Corps de l’article

1. Contexte

Les écoles québécoises francophones comptent dans leurs rangs un nombre grandissant d’élèves issus de l’immigration en processus d’apprentissage de la langue d’enseignement, le français (CTREQ et MEQ, 2021). Les profils de ces élèves, qu’on peut qualifier de bi/plurilingues, sont marqués par une grande hétérogénéité. Ils ont effectivement des répertoires linguistiques variés au sein desquels, bien souvent, le français constitue une langue additionnelle (Lx).

Pour favoriser l’intégration linguistique, scolaire et sociale des élèves bi/plurilingues issus de l’immigration à l’école québécoise francophone, les centres de services scolaires sont tenus de mettre en place des services d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français (MELS, 2014). L’organisation de ces services peut notamment prendre la forme de classes d’accueil fermées ou encore de soutien linguistique. Dans ce dernier modèle de services, très présent hors de la métropole montréalaise, par exemple dans la ville de Québec, les élèves reçoivent un enseignement du français Lx tout en intégrant progressivement la classe ordinaire dans quelques disciplines, selon leur niveau scolaire et linguistique (De Koninck et Armand, 2012).

Pour les élèves bi/plurilingues, le fait d’être scolarisés dans une Lx représente un double défi, la langue d’enseignement étant à la fois un objet et un vecteur d’apprentissages. Ils doivent ainsi développer simultanément des compétences langagières en français et des savoirs disciplinaires enseignés dans cette langue (Verdelhan-Bourgade, 2002). Ce défi est d’autant plus grand pour les élèves qui intègrent tardivement le système scolaire (Mc Andrew et coll., 2015), entre autres parce que les savoirs disciplinaires à développer sont davantage complexes (Garcia et Wei, 2014). Pour effectuer des apprentissages dans différentes disciplines, les élèves doivent maitriser la langue scolaire, qui s’éloigne de la langue qu’ils utilisent au quotidien et qui est notamment caractérisée par des structures de phrases plus complexes et du vocabulaire moins fréquent et plus spécialisé (Schleppegrell, 2004). Le développement du vocabulaire scolaire, plus précisément, constitue donc une pierre d’assise de l’apprentissage de la langue scolaire (August et coll., 2016).

Les pratiques d’enseignement en soutien linguistique, dont celles ayant trait à l’enseignement du vocabulaire scolaire, ont été peu explorées jusqu’ici au Québec. En effet, les rares études québécoises ayant porté sur l’apprentissage du français Lx par des élèves bi/plurilingues au secondaire ont été menées auprès d’élèves en classe d’accueil (p. ex., Armand et Maynard, 2021; Armand et Saboundjian, 2016), et ce, sans s’attarder spécifiquement à l’enseignement-apprentissage du vocabulaire. Ces études font néanmoins ressortir le potentiel d’approches plurilingues, qui mobilisent les différentes langues du répertoire des élèves, pour favoriser leur apprentissage du français. Dans cet ordre d’idées, l’étude ici présentée cherche à répondre à la question suivante : Comment favoriser l’enseignement-apprentissage du vocabulaire scolaire en soutien linguistique au secondaire en prenant appui sur le répertoire plurilingue des élèves ?

2. Cadre théorique

Le vocabulaire joue un rôle crucial pour la compréhension en lecture et la réussite scolaire (Pellicer-Sanchez, 2013). Ainsi, les enseignants de Lx et, plus largement, les enseignants des différentes disciplines gagneraient à intégrer l’enseignement du vocabulaire à leurs pratiques habituelles, et ce, quotidiennement (Nation, 2008). Dans cet esprit, une attention devrait tout particulièrement être portée au vocabulaire scolaire, qui se décline en deux catégories : 1) le vocabulaire transdisciplinaire, qui inclut les mots utilisés dans les différentes disciplines scolaires (p. ex., hypothèse, réponse), les connecteurs logiques et de relation (p. ex., puis, parce que) et les mots de fonction communiquant une intention (p. ex., comparer, résoudre) ; et 2) le vocabulaire spécifique à une discipline, nécessaire pour comprendre un concept (p. ex., atome, photosynthèse) (Short et Echevarria, 2016). En raison du vocabulaire spécifique utilisé et de la complexité des textes à lire, les sciences sont souvent identifiées par les élèves comme la discipline la plus difficile en contexte de Lx (Brown et coll., 2006).

