Corps de l’article

1. Introduction

Alors que la maîtrise de l’écrit pour réussir à l’école et exercer une citoyenneté critique (Blaser, 2011) est essentielle, la production d’écrit reste peu présente à l’école et dans la formation enseignante en francophonie (Chartrand et Lord, 2013; Fédération Wallonie-Bruxelles, 2017; Marcotte et Lefrançois, 2021; Goigoux, 2016). Or, dans le cadre de la réforme de l’enseignement en Belgique francophone[1], les enseignantes et enseignants sont amenés à proposer davantage de situations authentiques d’écriture pour répondre aux nouveaux prescrits légaux. Ce contexte nous amène à nous interroger sur la manière d’accompagner cette transformation des pratiques pédagogiques: comment changer les pratiques enseignantes sans que cela soit vécu comme une imposition? Comment augmenter la confiance dans les capacités à enseigner cette compétence essentielle?

Plusieurs recherches (Barré-De Miniac, 2002, 2008; Blaser et al., 2015; Deschepper et Wyns, 2011) décrivent l’intérêt de travailler le rapport à l’écrit des individus pour infléchir leurs dispositions à écrire. Cet article interroge donc la place du rapport à l’écrit en tant qu’outil de développement professionnel à l’enseignement de l’écriture. Il cherche en particulier à déterminer les constituants d’un dispositif de formation «immersive» ayant exercé un rôle de leviers dans la consolidation, le questionnement ou la modification du rapport à l’écriture de personnes enseignantes.

2. Revue de la littérature

2.1 Le rapport à l’écriture comme dimension identitaire des enseignants

Défini par Blaser et al. (2015) comme «une relation évolutive et complexe qu’un individu entretient avec l’écrit, son enseignement, son apprentissage et ses usages» (p. 56), le rapport à l’écrit(ure)[2] est un processus dynamique en continuelle transformation (Wirthner, 2008). Il résulte d’une trajectoire personnelle marquée par le parcours scolaire de l’individu, ses formations à l’enseignement tant initiale que continue, son expérience professionnelle et les échanges avec ses collègues de même que les prescrits officiels et le matériel commercial qu’il utilise pour enseigner (Barré De-Miniac, 2008). En cela, le rapport à l’écrit est une composante de l’identité enseignante (Vause, 2010).

Le rapport à l’écrit recouvre différentes dimensions que nous résumons dans la figure 1. Blaser et al. (2015) distinguent les dimensions conceptuelle et praxéologique auxquelles s’ajoutent deux médiateurs incontournables: les sentiments (dimension affective) et les valeurs (dimension axiologique). La dimension conceptuelle porte sur les conceptions des enseignants et enseignantes vis-à-vis de l’écriture et de son enseignement-apprentissage en allant du sens commun aux concepts scientifiques (Blaser et al., 2015; Vygotsky, 1938). En effet, ces conceptions renvoient à ce que Saussez et Paquay (2004) nomment les connaissances professionnelles définies comme un mélange de croyances (personnelles ou partagées par la communauté enseignante), de connaissances pragmatiques et de connaissances théoriques (Vause, 2010) entre lesquelles la frontière est floue. La dimension conceptuelle médiatisée par les affects contribue au développement de la dimension praxéologique qui recouvre les pratiques personnelles ou professionnelles d’écriture de l’enseignant et son degré de maîtrise des tâches d’écriture. Cette dimension alimente la première en retour lorsque l’individu s’investit dans des pratiques d’écriture (Blaser et al., 2015). Les pratiques professionnelles d’écriture se situent au carrefour de la dimension praxéologique et des pratiques d’enseignement, et semblent constituer une voie intéressante à explorer pour infléchir ces dernières.

Figure 1

Modélisation des relations entre le rapport à l’écriture et les pratiques d’enseignement de l’écriture

Modélisation des relations entre le rapport à l’écriture et les pratiques d’enseignement de l’écriture
André et al. inspiré de Barré-De Miniac, 2008; Blaser et al., 2015; Cremin et Baker, 2010; Gardner, 2014; Wirthner, 2008

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2.2 Les pratiques d’enseignement de l’écriture comme reflet du rapport à l’écriture

Depuis de nombreuses années, des auteurs pointent le caractère peu fréquent et décroché des tâches d’écriture proposées aux élèves du primaire (De Croix et al., 2020; Bachelé et Kervyn 2019; Goigoux, 2016; Lafontaine et Nyssen, 2006). Les enseignants et enseignantes ont davantage tendance à proposer des activités courtes ciblées sur l’unité «mot» telles que des activités de graphisme ou de copie plutôt que des activités de production autonome de textes (Pasa et al., 2016; Fédération Wallonie-Bruxelles, 2017). Cependant, ces tâches d’écriture ne revêtent pas le même potentiel épistémique. Les secondes constituent de réelles opportunités d’apprentissage de la production d’écrits alliant l’encodage des unités linguistiques et la planification-révision des éléments textuels.

