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INTRODUCTION

Les difficultés rencontrées au sein du système québécois de protection de la jeunesse et l’augmentation du recours aux services offerts aux jeunes et aux familles en difficulté ne sont pas nouvelles, mais elles ont été davantage médiatisées au cours des dernières années. Plus récemment, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) a mis en lumière les nombreux défis rencontrés et a recommandé des mesures à mettre en place pour les pallier (CSDEPJ, 2021). La sollicitation grandissante de la protection de la jeunesse pour venir en aide aux enfants maltraités ou à risque de l’être impose une réflexion sur la capacité actuelle des organisations à répondre aux nombreuses exigences qu’engendre cette situation. Les services offerts aux enfants et aux familles suivis par la protection de la jeunesse s’accompagnent de défis importants qui complexifient grandement le travail des intervenants, des gestionnaires et de leurs équipes. Le présent article souhaite mettre en lumière les principaux enjeux organisationnels identifiés par les directrices et directeurs de la protection de la jeunesse et des programmes jeunesse[1] interrogés dans le cadre d’une étude provinciale sur la hausse des signalements (Tarabulsy et al., 2020).

RECENSION DES ÉCRITS

La maltraitance et le recours à la protection de la jeunesse au Québec et ailleurs

La prévalence de la maltraitance et l’augmentation du recours aux services de protection de l’enfance demeurent des réalités difficiles à mesurer et à comparer sur le plan international. Cette situation s’explique par la complexité des systèmes en place, par les différences existantes dans les façons de compiler les données et de définir la maltraitance et par le fait que dans certains pays, celle-ci demeure un phénomène plus ou moins rapporté (Fallon et al., 2010 ; Gilbert et al., 2012 ; Jud et al., 2013 ; Negriff et al., 2017 ; Stoltenborgh et al., 2015). Si les comparaisons internationales sont difficiles à établir, il n’en demeure pas moins que plusieurs pays ont noté, à l’intérieur de leurs propres frontières, une augmentation des taux de signalements au cours des 20 dernières années : c’est le cas, entre autres, des États-Unis (Sedlak et al., 2010), de l’Angleterre (Degli Esposti et al., 2019), de l’Australie (Australian Institute of Health and Welfare, 2021), des Pays-Bas (Euser et al., 2013) et de l’Allemagne (Witt et al., 2017). Ces augmentations sont attribuables à des changements sociaux, organisationnels et culturels, à une meilleure compréhension des impacts associés aux soins parentaux dans le développement et le bien-être des enfants ainsi qu’à une modification du rôle joué par l’État dans la protection de l’enfance. Par contre, d’autres indicateurs associés à la maltraitance, tels que la mort violente d’enfants, les taux de placements ou de prises en charge ou encore la gravité des situations signalées, demeurent quant à eux relativement stables ou en baisse (Degli Esposti et al., 2019 ; Fallon et al., 2015 ; Hélie et al., 2020 ; Trocmé et al., 2014). Par exemple, l’étude pancanadienne de Trocmé et al. (2014) indique que la proportion de signalements traités de façon dite urgente représentait 28 % de tous les signalements en 1998, alors que cette proportion diminuait à 15 % en 2008. Par contre, les autres types de signalements, c’est-à-dire les situations où les préoccupations semblaient moins axées sur la sécurité immédiate et davantage sur les effets à long terme des problèmes familiaux, ont quant à eux plus que doublé (Trocmé et al., 2014).

Tableau 1

Évolution des signalements et des prises en charge par la DPJ (2007-2022)

Évolution des signalements et des prises en charge par la DPJ (2007-2022)
Source : Bilans annuels des DPJ (2007-2022)

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Au Québec, les bilans annuels des DPJ (Tableau 1), combinés aux travaux menés dans le cadre de l’Étude d’incidence québécoise sur les situations évaluées en protection de la jeunesse (ÉIQ) (Hélie et al., 2017) et de l’étude menée récemment sur la hausse des signalements au Québec (Tarabulsy et al., 2020) permettent de dresser un portrait de l’évolution de la maltraitance[2]. Concernant le nombre de signalements ; c’est-à-dire le nombre de signalements faits à la protection de la jeunesse provenant de la population, des professionnels du réseau de la santé et des services sociaux, des partenaires de la communauté ou des individus qui côtoient l’enfant, ceux-ci sont visiblement en hausse. Entre 2005 et 2018, les taux populationnels de signalements (par 1000 jeunes) ont augmenté de 55 %, alors que les taux de signalements retenus ont quant à eux augmenté de 32 %, avec une hausse plus importante chez les enfants ayant entre 0 et 11 ans (Tarabulsy et al., 2020).

