Corps de l’article

Introduction

Au croisement du développement de l’ensemble des disciplines scolaires, les apprentissages en littératie, particulièrement en littératie numérique, se hissent au sommet des priorités en éducation : « […] pour quiconque possède les outils appropriés et les compétences nécessaires, l’accès au savoir se fait désormais principalement par le numérique. » (CSE, 2020, p. 3) Cette situation concerne les acteurs du milieu qui, de leur côté, font face à différents enjeux, notamment le fait qu’à l’école les compétences en réception et en production numérique sont intégrées dans le curriculum au meilleur des connaissances des enseignants. Les élèves sont encouragés à promouvoir une « expertise » développée tant à l’école qu’en dehors de celle-ci (Fluckiger, 2008; Yagoubi, 2020). Ils abordent ainsi les nouveaux apprentissages disciplinaires avec une maîtrise variable de la compétence numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2019).

Apprendre et témoigner de ses apprentissages en recourant à l’image, à la vidéo, au texte, à l’artefact et à la carte est une pratique encouragée en histoire et en géographie (Martel, 2018). Pour y parvenir, les élèves consultent et produisent des informations sous format analogique, mais également de plus en plus sous format numérique (Parent et al., 2022a; Parent et al., 2022b; Vallière et al., 2022). Alors qu’ils s’approprient et communiquent des informations souvent présentées de manière non-linéaire, hypertextualisée et interactive, ils font appel à différentes dimensions de la compétence numérique et, selon Lacelle et al. (2015a), aux compétences en littératie médiatique multimodale (LMM).

Dans un tel contexte, il est attendu de la part des élèves qu’ils s’engagent dans le développement autorégulé de leurs apprentissages. En s’appuyant sur leurs expériences scolaires et extrascolaires (Lebrun et al., 2012), ils réalisent des activités complexes qui comprennent une variété de tâches. Les élèves sont alors appelés à traiter diverses sources d’information, ce qui, la plupart du temps, les amène à réaliser des productions aux exigences multiples. La prise en charge des apprentissages par l’élève est alors essentielle à sa réussite. Malheureusement, les enseignants ne sont pas tous formés pour soutenir les élèves dans le développement de telles compétences. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux, en prenant appui sur leurs connaissances, leur expertise et leur intuition professionnelle, élaborent des dispositifs didactiques innovants qu’ils mettent à l’essai et ajustent au fil des itérations.

Le projet dont il est question dans cet article s’insère dans ce cadre spécifique d’enseignement-apprentissage de l’histoire en contexte numérique. Il s’agit d’un projet intégrateur multimodal, en développement constant, ayant été expérimenté en classe à plusieurs reprises. Il invite des élèves de première secondaire (12-13 ans) en histoire à témoigner de leurs apprentissages par la production d’un atlas historique numérique comportant plusieurs chapitres de formes variées (textes, cartes, vidéos, etc.). Chaque chapitre constitue en soi une production qui, par les activités qu’elle implique, peut être évaluée par rapport aux thèmes abordés en Histoire et éducation à la citoyenneté pour le niveau de première année du secondaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2006). Qui plus est, l’assemblage des chapitres, de l’introduction et de la conclusion constitue, en fin d’année, l’atlas historique numérique, soit la production finale évaluée.

Dans cet article, la seconde itération documentée du projet Atlas historique numérique est présentée et réfléchie; la première itération ayant déjà fait l’objet d’une publication (Parent et al., 2022a). Cette seconde itération, née de l’apport de nouveaux collaborateurs au projet, est associée aux objectifs de l’étude MultiNumériC (Boutin et al., Action concertée-FRQSC-MEQ 2020-2024). Par conséquent, elle s’est réalisée en classe d’histoire avec le souci de cocréer, de mettre à l’essai et d’ajuster des pratiques pédagogiques faisant appel au numérique, appuyées sur le référentiel de compétences en LMM et sur les connaissances de l’apprentissage autorégulé.

Dans ce qui suit, le projet Atlas historique numérique est en premier lieu introduit par la présentation de ses origines, par la description de sa première itération, ainsi que par la mise en relief des ajustements apportés au projet en vue de son amélioration et de sa seconde itération. La deuxième partie de l’article, pour sa part, fait le détail de cette seconde itération durant l’année scolaire 2021-2022, et ce, en insistant sur 1) le portrait du milieu scolaire où il a été mis à l’essai et les acteurs qui se sont impliqués dans son ajustement; 2) le processus de cocréation qui a mené à sa seconde version; 3) le projet sous sa forme la plus récente et 4) les productions des élèves qui ont vécu le projet dans cette version. La troisième partie de l’article présentera, quant à elle, une analyse de la perception de compétence de cinq élèves rencontrés lors d’entretiens focalisés. Elle approfondira ainsi la compétence numérique, la littératie informationnelle et l’enseignement-apprentissage en histoire.

1. Mise en contexte du projet Atlas historique numérique

1.1. Première itération documentée du projet

Le projet Atlas historique numérique a d’abord été cocréé par un praticien, Jean-Bernard Carrier, et une didacticienne en sciences humaines et sociales, Virginie Martel. Prenant part à une étude portant sur la LMM en contexte numérique (Lacelle et al., CRSH 2017-2020) et s’interrogeant tous deux quant au rôle de la littératie dans l’enseignement-apprentissage de l’histoire, ils ont entrepris de documenter la cocréation et la mise en oeuvre en classe de première secondaire de la première itération du projet Atlas historique numérique (2018-2019).

À ce moment-là, le projet prenait appui sur les réflexions critiques du praticien-chercheur à l’égard de l’évaluation en histoire (forme et contenu), ce qui, par le fait même, permettait de poser la question de la production dans les apprentissages de cette discipline (Martel, 2018; Carrier, 2017); une question qui interpelle les notions d’apprentissage conceptuel (Barth, 2013) et de pensée historique (Nokes, 2013). Le projet, tel que vécu et documenté lors de l’année scolaire 2018-2019, s’intéressait spécifiquement au développement espéré de compétences en LMM par les élèves lors de la compréhension et de l’intégration de contenus informationnels historiques. Il a notamment permis la production par les élèves d’une variété de documents analogiques et numériques en histoire et en géographie (Lacelle et al., 2019)[1]; documents qui, au terme du projet, ont été rassemblés dans un portfolio sous la forme d’un atlas historique.

