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Comment les soins palliatifs ont-ils évolué en contexte pédiatrique au cours des vingt dernières années et quels sont les enjeux actuels liés aux spécificités de ces pratiques ? L’état des lieux dans les écrits scientifiques reflète le besoin de mieux comprendre la culture palliative et les particularités de son déploiement en contexte pédiatrique. Les résultats dont nous rendons compte dans cet article ont servi au développement de notre nouveau programme de recherche et représentent pour nous une contribution au dialogue, à la réflexion et à l’apprentissage collectif par l’analyse de l’expérience vécue au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine de Montréal depuis 1999. Notre posture pour cette première étape est ancrée dans le modèle dialogique qui mobilise, entre autres, la réflexion et la communication comme habiletés à enrichir et valoriser dans nos pratiques et nos interactions à l’intérieur et à l’extérieur de notre institution (Patenaude et al., 2001). Plus spécifiquement, nos études en cours ont pour but de consolider les valeurs pédagogiques au cœur de nos contributions aux formations professionnelles universitaires en santé ainsi que de nos interventions et projets collaboratifs avec des acteurs et milieux engagés auprès des jeunes et des familles en soins palliatifs pédiatriques.

Tout en admettant la réalité de la multiplicité des perspectives, nous savons depuis plusieurs années que différentes manières de définir et de comprendre les soins palliatifs confondent parfois les patients, leurs proches, les soignants et la population en général (St-Laurent-Gagnon et al., 2008). Par exemple, il ne semble pas souvent clair pour les familles à qui sont offerts des soins palliatifs pédiatriques (SPP) que l’on distingue les soins palliatifs des soins de fin de vie et que ces soins ne sont pas offerts que dans les milieux spécialisés, notamment les maisons de soins palliatifs (De Clercq et al., 2017 ; Saad et al., 2022). En milieu hospitalier pédiatrique, les soins palliatifs sont des interventions complémentaires aux soins à visée curative qui devraient être mis en place dès le diagnostic, y compris lorsque des traitements à visée curative sont maintenus. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, ces soins ont l’objectif d’accompagner les patients atteints d’une maladie grave, apaiser leurs souffrances et soutenir leurs proches (World Health Organization, 2020). Ils incluent, sans s’y limiter, les soins de fin de vie ; ils peuvent être dispensés sans égard au pronostic vital à condition que les patients et les proches se sentent à l’aise d’y avoir recours (Bogetz et al., 2019 ; Mitchell et al., 2020 ; National Consensus Project for Quality Palliative Care, 2004 ; O’Shea et Bennett Kanarek, 2013). Les interventions en SPP sont constituées de soins et de services complémentaires et offertes par des équipes multidisciplinaires et interprofessionnelles composées de médecins, de personnel infirmier, de professionnels et d’intervenants en soutien psychosocial et spirituel. Ces derniers offrent des soins et des services adaptés aux besoins individuels, aux préférences, aux valeurs, à la culture et aux croyances des patients et de leurs proches (National Consensus Project for Quality Palliative Care, 2004).

Le Québec est reconnu comme l’un des pionniers où l’instauration des SPP en milieu hospitalier s’est organisée dès les années 1990 (Widger et al., 2016). Les SPP n’y sont pas mobilisés qu’en fonction de l’espérance de vie : la complexité ou la rareté des maladies dont les enfants sont atteints, alliées à une pluralité d’options thérapeutiques dans certains domaines, amplifient l’incertitude pronostique. Cette incertitude est désormais la norme dans la prise en charge d’enfants vivant avec des conditions de santé graves (Children’s International Project on Palliative/Hospice Services, 2001). Ainsi l’American Academy of Pediatrics suggère que les soins palliatifs pédiatriques (SPP) soient offerts dès le diagnostic et maintenus aussi longtemps que cela est pertinent au cours de la trajectoire de vie du patient par des équipes interprofessionnelles (Committee on Bioethics et Committee on Hospital Care, 2000 ; Dalberg et al., 2018 ; Sisk et al., 2020 ; Wolfe et al., 2022). En milieu hospitalier tertiaire, de nombreux patients souffrent d’une maladie limitant possiblement leur espérance de vie. Ces milieux ont besoin de ressources spécialisées dont des structures de soins palliatifs qui n’y sont toujours pas systématiquement intégrées malgré les impacts positifs démontrés de ces ressources.

Les publications récentes sur les SPP rendent compte des défis actuels en recherche qui sont nombreux, complexes et touchent plusieurs dimensions des pratiques : la formation spécialisée pour tous les soignants en pédiatrie (Peng et al., 2017) ; le financement et les infrastructures cliniques et de recherche, l’intégration de modèles fondés sur des perspectives et compétences interdisciplinaires ou interprofessionnelles : la résolution de problèmes, la prise de décision, l’intervention et l’organisation logistique des soins (Feudtner, 2007 ; Postier et al., 2018) ; l’identification et la dissémination des meilleures pratiques, d’indicateurs pertinents pour l’évaluation de la qualité et de lignes directrices pour résoudre les enjeux éthiques spécifiques aux SPP (Filion et Schell, 2019) ; l’accès aux soins, la fluidité et la continuité dans les soins de fin de vie et dans les transitions entre le domicile, l’hôpital et les milieux communautaires de soin et de répit, ainsi que la préparation et le soutien au deuil en partenariat avec les organismes communautaires (Boles et Jones, 2021 ; Boyden et al., 2018 ; Van Breemen et al., 2020 ; Wool, 2013) ; la centralité des patients relativement à leur meilleur intérêt et à leur place dans les processus décisionnels (De Clercq et al., 2017 ; Wool, 2013) ; la résolution des conflits, les compétences communicationnelles et les représentations de l’espoir pour les patients, leurs proches et les soignants (Akard et al., 2021 ; Archambault-Grenier et al., 2018 ; Coulourides Kogan et al., 2015 ; De Clercq et al., 2017 ; Fonseca et al., 2021 ; O’Shea et Bennett Kanarek, 2013 ; Rosenberg et Wolfe, 2017 ; Sisk et al., 2020). Plus spécifiquement, les chercheurs soulignent l’importance d’aller au-delà de l’identification des problèmes et des barrières pour se concentrer sur la définition, le développement et la dissémination de pratiques efficaces, tout en prenant en compte les réalités contextuelles changeantes dans les pratiques médicales, les politiques de santé et les représentations sociales (Feudtner et al., 2019 ; Sisk et al., 2020 ; Zhang et Li, 2021).

