leur complexité et à analyser plus finement le degré d’implémentation et d’appropriation des ateliers par les enseignants.

Étude qualitative de deux productions d’élèves issus de classes dont le contexte est contrasté (étude 2)

La deuxième étude s’attache à commenter de manière qualitative l’évolution des écrits produits par deux élèves, Yassine et Arthur, en considérant cette fois la tâche de production écrite dans sa complexité, c’est-à-dire au moyen de sept indicateurs de la grille de codage au lieu de deux.

Yassine (classe 4)

Après trois mois de pratique ponctuelle d’ateliers d’écriture, la production finale présente une augmentation du nombre de mots produits (de 5 à 16 mots). De plus, Yassine a progressé sur trois des sept indicateurs choisis dans la grille de codage. L’examen du rapport entre le nombre de mots correctement segmentés et le nombre de mots produits indique que la proportion de mots correctement segmentés double entre mars et juin. Yassine segmente correctement 1 mot sur 5 (20 % du texte) dans sa première production contre 7 mots sur 16 (44 %) dans sa production finale. La proportion de mots conformes à la norme orthographique s’accroit très légèrement en passant de 0 sur 5 en mars à 2 sur 16 (12,5 %) en juin. On observe également une nette augmentation du nombre de lettres qui traduisent une correspondance au son correct attendu (de 3/32, soit 9 % à 36/40, soit 65 %).

Tableau 4

Graphiques de progression des élèves présentant des besoins élevés en lecture-lecture (0) et présentant des besoins peu élevés en lecture-écriture (1) selon les indicateurs valeur sonore et progression du récit

Graphiques de progression des élèves présentant des besoins élevés en lecture-lecture (0) et présentant des besoins peu élevés en lecture-écriture (1) selon les indicateurs valeur sonore et progression du récit

Tableau 4 (suite)

Graphiques de progression des élèves présentant des besoins élevés en lecture-lecture (0) et présentant des besoins peu élevés en lecture-écriture (1) selon les indicateurs valeur sonore et progression du récit

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Tableau 5

Valeurs des sept indicateurs de la grille de codage avant et après l’intervention pour Yassine et Arthur

Valeurs des sept indicateurs de la grille de codage avant et après l’intervention pour Yassine et Arthur

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Aucune évolution n’est perceptible sur les trois derniers indicateurs : présence des connecteurs, respect de la trame narrative et signes de ponctuation.

Figure 8

Productions initiale et finale de Yassine (classe 4)

Productions initiale et finale de Yassine (classe 4)

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Arthur (classe 25)

Après quatre mois de pratique régulière d’ateliers d’écriture, et outre le fait que la production de juin présente une augmentation du nombre de mots produits (de 19 à 31 mots), Arthur a progressé sur quatre des sept indicateurs de la grille de codage.

L’examen du rapport entre le nombre de mots correctement segmentés et le nombre de mots produits indique une évolution très positive : 2 mots sur 19 (10 %) dans sa première production contre 26 mots sur 31 (84 %) dans sa production finale. La proportion de mots conformes à la norme orthographique s’accroit légèrement, passant de 9 sur 19 (47 %) en mars à 17 sur 31 (55 %) en juin. Dans la production de juin, on observe une utilisation de la majuscule et de signes de ponctuation (point, points de suspension) absents dans la production du prétest.

On observe également l’apparition de marqueurs temporels : si aucun connecteur temporel et/ou logique ne figurait dans la première production, trois connecteurs sont repérables dans la production finale (le matin, et après, et…).

Pour les deux derniers indicateurs, aucune évolution n’est perceptible. La valeur sonore des lettres apparait maîtrisée dès mars et se confirme dans la production de juin. Dès le mois de mars, le petit récit comporte déjà trois étapes distinctes dont la progression est cohérente et logique. L’évolution la plus marquante dans la production de juin est la centration sur un petit moment vécu contrairement à la production de mars qui s’éloigne de la consigne en proposant un récit de fiction.

Figure 9

Productions initiale et finale d’Arthur (classe 25)

Productions initiale et finale d’Arthur (classe 25)

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Étude qualitative de l’appropriation du dispositif par deux enseignantes (étude 3)

L’observation minutieuse de la manière dont les deux enseignantes retenues pour cette troisième étude se sont approprié les mini-leçons de l’atelier d’écriture de Calkins (2016) au cours des quatre premiers mois de mise en oeuvre du dispositif fait émerger diverses adaptations, certaines n’altérant pas la nature de l’outil tandis que d’autres manifestent une non-prise en compte de certains fondements didactiques de l’approche proposée.

