Corps de l’article

1. Introduction

Le dialogue collaboratif désigne un échange où les locuteurs acquièrent des connaissances et approfondissent leur compréhension d’un sujet en résolvant des problèmes langagiers ensemble (Swain et Watanabe, 2013). De nombreuses études antérieures portant sur l’interaction dans une langue seconde (désormais L2) montrent que ce genre de dialogue collaboratif favorise la maîtrise d’une L2 en encourageant la négociation du sens, l’étayage entre pairs, les conversations sur la langue, et la résolution de problèmes (p. ex. Ahmadian et Tajabadi, 2020; Carver et Kim, 2020). Le dialogue collaboratif est particulièrement répandu dans l’écriture collaborative, désignée comme une tâche interactive par Storch (2013) où deux ou plusieurs apprenants ont la possibilité de collaborer à trois moments différents : avant (planification interactive), pendant (écriture collaborative), et après la rédaction d’un texte (révision interactive). Plus précisément, les études antérieures sur la planification interactive (c’est-à-dire, les étudiants qui planifient la structure et le contenu d’un texte avec un pair) démontrent que c’est une occasion propice d’échanger et d’organiser des idées ou le vocabulaire dans la langue cible (Neumann et McDonough, 2015; Kang et Lee, 2019). En bref, ces échanges peuvent mener à un texte moins erroné par rapport à celui qui est planifié individuellement (McDonough et coll., 2019). Pendant la révision interactive, les apprenants travaillent ensemble pour améliorer les textes qu’ils ont écrits individuellement, et cela suscite des discussions métalinguistiques et des suggestions de modifications du contenu (Razak et Saeed, 2014; Woo et coll., 2013).

Malgré les études qui suggèrent que l’écriture collaborative promeut la réalisation réussie de la tâche et le développement langagier (Storch, 2019), il se peut que certains enseignants s'abstiennent de recourir à ces tâches interactives afin d’éviter les conversations hors sujet ou dans la langue maternelle (L1) qui peuvent émerger. Cependant, la L1 peut remplir des fonctions cognitives et sociales pendant l’écriture collaborative en L2 (Payant et Maatouk, 2022). Notamment, on constate des effets bénéfiques tels que générer des idées, se frayer un chemin à travers les exigences d’une tâche ou résoudre des difficultés, ce qui est soutenu par un dialogue efficace dans la L2 (p. ex. Payant et Kim, 2019; Swain et Lapkin, 2013).

La prochaine étape, après avoir convaincu les enseignants des avantages de l'écriture collaborative, c’est de s'assurer que les étudiants les voient également. En effet, leur engagement dans des tâches collaboratives varie en fonction de leurs attitudes à l’égard de l’interaction avec les pairs : les apprenants montrant une disposition positive envers l’interaction fournissent plus de commentaires sur la langue et s’engagent davantage dans des tâches en binôme (Sato, 2017; Sato et McDonough, 2020).

L’objectif de cet article est de présenter un résumé de trois études, menées dans trois classes d’étudiants de français L2, et qui avaient toutes des objectifs distincts. Nous avions pour but de comprendre les attitudes de ces étudiants à l’égard de tâches d’écriture collaborative et de comprendre comment leurs perceptions affectent leur engagement dans les conversations (étude 1); de cerner ce dont les étudiants parlent pendant la planification et la révision interactive afin de savoir s’il existe des effets sur leur écriture ultérieure (étude 2); et de mieux comprendre comment l’anglais contribue au discours pendant l’écriture collaborative (étude 3). À cet effet, dans le présent article nous ferons une brève mise en contexte et une description des tâches qui, dans leur ensemble, représentent le traitement commun des trois études. Par la suite, les résultats principaux de ces trois études seront présentés sous forme de synthèse. Enfin, nous entamerons une discussion des résultats pour terminer avec des pistes suggérées pour les enseignants qui souhaitent engager leurs apprenants dans des tâches d'écriture collaborative.