Après les vingt premières années de développement des SPP au CHU Sainte-Justine, nous avons conçu un programme de recherche basé sur les questions soulevées par les intervenants cliniques dans notre organisation. Nous avons intégré les principaux enjeux contemporains identifiés par la communauté scientifique internationale en SPP, en particulier la compréhension de la demande clinique et du potentiel d’accroissement et de pérennisation des pratiques (Benini et al., 2022 ; Rogers et al., 2021). Nous ancrons l’ensemble de notre programme dans notre posture d’engagement relativement au fait que l’accès universel aux services palliatifs est formellement établi comme un droit par l’Organisation mondiale de la Santé (Axelsson, 2022 ; World Health Organization, 2020). Cet article présente les bases de notre programme ainsi que les résultats de nos premiers travaux exploratoires.

CONTEXTE

Le CHU Sainte-Justine est le seul établissement de santé francophone dédié exclusivement aux enfants, aux adolescents et aux mères au Québec. Ses professionnels prodiguent des soins et offrent des services spécialisés et ultraspécialisés de niveau tertiaire au Centre hospitalier et au Centre de réadaptation Marie-Enfant, tous deux situés à Montréal. Son équipe comprend plus de 500 médecins, dentistes et pharmaciens, 5 500 employés dont plus de 1 500 infirmières et des centaines de chercheurs, d’étudiants, de stagiaires et de bénévoles.

L’Équipe Espoir est l’équipe de SPP du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ). Créée en 1999, cette équipe interdisciplinaire est composée d’un pédiatre spécialisé en SPP à temps plein, d’un médecin à temps partiel, de deux infirmières et d’une infirmière praticienne spécialisée. Elle intègre également des chercheurs et étudiants en sciences de la santé et en recherche pour réaliser trois missions complémentaires et caractéristiques d’un centre hospitalier universitaire : l’offre de soins spécialisés, la recherche et l’enseignement. L’équipe travaille en collaboration étroite avec les professionnels offrant des services en psychologie, travail social et soutien spirituel ainsi qu’avec les membres de chaque service spécialisé où elle intervient.

Ce modèle se distingue de celui des maisons de soins palliatifs par l’équipe de consultation mobile se déplaçant dans les divers milieux de soins du centre hospitalier et non d’un secteur spécifique dans l’hôpital où sont admis les patients. En effet, les équipes traitantes conservent leur lien avec les patients et leurs proches, et les membres de l’équipe Espoir s’ajoutent aux équipes comme consultants en fonction des besoins pour offrir des soins, des services ou des conseils. Il arrive aussi que les interventions de l’équipe ne visent que les soignants pour leur fournir des informations, de la formation, des conseils ou du soutien dans des situations plus difficiles (Marquis et al., 2019 ; Marquis et Ullrich, 2018). L’Équipe Espoir travaille régulièrement avec d’autres équipes du CHU Sainte-Justine : l’Unité d’éthique clinique et organisationnelle pour résoudre des situations plus complexes sur le plan éthique, l’équipe de soins complexes, spécialisée dans la prise en charge des patients avec des conditions chroniques complexes et la clinique de la douleur, qui offre des soins longitudinaux aux patients dont la gestion de la douleur nécessite une expertise avancée. Elle est aussi en contact avec plusieurs organisations communautaires offrant divers services de répit, de soins de fin de vie ou de soutien au deuil (ex. Le Phare Enfant-Famille), des organismes comme Leucan (cancer pédiatrique) ou Préma-Québec (prématurité) et des services pédiatriques dans des hôpitaux hors de la région de Montréal.

Le programme de recherche S2P20 a été développé sous le paradigme de la recherche-intervention et comprend plusieurs études parallèles. Ses objectifs principaux sont la production d’un bilan des vingt premières années de SPP au CHU Sainte-Justine et d’un balisage visant à identifier les axes de développement pour les dix années à venir incluant la production d’indicateurs de contrôle de la qualité des pratiques ainsi que développement de formations pour les professionnels de diverses disciplines en sciences de la santé et activité de transfert des connaissances en milieux hospitalier, académique et communautaire et auprès du grand public. Dans cet article, nous présentons des résultats liés à deux objectifs spécifiques : 1) tracer un portrait critique de l’évolution des requêtes de consultation à l’échelle institutionnelle depuis 1999 selon les secteurs de spécialité et 2) décrire les enjeux centraux devant orienter la recherche du point de vue des praticiens.

MÉTHODES

L’approche des méthodes mixtes est mobilisée pour atteindre nos deux objectifs qui s’inscrivent dans le protocole de recherche du projet S2P20 qui a été approuvé par le comité d’éthique de la recherche du CHU Sainte-Justine (Creswell, J. W. et Creswell, J. D., 2017). Les exigences du comité éthique relativement à l’anonymisation des données et l’absence de conflits d’intérêts de l’équipe de recherche ont été rencontrées.

Étape 1 : portrait statistique descriptif du déploiement des pratiques à partir des requêtes de services dans l’institution depuis vingt ans. Le portrait de l’évolution des requêtes de consultation est produit à partir d’une banque de données retraçant tous les cas ayant fait l’objet d’au moins une intervention par l’Équipe Espoir de 2000 à 2020. Cette banque comprend des variables sociales, cliniques et médicales provenant des archives médicales centrales et des archives de suivi de l’Équipe Espoir et nous utilisons un nombre limité de variables pour cette analyse descriptive, car certaines données ne sont pas encore complètement traitées et intégrées à la base de données (variables validées utilisées : origine sectorielle et année de la requête initiale, âge du patient, nombre de jours entre la première et la dernière consultation, statut de survivance). Il n’y a pas de critère d’exclusion. Des analyses statistiques descriptives ont été réalisées pour l’analyse et l’interprétation dans les entretiens de l’étape 2 décrite ci-après.

Étape 2 : ébauche d’une narration collective. Les acteurs centraux qui ont été ou sont actuellement actifs au sein de l’Équipe Espoir ont participé à des entretiens dans le contexte de rencontres de groupe et individuelles tenues entre août 2020 et mai 2022. Pour cette étude, nous avons procédé à une analyse thématique exploratoire des entretiens avec 7 participants qui ont été recrutés selon la méthode de l’échantillonnage raisonné basé sur la pertinence, l’expertise et la crédibilité (Campbell et al., 2020). Ils ont ou ont eu plusieurs fonctions institutionnelles (médecine spécialisée, direction de service, recherche en santé et en éthique, soins infirmiers en SPP) et ont tous joué ou jouent encore un rôle central dans la conception, le développement, la mise en œuvre, l’encadrement et l’évaluation des SPP au CHU Sainte-Justine.