L’annexe E illustre les analyses menées pour l’ensemble des ateliers filmés dans les classes. L’analyse des pratiques effectives de Pia à la lumière de la grille des 14 gestes professionnels spécifiques à la première étape de l’atelier d’écriture révèle, par exemple, que l’enseignante pose plusieurs des gestes attendus lors de la mini-leçon (utilisation d’un texte modèle, découverte de la stratégie ciblée dans une situation réelle d’écriture), mais ne nomme pas véritablement les stratégies de façon à pouvoir élaborer un tableau d’ancrage organisé et n’invite pas explicitement les élèves, lors de l’engagement actif, à mettre en oeuvre avec un partenaire la stratégie enseignée.

Deux moments de la mini-leçon semblent les plus affectés par les adaptations des enseignantes : l’enseignement et l’engagement actif. En effet, deux difficultés émergent particulièrement lors de ces étapes : 1) distinguer enseignement et engagement actif et 2) ne pas confondre ce dernier avec un moment d’échanges collectifs géré avec l’ensemble de la classe. Par exemple, comme nous venons de l’évoquer, Pia guide un élève chargé d’illustrer la stratégie pour l’ensemble de la classe au lieu de demander aux élèves d’utiliser la stratégie d’écriture enseignée avec un partenaire. Elle fusionne donc l’enseignement et l’engagement actif et gère ce moment comme un échange collectif.

Par ailleurs, les films des situations de classe montrent que les adaptations réalisées par ces deux enseignantes sont marquées par leurs pratiques habituelles plutôt issues du modèle constructiviste, celles-ci les ayant peut-être amenées à interpréter certaines formulations du manuel comme des injonctions à faire émerger les démarches d’écriture avec l’aide des élèves. En effet, elles ajoutent des exemples, des questions destinées à faire participer les élèves ou encore des explications relatives à d’autres stratégies que celles visées par la mini-leçon.

Ces deux enseignantes s’approchent cependant des modelages proposés dans le dispositif, Pia s’en révélant la plus proche. Ce niveau d’appropriation important du dispositif peut s’expliquer par deux éléments : d’une part, cette enseignante a réalisé le plus d’ateliers d’écriture et, d’autre part, elle a bénéficié d’une formation théorique sur l’outil avant de prendre part à ce projet. De plus, lors du premier entretien que nous avons réalisé avec cette enseignante, elle signifie clairement être en accord avec les principes qui sous-tendent le dispositif des ateliers d’écriture.

L’allongement des mini-leçons par l’ajout de moments de questions-réponses avec le groupe classe tout comme le remplacement de la démonstration de la stratégie par une mise en pratique guidée par l’enseignante constituent des obstacles analogues à ceux identifiés par Schillings & André (2019) dans le cadre d’ateliers de lecture. Les entretiens menés apportent un éclairage sur certains leviers prometteurs pour la mise en oeuvre des ateliers d’écriture de Calkins dans le contexte éducatif de la Fédération Wallonie-Bruxelles (André et al., 2022). Ces leviers concernent l’utilité et l’utilisabilité de l’outil (Renaud, 2020) et la nécessité de penser les conditions de cette mise en oeuvre (Bryk, 2017). Les deux enseignantes reconnaissent le caractère utile de l’outil proposé. Selon elles, il constitue une plus-value par rapport à leurs pratiques en matière d’enseignement de l’écrit. Cependant, le rythme régulier des ateliers apparait trop soutenu au regard de leur organisation pédagogique.

Figure 10

Extraits des entretiens menés avec Perrine et Pia

Extraits des entretiens menés avec Perrine et Pia

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La mise en oeuvre du dispositif exige des changements organisationnels tant matériels que didactiques. Concernant l’utilisabilité des manuels, les enseignantes soulignent la précision du guidage proposé, ce qui constitue une aide pour entrer dans le dispositif. Néanmoins, la structure générale des ateliers ne leur est pas apparue clairement d’emblée : l’aide ponctuelle du chercheur leur a permis d’identifier et de comprendre les fondements théoriques sur lesquels reposent les grandes étapes qui les structurent.

Figure 11

Extrait de l’entretien avec Perrine

Extrait de l’entretien avec Perrine

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Discussion

Que retenir de cette recherche à devis mixte à propos de l’interaction entre l’enseignement dispensé au moyen d’un outil didactique structuré et les apprentissages des jeunes élèves du début du primaire en production écrite ?