Les connaissances lexicales des élèves, notamment en ce qui a trait au vocabulaire scolaire, se manifestent sous deux formes : l’étendue de leur vocabulaire, soit le nombre de mots dont ils connaissent le sens, et la profondeur de leur vocabulaire, associée à une compréhension élargie des mots et cruciale pour la compréhension en lecture (Zhang et Zhang, 2022). Alors que l’étendue se limite le plus souvent à l’établissement d’un lien forme-sens (Schmitt, 2014), un enseignement du vocabulaire en profondeur repose sur la prise en compte de plusieurs aspects de chacune des trois composantes des mots, c’est-à-dire leur sens, leur forme et leur usage (Nation, 2013). Le sens des mots peut par exemple être enseigné au moyen d’images, de définitions, de synonymes et de champs lexicaux. La forme, quant à elle, correspond à la prononciation des mots, à leur orthographe et à leur structure morphologique (p. ex., affixes). Enfin, l’usage des mots consiste en leur utilisation dans divers contextes, à l’oral comme à l’écrit, ce qui implique entre autres le recours approprié à différentes collocations.

Tant en langue première (L1) qu’en Lx, les chercheurs s’intéressant au développement en profondeur du vocabulaire préconisent son enseignement direct (Beck et coll., 2013; Van Orman et coll., 2021). Visant la rétention de mots spécifiquement choisis grâce à des interventions ciblées, un tel enseignement peut être guidé par différents principes didactiques théoriques. Une synthèse d’articles publiés dans deux revues professionnelles destinées aux enseignants en contexte anglophone nord-américain révèle que, le plus souvent, une perspective socioconstructiviste oriente les pratiques d’enseignement direct du vocabulaire diffusées (Moody et coll., 2018). Dans cette perspective, l'enseignant fournit aux élèves un étayage approprié et leur propose des tâches qui les amènent à interagir et à collaborer pour construire leurs apprentissages à partir de leurs connaissances antérieures. Chez les élèves bi/plurilingues, ces connaissances antérieures incluent nécessairement des connaissances développées dans d’autres langues que la langue d’enseignement, celles-ci gagnant donc à être légitimées et utilisées en classe.

En contexte pluriethnique, la mobilisation des différentes langues des élèves est associée à l’utilisation d’approches plurilingues qui, misant sur le recours aux répertoires linguistiques pluriels des élèves, revêtent un potentiel considérable pour favoriser leurs apprentissages et leur engagement (Armand et coll., 2008). Ces approches soutiennent effectivement les transferts de connaissances et d’habiletés d’une langue à l’autre (Cummins, 2021). Dans le domaine du vocabulaire et dans une perspective socioconstructiviste, elles sont associées à des pratiques d’enseignement impliquant des interactions dans plusieurs langues, des traductions et des comparaisons interlinguistiques, notamment pour faire ressortir la présence de congénères. Par exemple, dans une étude menée auprès d’élèves hispanophones de 8 à 10 ans apprenant l’anglais comme Lx, August et coll. (2016) montrent qu’un enseignement direct du vocabulaire au moyen de traductions et de l’identification de congénères au cours d’interactions orales gagne à être effectué avant la leçon disciplinaire venant mobiliser les mots ciblés. L’intervention expérimentée impliquait également de fournir la définition des nouveaux mots et de les ajouter à une carte conceptuelle et à un glossaire personnel. Cela dit, August et coll. rappellent que le temps disponible en classe est insuffisant pour enseigner préalablement tous les nouveaux mots dont les élèves ont besoin dans leur parcours scolaire. Le développement de l’autonomie des élèves dans l’apprentissage du vocabulaire apparait dès lors nécessaire (Nation, 2013). Pour ce faire, puisqu’elles permettent explicitement aux élèves de faire des liens entre les nouveaux mots appris et leurs connaissances lexicales antérieures dans toutes leurs langues, les approches plurilingues constituent un levier intéressant. Enfin, sur le plan socioaffectif, ces approches peuvent agir comme tremplins pour favoriser le « plaisir des mots » (Armand et Maraillet, 2015, p. 49) chez les élèves de même qu’un climat de classe engageant, susceptible d’engendrer des apprentissages lexicaux (Charamba, 2020; Tremblay et Gagné, 2022).