Cette «pauvreté» des situations d’écriture en classe peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, elle peut être l’expression d’une certaine tradition en enseignement reposant sur «une importance prépondérante accordée au respect des conventions linguistiques et un contrôle dominant exercé par l’enseignant» (Lamb et al., 2017, p. 74), les enseignants ayant tendance à reproduire l’enseignement qu’ils ont vécu (Fleischer, 2004; Schneuwly, 2002) car cela leur semble logique ou parce qu’ils ne savent pas comment faire autrement. Ce sentiment des enseignants d’être démunis pour développer les compétences scripturales des élèves (David et al., 2018; Lamb et al., 2017; Cremin et Baker, 2010) les amène à se focaliser sur les aspects formels (orthographe, graphie…) qu’ils maîtrisent plutôt que sur le contenu des écrits produits par les élèves, endossant ainsi une posture de gardien du code (Pilorgé, 2010). Ils se préoccupent davantage de l’écrit produit que du processus d’écriture (Brissaud et Fayol, 2018; Fédération Wallonie-Bruxelles, 2015) dont ils parviennent peu à saisir les traces. Ces différents éléments conduiraient à renforcer la place centrale accordée au respect des conventions dans l’enseignement de l’écriture.

Ces pratiques pédagogiques s’enracinent dans des conceptions répandues dans la société qui empêchent d’entrer dans l’ordre du scriptural (Dabène, 1991). En effet, les individus ont tendance à considérer l’écriture comme une technique qui permet de coder une pensée préexistante, occultant ainsi son potentiel réflexif et créatif (Barré-De Miniac 2002; Bucheton, 2014; Reuter, 1996). L’écriture est alors vue comme un don, certains disposant des idées et de la capacité de les mettre en mots et d’autres pas. Par ailleurs, l’importance du travail de révision opéré par les auteurs sur leurs textes est souvent invisible, ce qui renforce cette idée. Ces conceptions «bloquantes» combinées au manque de formation peuvent mener au développement d’affects négatifs (Cremin et Oliver, 2017). Les pratiques d’enseignement de l’écriture mises en oeuvre par les personnes enseignantes pourraient donc être la résultante et le révélateur de leurs conceptions et de leurs affects à propos de l’écrit, donc de leur rapport à l’écrit (Wirthner, 2008).

Certaines études mettent néanmoins en lumière un rapport à l’écrit positif chez les enseignants. Par exemple, Lamb et al. (2017) mentionnent un rapport à l’écriture littéraire teinté d’émotions positives. Les 92 enseignants du primaire interrogés rapportent peu de sentiments négatifs à l’égard de l’écriture et valorisent davantage les aspects créatifs de l’écriture littéraire que les conventions lorsqu’ils jugent des éléments importants dans l’écriture littéraire. Cependant, ils s’investissent peu dans l’écriture personnelle de textes littéraires comparativement aux textes non littéraires (clavardages, médias sociaux…). Malheureusement, ces conceptions peinent à se traduire dans les pratiques de classe. De manière générale, leurs élèves écrivent peu et les tâches proposées ciblent peu l’aspect créatif. Par ailleurs, aucune différence significative n’est observée dans le type d’intervention proposée par les enseignants selon qu’ils déclarent viser le développement de la créativité ou les conventions. S’il est facile de saisir le pouvoir inhibant des affects négatifs liés à l’acte d’écrire, les résultats de Lamb et al. (2017) montrent que les affects positifs ne semblent pas toujours suffisants pour transformer les intentions en actions appropriées.

Par ailleurs, plusieurs travaux mettent en évidence l’influence positive des pratiques d’écriture sur les pratiques d’enseignement (Murray, 1990; Fearn et Farnan, 2007; Whyte et al., 2007). Cela rejoint le point de vue de Graves (1983), un écrivain et formateur américain qui affirmait que pour être efficaces dans leur manière d’enseigner l’écriture les enseignants devaient être eux-mêmes des auteurs compétents. Cette affirmation ne signifiait pas que chaque enseignant devait être un auteur publié (écrivain), mais qu’il devait lui-même écrire régulièrement pour acquérir une vision du processus d’écriture de l’intérieur. Selon cette vision, la connaissance du contenu à enseigner serait essentielle pour se sentir plus confiant dans ses compétences et ainsi oser se montrer en modèle de scripteur: comment trouver une idée, la façonner en texte et réviser celui-ci (Gardner, 2014; Grainger, 2005) ou partager ses intérêts et ses difficultés. Ces travaux plaident pour la formation d’un sujet-écrivant ou sujet-auteur «engagé dans l’acte d’écriture et développant un rapport identitaire à celle-ci» (Houdart-Mérot et Mongenot, 2013, cités par Brunel et Rinck, 2016, p. 2).

Des recherches menées au Royaume-Uni durant la mise en place du National Writing Project (Cremin et Baker, 2010; 2014, Cremin, 2015) font écho à l’affirmation de Graves en épinglant un état d’anxiété chez des professionnels lorsqu’ils se trouvent en situation d’écriture en classe ou en formation. Les pratiques d’enseignement de l’écriture telles que rendre visible le processus d’écriture et écrire devant des élèves pourraient être affectées par une difficulté des enseignants à naviguer entre leur posture d’enseignant et leur posture d’auteur. Selon Cremin et Baker (2010), la posture d’auteur faciliterait le partage du processus de génération des idées et les échanges sur les aspects sociaux et émotionnels de l’écriture, alors que, selon Gardner (2014), la posture d’enseignant s’adapterait mieux à la démonstration et au soutien du travail des élèves. Ces données issues d’observations et d’entretiens menés avec des enseignants montrent donc cette difficulté à conjuguer ces deux postures et les tensions qui en émergent entre les représentations que les enseignants se font de leur double positionnement identitaire.