2. Les étudiants et le contexte d’enseignement

Au total, les trois études comprenaient 65 étudiants répartis en trois classes (un groupe de 24, un de 20 et un de 21) de français L2 de premier cycle dans une université anglophone à Montréal. Étant des étudiants de niveau intermédiaire fort de niveau B2 (Cadre européen commun de référence; Conseil de l’Europe, 2001), le cours visait à les amener au niveau C1 dans les quatre compétences.

S’échelonnant sur une période de treize semaines, les cours ont eu lieu deux fois par semaine et duraient une heure et demie pour un total de 39 heures d’enseignement, où deux cours ont été enseignés par le même enseignant et le troisième cours par une enseignante. Guidé par les directives du ministère de l'Éducation du Québec, le syllabus du cours se focalisait sur les quatre compétences, mais quant à l’écriture, les objectifs tournaient autour de l’expression et le soutien des opinions et des solutions, l’élaboration des rapports de causes à effets et la grammaire.

3. Les tâches d’écriture collaborative

Au cours d’un semestre de treize semaines, les étudiants ont fait quatre productions écrites : deux productions qui ont fait partie de l’intervention (le traitement), ainsi que deux autres, l’une avant et l’autre après le traitement. Ces deux dernières ont servi de pré-test et post-test afin de vérifier l’efficacité de l’intervention. Toutes les productions ont suivi la même démarche : visionner une courte vidéo comme introduction au sujet (10 minutes), planifier un texte d’opinion (7 à 10 minutes), rédiger le texte (40 minutes) et réviser (7 à 10 minutes).

Pour le pré-test (troisième semaine) et le post-test (douzième semaine), les étudiants ont travaillé seuls tout au long de la démarche détaillée ci-dessus. Les sujets étaient les fausses nouvelles et l’intelligence artificielle, respectivement. Quant à l’intervention pédagogique (cinquième et neuvième semaines), les étudiants ont été répartis en trois classes (détaillés ci-dessous) et ils ont écrit deux rédactions d’opinion face aux énoncés suivants : « Le déchétarisme est un phénomène qui vise à éviter le gaspillage alimentaire » et « Les personnes tatouées subissent une discrimination à l’emploi ». Chaque classe a travaillé avec un partenaire à différentes étapes du processus d'écriture : une classe a été désignée pour prendre part à des discussions de planification (le groupe planification interactive : 24 étudiants ; études 1 et 2), une autre a participé à une écriture collaborative (le groupe écriture collaborative : 20 ; études 1 et 3) et la dernière a pris part à des révisions interactives (le groupe révision interactive : 21 ; études 1 et 2). Les groupes de planification interactive et de révision interactive ont rédigé leurs textes individuellement, mais ont planifié ou révisé un texte avec un partenaire selon leur regroupement. Les étudiants du groupe de l’écriture collaborative ont planifié, écrit et révisé leur texte avec un pair.

4. Analyses des données effectuées

L’interaction lors des tâches collaboratives a été enregistrée, permettant aux chercheurs de transcrire et de vérifier les conversations avant de les analyser. Pour les trois études, les discussions transcrites ont été codées en fonction de différentes catégories selon le but de chaque étude (p. ex., catégories linguistiques, sociocognitives), celles-ci seront détaillées dans les résultats où les données quantitatives seront présentées. Dans la première étude, nous avons fait un test de corrélation de Pearson entre les scores au questionnaire et la proportion des mots consacrée à chaque sujet de conversation métalinguistique (p. ex., la grammaire, l’organisation). Dans la deuxième étude, pour déterminer si l’écriture individuelle des étudiants s’est améliorée au cours du semestre, toutes les rédactions qui ont servi de pré-test et de post-test ont été évaluées avec une grille d’évaluation créée par les chercheurs avec six catégories qui correspondaient aux critères d’évaluation du cours et aussi aux attentes du ministère de l'Éducation du Québec : le contenu (la qualité et la pertinence des idées et le développement d’idées), l’organisation globale et la cohérence (la structure des paragraphes, l’ordre logique des idées, les transitions), l’orthographe et la morphologie grammaticale (l’exactitude grammaticale), la syntaxe (la variété et la complexité de la structure des phrases), l’orthographe lexicale (la précision de l’orthographe) et le vocabulaire (la variété lexicale, la pertinence et le registre). Chacune de ces six catégories a été évaluée selon un barème à quatre niveaux : très satisfaisant (B2), satisfaisant (B1), presque satisfaisant (A2) et insatisfaisant (A1). Les scores du pré-test et du post-test ont été comparés séparément pour chaque classe en utilisant un test des rangs signés de Wilcoxon (un test t pour échantillons appariés non-paramétriques). Dans la troisième étude, nous présentons des données descriptives pour examiner l’utilisation de l’anglais dans les conversations.