Après avoir lu et signé un formulaire d’information et de consentement, ils ont participé à des entretiens semi-directifs, d’une durée de 60 à 90 minutes, basés sur une grille comprenant quatre sections auxquelles ils répondaient dans une perspective de témoignage d’expert ou dans une perspective critique et analytique selon le cas. Pour cette analyse, trois sections des entretiens sont utilisées : 1) point de vue individuel sur l’histoire et l’évolution des SPP au CHU Sainte-Justine, 2) interprétation des résultats statistiques produits à partir de la base de données, 3) enjeux considérés comme les plus importants pour la recherche, la formation, et l’amélioration de la qualité des soins et des services.

Les échanges ont été enregistrés de manière audionumérique et chaque participant a pu revoir la transcription de la ou des rencontres auxquelles il a participé afin d’en valider le contenu s’il le désirait. Cette révision a été faite selon l’approche constructiviste et collaborative dans le but d’assurer la rigueur du processus de cueillette et de traitement des données et de créer un lien de confiance avec les participants qui avaient à discuter de sujets parfois très sensibles (Hagens et al., 2009). À la suite de leur relecture, des modifications mineures ont été faites aux transcriptions (correction ou précision de certains termes, maquillage de données nominatives). Le contenu des entretiens a été analysé à l’aide du logiciel NVivo en combinant l’analyse structurelle (sections des entretiens et sous-thèmes abordés dans les questions) et inductive (thèmes émergents dans les réponses) afin de dégager des thèmes centraux visant à produire une première version exploratoire d’une narration collective basée sur la comparaison et le contraste (Nasheeda et al., 2019 ; Wolcott, 1994). Trois codeurs de profils disciplinaires différents (éthique, psychologie, sociologie) dont une experte en analyse qualitative assistée par ordinateur et deux étudiantes ayant reçu une formation ont codé et revu chaque entretien pour valider le codage et la définition des codes en effectuant des ajustements mineurs au besoin (Hemmler et al., 2022 ; Jackson et Bazeley, 2019). Les résultats statistiques, les opinions des personnes interviewées et les contenus critiques provenant des publications scientifiques récentes sur les tendances centrales en SPP ont fait l’objet de triangulation afin de produire des rubriques narratives thématiques présentées dans la prochaine section (Farmer et al., 2006).

RÉSULTATS

Portrait descriptif de l’évolution des requêtes de services au CHU Sainte-Justine (1999-2020)

Développé en 1999 par un petit groupe de cliniciens très engagés, le dispositif de service en SPP au CHU Sainte-Justine a reçu ses premières requêtes de consultation officielles au début de 2000. D’abord initié en collaboration étroite dans le service d’hématologie-oncologie, le service s’est déployé progressivement dans l’ensemble des secteurs de l’institution (ex. le centre hospitalier et le centre de réadaptation). Un portrait de l’évolution des requêtes initiales indique une tendance à la croissance avec toutefois des fluctuations à certaines périodes. Les données représentées dans la figure suivante qui couvre la période 2000-2020 incluent 910 cas ne rendent pas compte de toutes les interventions de l’équipe, mais uniquement des requêtes initiales excluant les interventions de suivi, les interventions initiées par l’équipe (consultation auprès de l’administration, des autorités gouvernementales, d’autres centres hospitaliers et d’organisations communautaires, formations, communications, transfert des connaissances et représentations, ces activités n’étant pas encore toutes intégrées à la base de données). On constate que le nombre de consultations a rapidement et régulièrement progressé à partir de 2000 (3 requêtes) pour atteindre un pic en 2011 (75 requêtes), puis elles reflètent une baisse en 2012 (40 requêtes) suivie d’une stabilité relative avec de légères fluctuations d’une année à l’autre (42 à 56 requêtes par année).

Figure 1

Évolution des requêtes initiales répertoriées par l’Équipe Espoir.

Évolution des requêtes initiales répertoriées par l’Équipe Espoir.

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Les principaux secteurs d’où proviennent les requêtes depuis 2000 sont l’hématologie-oncologie (33 %), la pédiatrie générale (17 %), les soins intensifs pédiatriques (14 %) et la néonatologie (11,4 %). Un petit nombre de requêtes ont été émises par des milieux externes (pédiatrie en communauté, services pédiatriques à l’extérieur de la région de Montréal), phénomène qui reste marginal proportionnellement, mais qui indique l’existence d’un besoin dans la communauté pédiatrique. Par ailleurs, en consultant les archives sur le nombre de décès annuels pendant la période, on constate que le nombre de consultations ne reflète pas le nombre de décès dans chaque secteur. Par exemple, le service de néonatologie compte un peu plus de la moitié des décès en moyenne pour la période, mais seulement 11 % des requêtes en SPP alors que le service d’hématologie-oncologie, où ne surviennent qu’environ 10 % des décès, représente le tiers des requêtes en SPP.

Les patients concernés par ces requêtes étaient âgés entre moins d’un an à 24 ans au moment de la requête (moyenne d’âge de 8,3 ans ; médiane : 6,6 ans). Ils ont été suivis en soins palliatifs pendant une période allant d’un jour à 10,5 ans (moyenne : 24 semaines). Lors de la saisie de données, 37,7 % des enfants enregistrés depuis le début de la période étaient des survivants.

Enjeux centraux pour la pratique, la formation et la recherche

Les enjeux centraux décrits par les répondants à partir de leur expérience clinique et des éléments qu’ils considèrent comme prioritaires en recherche ont été identifiés par l’analyse transversale des thèmes générés par l’encodage des entretiens. Ils ont été structurés en 10 rubriques thématiques constituant la base du travail de narration collective en cours. Afin d’éviter les répétitions, nous rappelons que le développement du contenu de chaque rubrique doit être compris dans le contexte d’un milieu hospitalier de soins tertiaires qui est le cadre dans lequel nous avons élaboré ces enjeux. Pour plus de clarté, nous avons choisi la forme narrative dans les sections suivantes où les thèmes sont identifiés en caractères gras et les sous-thèmes sont soulignés. Des citations représentatives ont également été sélectionnées pour chaque thème.