Dans le cadre spécifique de l’enseignement-apprentissage conceptuel de l’histoire, les champs de la littératie (Lacelle et al., 2015b) et de la LMM (Lacelle et al., 2017) constituaient les principales assises théoriques à partir desquelles le projet était coréfléchi et documenté. Au terme de cette première itération, les constats suivants ont notamment été posés : 1) le projet présente l’intérêt d’unir de manière très complémentaire des compétences et des savoirs touchant à la littératie – puisque faire de l’histoire, c’est essentiellement lire et écrire (Moniot, 1993) – et la nécessaire démarche de conceptualisation qu’il convient de mettre en place en classe d’histoire; 2) le projet soutient le développement de compétences en LMM numérique par les tâches de réception et de production multimodales, nombreuses et diversifiées sur lesquelles il s’appuie; 3) le projet permet de penser autrement l’évaluation en histoire (Parent et al., 2022).

Cette première itération documentée a mené l’équipe de recherche à se questionner sur l’apport des connaissances actuelles en littératie informationnelle et sur l’apprentissage autorégulé. Comment le projet d’Atlas historique numérique peut-il s’enrichir des principes de la littératie informationnelle et de l’apprentissage autorégulé afin de mieux soutenir le développement de la compétence numérique et des compétences en LMM dans le contexte spécifique de l’enseignement-apprentissage de l’histoire ? La seconde itération, décrite dans le présent article, est le fruit des réflexions autour de ces nouveaux questionnements après une année de mise à l’essai du projet sous sa forme ajustée.

1.2. Seconde itération documentée du projet Atlas historique numérique

La seconde itération documentée du projet s’appuie bien entendu sur les forces constatées lors de la première itération et sur les pratiques d’enseignement-apprentissage reconnues comme ayant été efficaces. Elle prend toutefois appui sur des préoccupations nouvelles de l’enseignant, liées à sa pratique réflexive en constante évolution. Cette itération, en adéquation avec les objectifs de l’étude plus vaste dans laquelle elle s’inscrit (MultiNumériC, Boutin et al., Action concertée – FRQSC-MEQ, 2020-2023), prend appui sur l’expertise de nouvelles chercheuses intégrées au projet. Dans cette perspective, elle bénéficie d’assises théoriques nouvelles liées plus spécifiquement à la compétence numérique, à la littératie informationnelle et à l’apprentissage autorégulé dans le cadre spécifique de l’enseignement-apprentissage en histoire et en géographie.

2. Concepts clés de la seconde itération documentée

2.1. Compétence numérique

La compétence numérique telle que décrite au Québec par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2019) réfère au développement espéré d’un citoyen éthique qui mobilise ses habiletés technologiques à différentes fins, soit celles d’apprendre, de s’informer et d’informer, de collaborer, de communiquer, de produire du contenu, de favoriser l’inclusion et de répondre aux besoins diversifiés de tous, de se développer comme personne, de résoudre des problèmes et d’exercer sa pensée critique.

L’un des défis actuels rattachés à l’enseignement d’une telle compétence est d’offrir aux élèves et aux enseignants des contextes qui leur permettent de développer des savoirs et des savoir-faire qui résistent à l’obsolescence des appareils et des outils du numérique. On a vu apparaître, dans les dernières années, une préoccupation autour de la pérennité des apprentissages rattachés au numérique. Le besoin de réfléchir sur les pratiques pédagogiques pour ne plus uniquement éduquer « par » le numérique, mais bien insister sur l’éducation « au » numérique se fait de plus en plus manifeste (CSE, 2020; Piette, 2007).

Éduquer « au » numérique signifie d’aborder la compétence numérique en l’intégrant aux apprentissages tout en insistant, par exemple, sur ses fondements en littératie médiatique multimodale (Lacelle et al., 2017). On peut ainsi s’intéresser aux différents modes d’expression (texte, image, son, gestuelle) qui servent à véhiculer le sens, de même qu’à l’articulation de ces modes qui, pour leur part, présentent les informations en soulignant leur relation de redondance, d’opposition, de complémentarité (Lebrun et al., 2012; Lacelle et al., 2017).

2.2. Littératie informationnelle et enseignement-apprentissage en histoire

Dans des domaines disciplinaires comme ceux de l’histoire et de la géographie où le lire-écrire domine (Moniot, 1993), la compétence numérique se développe à la croisée des conceptualisations de la LMM et de la littératie informationnelle. Les apprentissages, dès lors qu’ils s’articulent autour de la mobilisation des méthodes propres aux sciences humaines (dont la méthode historique qui s’appuie sur l’analyse de documents et la démarche historique qui s’apparente à toute démarche scientifique), exigent aujourd’hui de l’élève qu’il s’informe à partir d’un corpus informationnel multimodal et numérique (Pleau, 2023).

Lorsqu’il explore un tel corpus en ligne, l’élève navigue entre les différentes sources d’information et au sein même des documents qu’il consulte (Pleau, 2023). Il interagit alors avec des informations organisées de manière non linéaire (Gervais et Saemmers, 2010) et reliées par des liens sémantiques hypertextualisés, les hyperliens (Baturay et al., 2018). Par son interaction avec le contenu informationnel, l’élève repère des informations qu’il évalue par rapport à leur pertinence et à leur fiabilité, notamment par la confrontation des sources. Il traite et interprète le contenu auquel il accède et intègre finalement en mémoire les informations qui enrichissent ses représentations mentales (Pleau, 2023).

Dans cette perspective, naviguer, évaluer et intégrer (Salmerón et al., 2018) deviennent des compétences essentielles à l’apprentissage, ici en histoire et en géographie. Elles soutiennent l’élaboration d’une représentation du contenu informationnel (Schneider, 2007; Schnotz et Bannert, 2003), et ce, à partir d’un corpus informationnel fondamentalement hybride, notamment parce qu’il regroupe des informations présentées de manière analogique et numérique. Par exemple, en histoire, l’élève peut analyser des artefacts à l’aide d’images en haute définition, en couleur et parfois même en trois dimensions (ex : Stèle du Code de lois de Hammurabi; Rmn-Grand Palais, 2019). En géographie, l’élève peut consulter les images satellites offertes par Google Earth (Figure 1).

Figure 1

Exemple d’élèves recourant à Google Earth pour s’informer

-> Voir la liste des figures

À terme, l’élève témoigne de ses apprentissages en effectuant la synthèse des informations qu’il a intégrées (Rouet et Britt, 2011; Brand-Gruwel et al., 2009). Les productions des élèves peuvent alors prendre différentes formes, comme c’est le cas dans cet article. Le recours au numérique sert dès lors le partage et la diffusion des apprentissages par l’élève qui est amené à planifier, à organiser et à effectuer le design de sa production (Lacelle et al., 2017).

Ce processus, de la réception des informations consultées à la production d’une synthèse des apprentissages, est décrit par différents chercheurs avec des considérations propres à leur discipline. Il est notamment étudié dans les domaines des sciences cognitives, de la sémiotique, de l’éducation aux médias et des sciences de l’éducation (Pleau, 2023). Il interpelle directement les préoccupations conceptuelles de la littératie informationnelle (information literacy; Le Deuff, 2009), entre autres parce qu’il sous-tend des habiletés nécessaires pour localiser/accéder à l’information, évaluer celle-ci et l’utiliser efficacement lors de la réponse à un besoin informationnel (American Library Association, 1989; Michelot et Poellhuber, 2019).