Concernant les situations où le signalement est retenu et fait l’objet d’une évaluation, c’est-à-dire les situations qui exigent une investigation de la part du service d’évaluation, elles sont aussi en augmentation. L’étude d’Hélie et al. (2017) indique que le taux d’enfants au sein de la population qui ont fait l’objet d’une évaluation en protection de la jeunesse a augmenté de 34 % entre 1998 et 2014 et que cette augmentation est plus marquée pour le groupe des 3 à 5 ans. Par contre, le taux de confirmation d’incidence (faits fondés) est passé de 77 % en 1998 à 60 % en 2014 et les données analysées indiquent une diminution de la sévérité de la maltraitance (en termes de cooccurrence, de blessures physiques, de chronicité ou de séquelles psychologiques). Par ailleurs, une analyse des données administratives relatives au nombre d’enfants pris en charge par la protection de la jeunesse, c’est-à-dire le nombre de situations où la sécurité ou le développement de l’enfant sont considérés comme compromis et nécessitent un suivi, indique une augmentation constante au cours des 15 dernières années. En effet, ce nombre est passé de 30 891 enfants pour l’année financière 2007-2008 à 40 267 pour l’année 2020-2021, ce qui constitue une augmentation globale d’un peu plus de 30 %[3].

L’organisation des services en protection de la jeunesse : des enjeux qui persistent

L’augmentation des signalements et du nombre d’enfants pris en charge par la protection de la jeunesse mobilise des ressources humaines et financières grandissantes et s’inscrit dans un contexte de pratique qui comporte ses propres défis dont certains sont récurrents et critiqués depuis plusieurs années déjà. Les difficultés de collaboration entre les services de prévention (dits de première ligne) et de protection de la jeunesse (dits de deuxième ligne) et leurs impacts négatifs sur les services offerts aux enfants et aux familles sont identifiés dans plusieurs études (Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux, 2001 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [CDPDJ], 2015 ; Chamberland et Trocmé, 2007). Le travail en « silo », le manque de communication et d’échanges et une compréhension divergente des mandats respectifs représentent, selon la CDPDJ, des entraves à la continuité de services et risquent d’entraîner une démobilisation des parents, une détérioration des situations familiales et une récurrence des signalements (CDPDJ, 2015).

En ce qui concerne l’intervention judiciaire, le rapport Turmel publié en 2004 observe que l’augmentation des signalements entre 1993 et 2000 s’accompagne également d’une hausse de situations qui basculent en mesures judiciaires. Selon les auteurs, ce recours plus fréquent aux tribunaux allonge les délais de traitement de l’ensemble du processus judiciaire. Des enjeux similaires sont aussi relevés dans le rapport de la Vérificatrice générale (2019) : les données rapportées indiquent que les délais pour le traitement des signalements et pour l’évaluation dépassent largement les normes établies. Les auteurs estiment que ces délais posent un risque pour les enfants et leurs familles et retardent l’accès aux services.

