Corps de l’article

1. Introduction

Au 21e siècle, le développement des compétences en matière de littératie est incontournable pour favoriser, d’une part, la persévérance scolaire et la réussite éducative et, d’autre part, l’intégration harmonieuse de chaque citoyenne et de chaque citoyen dans la société (Gouvernement du Québec, 2017). L’aptitude des individus à entretenir des interactions sociales riches et plurielles apparaît d’ailleurs comme un des fondements de l’épanouissement personnel et collectif (Hébert et Lépine, 2013). C’est dans ce contexte qu’est né le projet de recherche-action LIBER[1] qui vise à bonifier les pratiques d’enseignement et d’évaluation de la lecture et de l’appréciation des oeuvres littéraires d’enseignantes du primaire en stimulant les interactions à l’oral dans des cercles de lectrices et de lecteurs (Lépine et al., 2022). Pour opérer cette transformation, nous avons convoqué le rapport que les enseignantes participantes entretiennent avec la littérature et nous leur avons proposé d’entrer dans le projet par l’évaluation des apprentissages des élèves en lecture et en appréciation des oeuvres littéraires.

Depuis les travaux fondateurs de Barré-De Miniac dans les années 1990 et 2000, plusieurs recherches sur le «rapport à…» ont montré qu’il est nécessaire de s’y intéresser afin de faire évoluer, progressivement, les pratiques enseignantes (par exemple, Blaser, 2007; Chartrand et Blaser, 2008; Émery-Bruneau, 2010, 2014a). Dans le cadre scolaire québécois pour le primaire, étant donné que le programme de formation fait de l’appréciation des oeuvres littéraires le lieu d’orchestration et de synthèse des compétences à lire, à écrire et à communiquer oralement dans l’enseignement du français, nous avons convoqué le concept spécifique de rapport à la littérature comme porte d’entrée à la transformation des pratiques d’enseignement et d’évaluation de la lecture et de la communication orale des élèves (Émery-Bruneau, 2014a). Notons d’entrée de jeu que ce rapport à la littérature porte à la fois sur l’objet comme sur le sujet et se déploie sur deux plans complémentaires: le plan individuel (personnel) et le plan didactique (professionnel). Le plan individuel est la façon dont un sujet pratique ou donne sens à la littérature tandis que le plan didactique est la façon dont la personne enseignante interprète le rapport à la littérature des élèves et la façon dont elle entend le transformer en décomposant l’objet en éléments enseignables. Cette transformation peut toucher à la fois les connaissances du sujet, ses pratiques, ses préférences, ses interactions sociales avec d’autres lectrices et lecteurs, et le sens qu’il accorde à la lecture dans sa vie.

Par des entretiens individuels dont nous rendons compte dans cet article, nous avons questionné chacune des dix enseignantes du primaire impliquées dans la recherche-action LIBER à propos de leur rapport à la littérature. Une des questions posées permettait de faire ressortir les principales dimensions du rapport à la littérature des enseignantes qui ont évolué dans le cadre de la recherche-action. Nous avons pu ainsi souligner les thèmes principaux des entretiens avec les participantes et analyser en quoi de telles actions permettent une plus grande intégration de l’oral dans les activités entourant la littérature, un usage plus marqué des oeuvres littéraires en classe et un partage plus fréquent des lectures personnelles des enseignantes avec les élèves.

2. Problématique: défis d’une approche intégrative en littérature

L’importance de l’interrelation entre les compétences langagières que sont lire, écrire et communiquer oralement est soulignée par différentes didacticiennes et différents didacticiens depuis plusieurs années (Morin et Montésinos-Gelet, 2007; Simard et al., 2019) et par les autrices et les auteurs du programme de formation en vigueur au Québec (Gouvernement du Québec, 2006). Cependant, les enquêtes récentes sur les pratiques d’évaluation et d’enseignement au fil de la scolarité obligatoire montrent encore que, dans les classes, les personnes enseignantes proposent majoritairement à leurs élèves des activités ciblées sur un volet du français et non des activités intégratives, c’est-à-dire des situations d’évaluation qui permettraient de mettre en valeur à la fois l’écrit (lecture et écriture) et l’oral (écoute et prise de parole) (Dezutter et al., 2007; Lépine, 2017; Nolin, 2013).

Cette approche intégrative des compétences en français apparaît pourtant favorable tant au développement du sentiment de compétence des élèves qu’au développement de l’appétence, soit le goût de lire, d’écrire et de communiquer oralement autour des oeuvres littéraires lues, vues ou entendues (Hébert, 2013, 2019; Simard et al., 2019). Ces aspects du développement intégratif des compétences font écho à ce que certaines chercheuses et certains chercheurs spécialistes des approches didactiques de la littérature à l’école mettent de l’avant depuis quelques années. Par exemple, Dumortier (2010) définit la formation littéraire comme

[l]’ensemble des pratiques qui, dès la maternelle et tout au long de la scolarité obligatoire, concourent à créer une communauté d’élèves disposés à valoriser positivement les écrits littéraires, à consacrer à leur lecture une partie de leurs loisirs, à les apprécier en tant qu’oeuvres d’art et à prendre part à des échanges sur ce qui fonde cette appréciation.

p. 22

Cette définition montre bien l’importance des interactions, notamment à l’oral, autour des écrits au sein d’une communauté tant à l’école qu’à l’extérieur de celle-ci pour former des «amatrices et amateurs éclairés de littérature» (le mot «amateur» signifiant, étymologiquement, celle ou celui qui aime).