2.3. Apprentissage autorégulé dans une activité complexe

L’apprentissage autorégulé dans des activités complexes, comme celles proposées dans le projet Atlas historique numérique, repose sur la relation entre un apprenant et un contexte (Cartier et Butler, 2016). Cette relation a par ailleurs déjà été documentée dans des classes du primaire en histoire (Martel et al., 2014; Martel et Cartier, 2016). En enseignement-apprentissage de l’histoire et de la géographie, elle place l’élève au coeur de son apprentissage. Il est alors amené à traiter de façon variée des sources multiples d’information multimodale sur support numérique pour s’informer et acquérir des connaissances, tout en restant motivé (Cartier, 2007, 2023).

Dans ce type d’activité complexe, les apprenants ont à autoréguler leurs apprentissages, ce qui est exigeant et difficile pour certains d’entre eux. Dans ce contexte, ils ont à mobiliser des pensées, des actions et des perceptions qui les amènent d’abord à interpréter les exigences multiples de l’activité complexe. Forts de cette interprétation qui correspond plus ou moins à l’ensemble des exigences de l’activité, les élèves se donnent des objectifs d’apprentissage de manière plus ou moins consciente pour l’ensemble de l’activité et ses différentes tâches. Ces objectifs peuvent être directement liés à ceux de l’activité planifiée par l’enseignant, mais être aussi plus ou moins périphériques à ceux-ci, comme vouloir principalement travailler avec ses amis, ou encore, finir le plus rapidement possible. L’établissement de ces objectifs les amène à planifier et à gérer la mise en oeuvre de stratégies permettant de lire, d’apprendre, de réaliser les tâches et de s’ajuster, au besoin (Cartier, 2006). Dans ce contexte, ils ont aussi à gérer leurs émotions et motivation afin de maintenir l’engagement nécessaire à la réalisation de l’ensemble des tâches de l’activité. De toute évidence, ce processus d’apprentissage – pensée, actions, perceptions – prend sa source dans le bagage que l’apprenant apporte avec lui dans cette activité, comme ses connaissances et expériences, ses intérêts, ses forces et défis.

3. Présentation de la seconde itération documentée du projet Atlas historique numérique (2021-2022)

3.1. Portrait du milieu et des acteurs

Le projet de l’Atlas historique numérique s’est déroulé dans quatre classes de première secondaire en histoire et géographie du Juvénat Notre-Dame du St-Laurent (JNDSL), une école secondaire privée mixte d’un peu plus de 850 élèves (Lévis). Situé aux abords du fleuve Saint-Laurent, le JNDSL offre des programmes scolaires variés (Langues, Sport3D, Découvertes, MédiasTIC) ainsi que plusieurs activités sportives, artistiques et culturelles. Par son projet éducatif, il accorde une grande importance aux valeurs humaines et à l’accompagnement bienveillant des élèves. Parmi les intentions pédagogiques poursuivies au JNDSL, notons la volonté de rendre les élèves autonomes, actifs et créatifs dans leurs apprentissages en misant sur la collaboration, la différenciation pédagogique et la rétroaction efficace. Ils évoluent dans un environnement numérique qui les amène à utiliser une tablette numérique comme support à l’apprentissage et à l’organisation de leur travail. Ce milieu a par ailleurs facilité la cocréation du projet d’Atlas historique numérique en favorisant le travail collaboratif d’un enseignant de première secondaire en histoire et en géographie, de ses élèves et de chercheuses du milieu des sciences de l’éducation dont plusieurs sont membres du Groupe de recherche en LMM.

Jean-Bernard Carrier, enseignant en histoire et en géographie depuis 2009, collabore avec le Groupe de recherche en LMM depuis 2018. Dans son enseignement, il privilégie une approche par compétences où les élèves ont l’occasion de manipuler les sujets à l’étude, tout en développant leurs savoirs et savoir-faire. Il initie ses élèves à la méthode historique et aux techniques de la géographie, ce qui les aide à comprendre les réalités sociales et les enjeux territoriaux. En insistant sur le développement de la pensée critique des élèves et l’analyse de documents variés, il les aide à mieux comprendre le présent et le monde qui les entoure. Ayant une vision résolument interdisciplinaire, il intègre à son enseignement des éléments conceptuels provenant de disciplines diverses, notamment les arts et la littérature, dans une perspective multimodale et numérique.

Virginie Martel est professeure en didactique des sciences humaines (Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté, GHEC). Elle s’intéresse, dans le cadre de ses travaux, à la lecture multimodale et critique au primaire et au secondaire. En outre, elle accompagne des enseignantes et des enseignants qui souhaitent amener leurs élèves, par des activités d’enseignement-apprentissage, à traiter efficacement et de façon critique les sources qu’ils consultent, en plus de développer des compétences de recherche et de littératie. Dans le cadre de sa collaboration avec Jean-Bernard Carrier, elle a alimenté ses réflexions pédagogiques quant à l’enseignement-apprentissage de l’histoire et de la géographie en contexte de littératie numérique et lui a permis de mieux cerner les fondements théoriques sous-jacents à sa pratique professionnelle.

Joannie Pleau est professeure en didactique du français. Au cours des dernières années, elle s’est intéressée au développement chez des élèves du primaire et du secondaire de compétences en littératie et, plus spécifiquement, en littératie informationnelle et en LMM numérique. Au sein du projet Atlas historique numérique, elle s’est engagée dans la réflexion autour du recours à la compétence numérique et aux compétences en littératie informationnelle par les élèves lors du développement de leur compréhension des contenus disciplinaires en histoire et en géographie.

Sylvie C. Cartier est professeure titulaire en psychopédagogie et en orthopédagogie. Entre 2008 et 2011, elle a dirigé le Centre d’études et de formation en enseignement supérieur de son université. Ses enseignements et recherches portent sur l’apprentissage autorégulé, l’apprentissage par la lecture, la difficulté à apprendre et l’innovation pédagogique en contexte scolaire. Au sein du projet, elle a souligné l’importance du soutien nécessaire pour l’apprentissage autorégulé à offrir aux élèves dans le cadre d’activités complexes telles que l’Atlas historique numérique.

Gabrielle Ross est doctorante en psychopédagogie. Dans le cadre de sa thèse, elle s’intéresse à l’expérience scolaire d’élèves présentant à la fois des caractéristiques de douance et des difficultés à apprendre, ainsi qu’à l’inclusion scolaire. Sa contribution au projet a pris la forme d’analyses des données, notamment celles rattachées au processus de cocréation du projet et aux questionnaires guidant l’apprentissage autorégulé des élèves.