Deux réformes majeures survenues au cours des 15 dernières années semblent également avoir eu des impacts notables sur les services de protection de la jeunesse. Tout d’abord, les modifications apportées à la LPJ en 2007, à la suite du dépôt du rapport Dumais (Comité d’experts sur la révision de la Loi sur la Protection de la jeunesse, 2004), visaient principalement à assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de l’enfant. Ces modifications ajoutent, entre autres, les notions de risque aux motifs de compromission (risque de négligence, d’abus physique ou d’abus sexuel) et viennent ainsi élargir le champ d’application de la protection de la jeunesse (Trocmé et al., 2014). De plus, l’introduction de durées maximales de placement[4] dans la LPJ a indirectement accentué la pression sur l’offre de service puisqu’elle fixe des limites de temps à l’intérieur desquelles le parent doit remédier aux problèmes qu’il rencontre pour retrouver la garde de son enfant (Drapeau et al., 2012 ; Goubau, 2012 ; Précourt et al., 2019 ; Saint-Jacques et al., 2015). Plus récemment, la réforme du système de santé et des services sociaux (Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales) a aussi engendré des impacts importants sur le système et les services de la protection de la jeunesse. La CDPDJ (2020) indique que cette réforme, loin de remplir ses promesses, a plutôt contribué à une augmentation des délais et des listes d’attente aux différentes étapes du processus de protection de la jeunesse (PJ) et accentué chez les intervenants le sentiment d’être isolés et surchargés. Une récente étude menée auprès d’intervenants sociaux de la protection de la jeunesse souligne que les mesures associées à cette réforme, telles que les compressions budgétaires, la diminution du nombre de gestionnaires au sein des DPJ, la réorganisation des services et la valorisation d’un modèle de gestion basé sur le rendement statistique et la productivité, ont eu des effets délétères sur l’organisation et sur les conditions de travail des intervenants (Le Pain etal., 2021). Par ailleurs, l’étude provinciale menée par Tarabulsy et al. (2020) sur la hausse des signalements montre également que ces deux événements (modifications à la LPJ en 2007 et réforme du système de santé et des services sociaux en 2015) ont contribué à l’accélération de l’augmentation des taux de signalements au Québec.

Fondements théoriques et questions de recherche

Les enjeux et constats soulevés dans l’état des connaissances illustrent comment le fonctionnement et l’organisation même de la protection de la jeunesse sont tributaires de plusieurs facteurs internes et externes et comment ils reposent sur des liens réciproques entre divers acteurs et instances. Ces constats rejoignent les préoccupations et explications théoriques proposées par le modèle des systèmes ouverts (ou théorie de l’organisation comme système ouvert). Cette approche, développée à partir des fondements de la théorie des organisations, soutient que toute organisation se développe et existe à l’intérieur d’un environnement plus vaste dont les composantes internes et externes affectent sa façon de fonctionner (Cummings et Worley, 2014 ; Weber et Waeger, 2017). La perspective théorique des systèmes ouverts met l’accent sur le processus plutôt que sur la structure et sur les liens réciproques qui relient l'organisation aux éléments et flux qui l’entourent (Scott et Davis, 2015). L’organisation est appréhendée comme un système interdépendant qui interagit et qui est influencé par son environnement et par les sous-systèmes qui le composent (services, groupes et individus). Les organisations créent, mais aussi s'approprient des connaissances, des savoir-faire et des informations issus de leur environnement (Scott et Davis, 2015). Ces intrants sont ensuite transformés par les organisations à l’aide de processus sociaux et techniques (Cummings et Worley, 2014). Selon ce modèle, les rôles, normes, valeurs et routines qui façonnent les organisations seraient le résultat de négociations, de compromis et de collaborations dynamiques entre les membres et acteurs (Weber et Waeger, 2017). Sur le plan des ressources humaines, Scott et Davis (2015) mentionnent également que dans les organisations, la coordination et le contrôle deviennent parfois problématiques en raison de la multiplication des chefs appelés à recevoir des informations, à prendre des décisions et à diriger des actions.

Au Québec, les enjeux organisationnels rencontrés en protection de la jeunesse sont généralement traités et analysés à partir d’indicateurs ou de données administratives et parfois, à partir du point de vue d’intervenants ou de parents. Par contre, ces enjeux sont beaucoup plus rarement examinés à partir du point de vue des gestionnaires, alors que bon nombre d’entre eux sont des témoins privilégiés des transformations et de l’évolution du système de protection de l’enfance. Cette étude pose les questions suivantes, du point de vue des directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ) et des directeurs des programmes jeunesse (DJ) du Québec : 1) Quels sont les enjeux organisationnels et structurels rencontrés en protection de la jeunesse concernant la prise en charge des enfants et de leurs familles dans un contexte d’augmentation des signalements et de sur-sollicitation des services ? et 2) Quelles sont les stratégies envisagées ou expérimentées par les établissements pour améliorer les trajectoires de services en protection de la jeunesse ?