Relativement à l’évolution des compétences scripturales des élèves au terme d’une intervention soutenue par un accompagnement sur le terrain (objectif 1), nous constatons tout d’abord que l’indice socioéconomique ne joue qu’un rôle partiel : huit classes sur les onze de l’échantillon de l’étude 1 progressent sur l’indicateur de la progression du récit (relatif au traitement de la chronologie et de l’organisation du texte), que l’ISE de l’école soit élevé ou faible. En revanche, sur l’indicateur de la valeur sonore des lettres (relatif à l’encodage des mots), les classes dont l’ISE est peu élevé progressent de façon plus sensible que les classes dont l’ISE est élevé, la marge de progression étant plus importante pour ces élèves au départ. Au sein des quatre classes de l’échantillon qui progressent le plus sur les deux indicateurs (valeur sonore des lettres et progression du récit), la très grande majorité des élèves, qu’ils soient identifiés comme présentant des besoins élevés ou peu élevés en lecture-écriture par leur enseignant en amont de l’intervention, progressent sur l’indicateur de la valeur sonore. Cette évolution provient sans doute autant des activités de lecture proposées par les enseignants en dehors de l’intervention (autour de l’identification des mots et du décodage) que des ateliers d’écriture mis en oeuvre. Même si elle concerne un nombre d’élèves moins important, l’évolution positive de certains d’entre eux sur l’indicateur de la progression du récit nous semble pouvoir être davantage mise spécifiquement en relation avec l’introduction de pratiques d’écriture plus fréquentes (Morin, 2009) grâce au soutien prodigué par le matériel structuré et grâce à l’enseignement des stratégies d’écriture proposées dans cet outil didactique (planifier avant d’écrire, se servir de dessins pour enrichir leur texte, donner vie à des personnages, décrire de façon précise…).

L’étude qualitative de la progression des deux élèves identifiés par leur enseignante comme présentant des difficultés importantes en lecture-écriture donne à penser que, dans les classes au sein desquelles le dispositif a été implémenté dans la durée, comme c’est le cas de la classe 25, les élèves ont appris à mobiliser conjointement différentes connaissances sur le code et sur la chronologie du récit. Les classes dont sont issus ces deux élèves figurent parmi celles qui ont le plus progressé de tout l’échantillon, mais elles sont assez fortement contrastées à deux niveaux : l’ISE, d’une part, et le degré d’implémentation et d’appropriation, d’autre part. L’analyse comparative des productions initiales et finales de ces deux élèves met en évidence quelques convergences. Les deux élèves ont progressé sur quatre des sept indicateurs considérés : le nombre de mots produits, la segmentation des mots, la valeur sonore des lettres, la conformité des correspondances graphophonologiques à la norme. Ils présentent néanmoins des progressions différentes au niveau de la chronologie du récit : l’élève issu de la classe au sein de laquelle l’intervention revêt un caractère plus intensif insère des connecteurs dans son récit, porte attention à la trame narrative et à la présence de majuscules et de signes de ponctuation. Ainsi, il se pourrait que la prise en compte de la chronologie et de l’organisation du texte par ce jeune scripteur soit liée au nombre et à la nature des stratégies d’écriture enseignées dans sa classe (45 séances d’ateliers et 19 stratégies enseignées, parmi lesquelles la planification d’un récit en trois étapes, les procédés utilisés par les auteurs pour captiver leurs lecteurs, l’utilisation des majuscules et du point…). C’est peut-être là que se joue principalement le rôle du dispositif didactique : faire en sorte que les élèves écrivent beaucoup, développent un rapport positif à l’écriture et soient amenés à expliciter leurs démarches et leurs stratégies d’écriture.