3.2. Processus de cocréation

La collaboration entre des chercheuses et un praticien est à la base du projet décrit dans le présent article. Ces derniers ont uni leurs idées, questionnements, réflexions et expertises afin de bonifier un projet pédagogique innovant ayant déjà été mené et documenté en classe, mais pour lequel plusieurs possibilités restaient à explorer. Le tout fut réalisé en faisant de l’égalité des voix une priorité. Chacun des acteurs du projet ayant contribué à la réflexion à l’aune de ses préoccupations et de son expertise, les chercheuses comme le praticien ressortent du processus de cocréation avec un sentiment d’équité et d’équilibre.

Durant l’an 1 de l’étude MultiNumériC, le processus de cocréation s’est organisé autour de cinq rencontres enregistrées sur la plateforme Zoom (environ 75 minutes par rencontre). Précédant la mise à l’essai documentée du projet, le travail réflexif de cocréation a pris appui sur des documents collaboratifs virtuels accessibles sur Google Drive. Lors de l’an 2, durant sa mise à l’essai, des rencontres au JNDSL et en ligne (Zoom) ont permis sa bonification, en plus de favoriser l’observation des élèves à différents moments de la collecte des données. Les données recueillies par les enregistrements de ces rencontres, les notes de l’équipe de recherche et le journal de bord du praticien ont fait l’objet d’une analyse de contenu; analyse qui a permis de mettre en lumière, après la triangulation des données, le détail du cheminement de cocréation.

3.2.1. Détail du cheminement de cocréation

Dans le respect des intentions de la recherche-action, l’idée de poursuivre le travail autour de la production par les élèves d’un atlas historique numérique a été soumise par l’enseignant dès le début du travail collaboratif, entre autres avec le désir de mieux articuler l’ensemble de sa planification pédagogique annuelle autour d’un continuum d’apprentissages et des attendus liés à cette production de nature complexe. L’enjeu était alors pour l’enseignant de parvenir à mieux cerner ses intentions pédagogiques et les objectifs poursuivis à l’égard, d’une part, de la progression des apprentissages et du développement des compétences en histoire et en géographie, et, d’autre part, du développement des compétences en littératie et de la compétence numérique.

À l’unanimité, l’équipe a adopté la proposition de l’enseignant. D’entrée de jeu (rencontre 1), il est apparu essentiel de s’approprier collectivement ce qui avait été fait autour du projet Atlas historique numérique (première itération documentée et autres itérations non documentées). Cette étape préliminaire a permis de dégager les moments charnières de l’enseignement-apprentissage autour desquels il était possible de conceptualiser et de bonifier la planification envisagée pour la seconde itération documentée. C’est aussi lors de la première rencontre de cocréation qu’il est apparu nécessaire pour l’équipe d’appuyer la bonification du projet sur les constats formulés au terme de la première itération documentée. De manière plus spécifique, l’équipe a d’abord choisi de s’intéresser à l’amélioration de l’accompagnement des élèves durant le développement de leurs compétences à chercher de l’information (repérer les sources, les critiquer et choisir les informations pertinentes), puis au soutien des élèves lors de la lecture/réception et de l’écriture/production numérique à partir d’informations provenant de sources variées et multimodales.

Le travail de conceptualisation et de bonification de la planification (rencontres 2 et 3) a occupé, après coup, une grande partie des échanges de cocréation. À cette étape, l’équipe s’est donné le mandat de renforcer la cohérence entre les tâches proposées aux élèves et les interventions de l’enseignant afin de soutenir le développement des apprentissages. Cette étape a donné lieu à des réflexions autour de la planification d’une progression des compétences de réception/production en LMM et de la compétence numérique au sein de la planification du projet. De sorte, les compétences mobilisées et les aspects de cette progression ont été identifiés (après délibérations) pour chacune des grandes étapes de la planification annuelle. Par ailleurs, pour couvrir l’ensemble des objectifs pédagogiques du projet, des tâches et des interventions ont été ajoutées à la planification. Lors de ces rencontres, l’équipe a également convenu d’organiser la planification annuelle en histoire de manière à ce que les apprentissages réalisés, dans le cadre du programme de géographie (travaillé pendant la première partie de l’année scolaire), servent d’assises aux tâches nécessaires à la réalisation de l’Atlas historique numérique (deuxième partie de l’année scolaire). Ainsi, c’est en géographie que la maîtrise des habiletés technologiques nécessaires à l’usage en classe de différents outils du numérique (compétence numérique) a été initialement travaillée au départ des compétences modales (lire et produire une image; lire et produire des textes). Ce fut également un temps pour expliciter et, au besoin, consolider les aspects des programmes d’histoire et de géographie ciblés par la planification, particulièrement ceux qui relevaient de la méthode historique fortement liée aux compétences en littératie.

Lors de la troisième rencontre, il est apparu essentiel de bonifier ce projet par une prise en compte plus explicite de l’apprentissage autorégulé des élèves. Il est alors ressorti des discussions une préoccupation autour de l’interprétation adéquate, par les élèves, des exigences du projet (la série de tâches à exécuter) et les critères de performance associés à celui-ci. À ce propos, il a été décidé d’élaborer un questionnaire préliminaire adressé aux élèves de l’année scolaire précédant la mise à l’essai de la seconde itération documentée du projet, soit ceux de 2020-2021, afin de collecter des données concernant spécifiquement les révisions et les bonifications anticipées de la planification pour l’année suivante (2021-2022).

Portant principalement sur l’interprétation par les élèves des exigences du projet Atlas historique numérique, ce questionnaire a révélé qu’au terme du projet, certaines interprétations des tâches à réaliser par les élèves demeuraient vagues ou incomplètes, ce qui mettait en évidence la nécessité d’un meilleur encadrement pédagogique. Conséquemment, il a été entendu d’ajouter à la planification des tâches d’autorégulation des apprentissages permettant aux élèves de témoigner à l’enseignant les points suivants : 1) leur interprétation des exigences du projet et des tâches qui le composent; 2) leur niveau de motivation à apprendre dans ce contexte; 3) leur perception quant à l’atteinte des objectifs, etc. L’importance de présenter la finalité du projet de l’atlas historique numérique dès la réalisation du premier chapitre (ce qui n’était pas fait avant la seconde itération documentée) a aussi été mise en exergue, notamment pour accroître l’aspect significatif du projet et l’engagement des élèves.