Ce bref tour d’horizon des liens entre le rapport à l’écriture et les pratiques d’enseignement met en évidence l’influence réciproque des conceptions et des pratiques d’écriture sur les pratiques d’enseignement (Blaser, 2011; Cremin et Oliver, 2017; Lafont-Terranova et Niwese, 2016) par rapport auxquelles l’ancrage des pratiques professionnelles d’écriture dans la classe et en formation jouerait un rôle d’accélérateur.

Dès lors, comment agir sur le rapport à l’écriture des enseignants pour infléchir leurs pratiques vers davantage d’enseignement des compétences scripturales? Comment augmenter la confiance dans leurs capacités à enseigner ces compétences essentielles?

2.3 Le rapport à l’écriture comme un outil de développement professionnel

Le rapport à l’écriture des enseignants semble être un des leviers de modification des pratiques s’il remet en question leur identité professionnelle. En effet, il peut devenir un outil au service du développement professionnel des enseignants si les formateurs s’intéressent à la mise au travail des affects et des conceptions plus qu’à la transmission de connaissances pour infléchir les pratiques.

Le développement professionnel est «un processus d’apprentissage dynamique et continu des compétences professionnelles et de l’identité professionnelle» (Charlier et Dejean, 2010, p. 7) des individus qui postule la transformation de leur savoir agir. Or, ce savoir agir repose sur le dialogue des savoirs pratiques issus de l’expérience (croyances et connaissances pragmatiques) et des savoirs théoriques (Uwamariya et Mukamurera, 2005), donc sur les conceptions des enseignants.

Selon Pastré (2005), le développement des compétences professionnelles, ou développement opératif, repose sur des déséquilibres intégrés, c’est-à-dire que l’individu a pu dépasser en créant de nouvelles ressources, auxquels se mêle la construction de l’identité professionnelle. Cette représentation de soi en tant qu’enseignant n’est pas figée et repose sur des ruptures identitaires plus ou moins assumées selon l’expérience et les variations de contextes professionnels. Selon Bajoit (2003), ces tensions identitaires éprouvées par l’individu lors des moments de ruptures naissent d’un déséquilibre entre deux des trois pôles qui définissent l’identité: l’identité engagée (ce que je suis et ai été), l’identité désirée (ce que je voudrais être) et l’identité assignée (ce que je crois que les autres voudraient que je sois). Infléchir le rapport à l’écriture ou les pratiques professionnelles d’écriture induit inévitablement des moments de tensions entre ces trois pôles, par exemple entre l’auteur que je suis et l’auteur que je devrais être pour enseigner l’écriture.

Cela dit, il ne suffit pas de renseigner les enseignants sur les résultats des recherches en éducation et de leur transmettre des connaissances pour qu’ils les transposent dans leurs pratiques et modifient leurs conceptions (Goigoux et al., 2021). Une autre voie investiguée est d’infléchir les pratiques en proposant aux enseignants de mettre en oeuvre des outils ayant fait preuve de leur efficacité. Si des expériences montrent que l’utilisation d’un outil permet de modifier les connaissances et les pratiques des enseignants lorsque celui-ci est compatible avec leurs pratiques habituelles (Goigoux et al., 2021), d’autres ont montré que les enseignants modifient, parfois inconsciemment, la proposition didactique de l’outil jusqu’à en altérer les fondements (Schillings et André, 2019; André et al., 2022). Cette prise en main altérée par le prisme de leurs conceptions s’observe même lorsque l’outil intègre les réflexions sur l’habitus professionnel (Jadin et Roosens, 2022).

Si la réussite de la mise en oeuvre d’une pratique innovante dépend de sa compatibilité avec les pratiques habituelles d’enseignement et de son efficience (Tyack et Cuban, 1995), comment faire lorsque les pratiques habituelles intègrent très peu les démarches cognitives requises par les scripteurs experts et que les conceptions dominantes sont erronées, voire «bloquantes»?

Une voie possible pourrait être de travailler sur le vécu en formation. À ce propos, plusieurs recherches ont montré l’utilité pour des enseignants de vivre des expériences marquantes liées à l’écriture pour modifier leurs affects et leurs conceptions (Cremin et Oliver, 2017; Gagnon et al., 2020; Lafont-Terranova, 2008). Ces formations suscitent une remise en question chez les enseignants en les amenant à vivre les étapes de processus d’écriture et à développer une posture d’auteur, c’est-à-dire à poser des choix dans l’écriture d’un texte en vue de produire des effets sur son lecteur (Tauveron et Sève, 2005; Lebrun, 2007). Elles contribuent ainsi à mettre au travail le système périphérique contextualisé et individualisé des conceptions relatives à l’écriture (Barré-De Miniac, 2008). Selon Gardner (2014), les connaissances acquises par l’enseignant dans ce cadre s’opposent aux apprentissages réalisés par transmission, car ce savoir expérientiel du processus d’écriture est enraciné dans une situation authentique où l’enseignant a endossé la posture d’auteur avant de mener une réflexion sur ses pratiques en classe.