Or, bien que depuis l’année scolaire 2000-2001 le Programme de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 2006) précise que la compétence apprécier des oeuvres littéraires nourrit et se nourrit des compétences à lire, à écrire et à communiquer oralement en français au primaire, il semble, selon une enquête récente (Lépine, 2017), que les personnes enseignantes rencontrent encore différents défis pour faire des oeuvres littéraires un véritable objet de partage et de discussion en classe. Les défis relevés par les 518 enseignantes et enseignants du primaire interrogés dans le cadre de cette vaste enquête nationale sont de divers ordres et touchent spécifiquement leur rapport à la lecture littéraire, tel que l’avait défini Émery-Bruneau (2010). En ce qui concerne leurs pratiques qui favorisent les interactions à l’oral, seulement le tiers des personnes enseignantes déclare utiliser tous les mois des groupes de discussion (36,0 %) et des entretiens individuels (33,4 %) afin d’évaluer la lecture/appréciation des oeuvres littéraires de leurs élèves. En ce qui concerne la compétence communiquer oralement, malgré les nombreuses ingénieries didactiques novatrices dans le domaine de l’oral, ancrées dans l’enseignement des genres formels (Dolz et Schneuwly, 2009) et proposées dans divers ouvrages (Lafontaine, 2007; Lafontaine et Dumais, 2014), ou encore dans des formules plus réflexives (Chabanne et Bucheton, 2002), les enseignantes et les enseignants déclarent encore manquer de ressources et d’aisance pour enseigner l’oral, particulièrement lorsqu’il est articulé à la littérature (Émery-Bruneau et Brunel, 2017). Cela dit, Hébert (2011) a bien montré que lier lecture et oral est une «activité dialogique particulièrement féconde pour créer de réelles communautés de lecteurs et libérer la parole du jeune lecteur» (p. 57).

Au fil du projet LIBER, une hypothèse de travail éclairait nos interventions avec les actrices de ces milieux: l’utilisation d’oeuvres littéraires pour la jeunesse, de formes et de genres variés (albums, contes, romans, etc.), pourrait sans doute favoriser les interactions sociales et langagières à l’oral aux trois cycles du primaire chez les garçons et chez les filles de milieux défavorisés, et ce, sur divers plans. Ces oeuvres littéraires pourraient ainsi servir en réception (lecture et écoute) afin d’alimenter les interactions entre pairs à l’oral dans des cercles de lectrices et de lecteurs.

Notre projet de recherche-action vise plus précisément à accompagner une équipe interprofessionnelle d’actrices de changement en matière de littératie de deux écoles primaires de milieux socioéconomiques défavorisés du Centre de services scolaire des Samares, au Québec. La littératie peut être définie comme étant «la capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté, à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes» (Lacelle et al., 2016, s. p.). L’équipe interprofessionnelle, formée d’une directrice de services éducatifs, de deux directrices d’écoles, de deux conseillères pédagogiques, de dix enseignantes du primaire et d’une douzaine de chercheuses et de chercheurs, a pour but de bonifier les pratiques d’évaluation et d’enseignement, articulées dans cet ordre, qui favorisent les interactions à l’oral dans des cercles de lectrices et de lecteurs d’oeuvres littéraires en vue de développer des compétences en littératie. Nous considérons, dans le cadre de ce projet mené en contexte scolaire, que les actrices de changement en matière de littératie sont des professionnelles engagées et impliquées activement dans le développement continu de leurs propres compétences en littératie (Dezutter et al., 2018) et que la diversité des ressources interprofessionnelles regroupées dans la recherche-action est gage de réussite (Cartier et al., 2018).

Plus largement, l’ensemble du projet s’est articulé autour de cinq dimensions de la littératie issues du cadre de référence Des communautés engagées pour la littératie (Dezutter et al., 2018). Ces dimensions attribuées à la littératie s’appliquent à la fois aux membres de l’équipe interprofessionnelle et aux élèves impliqués dans le projet:

  1. Le développement continu des compétences en littératie;

  2. L’importance du rapport à l’écrit dans le développement de ces compétences;

  3. La qualité́ des situations de contacts avec l’écrit;

  4. La qualité de l’environnement littératié;

  5. Le rôle des différents acteurs et des actrices de changement en matière de littératie.

Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons particulièrement à la deuxième dimension mise de l’avant dans ce document de référence, soit celle liée au rapport que les enseignantes entretiennent spécifiquement envers la littérature.

3. Cadre de référence: définitions et dimensions du rapport à la littérature

Dans les prochaines sections, nous présentons les principales définitions retenues de la lecture, de l’appréciation et des cercles de lectrices et de lecteurs pour accompagner le codéveloppement interprofessionnel des actrices de changement en matière de littératie impliquées dans le projet LIBER et nous explicitons la notion de rapport à la littérature.