Les quatrième et cinquième rencontres de cocréation ont, quant à elles, permis de poursuivre le travail de conceptualisation et de réflexion ayant mené à la révision et à la bonification de la séquence de planification. Elles ont essentiellement servi à l’élaboration collective d’outils visant la documentation de différentes dimensions du projet et la prise en compte de l’autorégulation des apprentissages. Le recours possible à différents outils de collecte des données a alors été discuté (questionnaire, entrevue, fiche d’observation, liste de vérification, etc.) en relation avec les aspects à documenter afin de bien circonscrire le projet et ses apports pour les élèves (indices de développement/évolution des compétences en histoire, en littératie informationnelle, en LMM et des compétences numériques ciblées; outils/ressources utilisés et appréciation; recours ou non à la multimodalité; acquisition des connaissances espérées en histoire; perceptions du projet et des attendus; etc.).

Au terme du processus de cocréation du projet, tous les acteurs avaient une vision concertée de celui-ci.

3.3. Projet

3.3.1. Principes et considérations

Le projet Atlas historique numérique tel que documenté dans cette itération s’organise sur l’ensemble d’une année scolaire. La première partie de l’année est consacrée au programme de géographie en première secondaire et elle permet, au regard de la production de l’atlas historique numérique, d’asseoir progressivement le développement des compétences en LMM et le développement de la compétence numérique nécessaires aux attendus du projet. La deuxième partie de l’année est par la suite consacrée au programme d’histoire et à la réalisation de l’atlas historique numérique permettant, entre autres, de poursuivre le développement des compétences en LMM et de la compétence numérique amorcé en géographie.

Dans cette perspective, c’est par exemple dans le cadre du programme de géographie traité en début d’année scolaire que les élèves, avec le soutien constant de l’enseignant, s’approprient les outils disponibles en classe, notamment leur iPad, la plateforme de travail Google (Classroom, Documents, Présentations) et diverses applications, comme un agenda numérique Studyo ainsi que des cahiers d’apprentissage Géo à la carte (Bergevin et al., 2019) et Histoire à la carte (Brisson et al., 2020.). Ils explorent aussi peu à peu la réception et la production de documents de formes variées. Par exemple, ils apprennent à lire les trois plans d’un paysage, à produire des croquis géographiques, à interpréter ou à créer des cartes géographiques (figure 2), à visionner des films documentaires et à lire de manière adéquate un cahier d’apprentissage en portant une attention non seulement au texte, mais aussi aux images, aux graphiques et aux cartes. Pour ce faire, ils sont invités à mobiliser des stratégies de lecture enseignées dans le cours de français et d’autres plus spécifiques à la lecture/interprétation de sources en géographie et en histoire.

Figure 2

Exemple d’élève annotant une carte de la Grèce

-> Voir la liste des figures

Chaque territoire étudié est abordé sous l’angle d’un enjeu territorial et plusieurs projets mobilisant des compétences en LMM et la compétence numérique sont réalisés par les élèves. Par exemple, ceux-ci sont invités à produire un kiosque d’information sur une ville soumise à des risques naturels (Google Presentations); ils doivent aussi produire une carte interactive (Padlet) sur laquelle ils épinglent une photographie et une description d’un monument du Vieux-Québec, ville du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Afin de lire l’organisation d’un territoire (compétence 1), les élèves apprennent, avec le soutien constant de l’enseignant, à lire des textes variés ou des images, à décoder des cartes géographiques, à écouter avec une intention d’apprentissage des documentaires, à analyser des photographies de paysage, à dessiner des croquis géographiques, à exprimer les émotions ressenties face à un paysage, un lieu ou un territoire, à se promener directement sur le terrain afin de s’en imprégner et de décoder les lieux en personne. Puisque la seconde compétence du programme de géographie touche à l’interprétation d’enjeux territoriaux, les élèves sont aussi introduits aux compétences de littératie informationnelle (fondamentales à la méthode de constitution du savoir en histoire et en géographie) pour se familiariser avec la recherche documentaire, la sélection d’informations pertinentes, la classification des données, la confrontation des points de vue et la prise de position appuyée sur des faits. Ces activités, grâce auxquelles il est possible d’intégrer progressivement le numérique au cours de la première moitié de l’année scolaire, nécessitent beaucoup de modelage en début d’année scolaire. Progressivement, toutefois, une pratique guidée par l’enseignant s’installe. La pratique autonome, pour la plupart des élèves, suivra dans la deuxième moitié de l’année scolaire en cours de production de chacun des chapitres du projet.

3.3.2. Incarnation (en classe d’histoire)

Le projet Atlas historique numérique s’appuie sur la réalisation, en histoire, de tâches multimodales diverses conduisant ultimement à la production d’un chapitre synthèse pour chacune des réalités sociales à l’étude dans le programme de premier cycle du secondaire (1ère année). Dans le programme ciblé, ces réalités (détaillées dans le tableau 1) sont pour la plupart traitées dans la perspective de la problématisation en histoire (Doussot et al., 2022), c’est-à-dire que les apprentissages visés prennent appui sur des pratiques d’études de documents variés pour répondre à une question de travail ou à une quête d’informations. De sorte, la méthode historique qui réfère à l’analyse critique de documents par le biais de l’observation, de la critique et de l’interprétation y est mobilisée, tout comme la démarche historique qui structure la recherche à propos du passé autour d’une question, d’hypothèses, de recherche de documents, d’analyses de ceux-ci et d’une conclusion interprétative (Martel, 2018).

Tour à tour, selon les chapitres à produire et les réalités à explorer, les élèves sont invités, avec le soutien de l’enseignant et par le recours à une variété d’outils, à autoréguler leurs apprentissages et leur travail. Parfois seuls, parfois avec des pairs, ils interprètent d’abord les exigences des chapitres à rédiger, se donnent des objectifs et planifient leur travail. Puis, ils visionnent et s’approprient le contenu informatif de plusieurs documents multimodaux (ex : manuel de l’élève [Lamarre, 2005], cahier d’apprentissage [Brisson, 2020], bande dessinée [Papadatos 2015], articles de journaux, sites Internet, films de fiction historique et documentaire [Malaterre 2014]). Les élèves sont alors invités à effectuer une analyse critique des informations consultées, à rechercher des informations complémentaires, à contrôler et à ajuster leur travail au besoin. Ultimement, ils sont amenés à produire, sous différentes formes, des synthèses de leurs apprentissages conceptuels en histoire, c’est-à-dire les chapitres. Une telle démarche nécessite de l’élève qu’il mobilise des compétences de LMM et de littératie informationnelle, en plus de la compétence numérique (tableau 2).

Chacun des chapitres ainsi produits constitue un outil d’évaluation pour les réalités historiques au programme. La conception de l’atlas historique par les élèves est d’ailleurs un processus itératif en soi. Chaque élève a la chance d’améliorer ses productions une fois corrigées par l’enseignant. Cela lui permet de bénéficier d’une rétroaction utile à l’autorégulation de son travail et de ses apprentissages, en plus de soutenir sa motivation par un contexte de production authentique (atlas historique numérique). L’élève, d’une production à l’autre, a ainsi l’occasion de revoir ses travaux ainsi que les grilles d’autoévaluation et de retours réflexifs précédents (Parent, Carrier et Martel, 2022).