Sans chercher à nous positionner sur la question de l’influence de l’outil sur les apprentissages – ce que le devis méthodologique de cette recherche ne permet pas de faire –, nous sommes en mesure, à l’issue des études 1 et 2, d’exclure l’absence de progression ou la régression d’un grand nombre d’élèves de l’échantillon, ainsi que la progression des seuls élèves déjà performants au début de l’intervention et/ou issus de contextes d’écoles privilégiés. Nos données montrent que, parmi les élèves qui progressent, figurent un nombre important d’élèves présentant des difficultés de lecture-écriture et/ou scolarisés dans des écoles possédant un indice socioéconomique faible. En outre, nous constatons que les enseignants du premier cycle du primaire suivis dans le cadre de cette étude évaluent efficacement les compétences de leurs élèves s’agissant du traitement des correspondances graphophonologiques (valeur sonore des lettres), mais qu’ils se révèlent moins outillés pour prendre en compte les compétences spécifiques de la production d’écrits. Le diagnostic qu’ils posent, s’agissant des compétences en lecture-écriture, est en réalité un diagnostic des capacités des élèves à décoder, ces compétences étant nécessaires mais non suffisantes pour écrire des textes élaborés et plaisants à lire. Ce résultat de recherche indique que l’évaluation des compétences d’écriture constitue sans doute un enjeu important pour la formation initiale ou continue des enseignants.

Relativement à la mise en oeuvre du dispositif par les enseignants (objectif 2), nos résultats indiquent que les enseignants qui ont accepté sur une base volontaire de prendre part à ce projet ont introduit les ateliers d’écriture dans leurs pratiques à un degré d’intensité variable et en s’appropriant peu ou prou les principes didactiques sous-jacents. Lorsque le degré d’appropriation du dispositif est élevé, nous constatons que le dispositif proposé vient à la fois soutenir l’introduction de pratiques d’écriture plus régulières et favoriser, grâce au guidage précis et à l’approche structurée (tâches scriptées, détaillant ce que l’enseignant peut dire ou faire en classe), l’enseignement de stratégies qui permettent aux jeunes enfants qui ne maitrisent pas encore le geste graphique et ne sont pas encore pleinement entrés dans l’apprentissage de la lecture de produire et d’épaissir progressivement de véritables textes et d’adopter une posture d’auteur. Si l’exigence scientifique et théorique du dispositif retenu semblait assurée en amont de l’étude que nous avons menée, il restait à examiner l’exigence de cohérence de l’outil avec les caractéristiques et les besoins du terrain de façon à déterminer le caractère plus ou moins robuste de ce dernier (Kervyn, 2020), à évaluer l’utilité et l’utilisabilité de l’outil (Renaud, 2020) dans un objectif de persistance des pratiques au-delà de la recherche et à cerner le degré d’adhésion des enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles aux principes pédagogiques et didactiques sous-jacents. Sur ce plan, nous constatons que l’artefact (l’outil didactique) commence à devenir pour certains des enseignants suivis un « instrument » au sens que Rabardel (2001) donne à ce terme, celui d’une entité mixte constituée d’un artefact (objet transformé par l’homme) et des schèmes d’utilisation qui y sont liés. Les contraintes et les possibilités de cet outil ont en effet ouvert à certains enseignants de nouvelles possibilités d’action : en leur amenant de nouvelles connaissances relatives aux stratégies d’écriture et à l’importance de leur explicitation par les élèves et en suggérant de nouveaux modes de travail, tels que le modelage de stratégies par un scripteur expert ou la liberté laissée à chaque élève d’écrire sur un sujet de son choix.

Les résultats montrent par ailleurs que l’outil peut heurter certaines connaissances et certains habitus professionnels. Si son utilité semble faire l’objet d’un assez large consensus auprès des enseignants que nous avons accompagnés, son utilisabilité pose en effet parfois problème, l’intégration de l’outil dans la planification hebdomadaire plaçant l’activité de l’enseignant sous « haute tension » au niveau de la gestion du temps (Renaud, 2020). Du côté de l’acceptabilité du dispositif (Renaud, 2020), nos observations révèlent la possible dissonance entre le modelage, qui consiste à montrer d’emblée la stratégie experte à l’élève sans le laisser tâtonner, et les principes socioconstructivistes auxquels la majorité des enseignants de notre contexte éducatif sont formés. Un accompagnement plus long et plus intensif des enseignants favoriserait sans doute la résolution de certains dilemmes professionnels et consoliderait les pratiques modifiées, les nouveaux gestes introduits.