MÉTHODOLOGIE

La présente étude constitue un volet spécifique d’une étude plus vaste menée par le Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles (CRUJeF) et financée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Cette étude provinciale fait suite à une préoccupation des autorités gouvernementales en regard de la hausse des signalements et du recours à la protection de la jeunesse au cours des dernières années. Le volet de l’étude traité dans le présent article est de nature exploratoire et vise à recueillir le point de vue de gestionnaires sur l’augmentation des signalements et ses enjeux. Pour répondre à ces objectifs, une approche qualitative a été privilégiée (Creswell et Poth, 2017 ; Denzin et Lincoln ; 2017 ; Gaudet et Robert, 2018). Celle-ci permet d’accéder aux points de vue et perceptions des acteurs concernés par l’augmentation des signalements et, plus globalement, par le recours aux services de la protection de la jeunesse. Plus concrètement, l’entretien semi-dirigé a été priorisé comme méthode de collecte de données (Mayer et Saint-Jacques, 2000 ; Savoie-Zajc, 2021).

Collecte des données et échantillon

En début d’année 2019, les Directions de la protection de la jeunesse (DPJ) et les Directions des programmes jeunesse (DJ) de la province ont été informées par courriel qu’une étude provinciale sur la hausse des signalements était en cours de réalisation et qu’elles seraient invitées à participer à un entretien individuel sur le sujet.

Deux grilles d’entrevues ont été élaborées, une première à l’intention des DPJ et une deuxième à l’intention des DJ. À quelques exceptions près, les questions posées aux deux groupes étaient similaires. La première partie des grilles d’entrevues visait à obtenir des informations de type quantitatif, alors que la deuxième partie était constituée de trois questions ouvertes qui visaient à connaître : 1) les hypothèses des DJ/DPJ pour expliquer la hausse des signalements ; 2) les réactions organisationnelles à cette hausse et 3) les principales recommandations des répondants afin d’améliorer les services offerts aux jeunes et aux familles en difficulté. Les résultats et données rapportés et analysés dans le présent article s’appuient sur le contenu de cette deuxième partie des entretiens, c’est-à-dire sur ces trois questions ouvertes.

Au Québec, chaque région administrative[5] compte un DPJ (à part Montréal qui en compte deux) et au moins un DJ. La population ciblée par l’étude est donc constituée de tous les DPJ et d’un DJ par région[6]. Au total, 32 entrevues ont été réalisées entre juin et novembre 2019 : 16 avec les DPJ (12 avec la/le DPJ concerné, 4 avec des adjoints ou des professionnels qui travaillent avec le/la DPJ) et 16 avec des DJ (9 avec le/la DJ concerné, 7 avec des adjoints ou des professionnels qui travaillent avec le/la DJ)[7]. Neuf entrevues ont été menées en personne et 23 à distance par l’entremise du logiciel Zoom. Tous les entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement audio. Les trois questions ouvertes posées aux participants ont été retranscrites intégralement sous la forme de verbatim à des fins d’analyse.

Analyse des données

L’analyse des données s’appuie sur les principes de l’analyse thématique (Braun et Clark, 2006 ; Paillé et Mucchielli, 2021). Cette dernière consiste, à partir d’une lecture attentive des données, à identifier les thèmes et les sous-thèmes capables de rendre significatif le phénomène à l’étude. Tous les contenus concernant les trois questions ciblées ont été isolés et intégrés au logiciel N’Vivo, un logiciel de soutien aux analyses qualitatives (Hilal et Alabri, 2013). Une première lecture des réponses obtenues aux trois questions ouvertes a permis d’établir une grille de codification. Ce type de grille, développée sous la forme d’arborescence (avec des codes et des sous-codes), permet d’organiser le matériel et de procéder à des analyses préliminaires. Une fois ce processus terminé, les principales thématiques abordées ont été identifiées et les sous-thématiques ont été regroupées en fonction des sujets communs. Considérant la diversité des facteurs soulevés par les participants, le contenu retenu pour le présent article porte sur des enjeux organisationnels et structurels. Par conséquent, les enjeux économiques, sociodémographiques et culturels, tels que les difficultés relatives à l’emploi, les spécificités régionales ou les campagnes de sensibilisation ne sont pas abordés dans le présent article.