5. Résumé des résultats

5.1. Étude 1 : Les attitudes des étudiants à l’égard des tâches d’écriture interactive

Nous partageons ici un résumé des résultats de McDonough et coll. (2022b) qui, rappelons-le, était une étude menée avec les étudiants des trois classes (et par conséquent, il comprenait les trois tâches interactives), ayant pour but d’étudier si les attitudes des apprenants à l’égard de la collaboration était liée à ce dont ils ont parlé pendant la tâche. Pour mesurer leurs attitudes à l’égard des tâches interactives, les étudiants ont rempli un questionnaire au début du semestre sur ce sujet (voir l’annexe A). Composé de 17 affirmations, les étudiants ont indiqué sur une échelle de Likert à quel point ils étaient en désaccord ou en accord, entre pas du tout d’accord (1) et tout à fait d’accord (6), avec les affirmations divisées en cinq thèmes : l’interaction avec les pairs (les attitudes générales envers le travail en groupe en classe), la collaboration pour apprendre une langue (les croyances sur les avantages de la collaboration pour le développement d’une L2), la forme grammaticale (le degré d’attention qui est centré sur le langage pendant la collaboration), la mise à disposition de critiques (les attitudes envers le fait de donner des remarques constructives aux pairs), et l’accueil de critiques (les attitudes envers la réception des remarques constructives de pairs). Les scores du questionnaire variaient de 58 à 93 (sur 102), avec une moyenne de 76.69.

Les résultats (coefficient de corrélation r) révèlent que les étudiants avec un score plus élevé au questionnaire (soit ceux qui avaient des attitudes plus positives envers les tâches interactives en général) avaient une tendance à parler moins de contenu (r = –0.28), et de parler plus de la grammaire et du lexique (r = 0.29). En d’autres mots, il semble que les étudiants avec un regard plus positif sur la collaboration sont les plus enclins à s’engager dans une conversation sur la langue. Par conséquent, si les enseignants souhaitent que les étudiants parlent davantage de grammaire et de vocabulaire lors de tâches collaboratives, il serait avantageux de les sensibiliser à l'importance de la collaboration pour le développement d’une L2. Pour souligner sa valeur, la deuxième étude met en lumière un lien potentiel entre la collaboration et le développement de l’écriture en L2.

5. 2. Étude 2 : Sujet de conversation lors d’une planification et révision interactive

Alors que la première étude montre que le sujet de la discussion peut varier selon des différences individuelles (attitudes), il peut aussi changer entre les différentes étapes du processus d'écriture. À cet effet, nous partageons un résumé des résultats de McDonough et coll. (2022a) qui a été effectuée avec les étudiants dans la classe de planification interactive et la classe de révision interactive. Cette deuxième étude avait pour but d’examiner ce dont les étudiants parlaient pendant la planification et la révision interactives, et aussi la façon dont ces deux activités contribuent à l’écriture individuelle. Dans les deux classes, la chercheure n’a pas donné des consignes spécifiques quant à la procédure ou au format de la planification, mais les étudiants ont reçu une liste des questions directrices sur le contenu, l’organisation, la grammaire et le vocabulaire pour les guider pendant la révision (p. ex., chacun des paragraphes contient-il une phrase clé pour développer votre idée ? Mes accords sont-ils bien respectés ?). Les étudiants dans la classe planification interactive ont planifié leur texte avec un pair (environ 10 minutes) avant de l’écrire et de le réviser individuellement (50 minutes). Par ailleurs, les étudiants dans la classe révision interactive ont planifié et ont écrit leur texte individuellement avant de le réviser avec un pair (environ 10 minutes). Pendant la première révision interactive (semaine 5), les binômes ont révisé le texte d’un seul partenaire et pendant la deuxième révision interactive (semaine 9), ils ont révisé le texte de l’autre.