3.1 Lecture et appréciation des oeuvres littéraires: quelques définitions

En nous appuyant sur les travaux en didactique de la lecture et de la littérature des dernières années, nous définissons la lecture comme un acte de construction des sens et des significations possibles des textes/images au cours duquel la lectrice ou le lecteur met en action des opérations de lecture telles que la compréhension, l’interprétation, la réaction et le jugement critique (Dufays et al., 2015; Falardeau, 2003; Lépine, 2017). Pour nourrir des appétences lectorales, nous avons aussi misé sur l’appréciation, définie comme la formulation, de façon individuelle et collective, des jugements de goût et des jugements de valeur d’ordre esthétique, éthique et émotionnel sur les oeuvres littéraires lues, vues et entendues (Gabathuler, 2016; Lépine, 2017).

C’est en considérant ces définitions de la lecture et de l’appréciation que nous avons élaboré, en nous inspirant des travaux de l’équipe de Tremblay (2020b) sur les cercles d’autrices et d’auteurs, le dispositif didactique novateur nommé «cercles de lectrices et de lecteurs» (Lépine et al., 2022). C’est un dispositif didactique intégratif de lecture, d’écriture, d’écoute et de prise de parole qui met en valeur les lectrices et les lecteurs, et toutes les dimensions de leur rapport à la littérature à l’intérieur d’une communauté interprétative lors de situations authentiques d’interactions sociales et langagières. En vivant ensemble le processus de construction des sens/significations à partir de textes (littéraires) variés, les cercles de lectrices et de lecteurs visent à développer à la fois les compétences et les appétences à lire et à apprécier de toutes les lectrices et de tous les lecteurs de la classe. Dans de tels cercles, les échanges sont articulés principalement autour des différentes dimensions qui constituent le rapport que chaque lectrice et chaque lecteur entretient avec la littérature.

3.2 Rapport à la littérature: cinq dimensions interreliées

Élaboré par Émery-Bruneau (2014a), la notion de rapport à la littérature se définit comme «l’ensemble diversifié des relations dynamiques d’un sujet avec les productions littéraires et les pratiques de la littérature» (p. 74). Dans ce contexte, la littérature peut être définie comme «un système composé de productions verbales visant à travailler le langage en tant qu’objet esthétique et de pratiques langagières qui les rendent possible[s]» (Émery-Bruneau, 2014a, p. 3). Le rapport spécifique à la littérature, mariant lecture, écriture et oral, est issu des travaux fondateurs de Charlot (2005) et de Barré-De Miniac (1992, 2015) sur le «rapport à…», ainsi que des recherches sur le rapport à la culture (Falardeau et Simard, 2007) et sur le rapport à l’écrit, englobant la lecture et l’écriture (Chartrand et Blaser, 2008). Selon les autrices et les auteurs de ces travaux, chacun de ces types de rapport est constitué de dimensions, en nombre variable. Par exemple, le rapport à la culture comprendrait trois dimensions: épistémique (savoirs et savoir-faire), subjective (sentiments, intérêt, préférences, valeurs) et sociale (interactions, influences, relations) (Falardeau et Simard, 2007). Le rapport à l’écrit, quant à lui, en comprendrait quatre: affective (sentiments, intérêts, préférences), axiologique (valeur, importance), conceptuelle (conceptions, représentations) et praxéologique (pratiques) (Blaser et al., 2015; Chartrand et Blaser, 2008).

Dans ses travaux sur la lecture littéraire et sur le rapport à la littérature, Émery-Bruneau (2010, 2011, 2014a) reprend les trois dimensions du rapport à la culture (épistémique, subjective et sociale) à laquelle elle ajoute la dimension praxéologique du rapport à l’écrit. Dans le but de mettre en lumière la notion de valeur et d’importance accordée à la littérature, nous avons ajouté une cinquième dimension à celles du rapport à la littérature ainsi défini, soit la dimension axiologique servant initialement à opérationnaliser le rapport à l’écrit (Chartrand et Blaser, 2008). Les cinq dimensions retenues dans le cadre du projet LIBER sont donc les dimensions épistémique, subjective, axiologique, sociale et praxéologique, et elles peuvent être analysées sous différents plans (Émery-Bruneau, 2014a), initialement théorisés par Falardeau et Simard (2007) dans leurs travaux sur le rapport à la culture.

Comme la population étudiée dans le cadre de cet article est constituée d’enseignantes, nous avons considéré les plans individuel (personnel) et didactique (professionnel) (Lépine et al., 2022). L’analyse du plan individuel rend compte des dimensions dans la vie personnelle du sujet, donc à l’extérieur du cadre scolaire et des fonctions professionnelles. En contrepartie, le plan didactique comprend l’interprétation que fait la personne enseignante du rapport à la littérature des élèves (Émery-Bruneau, 2014a), ainsi que l’enseignement et l’évaluation liés à la littérature. Comme le mentionnent Beaudry et ses collaboratrices (2018), «ces deux plans peuvent être en adéquation, s’influencer ou, au contraire, se contredire» (p. 2). Ainsi, le rapport à la littérature, dans le cadre du projet LIBER, est étudié sous cinq dimensions et deux plans, tel qu’illustré à la figure suivante.