L’exercice de catégorisation a permis de mettre en lumière : 1) les défis et enjeux rencontrés par les professionnels et les gestionnaires dans un contexte d’augmentation des signalements et 2) les stratégies et pistes de solution envisagées ou expérimentées pour y faire face. La dernière étape de l’analyse qualitative consistait à identifier la fréquence des sous-thèmes. Cette analyse a permis de structurer la présentation des résultats autour des thèmes et des sous-thèmes les plus souvent abordés par les participants.

RÉSULTATS

Les résultats sont présentés en trois parties selon les principaux thèmes identifiés dans les données analysées, soit : 1) les difficultés d’accès aux services, 2) les enjeux de ressources humaines et 3) la réorganisation des services. Chaque section détaille, à partir des propos des participants, les défis rencontrés ainsi que les solutions et stratégies considérées comme prometteuses pour améliorer la trajectoire de services en PJ.

Les difficultés d’accès à certaines ressources de première ligne ou spécialisées

Les difficultés d’accès à certaines ressources de première ligne ou spécialisées (ex. déficience intellectuelle [DI] et troubles du spectre de l’autisme [TSA], suivi psychologique, orthophonie, etc.) apparaissent particulièrement problématiques aux yeux des répondants. Plusieurs (n=16)[8] soutiennent que de nombreux signalements sont faits par des intervenants préoccupés ou inquiets de ne pas être en mesure d’offrir les services requis au bon moment ou encore par des parents qui n’ont pas réussi à recevoir de services pour leur enfant :

Les besoins de plusieurs enfants ne sont pas répondus en 1re ligne ou dans les services spécialisés en raison des listes d’attente. Les jeunes se retrouvent donc signalés à la DPJ parce que leurs parents n’en peuvent plus ou que les intervenants de 1re ligne sont inquiets.

DJ-12[9]

Il y a des listes d’attente partout. Les problèmes se cristallisent pendant l’attente et les familles finissent par se retrouver « chez nous » […] Ça finit par un signalement.

DJ-09

Ce problème d’accès aux ressources complexifierait grandement le travail des intervenants régulièrement confrontés à des jeunes qui cumulent différentes problématiques pour lesquelles ils n’ont pas reçu les services nécessaires :

On a une augmentation de jeunes qui entrent en centre jeunesse qui ont une déficience intellectuelle majeure ou un trouble du spectre de l’autisme qui n’entraient pas auparavant en centres jeunesse. Ils étaient accueillis ou soutenus dans un milieu d’hébergement du système DI/TSA comme les CRDI. Mais eux, ils ont des listes d’attente épouvantables. Ça peut prendre huit ans avant qu’un jeune entre en hébergement.

DJ-12

Le fait que la DPJ tende à devenir, depuis quelques années, une porte d’entrée dans les services contribue à sa sur-sollicitation et témoigne, selon plusieurs participants, d’un problème d’accès aux services de première ligne :

Je trouve que la façon d’obtenir des services maintenant, c’est en se dirigeant vers la DPJ. […] La porte d’entrée devient de faire appel à une loi d’exception. Les services de première ligne deviennent une extension de la DPJ. Et pour moi, c’est contre nature.

DJ 24

Le manque d’accès aux ressources et les retards occasionnés ont aussi des conséquences sur le système judiciaire et sur les délais de traitements. L’exemple rapporté ci-dessous fait état du décalage existant entre l’accès aux services et les exigences formulées par les juges :

Eux [les juges], ils commencent à être très frustrés avec le système de santé et les listes d’attente […] Ils disent : « il doit être vu et il doit être vu à telle date, pour x nombre de sessions ». Ils ne sont plus patients. […] Et ça, ça engendre plus de retours en Cour. Parce que tu n’es pas capable de faire ce que le juge veut.