Thème 1 : Les besoins des patients suivis en milieu hospitalier tertiaire. Plusieurs types de ressources organisationnelles sont engagées dans les soins, les services, le soutien et le répit pour les patients et les familles suivis en SPP. La plupart d’entre eux ont des besoins particuliers sur le plan médical, professionnel et pharmacologique. Dans de nombreux cas, l’hospitalisation en milieu ultraspécialisé est nécessaire pour leur survie et leur sécurité. Les enfants nés prématurément en sont un exemple ; leur survie dépend d’un soutien technologique qui peut inclure les incubateurs, le support ventilatoire et l’assistance alimentaire, de jeunes immunosupprimés devant être dans des milieux aseptisés à la suite d’une greffe ou d’un traitement ou de patients ayant subi une chirurgie exigeant un suivi postopératoire à l’hôpital. Pour ce type de patients, l’alternative des soins à domicile ou dans une maison de soins palliatifs n’est pas possible, du moins pendant une certaine période, lorsque les objectifs de soins combinent une vision curative à une optique de confort. D’autres patients et leurs proches préfèrent être suivis par l’équipe soignante de l’hôpital avec qui ils ont développé des liens affectifs et de confiance souvent pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Par ailleurs, plusieurs familles dont l’enfant est en fin de vie formulent le souhait de demeurer à l’hôpital entouré de soignants qu’ils connaissent. De plus, il arrive que pour certains patients, la disponibilité de ressources alternatives dans leur région de résidence n’existe pas ou soit très limitée. Enfin, le contexte familial, incluant le cadre de vie, les dispositions des parents et de la fratrie et les limites des ressources et de la disponibilité de la famille dans le rôle de soignants font que pour des raisons matérielles, économiques, psychologiques, sociales ou culturelles, le choix se porte sur l’hospitalisation ou le suivi par le centre hospitalier. Dans tous ces cas, le modèle humaniste et holistique de l’Équipe Espoir, dans un rôle de consultation qui se greffe à l’équipe traitante est une option bien adaptée pour assurer l’accès et la liaison à des soins et des services répondant bien aux besoins des patients et des proches.

« On a réalisé assez rapidement que l’équipe de soins palliatifs c’était une équipe qui était très utile pour la liaison, c’était aussi surtout, selon moi, une équipe qui était importante pour assurer une continuité à travers les différents cheminements qu’une famille peut vivre, notamment dans l’hôpital ou à l’extérieur de l’hôpital. Et donc on a surtout commencé à impliquer l’équipe de soins palliatifs quand un patient allait quitter et puis aller dans un autre… un autre hôpital, aller aux soins intensifs ou sur les étages de pédiatrie ou bien quitter pour la maison, ou même aller [à la maison de soins palliatifs pédiatriques] Le Phare. On s’est dit là c’est important qu’il y ait un point d’ancrage, et puis que ce point d’ancrage soit l’équipe de soins palliatifs. » (BOQB)

Thème 2 : Les particularités pédiatriques des soins palliatifs et soins de fin de vie. La philosophie, l’approche et les pratiques de soins palliatifs en contexte pédiatrique en font une culture médicale qui se distingue sous plusieurs dimensions des pratiques de soins palliatifs offerts aux adultes. D’abord, la majorité des patients pédiatriques sont des personnes mineures pour lesquelles l’autorité parentale est primordiale, ce qui n’exclut pas qu’ils soient informés de leur condition et qu’ils jouent un rôle actif dans les processus décisionnels au fil de leur cheminement (en fonction d’âge et de la capacité). L’incertitude pronostique en pédiatrie mène les milieux cliniques à offrir des soins palliatifs le plus tôt possible dans une trajectoire de vie afin de s’assurer que les patients et leurs proches ont tous les soins, les services et les ressources dont ils ont besoin pendant un cheminement souvent long et complexe. Les interventions précoces facilitent la prise de contact avec l’équipe de SPP et le développement du lien thérapeutique en évitant de reporter les premières interactions jusqu’à la phase de fin de vie, voire de mort imminente. De plus, une importante proportion des enfants et adolescents suivis en soins palliatifs sont des survivants, bien que certains d’entre eux restent fragiles, considérés à risque de récidive ou de rechute selon leur pathologie et que plusieurs vivent avec des séquelles exigeant diverses formes de soins. Enfin, les soins de fin de vie sont une sous-catégorie distincte dans la gamme de soins et services offerts et ne sont pas amalgamés mécaniquement à la notion plus générale de soins palliatifs orientée vers le contrôle de la douleur, l’apaisement de la souffrance, le soutien psychosocial et spirituel, l’optimisation du bien-être et de qualité de vie et l’accompagnement décisionnel.

« Il faut effectivement faire de la pédagogie pour montrer que les soins palliatifs pédiatriques c’est autre chose, que ça part très tôt, que ce n’est pas lié à la mort automatiquement et que c’est surtout pas à confondre avec la phase terminale. La phase terminale fait partie des soins palliatifs. » (OBIV)

Thème 3 : La centralité de l’enfant. Bien que certaines interventions soient réalisées uniquement avec les parents (ex. dans le contexte de décisions anténatales à la suite d’un diagnostic grave ou pour offrir des conseils relativement à l’expérience de la fratrie) ou avec les soignants (ex. dans un processus de résolution de conflits ou pour offrir du soutien face à la détresse morale), la majorité des consultations sont centrées sur l’enfant ou l’adolescent. Les interventions, les soins et les ressources visent à identifier ses besoins, objectifs et préférences et à y répondre de manière optimale en les adaptant selon les circonstances et l’évolution de la maladie pendant la trajectoire de vie. La complexité des interventions et des décisions à prendre peut provoquer un stress important chez les proches. Des tensions peuvent survenir à propos de choix ou de décisions qui interpellent profondément les personnes relativement à leurs valeurs, leurs croyances, leur culture et leurs représentations de la maladie et de la perspective d’un décès possible ou probable. Tout en tenant compte des multiples points de vue parfois contradictoires des proches et des soignants, les intervenants en SPP orientent les actions et les discussions de manière à maintenir le patient au centre de la dynamique. Ils doivent donc bien connaître le patient, ses proches et son équipe soignante afin de s’assurer que l’intérêt primordial du patient est toujours pris en compte en privilégiant sa parole, ses opinions et ses choix lorsque cela est possible (en fonction de l’âge et de la condition).

 « À un moment donné, il faut savoir qui est notre patient, car on va être plus impressionné par ce qui a dit le père, la mère, le frère, la sœur et tout, puis le patient est en train de souffrir dans son lit. Et pour moi c’est très important. » (OBIV)

Thème 4 : La douleur et la souffrance/le bien-être et la qualité de vie. L’action de l’équipe de SPP est fortement orientée vers deux grandes visées. D’une part, il est essentiel d’identifier et de contrôler les symptômes physiques, incluant la douleur sous toutes ses formes (liée à une maladie, à une procédure, etc.). Il est aussi important de comprendre les sources de souffrance chez le patient et ses proches afin de l’apaiser, quelle qu’en soit la forme (souffrance psychologique, émotionnelle, spirituelle, sociale, existentielle, etc.), en tenant compte de l’aspect développemental de l’enfant sur son expérience de la souffrance, qui est une expérience profondément subjective. D’autre part, il est primordial de faire tout ce qui est possible pour assurer le bien-être du patient au quotidien et d’optimiser sa qualité de vie et celle des proches. Ces deux grandes visées, centrales à la philosophie des SPP, sont atteintes l’ouverture, l’écoute et la confiance ainsi que par des actions concrètes : la transmission d’informations, le soutien à l’organisation des soins, le soulagement des symptômes physiques, la facilitation des interactions, la mobilisation de ressources, l’adaptation du cadre et des processus de soins ainsi que le soutien dans le cheminement décisionnel et la préparation au deuil s’il y a lieu.