Les résultats démontrent que pendant la planification des textes au cours des deux tâches (semaines 5 et 9), les étudiants parlaient du contenu et de la structure la plupart du temps (92 % et 96 % en moyenne, respectivement) par rapport aux discussions sur la grammaire et le lexique (2 % et 3 % en moyenne) ou autre (3 % et 6 % en moyenne). Par exemple, dans cet échange entre Julie et Marie, codé comme contenu, elles planifient ce qu’elles allaient écrire dans leurs textes en lançant des idées relatives à une solution permettant d’éviter le gaspillage alimentaire :

Julie : Alors c'est quoi une autre solution pour cet enjeu ?
Marie : Uh les magasins peut-être uh doivent avoir une—comme une section de uh magasins où c'est comme les uh les les nourritures qui ont passé leur date uh mais c'est comme [discount] ?
Julie : uh c'est moins cher ?
Marie : Oui

En ce qui concerne le groupe de révision interactive, ils se sont concentrés plus sur la grammaire et le lexique (19 % et 43 % en moyenne, semaines 5 et 9, respectivement) et autre (46 % et 28 % en moyenne), mais beaucoup moins sur le contenu et la structure (30 % et 22 % en moyenne) en comparaison à ceux qui ont planifié ensemble.

Puisque les discussions métalinguistiques pendant l’écriture collaborative peuvent contribuer à la performance des étudiants et leur apprentissage de la langue (Fernández Dobao, 2012), le second but de l’étude visait à examiner si la collaboration avant et après la rédaction exerçait une influence sur le développement de l’écriture. Pour ce faire, les scores de leurs productions réalisées entièrement individuellement (le pré-test et le post-test) ont été comparés. Une comparaison de la qualité de ces deux textes (semaines 3 et 12) révèlerait si une amélioration s’est produite dans leur écriture individuelle grâce à la pratique de planification ou de révision avec un pair (semaines 5 et 9). Les données montrent que pour ceux qui avaient planifié avec un pair, leurs textes écrits individuellement se sont améliorés sur les plans de la grammaire et du lexique (une augmentation en moyenne de quatre points sur 45, p = .01, d = .83), mais la qualité du contenu n’a pas changé (p = .84, d = .01). En revanche, il n’y avait pas de changement au fil du temps, ni en grammaire ni en contenu, pour ceux qui avaient révisé avec un pair (ps > .313, ds < .15).

En combinant ces résultats, on constate que seule la planification interactive a semblé contribuer au développement de l’écriture (c.à.d., où un lien entre la planification du contenu d’un texte et les améliorations langagières ont été observées). D’un autre côté, la révision interactive peut offrir aux étudiants une occasion de discuter de la grammaire et du vocabulaire. Malgré qu’il existe cet avantage potentiel à long terme pour le développement de l'écriture, certains enseignants hésitent encore à intégrer des tâches d'écriture collaborative, en supposant que les étudiants passeront à une autre langue, l'anglais ou une L1, ce qui entraînerait des discussions improductives. Pourtant, on ne sait pas dans quelle mesure cela est vrai. À quelle fréquence parlent-ils l’anglais pendant les tâches collaboratives en français et à quelles fins ? La troisième étude avait pour but d'explorer cette question.

5. 3. Étude 3 : Le rôle de l’anglais dans l’écriture collaborative

Impliquant la classe d’écriture collaborative (20 étudiants) où les étudiants ont collaboré pendant les trois étapes du processus d’écriture pendant une heure (planification, rédaction et révision), nous partageons ici un résumé des résultats de Lindberg et coll. (2022) où la visée de cette étude était de discerner dans quelle mesure les étudiants utilisent l’anglais lorsqu’ils rédigeaient en français avec un partenaire. La deuxième étude a examiné les sujets de conversation avant et après l’écriture d’un texte, mais l’analyse n’a pas fait la distinction entre le discours en français et le discours en anglais. Nous tentions alors de mettre en lumière le rôle de l’anglais dans des discussions lors de l’écriture collaborative en français. Puisque cette étude comptait des étudiants ayant l’anglais comme L1 (13) et L2 (7), nous cherchions à comprendre si l’anglais était utilisé à des fins différentes, ou bien dans une mesure différente, selon qu'il s'agissait de leur langue maternelle ou non.