Cet article interroge la place du rapport à l’écriture en tant qu’outil de développement professionnel. Notre question de recherche est donc la suivante: quels sont les principes de formation susceptibles de transformer les conceptions et les affects relatifs à l’écriture et son enseignement et comment se transforment-ils?

3. Méthodologie

L’objectif est de décrire la transformation des conceptions sur l’écriture d’enseignantes à la suite d’une formation «immersive» en ciblant les conceptions et les affects liés aux pratiques d’écriture à l’aide d’une approche mixte séquentielle de type explicative (Creswell et Plano-Clark, 2011). Les réponses à deux questionnaires permettent de brosser un tableau des caractéristiques des participantes de la formation, que des entretiens permettent d’éclairer par la suite. L’étude cherche en particulier à déterminer les constituants du dispositif de formation ayant exercé un rôle de levier dans la consolidation, le questionnement ou la modification du rapport à l’écriture des participantes.

3.1 Le recueil de données et les participantes

Les 20 enseignantes ayant participé à cette formation non obligatoire ont répondu à deux questionnaires ciblant les dimensions conceptuelle, affective et praxéologique de leur rapport à l’écrit avant et après le temps de formation. L’ensemble des items du questionnaire rend compte de principes didactiques en enseignement de l’écriture qui font consensus dans la communauté scientifique, tels que l’enseignement de stratégies, ou la création d’une communauté d’auteurs (CNESCO, 2018; Graham et al., 2012). Ces questionnaires comportent à la fois des items de positionnement à l’aide d’une échelle de Likert et des questions ouvertes (voir exemples figure 2).

Figure 2

Exemples d’items issus des questionnaires

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Figure 3

Exemple du guide d’entretien de Bérénice

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Par la suite, cinq d’entre elles ont accepté un entretien d’environ 30 minutes visant à approfondir les réponses données dans les deux questionnaires en revenant sur les changements éventuels de conceptions et sur les ressentis des enseignantes durant la formation (voir figure 3). Ces données sont complétées par les notes du journal de bord[3] des chercheuses.

Figure 4

Schéma du recueil de données

Schéma du recueil de données

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La moitié des participantes à la formation a plus de 26 ans d’expérience dans l’enseignement. Sept exercent en maternelle, onze en primaire. Deux participantes occupent une fonction, de responsable de formation ou de coenseignante. La majorité (15) enseigne à un public plutôt favorisé (indice socio-économique supérieur à 14[4]) ou mixte (ISE entre 7 et 14) dans des classes composées de 11 à 20 élèves en majorité. Voici un descriptif plus précis des cinq participantes ayant pris part aux entretiens.

Marion[5] enseigne depuis moins de 10 ans, elle qualifie son enseignement de l’écriture de «très classique». Elle propose à ses élèves de P1 un travail sur les syllabes et sur les mots: assemblage, dictées classique ou réflexive en sous-groupes. Elle mentionne aussi des exercices de conjugaison.

Carole est une enseignante expérimentée (plus de 26 ans d’ancienneté). Dans sa classe transversale de primaire, elle met en place des activités d’écriture «au petit bonheur la chance»: dictées, recherche d’erreurs dans une phrase.

Brigitte est enseignante depuis plus de 26 ans et coenseignante responsable de l’écriture depuis moins d’un an. Avec ses collègues, elles proposent de l’écriture de phrases (raconter son week-end, écrire une partie de compte-rendu ou d’histoire) à la suite de la découverte d’une structure de textes.

Bérénice enseigne depuis plus de 20 ans. Elle déclare qu’elle fait trop peu d’écriture avec ses élèves de première primaire. C’est uniquement au dernier trimestre qu’ils écrivent eux-mêmes des phrases. Avant cela, elle propose des temps de dictée à l’adulte et d’écriture de mots composés uniquement des lettres que les élèves connaissent.

Nadine enseigne en troisième maternelle depuis plus de 26 ans. Les écrits fonctionnels sont au coeur de sa classe: affiches, invitations, cartes de voeux sont écrites en dictée à l’adulte, de même que des récits. Les élèves écrivent seuls leur prénom.