DJ-12

Pour améliorer l’accès aux services

Plusieurs répondants (n=20) croient qu’il est nécessaire de rehausser les services de prévention et d’intensifier les services de proximité :

Moi, je me dis que si on veut inverser la pyramide et avoir beaucoup plus d’actions intensives au niveau des familles, il va falloir faire un ajout substantiel dans les services de proximité.

DJ-09

Il faut bonifier les services en 1re ligne, augmenter les ressources et faire en sorte de mieux rejoindre les populations vulnérables.

DPJ-13

Certains répondants (n=9) mentionnent que ces investissements en prévention pourraient également éviter la récurrence de certains signalements et le retour dans les services de certains enfants. Par exemple, le fait d’intervenir rapidement, en amont, au moment de la crise permettrait d’éviter une détérioration de la situation de l’enfant :

Je pense qu’il faut maximiser la prévention, agir plus tôt, avant une trajectoire en protection de la jeunesse […] Si on veut éviter les cancers, on va travailler sur le tabagisme, ben c’est la même chose. Si on veut éviter que les situations se détériorent, je pense qu’il faut travailler sur des déterminants sociaux.

DPJ-31

Quelques gestionnaires ajoutent d’ailleurs qu’il faudrait outiller et soutenir davantage les parents, avant qu’ils ne se retrouvent en protection de la jeunesse, faute de ne pas avoir reçu les services nécessaires avant.

Le manque d’effectifs et la surcharge de travail

Le contexte de pratique actuel en protection de la jeunesse est marqué par des problématiques de ressources humaines importantes. Le manque d’effectifs, la surcharge de travail et le roulement de personnel sont des enjeux qui affectent à maints égards le système québécois de protection de l’enfance et qui nuisent à la capacité des équipes de traiter adéquatement et dans les temps requis les demandes de services de plus en plus nombreuses. La pression et le stress vécus par les intervenants et cliniciens et les conditions de travail difficiles amèneraient plusieurs à quitter leur emploi, aggravant ainsi les problèmes de pénurie et de roulement de personnel :

Actuellement, on a un mouvement de personnel, parce que les gens ne sont plus capables de vivre avec cette pression-là… et je me permets de dire avec les mêmes conditions que leurs collègues qui sont en CLSC et ont une clientèle volontaire.

DJ-28

L’embauche de nouveaux employés, souvent peu expérimentés, et davantage enclins à adopter des pratiques défensives dans la gestion et l’évaluation du risque, est aussi un élément qui, selon certains répondants, peut expliquer l’augmentation du recours à la DPJ.

Les dernières années ont également été marquées par une perte d’expertise attribuable en partie aux départs massifs à la retraite, mais aussi au transfert de plusieurs intervenants expérimentés vers d’autres secteurs du réseau. La surcharge de travail serait, entre autres, liée à la lourdeur des situations évaluées ou prises en charge et à la comorbidité des problématiques rencontrées chez les usagers (n=15) :

Les problématiques sont beaucoup plus complexes et plus lourdes. Il y a souvent plusieurs spécialités dans un dossier. Il y avait moins de concomitance avant.

DPJ-04

De plus, certaines populations complexifieraient le processus d’intervention. Par exemple, la prise en charge de familles immigrantes ou réfugiées, en hausse dans plusieurs régions, exigerait un investissement plus important de la part des intervenants en termes de temps et d’intensité de services (n=12) :

On a aussi un énorme influx d’immigrants. La charge de leurs besoins est tellement élevée. Ils ont besoin d’intensité de services, une intensité plus élevée que ce qu’on peut offrir souvent.

DJ-12

Pour contrer la pénurie de personnel et la surcharge de travail

Concernant les problèmes de pénurie de personnel, les participants interrogés soulignent la nécessité de recourir à de meilleures approches pour attirer de nouveaux employés et favoriser la rétention du personnel. Ils mentionnent aussi l’importance de mieux encadrer et organiser les ressources humaines (n=10) :

À l’embauche des nouveaux employés, on a des ateliers qui vont durer sur un an. On parle du plan d’intervention, de la confidentialité, de la première entrevue. Plus tout le soutien apporté par les spécialistes en activités cliniques. C’est une façon de retenir les gens. C’est ça, sinon, s’ils arrivent ici, première expérience, c’est un peu traumatisant et ils vont partir avec les jambes à leur cou.