Figure 1

Le rapport à la littérature (adapté d’Émery-Bruneau, 2014)

Le rapport à la littérature (adapté d’Émery-Bruneau, 2014)

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Ainsi, le rapport à la littérature, tel que retenu pour accompagner le codéveloppement interprofessionnel des actrices de changement en matière de littératie qui participent à la recherche-action, compte cinq dimensions interreliées, soit les dimensions épistémique (savoirs, notions-stratégies, concepts…), praxéologique (pratiques, expériences, vécu…), subjective (psychoaffectif, réflexif, préférences…), sociale (interactions, influences, rapports sociaux…), axiologique (sens, finalité, valeur…), qui se déploient sur deux plans complémentaires (individuel et didactique). Cet outil didactique se veut une porte d’entrée vers le développement de compétences et d’appétences en lecture et en appréciation d’oeuvres littéraires pour les enseignantes et leurs élèves. Dans le cadre de cet article, nous présentons certaines transformations de ce rapport à la littérature que les enseignantes ont opérées au fil du projet.

4. Méthodologie: entretiens sur le rapport à la littérature

Les résultats, que nous présentons plus loin, sont issus de la recherche-action LIBER, un projet de recherche qui s’est déroulé sur une période de trois ans, de 2019 à 2022, marquée par la pandémie. En nous basant sur les travaux de Saussez (2015), la recherche-action impliquait plusieurs actrices et acteurs, autant des milieux de pratique (enseignantes, conseillères pédagogiques, directrices d’écoles) que de recherche (professeures et professeurs, étudiantes à la maîtrise et au doctorat). Les membres de l’équipe de recherche étaient spécialistes de divers domaines liés à l’éducation (lecture, écriture, littérature, communication orale, évaluation, gestion de classe, etc.). Dans le cadre de cette communication, nous nous intéressons particulièrement aux enseignantes (N = 10) ayant participé au projet de recherche.

Au fil des trois années du projet, les 10 enseignantes ont pris part à une douzaine de journées de codéveloppement interprofessionnel. Plusieurs thèmes, basés sur les besoins évoqués par les enseignantes, ont été abordés lors de ces journées, vécues en présence ou à distance en fonction du contexte sociosanitaire. Le rapport à la littérature, les variables de la lecture (lecture-texte-contexte) (Giasson, 1990), les cercles d’autrices et d’auteurs (Tremblay et al., 2020a, 2020b), les cercles de lectrices et de lecteurs ainsi que l’évaluation des compétences à lire, à apprécier des oeuvres littéraires et à communiquer oralement (Davies, 2008) en sont des exemples. Ces thèmes ont été soutenus par divers dispositifs de formation, notamment par le modèle d’analyse réflexive ALACT (Leroux, 2010), des moments d’échanges allant de présentations plus formelles de la part de différents membres de l’équipe de recherche à moins formelles, sous forme de discussions professionnelles, et une visite en librairie accompagnée de la rencontre avec un auteur/illustrateur pour la jeunesse.

L’échantillon sélectionné pour les besoins de cet article est composé de dix enseignantes présentées au tableau 1, oeuvrant à tous les niveaux du primaire, ayant entre 10 et 25 ans d’expérience en enseignement et travaillant dans deux écoles de milieux défavorisés. L’indice de défavorisation est de 7/10 pour l’école 1 et de 9/10 pour l’école 2. Dans ces deux écoles, le français est la langue principalement parlée à la maison, indiquant un milieu assez homogène sur le plan de la langue et de l’origine des élèves.

Tableau 1

Données sociodémographiques des participantes

Données sociodémographiques des participantes

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Au cours de la recherche-action, plusieurs outils de collecte de données ont été utilisés (comptes-rendus de rencontres, questionnaires, entretiens, captations vidéo, etc.). Dans cet article, nous nous concentrons sur une question posée lors des entretiens semi-dirigés réalisés à la fin de l’an 2 du projet, un moment charnière pour déployer les cercles de lectrices et de lecteurs dans les classes. Ces entretiens ont été menés par une conseillère pédagogique connaissant bien les enseignantes. Les questions du guide d’entretien ont été élaborées en fonction de chacune des cinq dimensions du rapport à la littérature, tel que défini plus haut. Puis, pour toutes les dimensions, au moins une question était orientée sur le plan individuel et au moins une portait sur le plan didactique. L’entretien se terminait par la question synthèse suivante: «À la lumière de ce que vous avez dit aujourd’hui, pouvez-vous évoquer quelques aspects de votre rapport à la littérature qui, selon vous, se sont transformés depuis le début du projet LIBER?» L’analyse préliminaire des entretiens a montré que cette dernière question permettait de synthétiser le contenu de chacun des entretiens, relevant ainsi les transformations déclarées les plus marquantes pour les enseignantes.

Cette dernière question de l’entretien a fait l’objet d’une analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2021), réalisée par deux auxiliaires de recherche. Les thèmes étaient orientés vers les cinq dimensions du rapport à la littérature, considéré comme un outil pertinent pour analyser le discours (Émery-Bruneau, 2014b). Les thèmes étaient fermés pour quatre dimensions (épistémique, subjective, axiologique et sociale). Comme nous l’explorons dans la section suivante, la dimension praxéologique a nécessité un codage ouvert afin de témoigner de la richesse des changements déclarés par les enseignantes.