3.2 La formation «immersive»

La formation dont il est question dans cette contribution peut être qualifiée d’immersive à plusieurs égards. Étalée sur deux jours et demi consécutifs, elle a permis aux enseignantes de se plonger dans la thématique centrée sur la découverte d’un dispositif d’enseignement de l’écriture conjuguant l’enseignement explicite de stratégies à une approche authentique de l’écriture (voir André et al., 2019 pour plus de détails): les ateliers d’écriture développés par L. Calkins (1986). L’organisation des ateliers et la philosophie dans laquelle ils s’ancrent sont exposées et concrétisées à travers des vidéos d’enseignants, des textes d’élèves et des outils provenant de classes vivant les ateliers d’écriture. Cette immersion passe aussi par les anecdotes racontées par la formatrice[6], utilisant elle-même les ateliers dans le quotidien de sa classe. Mais surtout, les participantes expérimentent le processus d’écriture dans toutes ses étapes grâce à l’écriture d’un récit s’inspirant d’un moment vécu. Comme les élèves, les participantes bénéficient de moments d’enseignement (mini-leçons) avant de se replonger à plusieurs reprises au long des deux jours et demi dans l’écriture de leur propre texte. Par ailleurs, la formatrice plonge les participantes à plusieurs reprises dans la lecture à haute voix d’albums jeunesse.

Figure 5

Exemple de texte révisé par une participante à la suite d’une mini-leçon portant sur l’étude de textes d’auteurs

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3.3 L’analyse des données

Les données issues des questionnaires ont été analysées de manière quantitative afin de dégager le portrait des 20 enseignantes concernant leur rapport à l’écriture. Les réponses aux questions ouvertes et les entretiens ont fait l’objet d’une analyse de contenu catégorielle (Bardin, 1997) notamment pour dégager des éléments relatifs à chaque dimension du modèle d’enseignant-auteur développé dans le cadre de cette contribution; qu’ils en constituent des exemples ou des contre-exemples. Par ailleurs, les catégories «pratiques d’enseignement de l’écriture», «conceptions», «impact de la formation immersive», «relation à l’écriture» et «pratiques d’écriture» ont guidés l’analyse du corpus de réponses ouvertes et d’entretiens.

4. Résultats

4.1 Les conceptions et les affects «atypiques»

Au regard du portrait des enseignantes dans la littérature scientifique mettant en avant un rapport à l’écriture plutôt négatif, les conceptions et les affects liés à l’écriture de la majorité des 20 enseignantes de cette étude présentent un profil atypique avant la formation.

Seules trois enseignantes déclarent ne pas aimer écrire et ne pas se sentir compétentes en écriture. Ces enseignantes semblent aussi en majorité ne pas avoir vécu d’expériences négatives (15) avec l’écriture durant leur parcours scolaire. En effet, quand il s’agissait de qualifier l’activité d’écriture à l’aide de deux adjectifs, ce sont les adjectifs agréable (12), libérateur (7) et satisfaisant (5) qui ont été les plus choisis dans la liste proposée par le questionnaire.

Les entretiens dévoilent une fonction cathartique de l’écriture associée à ces adjectifs. En effet, les cinq enseignantes utilisent des mots comme pulsion, se livrer, se mettre à nu pour parler de l’activité d’écriture qu’elles la pratiquent ou non sur le plan personnel. Cette expression de soi se traduit le plus souvent par une écriture spontanée n’impliquant pas de partage de l’écrit produit avec autrui. Si elles déclarent aimer écrire, elles ne sont pas toutes favorables au partage de leurs écrits lors de la formation: «Me raconter m’a semblé naturel. Savoir que j’allais être lue me gênait plus.» (enseignante 13)

Il semblerait que leurs pratiques personnelles d’écriture favorisent peu l’objectivation du processus d’écriture, qu’elles mobilisent partiellement puisqu’elles ne planifient et ne révisent pas leurs textes. Si elle peut avoir des vertus thérapeutiques, cette pratique personnelle de l’écriture ne place pas l’individu dans une posture d’auteur (Turgeon et Tremblay, 2018) qui nécessiterait un travail itératif sur le texte jusqu’à ce qu’il réponde à l’intention poursuivie et qu’il puisse être lu. En témoigne cet extrait d’entretien avec Nadine qui, lors de l’écriture de son récit, n’a pas mobilisé la stratégie enseignée par la formatrice pour ne pas dénaturer son texte:

Honnêtement, je ne l’ai pas changé parce que si je commençais à par exemple, à faire des répétitions ou à faire… […] en voulant faire trop d’effets, j’avais l’impression que ça n’avait plus la même saveur quand je disais le texte et que ce n’était plus moi qui l’avais écrit.

Les conceptions des participantes à propos de l’écriture et de son enseignement semblent quant à elles en accord avec les principes didactiques issus de la recherche scientifique énoncés dans le questionnaire. Les 20 enseignantes se déclarent en accord avec le fait que l’orthographe ne devrait pas primer sur d’autres aspects de l’écriture. La majorité considère qu’il n’est pas contre-productif de faire produire des textes avant que les élèves ne maîtrisent l’orthographe; qu’il ne faut pas absolument corriger tous les écrits des élèves; qu’il est plus important de développer l’envie d’écrire que d’enseigner à écrire sans erreurs.

Cependant, certains éléments semblent plus éloignés des conceptions décrites dans la littérature. Tout d’abord, les enseignantes sont assez d’accord (9/20) avec l’affirmation selon laquelle le texte produit par un élève est plus important que les étapes qui y mènent. Cette conception se retrouve en filigrane dans les entretiens, qui dévoilent que, chez ces cinq enseignantes, la notion de compétence en écriture recouvre principalement des aspects linguistiques, bien maitrisés pour quatre d’entre elles.