« Pour moi les premières valeurs [des soins palliatifs pédiatriques] c’est de soulager les souffrances de l’enfant. Physique, psychologique, spirituelle, sociale, culturelle, tout… mais physique d’abord. » (OBIV)

Thème 5 : Les motivations et les besoins des soignants. Il est essentiel de bien comprendre les motivations, les besoins et les attentes des soignants qui font les requêtes de consultation auprès de l’équipe de SPP afin de bien cerner les besoins de la personne requérante et des autres personnes concernées. Les attentes des soignants sont très diversifiées : il peut s’agir, par exemple, d’une simple demande de conseil sur des options pharmacologiques pour contrôler la douleur. Très souvent, l’Équipe Espoir est sollicitée pour clarifier les objectifs de soins d’une famille, préciser leurs espoirs et travailler de pair avec les équipes traitantes pour répondre le mieux possible aux attentes et aux valeurs d’une famille. Parfois, l’intervention de l’équipe est centrée sur le choix et la planification des traitements, notamment pour coordonner ou offrir un soutien lorsque des enjeux communicationnels ou des conflits se développent entre le patient et ses proches, entre les parents, ou entre la famille et les soignants. Il arrive aussi que des soignants aient besoin d’informations, d’aide ou de conseils face à leur propre souffrance pouvant aller jusqu’à la détresse dans certains cas. Il est important que le malaise ou l’incertitude ressenti par les soignants soit reconnu et pris en charge parce qu’il reflète souvent un ou des problèmes qui doivent être résolus. Ces interventions auprès des soignants peuvent être formelles (réunions d’équipe, rencontres individuelles, référence à un professionnel ou intervenant spécifique) ou informelles (interactions spontanées). Les membres de l’équipe de SPP partagent un soutien mutuel continu sur le plan psychologique et participent à des rencontres régulières ou ponctuelles (à la suite d’événements plus difficiles ou critiques : rencontre compliquée, car particulier, décès d’un patient, etc.).

« C’est quoi les motivations, puis, est-ce que ces motivations diffèrent en fonction de la situation de l’enfant, de la situation de l’équipe, ou les lieux où se passe la problématique ?» (BOBQ)

« Puis c’est tout ce qui est l’intrication de la souffrance et du conflit, au niveau des soignants, comment faire pour que les gens soient plus apaisés, parce que je pense que quand ils sont plus apaisés les patients le sont aussi. » (NJEV)

Thème 6 : Les pratiques interdisciplinaires et interprofessionnelles. Le fonctionnement interdisciplinaire est privilégié, voire fondamental dans le modèle d’équipe consultante développé au CHU Sainte-Justine puisqu’il est considéré comme le mieux adapté aux besoins des patients, des proches et des soignants dans les différents secteurs de l’institution. La nature complexe et incertaine de certains cas exige une collaboration interdisciplinaire consciente, un travail en équipe basé sur la complémentarité et la cohérence par la mobilisation de perspectives variées : médicale, infirmière, psychologie, sociale, spirituelle. Plus spécifiquement, ce travail collectif se réalise à travers de nombreuses interactions et le partage d’un esprit de collaboration, de solidarité et de reconnaissance mutuelle des expertises et des compétences. La clarification des rôles est nécessaire au sein de l’équipe, avec les soignants avec lesquels elle est en interaction, et avec les patients et leurs proches afin d’assurer des communications fluides et l’adéquation entre les attentes et les soins et services offerts. L’interdisciplinarité va de pair avec les pratiques interprofessionnelles dontles enjeux sont d’une autre nature et concernent l’autorité médicale, les actes professionnels réservés et protégés et la responsabilité professionnelle individuelle de chaque intervenant. De manière à éviter les conflits, il est essentiel de veiller à maintenir une bonne communication, de faire preuve de réflexivité et de faciliter la concertation et le consensus sur l’organisation des interventions en favorisant des pratiques conformes à l’éthique interprofessionnelle.

« L’essence même du pourquoi moi j’ai [choisi] les soins palliatifs pédiatriques, c’est pour la philosophie globale de travailler en interdisciplinarité, de se déplacer auprès du patient au sein de son équipe, de pas avoir un lieu physique de soins palliatifs et de pouvoir finalement toucher aussi à plein de domaines ». (BVTU)

Thème 7 : La formation et les compétences. Les intervenants en SPP en milieu hospitalier universitaire cherchent toujours à améliorer la qualité de la formation de la relève en santé par une offre d’accueil de stagiaires, de résidents et de moniteurs cliniques (fellows). La formation en gestion de symptômes et sur la prise en charge d’un patient en fin de vie est également centrale aux enseignements dispensés dans toutes les disciplines cliniques. L’équipe contribue au développement de formations d’appoint, pour compléter les connaissances et les compétences des futurs soignants et des praticiens. Au sein même des différents secteurs de soin, des formations ciblées sont offertes ; elles ont pour motif de répondre à un besoin identifié par les professionnels eux-mêmes. Par exemple, des formations sont en développement sur les pratiques partenariales et de recherche en contexte de SPP, ou sur certaines caractéristiques sociales et culturelles afin d’assurer l’intégration de la diversité dans les interventions. La formation existe sous la forme d’activités de transfert des connaissances : documents, livres, guides, conférences, ateliers destinés aux cliniciens, aux partenaires du milieu communautaire, aux patients et aux familles, aux chercheurs ou au grand public. Enfin, la formation continue des intervenants en SPP évoluant dans une niche de soins où les expertises et les compétences sont très spécialisées et relativement rares est un enjeu important parce qu’il est parfois difficile d’identifier des ressources pertinentes. La collaboration et les échanges entre les experts en SPP à l’échelle régionale et internationale sont une piste en exploration pour stimuler le partage des connaissances et le perfectionnement ainsi que pour intégrer éventuellement des modes de formation selon le modèle de communauté apprenante.