Tableau 1

Atlas historique numérique : attendus et tâches principales proposées à l’élève

Atlas historique numérique : attendus et tâches principales proposées à l’élève

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 2

Liens entre la structure de l’Atlas historique numérique, la démarche historique et les compétences d’Histoire et éducation à la citoyenneté, de littératie médiatique multimodale et la compétence numérique

Liens entre la structure de l’Atlas historique numérique, la démarche historique et les compétences d’Histoire et éducation à la citoyenneté, de littératie médiatique multimodale et la compétence numérique

-> Voir la liste des tableaux

3.4. Productions

Au terme du projet, tous les élèves ont produit un atlas historique numérique. Pour réaliser une telle production, ils se sont engagés dans des processus complexes qui leur ont notamment donné l’occasion de mobiliser leurs compétences et leurs savoirs en histoire, leur compétence numérique et leurs compétences en littératie (multimodale et informationnelle).

Dans cette section de l’article, trois productions d’élèves sont présentées. Celles-ci ont été sélectionnées parce qu’elles témoignent de la variété des productions réalisées par les élèves durant l’année. Elles présentent, entre autres choses, différentes manières de mobiliser les compétences ciblées par les élèves durant le projet Atlas historique numérique; mobilisations qui laissent croire à un possible développement de ces compétences. De nouvelles analyses seront nécessaires pour confirmer cette hypothèse. Les descriptions générales des productions ici présentées sont accompagnées d’un hyperlien afin de permettre leur exploration.

3.4.1 Premier exemple de production d’élève

Cette première production – Atlas historique numérique – Exemple 1 - répond tout à fait aux attentes en ce qui concerne la présentation finale. L’ensemble des cinq chapitres créés est rassemblé dans un même document et les chapitres sont placés en ordre chronologique, accompagnés d’une introduction et d’une conclusion. Cet exemple est intéressant parce qu’il suggère une possible évolution de la compétence numérique de l’élève, ainsi que de ses compétences en LMM et en littératie informationnelle. Plusieurs indices appuient cette hypothèse. On y observe notamment que la carte présentée au chapitre 1 est dessinée à la main, au crayon de bois, puis prise en photo pour ensuite être numérisée et intégrée au projet. Or, toutes les cartes produites subséquemment démontrent l’utilisation d’outils numériques dès leur création, donc sans aucune trace d’une production analogique. Entre les chapitres 2 et 3, il est également possible d’observer une distinction entre la manière d’annoter les images (couleurs dégradées, contours, remplissage) en comparant les cartes Mésopotamie/Croissant fertile, La Grèce dans le monde Méditerranéen et La Grèce antique. Lorsque l’élève a produit la ligne du temps synthèse en fin d’année, il a utilisé une nouvelle application de création artistique (BAZAART). De plus, tout au long de son projet, il a pris soin de noter ses sources d’informations en fin de chapitre, parfois avec des notices bibliographiques complètes, parfois en insérant les hyperliens des sites consultés. Il est d’ailleurs possible d’observer que les captures d’écran de documents PDF annotés sont adéquatement intégrées à la production dès le chapitre 3. Au chapitre 4, l’élève a également réalisé une production multimédiatique[2] pour laquelle il a inséré un hyperlien dans l’atlas.

3.4.2. Second exemple de production d’élève

La seconde production – Atlas historique numérique - Exemple 2 – est remarquable au regard du travail accompli en histoire (qualité et pertinence des interprétations) et de sa forme. Elle laisse croire à un haut niveau de compétence numérique et de compétences de production en LMM chez l’élève. Chaque section est réalisée, comme cela était exigé, par un outil de traitement de texte (Google Doc – introduction, chapitre 1, 2, 4 et conclusion) ou en annotant des documents PDF (chapitres 3 et 5). Dans l’ensemble, l’élève démontre un souci de cohérence dans la présentation finale soignée de son atlas. Par exemple, toutes les productions (textes, vidéos, images, cartes, lignes du temps) sont intégrées à une présentation de type Google Présentations dans laquelle chaque section, de la page couverture à la quatrième de couverture, est harmonisée. L’élève a aussi pris soin de sélectionner une police d’écriture commune à chaque chapitre. Le thème et l’ambiance d’une page à l’autre forment un tout cohérent et une table des matières est disponible. Si davantage de créativité et d’originalité sont observées dans la production finale de cet élève, celui-ci semble toutefois accorder moins d’importance à la citation adéquate de ses sources d’information, soit par des notes de bas de page ou une bibliographie complète.

3.4.3. Troisième exemple de production d’élève

La troisième production – Atlas historique numérique - Exemple 3 – respecte la forme attendue, mais de manière un peu plus conventionnelle. D’entrée de jeu, une page de présentation classique (et donc très scolaire) fait office de page couverture. Cet élève demeure attaché au papier et au crayon et cela se sent dans sa production. L’ensemble des cartes et lignes du temps produites sont, de fait, presque toutes réalisées à la main, puis prises en photo pour ensuite les numériser. Cela n’enlève toutefois rien au niveau de la qualité des réflexions et des interprétations historiques attendues. C’est plutôt le développement de la compétence numérique qui semble ici moins assuré, du moins comparativement aux exemples 1 et 2 décrits ci-dessus. Il y a tout de même une tentative de travailler les cartes de manière numérique lors du chapitre 3, mais cet élève ne semble pas maîtriser l’outil numérique d’annotation d’images à sa disposition, ce qui s’observe, notamment, au niveau du choix des couleurs et de la technique de coloriage (faire des points au lieu de colorier). Dès le chapitre 2, il est toutefois possible d’observer un travail d’augmentation du texte puisque l’élève intègre à sa production des hyperliens qui redirigent le lecteur vers les sources d’informations ou vers une image en trois dimensions d’un sceau cylindrique mésopotamien; document historique qu’il a textuellement détaillé et pour lequel il était attendu qu’il présente une image. Enfin, il est possible d’observer que l’élève cite ses sources avec de plus en plus de rigueur tout au long de son travail, et par le fait même, tout au long de l’année scolaire, en intégrant même des notes de bas de page dans son quatrième chapitre et une liste des ressources consultées, tantôt sous forme d’URL, tantôt sous forme de notices bibliographiques complètes.

4. Analyse de la perception des élèves quant à leurs compétences

Dans le cadre du projet Atlas historique numérique, des entretiens focalisés ont été réalisés auprès de cinq élèves volontaires (trois filles et deux garçons). Ceux-ci visaient à documenter l’évolution de leur perception de compétence, mais également leur compréhension de la tâche. Les élèves ont été rencontrés à trois moments durant la mise à l’essai du dispositif pédagogique cocréé : au début du projet (novembre), au milieu (avril) et au terme de celui-ci (juin).