1) Tout ce qui était orthographe et conventions, ça fonctionnait très très bien

Brigitte

2) Écrire, c’est montrer que je peux faire des erreurs d'orthographe

Bérénice

Il en est de même lorsqu’elles parlent des élèves:

3) Je partais du principe qu’il fallait qu’ils aient des connaissances en français suffisantes pour pouvoir se lancer dans l’écriture

Bérénice

4) Je ne les voyais pas capables d’écrire quoi, parce que pour moi je m’arrêtais trop à l’orthographe, à enfin, à pouvoir comprendre

Marion

Cette omniprésence de l’orthographe pour décrire l’écriture pourrait en partie s’expliquer par le fait que ces enseignantes ne savent pas quoi enseigner d’autre et surtout comment le faire:

Je pense dans le questionnaire à chaque fois je me disais bah oui, c’est ça qui est important mais en pratique, je le faisais pas nécessairement quoi. Dans ma tête c’était oui, c’est ça qu’on devrait faire et tout ça mais comment? Et je voyais pas…

Marion

Le parcours personnel des enseignantes éclaire cet aspect. En effet, il semble que la formation initiale en didactique de l’écriture soit quasiment absente, elles ont reçu des cours de maîtrise de la langue ou de calligraphie. Par ailleurs, elles ne se sont jamais inscrites à une formation continue sur l’écriture avant celle dont il est question dans cet article et leur parcours scolaire est aussi marqué par un focus sur l’orthographe, la grammaire et le vocabulaire.

Chaque élément rapporté montre donc que leur identité professionnelle est influencée par la formation reçue, mais les conceptions et les affects sont aussi imprégnés de la culture dans laquelle l’enseignante a grandi et par les apprentissages informels réalisés (Schillings et al., 2021), comme le raconte Bérénice, seule participante à présenter un rapport à l’écrit négatif, lorsqu’elle fait référence à l’éducation de ses parents où «on doit faire les choses correctement» et à une anecdote vécue par son frère:

Je me rappelle mon frère aîné, qui était parti au camp et qui avait écrit une petite carte et au lieu de lui dire «Merci, bravo pour ta carte». Quand il est rentré, on lui a dit: «Mais t’as vu toutes les fautes d’orthographe que tu as faites?»

Un autre point commun entre ces enseignantes est leur passion pour les livres jeunesse. Lorsqu’elles parlent de leur investissement dans l’écriture, les enseignantes mentionnent toutes la lecture en premier. Elles semblent dire que les deux vont «forcément ensemble»: si j’aime lire alors naturellement j’aime écrire. Et dans cette situation, la littérature de jeunesse semble jouer un rôle de levier dans le goût pour la lecture et pour l’écriture: «J’adore écrire, je veux dire, si je dois écrire, j’aime bien écrire. J’adore lire, je lis énormément. Donc ça c’est. Voilà, je pense que tout ce qui est album jeunesse. C’est peut-être plus ça en fait» (Brigitte).

Enfin, elles sont 17 à penser qu’écrire permet d’exprimer exactement ce qu’on a en tête. Cette conception de l’écriture comme un code qui sert à transcrire une idée préexistante confirme l’idée que ces enseignantes attribuent essentiellement une fonction de communication à l’écriture plutôt qu’une fonction de créativité et de réflexivité. Il n’est alors guère étonnant que neuf enseignantes soient assez peu d’accord avec le fait que l’écriture s’apprend par un enseignement structuré car «pour moi, écrire c’est évident, ça ne me semble pas compliqué» (Carole).

L’analyse des questionnaires montre qu’à l’issue de la formation, la majorité des conceptions saisies au moyen du questionnaire se sont renforcées, mais que d’autres ont changé de camp comme l’intérêt pour l’évolution de l’élève ou pour le processus qui mène à un texte sont vues plus positivement en fin de formation. L’analyse des entretiens fait quant à elle apparaître des informations supplémentaires et des déplacements intéressants même pour les enseignantes qui semblaient d’accord avec les propositions didactiques qui font consensus dans la recherche.

Ces premiers éléments montrent la complexité du rapport à l’écrit des enseignants avec une tendance générale à considérer l’écriture dans son volet normatif, ce que confirment les pratiques d’enseignement de l’écriture énoncées par les enseignantes lors des entretiens (voir 2.1).

4.2 Des pratiques d’écriture essentiellement fonctionnelles

Lorsque l’on s’intéresse à leurs pratiques d’écriture (personnelles ou professionnelles), on constate que la majorité des enseignantes rapportent écrire régulièrement: elles semblent écrire chaque jour ou presque pour des raisons professionnelles (préparations de leçons [16] et messages aux parents et aux collègues [7]) et dans une visée plutôt fonctionnelle (aide-mémoire [14], courriels et messages instantanés ([19]). En plus des tâches mentionnées dans le questionnaire, les enseignantes déclarent rédiger des rapports, des synthèses ou des écrits pour «déposer ses réflexions» (Brigitte) ou «soulager ses émotions» (Nadine).