Une auxiliaire de recherche a codé l’utilisation de l’anglais dans leurs discussions transcrites en fonction des huit catégories sociocognitives suivantes (voir l’annexe B pour des exemples) : la gestion des tâches, la grammaire, les idées (p. ex., présenter des idées, des solutions), le vocabulaire (p. ex. chercher des mots, questionner le sens des mots), l’orthographe, l’organisation, l’interaction interpersonnelle (p. ex., participer à une conversation hors sujet), et les marqueurs de discours (p. ex., like [comme], so [donc], actually [en fait]). Le nombre de mots anglais pour chaque catégorie a été additionné séparément pour ceux qui ont l'anglais comme langue maternelle et pour ceux qui ne l’ont pas.

Quant aux résultats, les étudiants ont dit 158 mots en anglais en moyenne pendant chaque tâche : 13 % du discours des anglophones L1 comprenaient des mots anglais, alors que l’anglais représentait 9 % du discours des étudiants parlant l’anglais comme L2. Ensuite, les données révèlent que la fonction principale de l’anglais parlé était de transmettre une idée. En effet, 35 % et 25 % de tous les mots en anglais dits par les anglophones et non-anglophones, respectivement, avaient pour fonction d’exprimer un concept ou une solution qui a ensuite contribué au contenu de leur rédaction. Contrairement à la catégorie vocabulaire où ils négocient le bon mot en français, l’anglais dans cet exemple (codé comme idées) a remplacé les mots en français qu’ils ne connaissaient pas, leur permettant de compléter leur phrase en français et d’exprimer entièrement leur idée :

Laura :

Oui parce qu’il y a des gens qui achètent beaucoup et more than they require [plus qu’ils n’en ont besoin] beaucoup qu'ils ont besoin de et ça aussi les magasins doit donner les produits pour les homeless people [les personnes sans domicile fixe].

Dans cet exemple, Laura veut expliquer une solution afin d’éviter le gaspillage alimentaire, mais elle recourt à l’anglais pour faire référence aux personnes sans domicile fixe, ce qui l'a aidée à compléter son idée quand elle n’avait pas les mots en français pour se faire comprendre.

Ensuite, pour tous les étudiants, les deux autres catégories d’usage les plus importantes sont la discussion du vocabulaire (19 % et 15 % des mots anglais des anglophones et non-anglophones, respectivement) et la gestion des tâches (19 % et 16 % des mots anglais). Dans la plupart des cas, quand les étudiants ont passé à l’anglais pour diriger l’activité d’écriture, ils le faisaient en phrases entièrement en anglais, comme dans cet exemple où Ami essaie de faire avancer la tâche en disant qu’elles corrigeront la grammaire ultérieurement :

Jia : Oui...est-ce que vidéo féminin ou masculin? Un vidéo la vidéo?
Ami : We’ll come back to that. We're like editing it afterwards [Nous y reviendrons. Nous le corrigeons après]

En ce qui concerne les autres fonctions de l’anglais pour les anglophones et non-anglophones, respectivement, ils se sont servis de l’anglais pour discuter des marqueurs de discours (11 % et 10 %), de la grammaire (5 % et 8 %), de l’orthographe (2 % et 3 %), et de l’organisation (3 % et 6 %). Finalement, seulement 8 % du discours en anglais a été attribué à la conversation hors sujet, ce qui réfute l’idée commune chez les enseignants que l’anglais parlé pendant les tâches interactives mène à une discussion improductive. Au contraire, l’anglais a contribué à atteindre plus facilement l’objectif de la tâche (la production écrite) – les étudiants arrivaient à clairement exprimer leurs idées en ajoutant des mots anglais lorsque les mots français ne leur venaient pas à l’esprit ; ils ont résolu des difficultés lexicales en français en fournissant la traduction en anglais ; ils ont parlé l’anglais afin de clarifier les consignes ou avancer la tâche pour rester sur la bonne voie.