Nous discutons, dans cette troisième section de l’article, d’extraits pertinents aux réflexions amorcées quant à la mobilisation de la compétence numérique et des compétences en littératie informationnelle, mais également quant aux réflexions directement liées à l’enseignement-apprentissage de la discipline de l’histoire en contexte numérique. Les constats et observations étant nombreux, d’autres dimensions du projet seront traitées dans des articles à venir, notamment en ce qui a trait à l’apprentissage autorégulé des élèves et à l’apport de la collaboration entre les milieux de la pratique et de la recherche dans le processus de cocréation.

4.1. Compétence numérique

Dès le début du projet, nous avons demandé aux élèves de définir ce qu’était la compétence numérique pour eux. Dans ce groupe, les réponses des garçons, approuvées par les filles, concernaient essentiellement le recours au numérique d’un point de vue technique (« Notre facilité à utiliser les objets numériques »; « Savoir comment utiliser des applications, comment écrire sur une tablette, comment prendre des photos, des trucs comme ça »). Nous comprenons que pour eux, maîtriser la compétence numérique signifie savoir manipuler les outils numériques (appareils, applications, logiciels), ce qui suggère une compréhension du numérique tournée vers l’usage. Des douze dimensions de la compétence numérique, lors de ce premier entretien focalisé, les propos des élèves concernaient principalement le développement de leurs habiletés technologiques et le travail de collaboration avec le numérique.

Pour eux, le développement des habiletés technologiques passait, en début de projet, par la maîtrise du Pluriportail, de l’agenda Studyo, de Photoshop, de Google Slide et, surtout, par l’utilisation de l’iPad. Les propos des élèves rencontrés mettaient en évidence une dichotomie quant à l’expérience passée des élèves :

[Élève 4] Moi, je connaissais pas beaucoup de plateformes parce qu’à mon école, on n’avait pas beaucoup d’électros. C’était plus comme apprendre des petits trucs comme gérer son agenda. Je me suis habituée. C’est devenu facile. Je ne savais même pas que le Pluriportail existait avant.

[Élève 3] Moi, ça a pas vraiment changé. Avant, j’allais à Vision pis on avait nos propres iPad, alors c’est pas vraiment quelque chose de nouveau. Avant, on faisait déjà des projets sur plusieurs plateformes.

Bien que le terme « mêlant » ait été utilisé une fois, dans l’ensemble, les élèves ont parlé de ces habiletés en recourant à un vocabulaire positif et orienté vers l’amélioration (« facile », « familier », « capable de faire » ou « réussir à apprendre »). Deux des participants ont d’ailleurs associé le développement d’une certaine aisance avec ces habiletés à l’aide offerte par certaines personnes de leur entourage (mère, soeur).

À ce propos, il apparaît dans les verbatims des élèves que la collaboration, une deuxième dimension de la compétence numérique, était perçue positivement lorsqu’il était question d’entraide dans le développement de nouvelles habiletés technologiques et de communication durant la réalisation d’une tâche.

[Élève 2] C’est aussi plus facile de communiquer avec le numérique. À la fin, quand c’était pas mal tout fait et qu’on voulait se partager, on a créé une autre diapositive où c’était genre un dialogue. Moi, j’étais en bleu […] pis après ça, on parlait de ce qu’on avait à faire.

Elle était aussi perçue comme une source de défis lorsqu’il était question d’écriture collaborative.

[Élève 4] À un moment donné, y’a une de mes amies qui s’amusait à changer ma diapo de couleurs. J’arrivais pour me pratiquer pis c’était rose flash. Mon texte était genre en vert fluo. Vu que c’est comme sur l’écran, moi, ça me dérangeait pas trop parce qu’on pouvait reculer.

Lorsqu’il a été question de la « production de contenu » avec le numérique, une troisième dimension de la compétence numérique qui a émergé des verbatims, l’opinion des élèves était unanime. Ils considéraient leurs productions numériques plus propres, claires et belles; des mots qu’ils ont réutilisés lors de l’entretien focalisé de fin de projet. Nous comprenons que les élèves associaient ces qualités à différentes caractéristiques des productions multimodales (par exemple : recours à l’image, à la vidéo) et numériques (par exemple : interactivité, animation) :

[Élève 3] Avec le numérique, tu peux faire des effets, tu peux choisir des photos, tu peux mettre des photos, tu peux mettre des transitions, des animations, des vidéos, des mimes. Aussi, si on perd notre feuille, on peut pas genre la retrouver tandis qu’avec le numérique, il y a toujours moyen de la récupérer.

Lors de l’entretien focalisé de fin de projet, les préoccupations des élèves autour de la compétence numérique étaient différentes. Certes, les élèves ont une nouvelle fois fait référence à leurs habiletés technologiques en nommant les outils qu’ils utilisaient (ex : iMovie, CapCut, Pdf Expert, Page, Procreate, écran vert), néanmoins, à ce moment du projet, ils ont concentré leurs propos autour des actions qu’ils posaient avec ces outils (« ajouter des images par-dessus quand on parlait pendant une présentation »; « montage »; « créer un fond d’écran »; « créer et éditer des images »). Cela suggère un changement dans la compréhension par les élèves de leur compétence numérique. Cette compréhension semble ainsi s’éloigner de l’usage de l’outil technologique pour favoriser une appropriation des techniques de production et de création numérique. Ces données nous portent ainsi à penser que le projet Atlas historique numérique, par la variété de ses tâches, a soutenu le développement d’une compréhension élargie de la compétence numérique chez les élèves. Le contexte authentique d’évaluation et le soutien à l’apprentissage (par l’enseignant et par les pairs) semblent avoir guidé l’expérimentation, par les élèves, de différents usages créatifs du numérique.

4.2. Littératie informationnelle

En plus de permettre une réflexion sur le développement de la compétence numérique, les entretiens focalisés nourrissent la réflexion sur le développement des compétences de littératie informationnelle, dont plusieurs trouvent écho aux attendus de la méthode historique et de la démarche historique enseignées par le projet Atlas historique numérique.

Durant le premier entretien focalisé, les réponses des élèves mettaient en évidence certaines de leurs préoccupations conceptuellement rattachées à la littératie informationnelle en environnement numérique. Associées plus spécifiquement à trois dimensions de la compétence numérique, soit celles du « citoyen éthique », de la « pensée critique » et de la « culture informationnelle », les réponses des élèves interrogés faisaient part d’une préoccupation concernant l’évaluation de la fiabilité des sources, l’utilisation éthique de celles-ci, la recherche documentaire et l’apprentissage.