Ceci nous montre, qu’avant l’entrée dans la formation, elles sont toutes des scriptrices sans nécessairement avoir développé une posture d’autrice propice à l’enseignement de l’écriture et au développement des compétences des élèves. La littérature parle des pratiques personnelles d’écriture des enseignants comme un accélérateur des pratiques d’enseignement de l’écriture, mais toutes les pratiques n’ont pas le même pouvoir pour les aider. Les pratiques permettant aux personnes enseignantes de parcourir chaque composante de la production d’écrits (planification, mise en mots, révision, correction) éclairent ce processus de l’intérieur et favorisent la mise à distance et la compréhension de leur fonction. C’est cette compréhension qui permettrait aux enseignants de changer leur vision de l’écriture et des composantes à enseigner et qui est ciblée par la formation.

4.3 Les principes actifs de la formation

Les éléments épinglés par les participantes dans le questionnaire suivant la formation et lors des entretiens constituent des leviers pour consolider, questionner ou encore modifier leur rapport à l’écrit, plus précisément leurs affects et leurs conceptions de l’enseignement de l’écriture.

Les deux grands principes détaillés ci-après ont été vus comme permettant de diminuer l’inquiétude liée à l’enseignement de l’écriture, de dédramatiser et de relativiser ce qui peut être attendu des élèves.

4.3.1 Une formatrice qui témoigne de sa pratique d’enseignante

La première chose rapportée par les enseignantes est le fait que la formatrice est une enseignante qui leur parle, d’égale à égales, du quotidien de sa classe. Cette formation est davantage vue comme un partage d’expériences. Ce principe s’est concrétisé par quatre éléments: les vidéos et anecdotes de classe, les exemples de textes d’élèves et le partage d’un parcours de développement.

Premièrement, les vidéos de classe, en plus d’illustrer une démarche spécifique d’enseignement de l’écriture, ont permis aux enseignantes de se rendre compte que faire écrire les élèves à six ans était à leur portée: «C’est surtout que je pensais que c’était pas du tout possible et faisable et que dans la formation bah la petite vidéo qu’on avait vue…. Bah j’ai bien vu que c’était possible et c’était intéressant et utile» (Marion).

Les anecdotes du quotidien et les métaphores qui les accompagnent rendent également l’enseignement de l’écriture plus concret et plus accessible. L’humilité de la formatrice dans le partage de son cheminement en tant qu’enseignante et sa transparence sur ses difficultés de même que les réponses apportées relativise le travail de l’écriture avec des élèves de six ou sept ans: «T’as vraiment l’impression qu’elle vit la même chose que toi, le même quotidien, les mêmes difficultés et qu’elle avait des réponses avant même que tu ne poses la question» (Bérénice).

Les exemples de textes d’élèves montrés à différents moments de la formation contribuent également à changer l’idée que les enseignantes se faisaient de l’attendu lorsqu’on parlait d’écriture. Elles pensaient à un écrit finalisé et parfaitement toiletté, et ces exemples déplacent leur attention sur le cheminement de l’élève dans le développement de sa compétence à écrire.

Ces éléments ont provoqué, chez certaines enseignantes, une tension entre leur identité désirée (ce que je voudrais être) et leur identité engagée (ce que je suis et ai été). Ce non-accomplissement personnel et l’envie de ressembler à la formatrice, elle-même enseignante, agit comme un accélérateur de la réflexion sur leurs propres pratiques d’enseignement de l’écriture qu’elles qualifient de trop peu importante.

Le deuxième jour, elle nous a montré les différentes fardes [classeurs] avec des écritures très approximatives et là, je me suis dit: «Oh ça va, on est dans le même bateau». […] tout ça fait que la formation est parlante et qu’on a envie d’essayer parce qu’on voit comment en faire dans une classe et que c’est possible.

Nadine

4.3.2 Une formation qui fait découvrir le processus d’écriture

L’écriture, durant la formation, d’un récit s’inspirant d’un moment vécu a permis aux participantes de saisir la complexité de l’écriture et l’utilité d’un enseignement du processus d’écriture. Leur maîtrise de l’orthographe et de la grammaire ne les aidait pas complétement pour écrire un texte de fiction.

À l’issue de la formation, les enseignantes rapportent une meilleure compréhension et une vision plus précise des différentes composantes de l’écriture, une connaissance de l’intérieur de celles-ci qui leur donne un sentiment de confiance pour l’enseigner. Elles relèvent aussi l’apport des mini-leçons dans la réalisation de cette tâche complexe. Au-delà de développer une connaissance sur les composantes de l’écriture (contenu à enseigner), elles ont aussi vu la nécessité de les enseigner, de les rendre visibles pour aider les élèves à se développer.

C’est bien de nous mettre dans la peau des enfants parce qu’on se rend pas compte que c’est difficile. Pour moi, c’était évident et je me rends compte maintenant que ça l’est beaucoup moins.