« Il y a des gens intéressés, mais c’est un malaise assez généralisé les soins palliatifs avec la médication, les responsabilités. Donc plus ils vont être outillés par une équipe qui est disponible, plus ils vont être à l’aise de gérer plus de choses. On a toujours dit qu’idéalement une unité de soins palliatifs disparait parce que tout le monde sait faire des soins palliatifs… mais ça, ça n’arrivera jamais. On aura toujours besoin des experts. Mais s’il y a plus de gens qui savent, qui ont plus de connaissances larges, et bien ils auront peut-être moins besoin de l’aide pointue des soins palliatifs, on pourra se concentrer plus sur des situations un peu plus épineuses et quand même être là pour les autres. » (MZEB)

Thème 8 : Les normes et les indicateurs. Les membres de l’équipe de SPP du CHUSJ ont contribué à la rédaction de deux documents phares en matière de SPP. Le premier, en 2004, concerne la Politique sur les soins palliatifs en fin de vie qui vise l’encadrement de l’offre et de l’organisation des soins et des services en soins palliatifs au Québec (Gouvernement du Québec, 2004). Axée sur la population adulte bien que faisant mention à la spécificité pédiatrique, cette politique a permis de faire ressortir la nécessité de rédiger des normes de pratiques pour la population pédiatrique qui ont fait l’objet d’une deuxième publication en 2006 (Gouvernement du Québec, 2006). Parallèlement, cette même année, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a publié un document sur la définition et la mesure d’indicateurs de suivi de la dispensation des soins palliatifs et de fin de vie chez les adultes (INSPQ, 2006). Deux ans plus tard, en 2008, l’INSPQ a proposé des indicateurs et mesures complémentaires portant sur les indicateurs de suivis spécifiques à la population pédiatrique (INSPQ, 2008). Les membres de l’Équipe Espoir et les gestionnaires du centre hospitalier ressentent le besoin pressant d’une mise à jour des indicateurs pédiatriques, car la version actuelle ne permet pas de capter et d’évaluer correctement l’ensemble du suivi depuis les premières interventions, les adaptations faites en fonction de l’évolution de la maladie, les particularités de l’approche à la fois personnalisée, holistique et ultraspécialisée du milieu tertiaire incluant des transitions entre divers milieux de soins et de suivi des patients (centre hospitalier, centre de réadaptation, autre hôpital local, maison de soins palliatifs, ressource de répit, domicile, transition aux adultes) et les interventions parallèles de soutien contextualisées (accompagnement pendant le processus diagnostic et les décisions concernant les niveaux de soins, soutien dans l’organisation du plan de soins médicaux spécialisés, formation aux proches, préparation, soutien et suivi de deuil, etc.).

« Dans les normes en soins palliatifs pédiatriques du gouvernement, j’étais impliqué pour les créer, tu regarderas, en 2006. Et là-dedans je me suis battu aussi pour que les soins palliatifs ne s’arrêtent pas à la mort de l’enfant. » (OBIV)

« Les normes ont besoin d’être révisées, c’est essentiel. […] Il faudrait les revoir pour qu’elles soient plus le reflet de l’actualité ». (MZEB)

Thème 9 : Les dimensions éthique et systémique des SPP. Les questions éthiques sont au cœur des situations d’intervention ou de prise de décision en contexte de SPP. D’une part, des enjeux d’éthique clinique sont vécus par les soignants dans la relation avec les patients et les familles, mais également dans les relations interdisciplinaires, interprofessionnelles et même intersectorielles. D’autre part, des enjeux d’éthique organisationnelle influencent les décisions et les actions des soignants en fonction des ressources disponibles. L’insuffisance des ressources humaines, techniques, pédagogiques, matérielles et communicationnelles ne permet pas toujours d’offrir les soins et services qui seraient considérés optimaux pour les soignants. Les suivis auprès des patients et des proches sont de plus en plus longs et multidimensionnels, ce qui reflète la complexité médicale et sociale des cas, et qui exige conséquemment une grande disponibilité des intervenants et un nombre suffisant d’intervenants. Ces derniers doivent être compris, reconnus et soutenus par l’organisation afin de garantir une réponse adéquate aux besoins croissants des patients, des proches et des soignants. La collaboration étroite avec l’Unité d’éthique clinique et organisationnelle et les valeurs cardinales de partenariat, de responsabilité collective, d’équité et de justice sociale sont des leviers qui permettent en partie d’assurer la qualité des soins et des services ainsi que de soutenir les dynamiques d’amélioration de l’offre à moyen et long terme.

« Parfois on se dit “Là il faudrait peut-être l’[Unité d’]éthique” ou tu sais des fois on commence une consultation, on prend un peu le pouls de tout le monde et on sent l’éthique : on va peut-être arriver dans telle impasse, que ce soit pharmacologique, que ce soit en trajectoire médicale des grandes questions qui vont se poser… peut-être qu’on aurait besoin de ce soutien-là. […] C’est sûr que par rapport à nos fonctions en termes de soins palliatifs on va toucher obligatoirement à l’éthique, obligatoirement. […] On travaille toujours très bien ensemble, toujours. » (BVTU)

Thème 10 : L’espoir et les espoirs. Pour la majorité des familles, l’introduction d’une équipe de soins palliatifs ou même la mention des termes « soins palliatifs » revêt, aux premiers abords, le sens de mauvaise nouvelle, de désespoir, d’abandon. Le malaise de certains soignants à l’endroit des soins palliatifs prend racine dans l’idée que ces actes peuvent briser les espoirs des familles. Malgré une philosophie ancrée dans l’amélioration de la qualité de vie, de l’espoir et de la mise en place de soins et de services personnalisés et concordants avec les valeurs d’une famille, les équipes de SPP échouent parfois à établir un lien thérapeutique adéquat en raison de cette méconnaissance de leur rôle. En réalité, en SPP, l’espoir existe et il n’est jamais monolithique. Pour cette raison, l’équipe de SPP du CHU Sainte-Justine a modifié son nom en 2022 pour celui de l’Équipe Espoir — soins palliatifs pédiatriques. Ce changement a été fait dans une dynamique fondée sur la communication, la pédagogie et la sensibilisation à travers un processus incluant un sondage interne, des communications formelles, des ateliers et des interventions ciblées. Ce processus est toujours en cours et s’articule à un discours renouvelé visant à influencer les représentations de la notion de soins palliatifs. Par exemple, l’utilisation systématique et stratégique de certains termes et notions reflétant la réalité de la philosophie et des pratiques de l’équipe est utile : trajectoire de vie, bien-être et qualité de vie, approche holistique, approche humaniste, passer de l’idée d’avoir « de l’espoir » à celui d’avoir « des espoirs ». Ceci permet à l’équipe de donner des outils communicationnels aux soignants pour faciliter les interactions avec les patients et leurs proches, de briser les barrières en améliorant l’accès aux soins et services et de mettre de l’avant l’idée de l’espoir dans la trajectoire de vie du patient. Cette démarche ne vise pas à cacher le terme de soins palliatifs – qui est d’ailleurs toujours intégré au nom de l’équipe – ni à éluder les notions de risques, de fin de vie, de mort et de deuil. Elle vise plutôt à démystifier la nature des interventions de l’équipe et à éviter que des personnes renoncent à demander le soutien dont elles ont besoin à cause d’une perception négative d’un terme chargé d’histoire et de croyances ne correspondant pas à la réalité. Malgré l’annonce d’un diagnostic qui menace potentiellement la vie, les enfants ou adolescents et leurs familles continuent à avoir des espoirs et l’équipe de SPP peut permettre de mettre en lumière la multiplicité des espérances en dépit de la gravité de la situation. Ce changement de nom est donc animé par un souci de bienfaisance et de justice reflétant la posture éthique de l’équipe et il est comparable aux options choisies dans plusieurs autres milieux hospitaliers pédiatriques au cours des dernières années. À titre d’exemple, certains acronymes peuvent être cités : PACT (Pediatric Advanced Care Team), CASSPER (Contrôle avancé des symptômes et soins palliatifs pour enfants et leur Réseau) et QoLA (Quality of Life for ALL).