L’intégration des approches plurilingues dans les pratiques d’enseignement peut toutefois se heurter à des freins dans les milieux scolaires. En raison de certaines croyances quant à l’enseignement-apprentissage des Lx (Borg, 2015), les enseignants peuvent entre autres remettre en doute la pertinence de pratiques s’écartant d’une norme monolingue (Payant et Bell, 2022). En ce sens, des travaux soulignent que la mise en oeuvre d’approches plurilingues dans les milieux scolaires francophones fait l’objet de réticences et est bien souvent l’apanage de certains enseignants qui osent s’éloigner des pratiques traditionnellement utilisées (Maynard et Thibeault, 2023). Ces réticences peuvent s’observer dès la formation initiale des enseignants en Lx (Woll, 2020). Ainsi, bien qu’elles s’appuient sur des constats de recherche documentés depuis plusieurs années, des activités plurilingues permettant un enseignement direct du vocabulaire scolaire peuvent se révéler novatrices pour les enseignants. S’intéresser à ce qu’ils pensent de telles activités s’avère donc éclairant.

Dans la recherche-action faisant l’objet de cet article, dans un premier temps, nous cherchions à brosser le portrait des besoins d’enseignants de soutien linguistique en ce qui a trait à l’enseignement du vocabulaire en français Lx auprès d’élèves bi/plurilingues au secondaire. Dans un deuxième temps, en fonction de ce premier objectif, nous souhaitions concevoir des activités plurilingues d’enseignement du vocabulaire scolaire spécifique de sciences et documenter leur mise à l’essai.

3. Méthodologie

Adoptant un devis qualitatif, cette recherche-action s’est déroulée de mai 2021 à janvier 2022. Quatre enseignants oeuvrant en soutien linguistique au secondaire dans un centre de services scolaire de la région de Québec y ont participé. La première enseignante, Gaëlle[1], est diplômée en enseignement du français Lx et oeuvre dans ce domaine depuis trois ans. La deuxième enseignante, Julie, est diplômée en littérature et en enseignement du français Lx. Elle a enseigné le français L1 avant de passer, il y a quinze ans, au français Lx. Le troisième enseignant, Pierre, est formé en enseignement du français L1 au secondaire. Il a enseigné 17 ans dans ce domaine, puis s’est réorienté vers l’enseignement du français Lx il y a 5 ans. La quatrième enseignante, Coralie, est formée en enseignement du français Lx et enseigne dans ce domaine depuis 5 ans. Tous les participants ont le français comme langue maternelle et l’anglais comme Lx, à l’exception de Coralie qui compte également l’espagnol comme Lx.

Pour répondre au premier objectif de recherche, chaque participant a pris part à un entretien individuel d’environ une heure. Des questions d’ordre général et de relance ont été posées, telles que Quels sont les défis de vos élèves concernant l'apprentissage du vocabulaire ? Qu’est-ce qui vous aiderait à mieux enseigner le vocabulaire? Un questionnaire administré en ligne a également permis de recueillir des informations sociodémographiques sur les participants.