DPJ 04

Certains (n=9) mentionnent que la mise en place de primes ou de journées de congé additionnelles pour les employés pourrait compenser en quelque sorte le stress auquel ils sont confrontés :

Les employés le disent, il faudrait des modifications importantes dans leurs conditions pour qu’ils restent travailler avec des familles suivies par la LPJ s’ils peuvent travailler pour des familles volontaires comme en CLSC, par exemple.

DJ-28

Par ailleurs, selon certains répondants, les nouvelles réalités sociales ou familiales devraient être considérées dans l’évaluation de la charge de travail des intervenants :

Je considère qu’il y a encore un écart important entre l’évolution des phénomènes sociaux qui touchent les jeunes et comment nos intervenants sont outillés pour y faire face.

DJ-32

En plus des familles recomposées, plus nombreuses qu’avant et qui dans certains cas viennent multiplier les suivis, il y aurait également une augmentation de conflits sévères de séparation, de problèmes de dépendance aux jeux vidéo, de troubles de santé mentale et de suivis auprès des familles immigrantes. Pour mieux soutenir les intervenants dans ce contexte évolutif, certaines directions ont donc organisé des ateliers de formation, développé des partenariats avec des ressources externes ou encore mobilisé des spécialistes cliniques pour la mise en place de programmes d’interventions. Ces initiatives peuvent permettre, selon les répondants, de mieux outiller les intervenants et ultimement de favoriser leur rétention.

La réorganisation des services

L’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux, incluant les services de protection de la jeunesse, a fait l’objet d’une réorganisation en profondeur en 2015[10]. Selon certains répondants (n=12), cette réforme aurait bouleversé les modes de communication, de gestion ainsi que l’organisation du travail :

Au début des années 2015, on avait énormément d’appels d’intervenants qui disaient nous faire un signalement, mais qui finalement nous appelaient en consultation clinique. Il y a eu une perte de repères dans les équipes-terrain.

DPJ-22

Il faut aussi noter que les transformations engendrées par cette réforme ont eu un impact sur l’équilibre des ressources en place puisque l’entrée en vigueur de ces modifications a permis aux intervenants de postuler et d’être transférés dans un autre service :

Avec l’intégration du CISSS/CIUSSS, on a perdu énormément de monde : les intervenants sont fatigués, sont surchargés, ils ne voient plus le bout et s’en vont.

DPJ-16

La réforme aurait aussi causé une perte d’expertise importante à l’interne en raison de la réaffectation de gestionnaires à de nouveaux postes :

Il y a des secteurs dans la province où les ressources humaines ont été octroyées de sorte qu’un chef à l’application des mesures pouvait provenir d’un autre secteur. La personne essayait de faire un suivi et un accompagnement avec ses intervenants, elle prenait des décisions qui remontaient au réviseur qui disait : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Le chef, lui, ne le sait pas, il a zéro connaissance en protection de la jeunesse.

DPJ-25

Enfin, cette réforme aurait été accompagnée de compressions budgétaires massives ajoutant au manque de ressources initial. Ces compressions auraient eu, entre autres, un impact négatif sur les collaborations et les partenariats au sein du réseau et sur les services de première ligne :

Ils [les responsables de la réforme] avaient des projets d’optimisation assez importants, pour générer des sous à réinjecter ailleurs dans le réseau. Ça a touché beaucoup les CSSS et on a remarqué quand même une baisse importante de ressources en 1re ligne.

DJ-12

Quelques répondants (n=9) soutiennent finalement que la réforme a déstabilisé les ressources en place et accentué le recours à la DPJ comme porte d’entrée dans les services :

Les CISSS et CIUSSS, ça, pour moi, c’est clair que ça a amené une période d’ambiguïté pour l’ensemble des partenaires et de la région. Il n’y avait plus personne qui savait où, quand, comment, pourquoi, s’adresser à quelle porte, etc. Et dans un contexte comme ça, il y a une chose qui n’a pas changé, c’est le numéro de la DPJ.