5. Résultats: interrelations entre les dimensions du rapport à la littérature

Les résultats sont présentés en fonction de chacune des dimensions du rapport à la littérature retenues dans le projet LIBER (épistémique, subjective, axiologique, sociale et praxéologique), de la plus convoquée par les enseignantes à la moins fréquente. L’analyse des réponses des enseignantes pour les cinq dimensions a montré qu’elles orientent naturellement leurs propos vers le plan didactique du rapport à la littérature. Pour certaines dimensions seulement, notamment axiologique et sociale, les réponses présentées dans cette section montrent certaines traces du plan individuel de quelques enseignantes.

5.1 Dimensions du rapport à la littérature

La dimension praxéologique est la plus fréquemment abordée par les enseignantes interrogées en réponse à la question synthèse. Huit d’entre elles font spontanément référence à leurs pratiques en répondant à cette dernière question de l’entretien. Les thèmes ayant émergé de ces réponses sont liés à une plus grande intégration de la littérature de jeunesse en classe, les liens lecture-écriture, les liens lecture-oral, les pratiques favorisant les interactions sociales ainsi que la prise en compte du rapport à la littérature dans l’enseignement.

Par exemple, Christine fait part de la plus grande place occupée par la littérature de jeunesse dans sa classe depuis qu’elle participe au projet LIBER. Elle développe son propos en spécifiant qu’avant, elle était présente, mais qu’elle prenait beaucoup moins d’espace. Fannie a aménagé un coin «Madame Fannie» où elle place ses livres dits coup de coeur. Maeva a transformé complètement sa classe; avant, elle avait seulement un coin lecture, qui prenait la forme d’un espace fixe. Maintenant, elle a créé différentes stations de lecture avec des coussins, des chaises en tissus et des étagères thématiques. Elle donne ces deux exemples: une étagère pour les livres féériques et une autre entièrement dédiée à la bande dessinée.

Fannie constate que les changements de pratique en lecture ont aussi eu des répercussions sur sa façon d’enseigner l’écriture. Elle dit avoir lu de la poésie avec ses élèves, mais en avoir également écrit. «Je me suis donné un p’tit coup», «je me suis un petit peu plus plongée» et «se jeter à l’eau» sont les expressions qu’elle utilise pour décrire son expérience d’écriture poétique.

Pour Rachel, ce sont ses pratiques liées à l’oral qui se sont le plus transformées. «C’est sûr que, vu que le projet LIBER est axé sur l’oral, je fais un effort supplémentaire pour inclure encore plus l’oral, puis oui j’en fais plus qu’avant.» Elle déclare qu’auparavant elle faisait surtout des exposés oraux. De son côté, Maeva utilise l’oral comme moyen pour faire échanger les élèves autour de leurs lectures. Comme elle enseigne en quatrième année et que ses élèves sont soumis à une évaluation ministérielle standardisée en lecture, elle déclare faire moins de papier-crayon qu’avant. Elle demande toutefois aux élèves de s’exercer à écrire des réactions sur papier afin de les préparer pour cet examen. Maeva fait interagir davantage les élèves autour de la lecture, mais elle ne mentionne pas explicitement si elle saisit ces occasions pour enseigner ou évaluer l’oral.

De façon plus générale, Pascale indique que le choix d’activités proposé aux élèves «a beaucoup changé». Pour ce qui est des pratiques entourant les interactions entre les élèves, Diane affirme qu’elle amène ses élèves à échanger beaucoup autour de leurs lectures. Béatrice mentionne que ses élèves interagissaient moins à propos de la lecture, et même de l’écriture, avant qu’elle ne participe au projet. «Je ne faisais pas interagir mes élèves autant, discuter autant par rapport à la lecture, l’écriture.» Finalement, Fannie énonce qu’elle prend maintenant en considération son propre rapport à la littérature et ses dimensions dans son enseignement, tout comme celui de ses élèves.

Par ailleurs, la dimension sociale a été repérée dans les réponses de la moitié des enseignantes (N = 5). Les partages, les rencontres ainsi que les influences sont au coeur de ces transformations.

Fannie explique, par exemple, qu’elle partage les livres qu’elle lit pour elle-même aux élèves. Sachant pertinemment que ce ne sont pas des livres qui les intéressent directement pour le moment, elle se dit qu’en leur parlant des lectures qu’elle fait comme adulte, elle pourrait les inspirer quand elles et ils deviendront adultes à leur tour. Mélanie mentionne également qu’elle partage ses lectures personnelles à ses élèves de première année. «Je prends un petit peu plus de risques, aussi, face à la lecture en classe. Je parle plus de mes lectures que je parlais (mes lectures personnelles) à mes élèves.» Elle signifie également que ses élèves connaissent maintenant plus d’autrices et d’auteurs depuis qu’elle leur en parle beaucoup. Maeva abonde dans le même sens en expliquant qu’elle discute davantage de livres et des autrices et des auteurs avec ses élèves.