Limites et perspectives

Comme dans toute recherche, ce projet présente plusieurs limites que nous soulignons ci-après. Tout d’abord, l’outil de mesure des compétences scripturales des élèves a été conçu en relation avec les objectifs de l’enseignement : il gagnerait à être complété par une épreuve évaluative standardisée. Ensuite, notre échantillon compte 65 élèves pour 11 classes, soit entre cinq et six élèves testés en amont et en aval de l’intervention dans chacune des classes, identifiés par l’enseignant comme présentant des besoins peu élevés à élevés en lecture-écriture. Nous avons expliqué précédemment que les objectifs de la recherche nous avaient conduits à privilégier un nombre plus important de classes et d’enseignants, notamment pour assurer la diversité des classes et des écoles de l’échantillon et pour être en mesure d’explorer le degré d’adhésion des enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles à un outil issu d’un tout autre contexte éducatif. Il n’en demeure pas moins qu’une mesure prise en prétest et en post-test auprès de l’ensemble des élèves des classes se révélerait plus cohérente et plus fiable. Par ailleurs, la fiabilité des données issues du codage des résultats des élèves à partir de la grille d’observation des écrits se trouverait accrue si une évaluation des qualités psychométriques avait lieu. Enfin, nous soulignons l’absence d’analyse qualitative de l’appropriation dans les classes qui ont assez peu mis en oeuvre le dispositif : porter attention à ce qui s’est passé dans ces classes pourrait pourtant se révéler instructif pour favoriser une implémentation du dispositif à plus large échelle.

Comme nous l’avons précisé en ouverture de cet article, la présente recherche à visée descriptive peut être considérée comme une étude pilote en amont d’une éventuelle recherche portant sur l’étude de l’influence du dispositif sur les apprentissages des élèves. Étudier les interactions entre l’enseignement dispensé à l’aide d’un outil et les apprentissages effectifs des élèves peut permettre d’écarter, en amont d’une recherche centrée sur l’établissement des liens de causalité, de possibles effets négatifs (si l’on observe peu de progressions, voire des régressions sur les compétences visées), de s’assurer que les progrès éventuels sont susceptibles de concerner tous les élèves, incluant les élèves dont les compétences initiales sont plus fragiles ou qui sont issus d’écoles à indice socioéconomique moins favorisé et de vérifier que le dispositif didactique retenu ou conçu en vue de la recherche se situe dans la zone d’acceptabilité, d’utilité et d’utilisabilité des enseignants du contexte éducatif ciblé. Comme nous avons tenté de le montrer, une telle étude se trouve soutenue par l’adoption d’un devis de recherche mixte. Dans la présente recherche, l’approche quantitative a permis de mesurer l’évolution des compétences des élèves à partir de quelques indicateurs. L’approche qualitative, quant à elle, a soutenu une analyse approfondie, selon une approche textuelle, de quelques productions d’élèves identifiés en difficultés en amont de l’intervention. Elle a également permis de mettre en évidence des éléments sur lesquels les élèves progressent de manière moins visible, mais qui sont susceptibles d’être mis en relation avec certaines caractéristiques de l’outil. Elle a enfin permis de décrire l’appropriation du dispositif par deux enseignantes qui l’ont intensément mis en oeuvre et d’identifier des zones d’obstacles potentiels dans cette appropriation. S’il s’agissait à présent de passer à un devis de recherche expérimentale en milieu naturel pour étudier l’influence du dispositif des ateliers d’écriture sur les apprentissages en contrôlant toutes les variables, notamment les facteurs externes au dispositif introduit, nous pourrions prendre appui sur les résultats de la présente recherche pour concevoir et sélectionner les outils de mesure ; pour favoriser un enseignement substantiel, long et régulier à partir du dispositif proposé grâce à un accompagnement adapté par les chercheurs ; pour décider de modalités d’accompagnement plus ajustées aux besoins des enseignants partenaires (prise en compte de possibles dissonances au niveau des principes pédagogiques et des contraintes temporelles qui pèsent sur l’activité de l’enseignant).

Par ailleurs, des prolongements qualitatifs de la recherche pourraient permettre d’explorer plus avant la question de l’appropriation d’un dispositif didactique par les enseignants (les facteurs qui favorisent ou défavorisent cette appropriation, les profils d’appropriation…) ainsi que les modalités d’intégration et de transfert des stratégies d’écriture par de jeunes élèves en début de scolarité primaire. Ces objets gagneraient à être étudiés sur une temporalité plus longue que celle qui a été retenue dans le cadre de la présente recherche. Enfin, il serait pertinent également d’étudier l’évolution des productions écrites des élèves en relation avec des types d’écrits autres que les récits du quotidien : la structure discursive dominante et les particularités de certains genres textuels pourraient susciter des évolutions en relation avec d’autres indicateurs que ceux que nous avons étudiés ici et favoriser davantage les opérations d’épaississement du texte par les jeunes scripteurs.