Carole

5) Les mini-leçons m’ont permis de me rassurer et de me guider pour ma rédaction.

enseignante 15

Vivre cette expérience les «contraignant» à se placer dans une posture d’autrice les amène à percevoir davantage la dimension créative de l’écriture. Elles rapportent une vision de l’écriture davantage centrée sur l’évolution des élèves, comme le montrent les propos recueillis à l’issue de la formation:

J’ai appris à voir les choses différemment. […] Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas s’attendre à des mots hyper bien orthographiés. En tant qu’auteur, il te raconte une histoire, c’est le contenu qui est hyper important. Je passais complétement à côte quand je leur demandais d’écrire une phrase correctement. Ça réduisait évidemment tout le contenu. Aujourd’hui, je sais que cela s’apprend. Il faut leur donner confiance.

Bérénice

Si elles mentionnent l’intérêt d’avoir écrit en tant qu’adulte en situation professionnelle, elles reconnaissent aussi avoir vécu des émotions négatives qui se sont petit à petit transformées:

J’ai annoncé le premier jour que je détestais écrire pour finalement lire mon texte devant tout le monde. Au début, pas envie, peu d’intérêt. Finalement, j’ai éprouvé du plaisir, de plus en plus grandissant et encore plus au moment où j’ai pu provoquer de l’émotion chez les autres.

enseignante 11

4.4 Quelques éléments prometteurs pour les pratiques d’enseignement de ces enseignantes

Au terme de la formation, la majorité des 20 enseignantes déclare se sentir plus confiantes dans leurs capacités à enseigner l’écriture (15/20) et avoir envie de se lancer dans les ateliers d’écriture (18/20). Un à deux mois plus tard, quatre des cinq enseignantes se sont lancées dans la lecture du manuel et ont planifié les ateliers d’ici la fin de l’année, une a déjà débuté. Trois mois plus tard, deux déclarent avoir fini un module et se lancer dans le deuxième en ayant tenu le cap des trois ateliers par semaine. Trois rapportent quant à elles ne pas avoir réussi à commencer, prises par les contraintes et le temps.

5. Discussion conclusive

Les résultats de cette étude montrent que nous sommes face à un panel d’enseignantes qui témoignent d’un rapport à l’écriture plutôt positif, incluant des conceptions sensiblement plus en accord avec les recherches en didactique de l’écriture que la moyenne. Leurs pratiques d’écritures personnelles sont relativement développées. Cependant, le fait d’inviter quelques enseignantes à expliciter leurs réponses permet de comprendre que leurs pratiques reflètent un rapport à l’écrit singulier. Même lorsque les conceptions, les affects et les pratiques d’écriture semblent positifs, certaines pratiques d’écriture ne semblent pas receler le même potentiel de transfert dans les pratiques de classe que d’autres. Précisément, les pratiques d’écriture rapportées dont la fonction est cathartique semblent constituer un frein à l’expérimentation par certaines participantes des stratégies d’écriture enseignées en formation, ce qui entrave leur objectivation et leur mise à distance. Or, les recommandations de la recherche en didactique de l’écriture insistent sur l’importance d’enseigner les étapes de la production d’écrits et de rendre visibles les démarches qui permettent à tous les auteurs de planifier, mettre leurs idées en mots, réviser et corriger leurs écrits (CNESCO, 2018; Graham et al., 2012).

Fait non négligeable, la majorité de ces enseignantes est a priori disposée à réfléchir à ses pratiques d’enseignement de l’écriture. Si cet engagement des actrices est favorable à leur développement professionnel (Uwamariya et Mukamurera, 2005), l’enseignement de l’écriture n’est pas au coeur des préoccupations de tous les enseignants. Or, l’introduction de savoirs et de savoir-faire relatifs au processus d’écriture dans les nouveaux prescrits requiert que les agents de la formation continue s’en préoccupent. Le défi est alors d’intéresser les enseignants à ces questions si des changements veulent être observés dans le système scolaire. Comment réfléchir les dispositifs de formation continue pour qu’ils agissent comme des leviers de changement de pratiques?

Cette étude souligne l’intérêt de développer, en formation continue, des dispositifs où personnes enseignantes et formatrices collaborent et d’assurer un caractère immersif à l’expérience en permettant aux participants de vivre le processus de A à Z sur plusieurs jours et d’éprouver des émotions positives en endossant une véritable posture d’auteur. Mais cette brève expérience suffit-elle à développer une aisance satisfaisante pour produire des écrits en classe devant les élèves et rendre visibles les étapes par lesquelles l’enseignant passe? Les recherches menées par Cremin et Baker (2010, 2014), Gardner (2014) ou Gagnon et al. (2020) montrent qu’il faut du temps pour assumer sa posture d’auteur en classe. Dans ce cadre, le recours à des manuels d’enseignement incluant des scripts qui détaillent le contenu des démarches cognitives à enseigner pourraient constituer des ressources pour aider les enseignants et enseignantes à mettre en place des pratiques d’enseignement de l’écriture incluant les éléments ci-avant.

Étant donné que les conceptions et le rapport à l’écrit ne se transforment pas toujours en action pédagogique, cette étude devrait être complétée par l’analyse de l’activité de ces professionnels lors de la mise en place des ateliers dans leur classe. De même, si les conceptions semblent s’être modifiées au sortir de la formation, il reste à voir si elles vont s’intégrer à leurs modes de pensée et d’agir.