Pour répondre au deuxième objectif de recherche, sous la supervision de la chercheuse principale et de la doctorante coordonnant le projet, deux étudiantes de troisième année dans un baccalauréat en enseignement du français langue seconde ont, à titre d’auxiliaires de recherche, conçu trois activités d’enseignement du vocabulaire scolaire spécifique de sciences : la Carte sémantique, le Grimoire et la Fleur plurilingue. En plus d’être basées sur l’analyse des données collectées auprès des enseignants lors du premier entretien, ces activités étaient fondées sur les connaissances formant le cadre conceptuel de la recherche. Les trois activités ont ensuite été expérimentées dans trois groupes d’élèves en soutien linguistique, soit ceux de Gaëlle, Julie et Pierre. L’animation des activités a été prise en charge par les deux étudiantes auxiliaires de recherche, les enseignants adoptant quant à eux une posture d’observation active.

Enfin, pour répondre au troisième objectif de recherche, les trois enseignants ayant ouvert leur classe à la mise à l’essai des activités ont participé à un deuxième entretien individuel. Des questions portant sur leur appréciation des activités ont été posées, comme Pensez-vous que ces activités d’enseignement du vocabulaire ont eu des effets chez les élèves ? Si oui, lesquels ? Que pensez-vous de l’utilisation des langues du répertoire linguistique des élèves lors de ces activités ?

Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2021). Plusieurs rondes de lecture et de codage des verbatims des deux séries d’entretiens ont ainsi été effectuées par les membres de l’équipe de recherche afin de faire émerger différents constats.

4. Résultats

4.1. Portrait des besoins des enseignants

Parmi les besoins concernant l’enseignement du vocabulaire en français Lx exprimés par les enseignants lors du premier entretien, cinq ont été nommés par au moins trois enseignants sur quatre : 1) travailler le vocabulaire spécifique de sciences ; 2) proposer aux élèves un outil personnalisé pour consigner les nouveaux mots appris ; 3) disposer de matériel clé en main ; 4) recourir à des activités permettant une différenciation sur le plan linguistique et 5) disposer de matériel adapté pour des adolescents en contexte de Lx. Ce sont donc ces besoins que nous souhaitions satisfaire par les trois activités conçues et mises à l’essai dans le projet.

4.2. Description des activités conçues et expérimentées

Visant l’enseignement du vocabulaire scolaire spécifique de sciences au premier cycle du secondaire, les trois activités conçues dans le cadre de la recherche ont été expérimentées au sein d’une seule période de 75 minutes dans chacun des trois groupes de soutien linguistique ayant pris part à la mise à l’essai. Le choix de procéder ainsi a été fait en fonction de considérations logistiques liées aux contraintes des milieux scolaires, et non en fonction de considérations didactiques concernant la manière optimale d’exploiter les activités créées.

La Carte sémantique (Figure 1) a pour objectif, d’une part, d’activer les connaissances antérieures des élèves et d’entamer avec eux la discussion sur de nouveaux concepts. Elle vise, d’autre part, à susciter leur curiosité à propos du thème abordé et à stimuler leur engagement dans leur apprentissage du vocabulaire concerné. Réalisée en groupe-classe et reposant sur de nombreuses interactions orales principalement avec l’enseignant, la Carte sémantique consiste à écrire un mot au tableau (p. ex., gène), autour duquel s’ajoutent d’autres mots et expressions qui y sont reliés (p. ex., maladie génétique, génome, test sanguin), et ce, dans les langues du choix des élèves. Lors de l’activité, ceux-ci sont par ailleurs encouragés à consulter différentes ressources (p. ex., cahier d’exercices de sciences, notes de cours de sciences, Google Traduction).

