Corps de l’article

Aborder la question de la citoyenneté et des droits humains en mettant en dialogue des acteurs internationaux des champs du handicap et du vieillissement, tel est l’objectif de ce numéro. En réunissant des experts issus de la recherche, de la société civile et des grandes institutions internationales – dont certains ont marqué, par leur engagement – la construction des cadres d’analyse et de référentiels internationaux, il s’agit aussi d’un témoignage pour l’histoire de ces champs. Il faut donc d’emblée convenir que nous ne sommes sans doute ici qu’au début d’un colloque singulier qui s’écrira encore sur la scène internationale dans les décennies à venir.

Les modestes contributions à ces regards croisés présentées dans ce numéro ont été impulsées en 2020 à l’occasion du 6e colloque international du Réseau d'études international sur l'âge, la citoyenneté et l'intégration socio-économique (REIACTIS), à Metz (France) sur « Société inclusive et avancée en âge ». Ici nous soulignons le tournant majeur initié par Patrick Fougeyrollas, lors de sa participation à une assemblée essentiellement composée d’experts du champ du vieillissement. C’est de cette dynamique, prolongée lors des rencontres internationales organisées par le REIACTIS et la Chaire internationale « Sociétés inclusives et avancée en âge » en mars 2023 à Strasbourg, que se fait témoin la revue Aequitas à travers ce numéro.

L’examen des convergences et spécificités qui marquent ces deux champs a conduit à l’exploration des fondements du droit universel et de l'architecture législative établie sur la scène internationale à destination des publics en situation de handicap et des publics âgés. Nous nous attachons ici à interroger les grands principes qui balisent les conventions internationales et les cadres d’analyse de l’action publique au regard de l'égalité des droits, de la préservation des libertés individuelles, mais aussi des formes de discrimination qui peuvent marquer le parcours de vie de ces populations.

Pour cheminer jusqu’à la situation actuelle, il convient de resituer les processus historiques à l’oeuvre en rappelant la genèse des textes contemporains. Celle-ci prend source dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, adoptée solennellement par l'Assemblée générale des Nations Unies. Ce texte forge les fondements des droits universels à l’oeuvre et a donné lieu ensuite à une multiplication de déclarations adressées à des publics spécifiques. Les personnes en situation de handicap et les personnes âgées ne font pas exception à cette dynamique. Parmi les jalons notables de ce processus, citons la Déclaration des droits des personnes handicapées de 1975, la Première assemblée mondiale sur le vieillissement à Vienne et le Programme d'action mondial concernant les personnes handicapées de 1982, mais aussi les Principes des Nations unies pour les personnes âgées de 1991, les Règles pour l'égalisation des chances des personnes handicapées de 1993, la Deuxième assemblée mondiale sur le vieillissement à Madrid de 2002, et enfin, la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006. Dans une perspective similaire, des réflexions et des travaux ont été engagés au niveau international depuis plusieurs décennies pour évaluer la pertinence de l'élaboration d'une convention internationale spécifique aux droits des personnes âgées.

À travers ces initiatives, se dessine clairement le besoin de garantir les droits et libertés fondamentales, tout en mettant en place des mécanismes pour lutter contre les discriminations dont peuvent être victimes les personnes en situation de handicap et les personnes âgées.

Le premier ordre des débats introduit des perspectives sur les similitudes et les différences entre le handicap et le vieillissement. A cet effet, nous avons invité plusieurs contributeurs à présenter leurs réflexions sur la manière dont chacun de ces publics et de leurs représentants se positionne par rapport aux droits humains universels.

Un premier article, proposé par Marie Mercat-Bruns et Tatiana Gründler, développe une analyse du concept d'âgisme en droit, mettant en évidence les limites du cadre juridique international actuel pour lutter contre les discriminations liées à l'âge, tant sur le plan individuel que systémique. Les auteures examinent le droit en mettant en lumière les nombreux défis liés à la prise en compte et au traitement juridique des questions liées à l’avancée en âge. Finalement, au regard de l’expérience de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, elles soulignent le potentiel transformateur des instruments internationaux dans la lutte contre les discriminations.

Dans leur contribution, Cyril Desjeux, Jean-Philippe Viriot Durandal et Yan Virriat explorent plus spécifiquement les obstacles à l'exercice d’un des droits fondamentaux, celui du droit de vote. En mettant en lumière les entraves à l'exercice de la citoyenneté des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, ils montrent comment les facteurs environnementaux, physiques ou culturels peuvent influencer positivement ou négativement la participation électorale de ces publics.

L'intersection entre vieillissement et handicap est ensuite examinée dans l’article de Nena Georgantzi. L’auteure pointe les défis quotidiens auxquels sont confrontées les personnes âgées ayant des limitations fonctionnelles et cognitives au fil du vieillissement. Ces publics spécifiques sont souvent exclus des dispositifs et des politiques publiques en matière de handicap, ce qui les laisse en marge des mesures et actions collectives visant à protéger leurs droits et à favoriser leur participation.

La deuxième partie de ce numéro se concentre ensuite sur les actions entreprises par différentes catégories d'acteurs pour protéger les droits fondamentaux des personnes en situation de handicap et des personnes âgées.

Un premier entretien avec deux acteurs majeurs de ce champ : Maria Soledad Cisternas Reyes et Rosa Kornefeld-Matte, retrace le processus d'élaboration et de promulgation de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006. Cette conversation, qui établit un dialogue entre les domaines du handicap et du vieillissement à l'échelle internationale, met en lumière les travaux accomplis et les défis auxquels sont confrontés les acteurs oeuvrant en faveur d'une convention similaire destinée aux personnes âgées. Par contraste, cette mise en perspective institutionnelle souligne l'importance d'un tel document-cadre pour promouvoir une meilleure inclusion des personnes âgées dans les sociétés contemporaines.

En contrepoint, la contribution de Maryvonne Lyazid retrace, dans une perspective historique, les débats menés au sein des principales institutions supranationales, européennes et françaises concernant la pertinence de l'instauration d'une convention internationale spécifique aux personnes âgées. L’analyse se fonde sur l'efficacité du cadre normatif et législatif existant à ces différentes échelles et sur sa capacité présumée à garantir les droits fondamentaux de l'ensemble de la population.

Un second témoignage essentiel est proposé à travers la discussion entre Patrick Fougeyrollas et Jean-Luc Simon. Engagés de longue date dans la recherche et l’action en faveur des droits et de l’inclusion des personnes handicapées, ils reviennent ensemble sur les grands jalons ayant conduit à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Au fil du dialogue, la pertinence d’une convention similaire concernant les personnes âgées est interrogée, tout comme la perspective du mouvement handicap vis-à-vis d’une telle entreprise.

Ce numéro se conclut par la synthèse des débats récents sur les convergences et divergences entre handicap et vieillissement à Strasbourg (France) dans le cadre des Rencontres internationales du REIACTIS de mars 2023. Plusieurs contributeurs à ce numéro ont participé à ces discussions et ont échangé leurs points de vue sur les liens et les distinctions entre le handicap et le vieillissement. Il apparaît clairement ici que l'expérience combinée de ces deux champs se présente comme un puissant moteur pour promouvoir la citoyenneté et les droits de ces catégories de publics.