« Ce qui revenait souvent dans nos consultations, ce qu’on proposait souvent aux familles c’est “qu’est-ce que vous espérez pour votre enfant ?” Parce que nous on sait ce qu’on représente, mais “qu’est-ce que vous espérez ?”. “La guérison”, “OK, quoi d’autre ?” “Moi j’aimerais qu’il fasse du vélo”. “Ah OK !” Finalement, la maladie peut être porteuse d’espoir, puis nous, on peut peut-être favoriser certains espoirs… Peut-être pas l’ultime, mais un espoir est fait de plusieurs petits finalement. […] Le nouveau nom pour nous c’était un nouveau départ, nouvelle équipe, nouveau souffle porteur d’espoir. » (BVTU)

DISCUSSION

Dans cet article, nous avons présenté les premiers résultats exploratoires d’un vaste projet de recherche en SPP. Le portrait des requêtes de consultation en SPP au CHU Sainte-Justine de 1999 à 2020 indique une importante croissance régulière jusqu’en 2011 suivis d’une baisse et d’une stabilisation des demandes au cours des années suivantes. Il ne semble pas y avoir de changements structuraux qui expliquent ces tendances différentes dans l’organisation et l’offre des soins. Les opinions de ses participants à cette étude à qui ces résultats ont été soumis sont complexes et subtiles. En triangulant les résultats statistiques avec les informations dont nous disposons sur les secteurs hospitaliers d’où proviennent les demandes et les opinions exprimées par les participants, nous émettons des hypothèses explicatives dont la vérification sera intégrée à des étapes ultérieures de la recherche. D’une part, pendant la première période, il peut y avoir eu la manifestation d’une grande appétence de la part des divers milieux cliniques spécifiques envers les informations, la formation et le soutien de l’équipe de SPP autant pour répondre aux besoins des patients et des proches que pour aider, rassurer et conseiller les soignants. Au fil du temps, il est probable que les connaissances et les compétences se soient enrichies dans certains secteurs et que les soignants requérants aient moins souvent senti le besoin de demander la participation de l’équipe de SPP en assumant eux-mêmes la dimension palliative des soins lorsque la situation devenait une menace pour la vie de leurs patients. Il est aussi possible que le roulement du personnel dans certains milieux cliniques ait produit dans certains cas une relève moins informée et donc moins intéressée par cette ressource. D’autres facteurs liés à la philosophie des soins, aux affinités entre les individus ou à la présence d’autres ressources comme l’Unité d’éthique clinique et organisationnelle peuvent expliquer les différences.

Notre deuxième objectif était de décrire les enjeux centraux devant orienter la recherche du point de vue des praticiens par l’analyse thématique d’entretiens avec des acteurs clés de l’équipe de SPP. Dix grands thèmes ont émergé de cette analyse et forment les assises d’une posture collective sur l’orientation et les défis d’avenir posés à l’équipe de SPP sur le plan clinique, éducatif et scientifique. Cet inventaire de rubriques thématiques constitue ainsi la base de la narration collective qui s’enrichira dans les prochaines étapes de la recherche. Il permet de cadrer les réalités et les expériences vécues dans notre institution et de les mettre en lien avec le corpus scientifique en SPP (Rogers et al., 2021).

Le premier thème (T1) est fondamental et nous a permis de dégager et de circonscrire les particularités de la culture palliative en contexte de soins hospitaliers de niveau tertiaire, ce qui mène au constat que ce secteur particulier et notamment le modèle d’équipe de consultation qui est le nôtre sont assez peu documentés. Il est important de poursuivre les recherches sur ce thème pour mieux comprendre les spécificités du milieu tertiaire et des patients qui y sont hospitalisés et suivis, entre autres afin d’améliorer la formation et la préparation des soignants et d’enrichir les interactions avec les autres milieux de soins de manière complémentaire et productive (Wolfe et al., 2022).

Le dernier thème (T10) est celui de l’espoir, et nous le considérons comme un thème cardinal qui concerne tous les autres thèmes auxquels il est associé dans le discours des praticiens. Nous proposons d’en faire un concept porteur allant au-delà du nom de notre équipe de SPP en l’arrimant à des travaux importants sur la théorisation de la place de l’espoir dans la philosophie des SPP. Les travaux de Coulourides et ses collaborateurs sont inspirants pour comprendre l’espoir comme un construit individuel et collectif qui se trouve au cœur même de l’approche holistique et humaniste. En effet, il peut être défini à la fois pour le patient comme la capacité de faire des choix éclairés qui correspondent à ses besoins, ses valeurs et ses préférences ainsi que d’être libéré de la douleur, pour les proches comme la possibilité d’une plus grande proximité (Coulourides Kogan et al., 2015). D’autres auteurs permettent de mieux comprendre comment les soignants peuvent développer des modèles et des interventions centrés sur l’espoir qui sont bénéfiques pour eux (Duncan et al., 2007 ; Hill et Feudtner, 2016 ; O’Shea et Bennett Kanarek, 2013). Il s’agit de l’élément central de la culture interdisciplinaire de soins palliatifs pédiatriques qui a pris naissance avec la création du service et qui dynamise son évolution par l’attention portée à l’intégration et la transmission des savoirs, des savoir-être et des savoir-faire définissant la notion même de culture (Bruera, 2004 ; Friedrichsdorf et Bruera, 2018).