Figure 1

La Carte sémantique (classe de Julie, 23 novembre 2021)

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Le Grimoire (Figure 2) vise à développer la profondeur du vocabulaire pour les mots importants associés au concept plus général abordé. Pour ce faire, un même mot est travaillé sous trois aspects. En lien avec le sens, les élèves doivent rédiger une définition personnelle du mot à l’étude et dire ce à quoi il leur fait penser (p. ex., autres mots, anecdotes personnelles). En lien avec la forme, les élèves doivent traduire le mot à l’étude dans différentes langues et trouver des mots de même famille. En lien avec l’usage, les élèves doivent trouver la classe du mot à l’étude et rédiger des phrases en français et dans d’autres langues en intégrant ce mot. Dans une perspective socioconstructiviste, afin de s’entraider et de poursuivre à l’oral leur apprentissage du vocabulaire de sciences, les élèves sont placés en dyade, et chaque dyade travaille sur un mot différent. Les élèves peuvent alors interagir dans les langues de leur choix. Ensuite, chaque dyade enseigne aux autres élèves le nouveau mot qu’elle maitrise en profondeur. Cela permet de constituer progressivement, au sein du groupe, un glossaire commun présentant des mots appartenant au vocabulaire scolaire spécifique de sciences.

Figure 2

Le Grimoire (classe de Gaëlle, 16 novembre 2021)

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La Fleur plurilingue (Figure 3), adaptée de la Fleur des langues (ELODiL, 2010), vise à approfondir la maitrise du lien forme-sens pour les mots enseignés. Dans cette activité, les élèves écrivent sur des pétales de fleur les mots nouvellement appris dans différentes langues, dont les langues de leur répertoire. Ces mots peuvent alors faire l’objet de comparaisons. Venant valoriser les connaissances des élèves dans plusieurs langues et la diversité linguistique plus largement, cette activité d’éveil aux langues permet une fois de plus de favoriser les interactions orales entre les élèves et d’entretenir le plaisir d’apprendre de nouveaux mots (Armand et Maraillet, 2015 ; Tremblay et Gagné, 2022).

Figure 3

La Fleur plurilingue (classe de Pierre, 11 novembre 2021)

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4.3. Commentaires des enseignants après la mise à l’essai des activités plurilingues

Les trois enseignants ayant pris part à la mise à l’essai (Gaëlle, Julie et Pierre) ont mentionné d’emblée que les activités avaient généré des émotions positives chez leurs élèves. Ils les ont notamment décrits comme « enthousiastes » et « pleinement engagés dans les tâches ». Par ailleurs, les trois activités expérimentées ont été jugées intéressantes et utiles par les enseignants. Gaëlle a particulièrement apprécié l’activité du Grimoire, qui permettait de « réutiliser de plusieurs façons le même mot et d’effectuer quelques recherches ». Selon elle, cette activité favorisait donc la profondeur du vocabulaire et le développement de l’autonomie des élèves, en leur fournissant un outil personnalisé permettant la consignation du nouveau vocabulaire appris. Plus généralement, « la polyvalence et la flexibilité des activités [ainsi que leur] réutilisation facile pour d’autres thèmes, d’autres matières, d’autres mots » lui ont également plu. Pour sa part, bien qu’elle ait trouvé que toutes les activités étaient appropriées pour travailler le vocabulaire auprès de la population ciblée, Julie a aussi spécialement apprécié le Grimoire. À son avis, cette activité permettait de rencontrer efficacement un double objectif : celui de travailler à la fois le contenu disciplinaire de sciences et la langue. Plus spécifiquement, elle a remarqué que ses élèves étaient très impliqués dans la tâche de formulation d’une définition personnelle des mots étudiés et que la traduction de ces mots les avait beaucoup motivés. Quant à Pierre, il a souligné l’intérêt des trois activités, qui entrainaient des échanges entre les élèves et sollicitaient les langues de leur répertoire linguistique, en plus de favoriser le développement de compétences transversales (p. ex., coopérer, communiquer de façon appropriée).