6. Conclusion

Grâce à ces trois études, on comprend mieux non seulement ce qui se passe pendant les tâches d’écriture collaborative entre des étudiants de français L2 et le rôle de leurs attitudes envers ces tâches, mais aussi comment ces tâches sont favorables au développement de l’écriture. Le résumé des résultats de notre première étude suggère que ce seront les étudiants montrant les attitudes les plus positives envers les tâches interactives qui s’engageront le plus dans la discussion de la grammaire et le lexique. Puisque notre questionnaire est court, il pourrait être distribué facilement aux apprenants au début du semestre non seulement pour amorcer une discussion sur la collaboration pendant le processus d’écriture, mais aussi pour sonder qui pourrait être plus enclins à s’engager dans des conversations sur la langue par opposition au contenu (voir l’annexe A pour le questionnaire). Avec les résultats du questionnaire, les enseignants peuvent placer en binôme les étudiants avec un score plus élevé (orientation positive) avec un étudiant qui a reçu un score plus bas, pour encourager une discussion plus profonde sur la langue. À la suite de cette recherche, il serait important d'étudier la relation entre cette orientation positive vers la collaboration et la motivation des apprenants pour voir comment les deux peuvent influencer les conversations pendant les tâches interactives.

La deuxième étude indique que les conversations sur le contenu ou les idées étaient les plus récurrentes pendant la planification, tandis que les révisions interactives semblaient être plus propices aux discussions sur la grammaire et le lexique. En outre, les étudiants qui avaient participé à la planification interactive ont démontré une amélioration dans la grammaire et le lexique de leurs rédactions individuelles au cours du semestre. Sachant cela, il se peut que le fait d’avoir du temps pour planifier le contenu et organiser leurs idées pour une rédaction ait laissé aux étudiants plus de temps et de ressources cognitives pour se concentrer sur la grammaire pendant l’écriture du texte, ce qui pourrait contribuer à l'amélioration des compétences linguistiques au fil du temps (voir Abrams et Byrd, 2016 et Johnson et Nicodemus, 2016 pour des études sur la planification). Toutefois, il y a aussi des avantages à avoir recours aux révisions interactives qui sont une occasion de discuter et de poser des questions sur la langue, permettant aux étudiants d’acquérir de nouvelles connaissances et de renforcer leurs compétences langagières (Lantolf, 2011; Storch, 2013; Swain, 2006). Pour aider les étudiants à appliquer les remarques de leurs pairs aux futures tâches d'écriture, les enseignants pourraient les aider à mieux intégrer leur contenu en leur demandant de noter les problèmes linguistiques négociés, afin que ces questions puissent être abordées dans l'enseignement futur. Par exemple, les apprenants peuvent dresser une liste des problèmes linguistiques discutés dans un document électronique partagé avec l’enseignante pour qu’elle puisse vérifier l’exactitude de l’information sur la liste et adresser des difficultés linguistiques récurrentes en classe.

Finalement, s'appuyant sur les résultats obtenus de la deuxième étude et sur des recherches antérieures montrant que l'exécution des tâches ainsi que l'apprentissage d'une L2 bénéficient aux discussions sur la langue et aux idées pendant l’écriture collaborative (p. ex. Fernández Dobao, 2012), nos conclusions de la troisième étude suggèrent que d’autres ressources linguistiques que la langue cible peuvent contribuer à ce discours. Dans notre cas, l’anglais a principalement servi à transmettre des idées, aidant à maintenir une discussion collaborative. Puisque l’anglais les a aidés à trouver des mots en français, à gérer la tâche et à communiquer leurs idées, il se peut qu’ils n’aient pas réussi à accomplir la tâche avec autant d’efficacité et précision sans l’aide de leur répertoire linguistique complet (Zhang, 2018). Cela ne veut pas dire que les enseignants devraient encourager les étudiants à parler en anglais pendant l’écriture collaborative en français, mais plutôt qu’il n’est pas forcément nécessaire de l’interdire.