Bianka raconte l’influence qu’a eue la rencontre avec Stéphane Poulin, auteur et illustrateur, à l’an 1 du projet. Elle explique: «Ça apporte des belles rencontres, moi, Stéphane Poulin, la rencontre qu’on a eue, je ne vois plus un album de la même façon depuis ce jour-là, ça a changé.» Elle indique que cette découverte lui a permis de transformer complètement sa vision des illustrations dans les albums de littérature de jeunesse. Avant, pour elle, les illustrations étaient un support peu révélateur. L’illustrateur l’a amenée à voir que celles-ci permettaient de mettre l’enfant au coeur des oeuvres littéraires. Dorénavant, elle se questionne davantage sur la façon dont l’enfant réfléchit et sur ce qu’il voit quand il regarde les illustrations des albums.

Diane, pour sa part, note de grandes transformations de la dimension sociale chez ses élèves. Elle stipule que les lectures faites en classe, par leur côté humain, influencent les élèves à devenir de meilleures adolescentes et de meilleurs adolescents. D’après elle, ces lectures peuvent les amener à entretenir des relations sociales plus saines. Les gens qui visitent la classe de Diane lui mentionnent qu’il y a un sentiment d’appartenance et un esprit de groupe régnant à l’intérieur de celle-ci. Elle est convaincue que ce climat positif est lié à tous les échanges autour des livres effectués en classe.

En ce qui concerne la dimension épistémique, trois enseignantes ont déclaré spontanément des transformations portant sur l’évaluation, le niveau des élèves, l’interrelation entre les compétences en français et les liens entre les savoirs et les dispositifs. Par exemple, Fannie explique que, grâce au projet de recherche, sa vision de l’évaluation a changé, notamment en connaissant mieux les preuves d’apprentissage et leur triangulation. Elle mentionne également avoir acquis de nouvelles connaissances théoriques, dont celles liées au L.U.P.I.N., un outil didactique, élaboré par Manon Hébert (Hébert, 2019) et présenté aux enseignantes, qui renvoie aux principales notions littéraires (Langue, Univers, Personnages, Intrigue, Narration). Elle comprend alors que les questionnaires de lecture ne sont pas les seuls moyens pour tenir compte des apprentissages des élèves. En réponse à ces apprentissages, Fannie déclare qu’elle se questionne sur la façon dont ses élèves peuvent lui prouver qu’elles et ils ont appris sans passer par le papier-crayon.

Pour Sarah, le changement principal est lié à une meilleure compréhension du niveau de ses élèves. À la fin de l’an 2 du projet, elle prend alors conscience qu’«on peut parler lecture, on peut parler littérature avec des enfants de deuxième année, on peut employer du vocabulaire précis aussi». Sarah déclare qu’avant sa participation au projet, elle considérait ses élèves «trop petits» pour accomplir certaines tâches. Ce changement de vision l’amène à constater que, peu importe l’âge des élèves, «il n’y a pas de limites» à élever leurs connaissances.

Béatrice déclare que les apprentissages effectués dans le projet LIBER permettent de faire des liens avec d’autres dispositifs d’enseignement du français, comme les ateliers de lecture et d’écriture qui sont utilisés dans la classe. Tant Fannie que Béatrice ont été amenées à saisir l’interdépendance de la lecture, de l’écriture et de l’oral. Elles ont déclaré avoir une vision plus intégrée et interreliée de ces compétences en français grâce à une meilleure compréhension de ce que sont la littératie et la littérature.

Quant à la dimension subjective, deux enseignantes l’ont évoquée dans leurs déclarations de changement à la suite de leur participation au projet. Développer l’appétence envers la lecture chez les élèves est maintenant une préoccupation plus marquée chez Pascale. De son côté, Maeva, qui enseigne en quatrième année, explique qu’il y a des échanges de suggestions et de coups de coeur de lecture avec ses élèves. Ces deux éléments font appel aux préférences liées à la dimension subjective. D’après Maeva, cette transformation est possible grâce au fait que ses élèves ont fréquenté les classes d’enseignantes ayant participé au projet.

La dimension axiologique apparaît dans le discours de deux enseignantes. L’importance de la littérature est soulevée par Fannie, qui explique que son chapeau d’enseignante n’est jamais bien loin. Ainsi, dès qu’elle entend parler de livres, il s’agit d’une source potentielle pour «soulever» ses élèves et les ouvrir au monde. Mélanie, quant à elle, indique que sa classe est dorénavant aménagée pour «valoriser les livres énormément».

5.2 Transformations déclarées de certaines pratiques

Dans l’ensemble du corpus analysé, il faut souligner que la transformation des pratiques est surtout désignée par les enseignantes comme un changement de vision ou de mentalité, qui malgré la prise de risques relève davantage d’un sentiment «d’ouverture, de plongeon, de développement, d’élévation, d’avancement, voire de réveil». Plus concrètement, l’omniprésence du terme «plus» dans le discours des enseignantes suggère que le changement est perçu comme un ajout ou encore comme une évolution (de par la comparaison fréquente entre le avant et le après) ou même comme un remplacement de pratiques d’enseignement et d’apprentissage de la littérature. Par exemple, Diane explique cette progression ainsi:

Mon rapport à la littérature… Eh bien, c’est sûr que j’y crois encore plus que je pouvais y croire il y a deux ans, même si j’y croyais déjà beaucoup, mais là, je pourrais pas enseigner sans ça. Je crois encore plus à toute la pertinence des échanges.