Les trois enseignants ont identifié des éléments des différentes activités expérimentées susceptibles de teinter leurs pratiques à l’avenir. Le discours de Gaëlle laisse à penser que le fait d’enseigner des mots en profondeur avant que soit abordé un contenu disciplinaire en classe ordinaire continuera de guider ses pratiques d’enseignement. Selon elle, cela rend les élèves plus confiants et compétents dans des contextes d’apprentissage similaires à ceux des classes ordinaires. Pour choisir les mots à travailler en soutien linguistique, elle souhaiterait collaborer avec les enseignants disciplinaires. Elle anticipe néanmoins des difficultés pour y arriver, notamment en raison de contraintes de temps. De son côté, Julie retient le regard nouveau qu’elle porte sur les bénéfices de solliciter les interactions entre les élèves et l’usage des langues de leur répertoire linguistique. Également, selon elle, proposer des tâches diversifiées, nouvelles et de longueur variable suscite activement l’intérêt des élèves. Enfin, pour Pierre, travailler des mots et des concepts préalablement au cours de sciences est une démarche particulièrement intéressante, lui qui enseigne habituellement ce vocabulaire « en mode rattrapage ». Il affirme son intention, dorénavant, de répéter cette façon de faire. Comme Gaëlle, il souligne cependant que cela comporte de nombreux enjeux, tels que la collaboration entre l’enseignant de soutien linguistique et les enseignants disciplinaires.

Fait intéressant à noter, les trois enseignants ont nommé plusieurs avantages de permettre à leurs élèves d’utiliser l’ensemble des langues de leur répertoire linguistique. Parmi les consensus se dégageant de leurs propos sur ce thème se trouve l’idée que cela facilite l’enseignement à la fois de la forme et du sens des mots, contribuant ainsi à les aborder plus en profondeur. De plus, les enseignants affirment que cela soutient la compréhension des élèves tout au long de la réalisation des activités. Selon les trois enseignants, le recours aux différentes langues des élèves permet également un plus grand engagement dans la tâche, visible à travers l’enthousiasme et la curiosité qu’ils manifestent. Toutefois, malgré des bénéfices identifiés par l’ensemble des enseignants, seule Gaëlle dit ne pas voir d’inconvénients à l’utilisation des langues du répertoire linguistique des élèves. Les deux autres enseignants émettent en effet des réserves. Ils mentionnent en ce sens l’importance de « bien doser l’usage des autres langues pour ne pas qu’elles deviennent la langue de l’activité » ou encore « que les activités ne deviennent pas des exercices de traduction ».

Enfin, les trois enseignants ont alimenté nos réflexions quant aux améliorations à apporter aux activités que nous avons conçues et expérimentées. Afin que les élèves soient plus exposés au vocabulaire scolaire et qu’ils le maitrisent plus en profondeur, l’importance de prévoir des activités de réinvestissement des mots travaillés a été mentionnée par Gaëlle et Pierre. Dans un autre ordre d’idées, Julie a souligné la pertinence de se concentrer non seulement sur le vocabulaire lié aux concepts étudiés en classe ordinaire, mais aussi sur les mots fréquemment employés pour discuter de ces concepts plus largement. Selon elle, « souvent, les mots qui vont poser problème, c’est pas les grands concepts scientifiques, c’est les mots autour de ces concepts-là ». Elle conclut en soulignant qu’il ne faut pas perdre de vue l'objectif des élèves d’avoir une bonne compréhension des textes disciplinaires authentiques, ce qui rappelle toute la pertinence de travailler l’utilisation des mots étudiés en contexte.

5. Discussion et conclusion

La pertinence des trois activités conçues et expérimentées, soit la Carte conceptuelle, le Grimoire et la Fleurplurilingue, se dégage des commentaires principalement positifs recueillis lors des entretiens. Certaines améliorations pourraient néanmoins être apportées aux activités pour les bonifier. Par exemple, à l’instar de dispositifs mis à l'essai auprès d’adultes apprenant une Lx (Dubiner, 2017), afin de rendre les élèves plus autonomes, le Grimoire aurait le potentiel de devenir un carnet de vocabulaire personnalisé auquel ils ajouteraient des mots selon leurs besoins et dans leurs différentes langues, donnant ainsi un sens plus grand aux apprentissages réalisés.