En ce sens, l’espoir est au fondement de la distinction à comprendre et à enseigner entre les notions de soins palliatifs et de fin de vie (T2) ce qui permet d’orienter le discours de manière à lever certaines barrières d’accès liées à la perception négative des soins palliatifs et à mettre en valeur l’importance des soins et des services répondants aux besoins physiques, psychologiques, sociaux et spirituels des patients et des familles le plus tôt possible dans la trajectoire de vie (Bogetz et al., 2019 ; Dalberg et al., 2018 ; Duncan et al., 2007 ; Sisk et al., 2016). Il influence la capacité des proches et des soignants à maintenir le patient au centre des réflexions, des choix et des pratiques (T3). Cela concerne à la fois la capacité de distinguer les faux des vrais espoirs afin de mieux situer le patient dans sa trajectoire tout en mettant l’accent sur les moments d’espoir et sur l’avenir et la solidarité au fil du cheminement (Coulourides Kogan et al., 2015 ; Feudtner et al., 2007 ; Fonseca et al., 2021). Des enjeux éthiques importants et délicats ont été soulevés sur le besoin de mieux documenter les processus décisionnels liés à l’intérêt primordial de l’enfant qui ne font pas toujours consensus entre les soignants et les proches, en particulier les parents, et ce, même dans le contexte d’un centre hospitalier et d’une catégorie de soins intrinsèquement centrés sur le patient et la famille (Akard et al., 2019).

Le contrôle de la douleur physique et l’apaisement de la souffrance sous toutes ses formes (T4) représentent des sources d’espoir pour les patients, leurs proches et leurs familles puisque nous savons que les soins palliatifs n’augmentent pas l’anxiété et n’accélèrent pas le décès, mais améliorent plutôt le bien-être et la qualité de vie. Ceci est directement lié à la motivation et aux besoins des soignants eux-mêmes (T5). La capacité d’endiguer la douleur et les symptômes et de contribuer à la qualité de vie des patients et des familles rendent les soignants plus à l’aise et plus optimistes (Coulourides Kogan et al., 2015 ; Feudtner et al., 2007).

L’approche holistique qui marque les pratiques interdisciplinaires et interprofessionnelles (T6) est renforcie, d’une part, par la reconnaissance du rôle de l’espoir dans les processus décisionnels et, d’autre part, par les décisions prises suivant l’évolution du patient et des proches sur les plans physique, mental et émotionnel (Feudtner, 2007 ; Carroll et al., 2012 ; Postier et al., 2018). Cette approche intégrée à la formation des soignants (T7), entre autres par le développement de compétences communicationnelles les rendant plus à l’aise à discuter à la fois d’optimisme et de réalisme avec les patients et les familles, aide à prévenir et réduire les tensions et à agir plus directement et efficacement sur la qualité de vie des patients et sur le contrôle de l’anxiété décisionnelle des parents (Coulourides Kogan et al., 2015 ; Peng et al., 2017 ; Tomlinson et al., 2011).

La divulgation d’informations claires et réalistes devrait être intégrée aux normes et indicateurs de qualité des soins (T8) parce que cela a un impact sur l’accès aux soins au bon moment, c’est-à-dire le plus tôt possible dans la trajectoire de vie. Plusieurs études prouvent que la transmission de ces informations et la participation d’une équipe de SPP ne sont pas nuisibles aux patients et aux familles, ne suppriment pas toute forme d’espoir de guérison et peuvent même aider à maintenir de l’espoir (Akard et al., 2021 ; Dalberg et al., 2018 ; Friedrichsdorf et Bruera, 2018). Enfin, l’espoir peut être perçu comme un fondement profondément éthique (T9) qui est associé à tous les niveaux de déploiement des SPP, de la clinique à l’organisation au système afin de soutenir une approche réaliste des soins tout en s’assurant de toujours pouvoir adapter l’offre de soins et de services à l’évolution de l’état de santé du patient, de ses besoins et de ses espoirs (Coulourides Kogan et al., 2015 ; Feudtner et al., 2007 ; Mack et al., 2018 ; Rosenberg et al., 2016). Par ailleurs, le manque de cohérence, de précision et d’exhaustivité des indicateurs décrits par les participants est reflété dans des études critiques récentes sur le sujet qui soulignent l’urgence d’améliorer les indicateurs de qualité en SPP (Charlebois et Cyr, 2015 ; Widger et al., 2019).

Ces résultats constituent notre contribution à l’enrichissement des connaissances ancrées dans les pratiques et les enjeux concrets des SPP à partir de l’expérience des acteurs ayant joué un rôle central dans la conception, le développement et la mise en œuvre des SPP au CHU Sainte-Justine depuis leur instauration en 1999 et jusqu’à aujourd’hui. Cette étude a certaines limites : elle est une première étape de nature exploratoire qui devra être enrichie à l’aide de données complémentaires. Elle a néanmoins permis d’identifier des priorités de recherche locales correspondant à celles identifiées dans les écrits, en particulier les outils et procédures de mesures et évaluations, le contrôle des symptômes, les enjeux émotionnels et psychologiques, la participation et l’inclusion, la communication et les processus décisionnels, les besoins des familles, les pratiques liées spécifiquement aux soins de fin de vie, le deuil, les enjeux éthiques, la constitution des équipes (Barrett et al., 2023 ; Booth et al., 2018 ; Ekberg et al., 2022). Dans des étapes ultérieures, nous explorerons ces thèmes de recherche à partir de données statistiques et d’études qualitatives basées sur des entretiens avec d’autres acteurs, dont des collaborateurs et des utilisateurs (patients, proches, soignants), nous analyserons des données provenant de rapports d’interventions éthiques avec, pour et auprès de l’équipe de SPP et nous approfondirons l’analyse des besoins spécifiques relativement à la mise à jour des normes et des pratiques. Nous souhaitons que cette contribution constitue une ouverture aux échanges et à une conversation en continu avec des institutions comparables à la nôtre et avec d’autres organisations et institutions engagées dans la formation, la recherche et l’intervention clinique en SPP au Canada et ailleurs dans le monde.

CONCLUSION

Les 20 premières années d’existence de l’équipe de SPP du CHU Sainte-Justine révèlent que la pratique et la philosophie des soins palliatifs ont évolué vers des soins élaborés, nuancés et nécessaires pour accompagner, guider et apaiser les patients, les familles et les intervenants faisant face à une maladie menaçant la vie. Les experts ayant contribué à la création, au déploiement et au repositionnement en cours des soins palliatifs pédiatriques du CHU Sainte-Justine nous ont permis d’identifier dix thèmes pour la recherche empirique et conceptuelle, la réflexion collective sur les pratiques, bonifier la formation et l’amélioration du contrôle de la qualité des soins et des services. Enracinés dans une visée bienveillante d’optimisation de la qualité de vie et de soins conformes aux valeurs de chaque patient et de ses proches, les soins palliatifs constituent une culture porteuse d’espoirs pluriels qui se réverbèrent sur l’ensemble de la communauté du centre hospitalier (patients, familles et intervenants) ainsi que sur les interactions avec les milieux collaborateurs.