Dans cet extrait, Diane fait un lien direct entre son rapport à la littérature et son enseignement. Les mots utilisés par les enseignantes pour décrire les changements, voire la bonification de leurs pratiques, sont illustrés, en termes de fréquence, à l’aide d’un nuage de mots à la figure suivante.

Figure 2

Termes utilisés par les enseignantes pour illustrer les transformations liées au rapport à la littérature

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En somme, l’analyse des réponses à la question synthèse des entretiens semi-dirigés montre que les transformations ou les changements de pratique des enseignantes touchent surtout l’intégration, plus grande, de l’oral dans les activités entourant la littérature (cinq mentions), l’usage, plus marqué, de la littérature de jeunesse ou générale en classe (trois mentions) et du partage, plus fréquent, des lectures personnelles des enseignantes (deux mentions).

6. Discussion

Dans un article sur le rapport à l’écrit, Blaser et ses collaboratrices (2015) indiquent que le concept de rapport à l’écriture est né du besoin de mieux comprendre la complexité de la relation qu’un élève ou un enseignant entretient avec l’écriture. Ce concept, qui tient compte de variables psycho-socio-affectives, fournit un cadre permettant d’avancer des hypothèses sur les problèmes d’écriture qui vont au-delà de la question de la maitrise des aspects normés et régulés de la langue. Quant au concept de rapport à l’écrit (à l’écriture et à la lecture indiquent que ce rapport est tellement différent chez chaque individu qu’il n’a pas été possible pour elles de créer des profils spécifiques comme d’autres avaient pu le faire pour le rapport à la culture (Lépine et al., 2022; Simard et al., 2007). Tout comme l’équipe de Blaser (2015), il n’a pas été possible dans notre recherche-action d’établir des profils de rapport à la littérature à partir des données collectées. Toutefois, ce que nous observons à la lumière de l’analyse fine de la question synthèse de l’entretien est une appropriation différenciée des éléments du groupe de codéveloppement interprofessionnel par les enseignantes ayant participé au projet. Cette constatation fait d’ailleurs écho aux résultats d’une recherche-action sur les cercles d’autrices et d’auteurs (Tremblay et al., 2020a). Même si cette recherche ne portait pas sur le rapport à la littérature, elle montrait bien que les personnes enseignantes se sont approprié les contenus de la recherche-action de façon individualisée.

Lorsque les enseignantes ayant participé au projet LIBER sont questionnées sur les changements liés à leur rapport à la littérature, elles témoignent donc de transformations idiosyncrasiques. Ainsi, chaque personne enseignante a constaté une transformation liée à au moins une des dimensions du rapport à la littérature, et une majorité a convoqué la dimension praxéologique, plus près de son travail d’enseignante en classe et des besoins de ses élèves. Cet aspect démontre à quel degré le plan didactique du rapport à la littérature est omniprésent dans les entretiens.

En répondant à cette question, les enseignantes ont également évoqué des retombées chez leurs élèves. En parlant davantage de lectures en classe, Mélanie, à titre d’exemple, avait l’impression que ses élèves «sont capables de plus, aussi, faire des liens. Je les sens plus motivés. Ils connaissent plus d’auteurs qu’ils en connaissaient avant parce que je leur en parle beaucoup». Cette déclaration de la part de Mélanie tisse des liens entre les dimensions épistémique (liens et connaissance des autrices et auteurs) et subjective (motivation). Maeva, quant à elle, note aussi une évolution chez les élèves, qui, selon elle, en connaissent davantage sur les personnes écrivaines, ce qui en appelle à la dimension épistémique (connaissance des autrices et auteurs). Ainsi, deux enseignantes notent des retombées claires sur le rapport à la littérature de leurs élèves, alors qu’elles et ils n’étaient pas les sujets principaux de l’étude. Ces retombées relevées par les enseignantes s’accordent avec la définition du plan didactique du rapport à la littérature (Émery-Bruneau, 2014a).

Les résultats présentés plus haut montrent bien, aussi, que des liens se tissent entre les différentes dimensions du rapport à la littérature, notamment ainsi (par ordre de fréquence): 1) épistémique et praxéologique; 2) sociale, subjective et praxéologique; 3) axiologique et praxéologique; 4) épistémique, sociale et praxéologique; 5) sociale et praxéologique. Peu importe les interrelations, la dimension praxéologique y est toujours convoquée.