De manière plus spécifique, quatre élèves sur les cinq rencontrés disaient avoir recours au copier-coller dans leurs productions. Ils disaient le faire en citant leurs sources et en encadrant les extraits de guillemets. Le cinquième élève croyait cette pratique « illégale » (élève 2). Parfois, les extraits copiés et collés prenaient la forme d’une phrase, parfois les passages étaient plus longs et l’élève disait y changer quelques mots.

[Élève 4] Moi, j’ai copié le… C’est sur que j’ai changé un ou deux mots pour que ce soit plus dans mes mots à moi, mais j’ai copié l’évènement, genre une catastrophe naturelle que je changeais un peu, pis à la fin, j’écrivais la source.

Caractéristiques des propos des élèves en début de projet, les verbatims de l’entretien focalisé révèlent que les élèves se sont préoccupés de la fiabilité des sources d’information qu’ils ont consultées pour apprendre. Pour eux, si une information se répétait entre différentes sources, elle était fiable. Sans la nommer ainsi, les élèves disaient recourir à la stratégie de triangulation des sources pour évaluer leurs informations. Une certaine méfiance se dégage également des propos des élèves, notamment par rapport à l’utilisation de Wikipédia pour apprendre. Des élèves ont considéré cette encyclopédie collaborative fiable, tandis qu’un autre lui reprochait un manque de rigueur (« Wikipédia, me semble que c’est pas vérifié » [élève 2]). Une telle méfiance a également été relevée quant au parallèle entre l’information textuelle et l’information illustrée. Cette fois, elle faisait l’unanimité au sein du groupe.

[Élève 4] Des images, ça peut être truqué. Un texte, c’est comme une source d’information qui peut pas comme être changée, mais si tu vérifies souvent pis que c’est la même version, c’est que c’est pas mal ça la version qu’on doit prendre si elle a été approuvée par plusieurs personnes.

Lors de l’entretien focalisé de fin de projet, les discussions autour de la littératie informationnelle se sont limitées à l’utilisation des informations consultées dans les productions. Un seul élève y a fait référence en mentionnant qu’il a consulté plusieurs sources lors de la rédaction de ses chapitres et qu’il a validé les informations avec son enseignant s’il doutait de l’information.

Ces données de recherche sont intéressantes en ce sens où elles suggèrent que plus le projet progressait, moins le défi de l’évaluation des sources semblait grand pour les élèves. Nous proposons qu’au fil des cinq chapitres et grâce au soutien de leur enseignant/de leurs pairs, les élèves ont pris confiance en leur capacité à repérer des sources fiables et pertinentes. Cette confiance les aurait poussés à percevoir l’évaluation des informations comme un défi moins impressionnant qu’en début de projet; un défi qu’il ne serait plus nécessaire de mentionner lors de l’entretien de fin d’année.

4.3. Enseignement-apprentissage en histoire

Les entretiens focalisés, tout comme l’ensemble des observations réalisées dans le cadre du projet Atlas historique numérique, permettent de poursuivre la réflexion entamée, lors de la première itération documentée, quant à l’enseignement-apprentissage de l’histoire et le développement des compétences et savoirs qui sont rattachés à cette discipline.

Comme cela a déjà été observé (Parent et al., 2021), les approches didactiques privilégiées, les attendus du projet et le soutien pédagogique mis en place concourent au développement des compétences disciplinaires du programme et à l’appropriation personnelle de savoirs historiques variés[3]. À cet égard, les réponses des élèves, lors de l’entretien focalisé de fin d’année, révèlent l’apport des apprentissages en géographie pour leur compréhension en histoire.

[Élève 3] Au chapitre 5, à mettons, y fallait faire une carte pis c’était quand même facile de, à mettons, repérer le Nil parce qu’en Géographie, on a appris c’est où.

[Élève 1] C’est principalement l’atlas historique qui m’a permis de développer mes compétences sur les plusieurs chapitres qu’on a fait.

Il est aussi heureux de constater de nouveau, et même davantage, que le projet offre un terrain particulièrement propice à l’exercice de la méthode historique et de la démarche historique, en contexte numérique ou non. Plus encore, la mobilisation de la méthodologie de travail propre aux historiens dans le contexte du projet de l’Atlas semble même favoriser l’utilisation et surtout le développement de compétences de LMM :

[Élève 3] Moi, pour les images, pendant l’année, j’ai ajouté une application, ça s’appelle Procreate, pis genre je dessinais dessus pis je faisais des images pis je les intégrais dans le projet.

De sorte, il nous est possible de constater que le domaine de l’univers social (histoire et géographie), dès lors qu’il est soutenu par des pratiques pédagogiques porteuses (comme celles utilisées dans le projet), semble favorable au développement de la compétence numérique et au développement de compétences en littératie. Inversement, l’acquisition de compétences de littératie nous semble essentielle au développement des compétences disciplinaires en géographie et en histoire. L’appropriation de la compétence numérique, bien qu’elle ne soit pas essentielle à l’acquisition de celles-ci, semble aussi avoir un impact positif sur les démarches d’enseignement-apprentissage en classe d’histoire.

Conclusion

Le projet Atlas historique numérique, déjà implanté avant le début de la recherche MultiNumériC, s’est enrichi durant sa seconde itération documentée. En prenant notamment appui sur les forces constatées de la première itération documentée et les questionnements que celle-ci a fait émerger, l’équipe de recherche a exploré de nouvelles assises théoriques rattachées au développement de compétences en littératie (multimodale et informationnelle), de la compétence numérique, et de l’apprentissage autorégulé dans le cadre spécifique de l’enseignement-apprentissage en histoire et en géographie.

Le travail de cocréation a permis de développer plusieurs outils comme des questionnaires, des guides d’entrevue, des formulaires et des grilles permettant une autorégulation des apprentissages. Ceux-ci ont servi à soutenir l’appropriation, par les élèves, des savoirs et des compétences ciblées. Par une analyse détaillée de la planification annuelle du projet Atlas historique numérique, la cocréation a offert un contexte favorable à la réflexion, par l’enseignant, sur sa pratique. Il a ainsi pu développer une compréhension approfondie des assises théoriques derrière les choix pédagogiques qu’il faisait intuitivement.

Au terme du projet, les élèves ont apprécié la possibilité de réaliser une évaluation authentique en travaillant avec leurs collègues de classe. Leurs productions et les données variées collectées tout au long du projet semblent avoir favorisé le développement de leur compétence numérique, de leurs compétences en littératie (multimodale et informationnelle), en plus du développement de leurs savoirs et compétences disciplinaires (histoire et géographie). Des questions demeurent toutefois, notamment autour de la compréhension de la tâche par les élèves, questions auxquelles de prochaines analyses permettront de répondre.