Par ailleurs, la question de la place à accorder au répertoire linguistique des élèves dans les activités d’enseignement du vocabulaire divise les enseignants. Tous y sont ouverts, mais à des degrés divers : alors que Gaëlle n’y voit aucun inconvénient, Julie et Pierre ont des avis plus partagés. Pourtant, les approches plurilingues présentent de nombreux avantages sur les plans cognitivolangagier et socioaffectif (Armand et coll., 2008). Elles peuvent notamment faciliter la compréhension du contenu disciplinaire par les élèves et développer chez ces derniers un sentiment de compétence et de justice sociale plus élevé (Charamba, 2020). À cet égard, nous remarquons que, contrairement à ses deux collègues, Gaëlle est une enseignante nouvellement intégrée « sur le terrain ». Ainsi, ses pratiques et ses croyances quant au recours à des approches plurilingues sont susceptibles d’être plus arrimées aux résultats de travaux scientifiques récents et d’être porteuses d’un renouveau. Quoi qu’il en soit, ce constat met en lumière un besoin de formation continue sur les approches plurilingues et leur intégration aux pratiques des enseignants, notamment en soutien linguistique.

Quant aux deux étudiantes au baccalauréat en enseignement du français langue seconde ayant participé à ce projet, en plus de leur permettre de s’initier à la recherche, cette expérience les a encouragées à faire des liens entre la théorie vue en cours et les pratiques d’enseignement mises en oeuvre dans les milieux scolaires. Plus spécifiquement, sachant que des réticences vis-à-vis de pratiques d’enseignement s’éloignant d’une norme monolingue sont présentes tant chez les enseignants en exercice (Payant et Bell, 2022) que chez ceux en formation (Woll, 2020), cette expérience pourrait avoir contribué au développement ou au renforcement de croyances et de pratiques (Borg, 2015) soutenant la mise en oeuvre d’approches plurilingues pour enseigner le français Lx aux élèves bi/plurilingues.

Comme dans bien d’autres travaux, le nombre restreint de participants à cette recherche-action nous invite à faire preuve de discernement quant aux conclusions à tirer des données recueillies. Ainsi, il revient aux lecteurs de ce texte de juger du potentiel généralisable de la présente recherche aux contextes les intéressant (Spada, 2005). De plus, bien que les enseignants aient remarqué des effets positifs des activités expérimentées sur l’engagement des élèves et leur apprentissage du vocabulaire, aucune mesure systématique n’en a été faite, notre recherche-action étant plutôt de nature descriptive et exploratoire.

Enfin, les résultats de cette recherche offrent des implications concrètes pour la salle de classe. Le vocabulaire étant intimement associé à la compréhension en lecture et, par conséquent, à de nombreux apprentissages scolaires (Pellicer-Sanchez, 2013), les enseignants gagneraient à l’intégrer à leurs pratiques d’enseignement habituelles. Qui plus est, dans plusieurs milieux scolaires québécois, la prise en compte des besoins linguistiques des élèves bi/plurilingues issus de l’immigration semble trop souvent incomber aux seuls enseignants de français Lx. Or, sachant que l’apprentissage de la langue scolaire, dont le vocabulaire fait partie, prend en moyenne de 4 à 7 ans en Lx (Collier, 1989), il apparait tout à fait pertinent de lancer un appel à la responsabilité partagée de son enseignement (Van Orman et coll., 2021). Concrètement, il serait notamment profitable d’encourager la concertation entre les enseignants de soutien linguistique et les enseignants disciplinaires (Querrien, 2017). Cela dit, on peut penser qu’au terme de leur formation initiale, ces derniers sont peu formés à enseigner les contenus langagiers associés à leur discipline. Dès lors, d’autres études empiriques pourraient mesurer les effets de dispositifs d’enseignement du vocabulaire scolaire mis en place par des enseignants disciplinaires, à la suite d’une formation et en concertation ou non avec des enseignants de français Lx, sur les apprentissages des élèves. De telles études contribueraient aux connaissances scientifiques sur la réussite scolaire des élèves bi/plurilingues issus de l’immigration, facilitant ainsi leur intégration réussie dans les milieux scolaires.