Pour Bousquet et Desmeules (2017), connaître le «rapport à» des personnes enseignantes est une nécessité pour éventuellement changer les pratiques. Nos résultats abondent en ce sens en montrant que quatre dimensions du rapport à la littérature interagissent avec la dimension praxéologique. Dans une enquête menée auprès de personnes enseignantes au primaire (Lamb et al., 2017), les chercheuses remarquaient que, malgré un rapport à l’écriture littéraire somme toute positif, les pratiques des personnes enseignantes ayant répondu au questionnaire restaient relativement ancrées dans la tradition scolaire par une utilisation quasi exclusive de manuels. Ces résultats, issus d’une enquête, articulés aux nôtres, issus d’une recherche-action, démontrent la nécessité d’accompagnement et de formation des personnes enseignantes, en fonction de besoins identifiés par les actrices et les acteurs du terrain, pour qu’il y ait changement de pratique.

Par ailleurs, les résultats présentés dans cet article sur le rapport à la littérature des enseignantes impliquées dans le projet LIBER et la multiplication des pistes d’entrée possibles pour bonifier l’enseignement et l’évaluation de la lecture et de l’appréciation des oeuvres littéraires telles que définies ici nous ont menés à regrouper ces possibilités de façon synthétique sous la forme d’un P.A.C.T.E DE LECTURE. Ce pacte regroupe plusieurs éléments à considérer pour stimuler le plaisir de lire et développer des compétences lectorales chez tous les élèves, et ainsi faire évoluer leur rapport à la littérature. Pour y arriver, nous nous sommes appuyés sur divers travaux en didactique et en pédagogie, notamment sur le travail de l’équipe américaine de Michael C. McKenna (2019) qui a montré en quoi l’évaluation de la lecture pouvait être une expérience positive afin de mettre en valeur toutes les lectrices et tous les lecteurs d’une classe.

Ce P.A.C.T.E. DE LECTURE est possible si l’on considère que la lecture, en particulier lorsqu’il est question d’oeuvres littéraires, est une expérience culturelle, sensible et dynamique, à la fois personnelle et partagée, une expérience pour laquelle des compétences comme des appétences sont en actions et en interactions constantes. Dans un tel pacte, les trois variables traditionnellement associées à la lecture que sont 1) la lectrice ou le lecteur, 2) le texte et 3) le contexte (Giasson, 1990) s’articulent pour illustrer que chaque lectrice ou lecteur est unique, que chaque texte est unique et que chaque lecture est unique (Rosenblatt, 1938/1995). Ce P.A.C.T.E. DE LECTURE regroupe cinq éléments clés du développement du goût de lire des textes variés et d’apprécier des oeuvres littéraires en tout respect des droits que les lectrices et les lecteurs s’accordent lorsqu’elles et ils lisent pour le plaisir (Pennac, 1992/2017).

Tableau 2

Le P.A.C.T.E. DE LECTURE

Le P.A.C.T.E. DE LECTURE

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Dans ce P.A.C.T.E. DE LECTURE, chaque lettre a son importance et nous invite à considérer les éléments suivants pour vivre des expériences de lecture les plus riches possibles: Partage, Accès, Choix, Temps, Espace. Cette proposition nous rappelle que lire est un A.C.T.E. qui ne doit pas rester isolé et vécu en solitaire seulement, d’où l’importance du P. pour offrir des occasions diverses de partage des parcours de vie de lectrices et de lecteurs ainsi que de leurs expériences de lecture. Ce P. (en gras) nous rappelle aussi que le Plaisir doit être au coeur des échanges autour de la lecture et de la littérature. Le tableau qui suit présente de façon synthétique les cinq éléments clés à retenir dans ce pacte et leurs liens possibles avec l’objectif de soutenir le plaisir d’apprendre issu du nouveau référentiel de compétences de la profession enseignante.

7. Conclusion

D’après Émery-Bruneau (2014b), le «rapport à» est un outil d’analyse pertinent pour les recherches descriptives qui est utilisé depuis une trentaine d’années en recherche. À la lumière des résultats présentés dans cet article, il s’avère aussi un outil de changement dans le cadre de recherches-actions et de recherches collaboratives, ayant des visées transformatrices (Morrissette, 2013). La prise en compte du rapport à la littérature et le groupe de codéveloppement interprofessionnel se sont avérés essentiels pour faire évoluer les pratiques des personnes enseignantes. Comme le projet LIBER visait à bonifier les pratiques d’enseignement et d’évaluation de la lecture et de l’appréciation des oeuvres littéraires, le rapport à la littérature s’est avéré un outil de codéveloppement interprofessionnel pertinent pour permettre cette transformation, en amenant les enseignantes à parler non seulement de leurs pratiques de lecture mais de leurs connaissances, de leurs préférences, de leurs influences et du sens qu’elles accordent à la lecture dans leur vie. Les résultats montrent qu’à plusieurs reprises le changement de pratiques (dimension praxéologique) est lié à une autre dimension du rapport à la littérature. Les complémentarités des résultats avec ceux d’études précédentes portant sur le «rapport à» (Blaser et al., 2015; Émery-Bruneau, 2014a; Lamb et al., 2017) indiquent tout l’intérêt de poursuivre, dans une perspective transformatrice et humaniste, les travaux sur le rapport à la littérature des personnes enseignantes. Dans ce contexte, conclure collectivement un certain P.A.C.T.E. DE LECTURE entre les diverses personnes impliquées dans un projet de recherche, tant adultes qu’enfants, nous apparaît une piste prometteuse de développement personnel et professionnel.