DPJ-06

Pour remédier aux problèmes liés à la réorganisation des services

Certains gestionnaires, principalement les DPJ (n=11), déplorent le fait que la réforme appliquée en 2015 ait engendré le retrait du secteur de l’application des mesures de la DPJ. Cette modification aurait en quelque sorte provoqué le morcellement du processus d’intervention en protection de la jeunesse : l’application des mesures a été placée sous la responsabilité de la direction du programme jeunesse, alors que les autres étapes du processus PJ (réception et traitement des signalements [RTS], évaluation/orientation [É/O] et révision) sont demeurées sous la responsabilité de la DPJ. Certains considèrent cette séparation incohérente et proposent de regrouper à nouveau ces deux instances :

La trajectoire est claire et facile en protection : RTS, E/O, Application des mesures et Révision. Là, c’est comme si on est venu chercher un bout (AM) pour essayer de le rapprocher de la 1re ligne au détriment de cette trajectoire claire et légale.

DPJ-06[11]

Par ailleurs, la disparition de l’Association des Centres Jeunesse du Québec (ACJQ), une instance qui regroupait les différents centres jeunesse du Québec, est aussi identifiée par les participants comme une perte de repère collectif en protection de la jeunesse au Québec. L’ACJQ permettait de rallier les acteurs et assurait une cohérence dans les interventions, procédures et outils mis de l’avant dans chacune des régions. Pour pallier cette perte, il est proposé de remettre en place une instance semblable qui coordonnerait l’implantation de pratiques sur le plan provincial et permettrait un partage d’outils et d’approches cliniques. Il a aussi été suggéré de mettre en place un DPJ provincial qui agirait comme coordonnateur des DPJ régionaux, une proposition d’ailleurs entendue à la Commission Laurent qui s’est soldée par la nomination, en mars 2021, d’une directrice nationale de la protection de la jeunesse.

Finalement, des répondants (n=7) indiquent que la diminution du recours à la protection de la jeunesse passe par l’information et la sensibilisation : il est important que la population et les professionnels soient mieux informés des différents services communautaires et de proximité en place de façon à ce que les familles ayant besoin de soutien puissent y être référées. Les exemples apportés par les participants concernent : le développement d’un travail plus intensif auprès des policiers pour les amener à référer davantage aux services de première ligne et aux ressources communautaires (n=7) ; des pratiques de collaboration plus développées entre la PJ et le réseau de la santé et des services sociaux (n=18) ; la mise en place de mécanismes de concertation avec les différents partenaires tels que les écoles, les services de garde, les organismes communautaires, etc. (n=7).

DISCUSSION 

Cette étude visait à mieux comprendre, à partir du point de vue de gestionnaires qui oeuvrent en protection de la jeunesse, les enjeux associés à l’augmentation du recours aux services de protection de la jeunesse ainsi que les pistes de solutions à envisager pour pallier ces difficultés. Les enjeux organisationnels et structurels soulevés par les participants concernent les difficultés d’accès aux services, les enjeux de ressources humaines et la réorganisation des services. À ce titre, il est intéressant de constater la cohérence entre les constats relevés dans la littérature existante, les composantes du modèle théorique des systèmes ouverts et les résultats de la présente étude. Les données et analyses issues des entretiens avec les DJ et DPJ montrent que les défis rencontrés sont le résultat de plusieurs tendances complémentaires liées les unes aux autres qui datent parfois de plusieurs années. Les explications avancées par les participants sont davantage de nature systémique et les constats des participants montrent la pertinence de développer une réflexion plus globale sur la cohérence des services et sur le contexte dans lequel ils sont déployés.

Tout d’abord, la sollicitation grandissante de la DPJ et le nombre croissant de signalements peuvent difficilement être discutés sans qu’une réflexion ne soit entreprise sur le rôle de la prévention dans la compréhension et la prise en charge de la maltraitance envers les enfants (Clément, Gagné et Hélie, 2018 ; Gagné et Goulet, 2017 ; Tarabulsy et al., 2019). De nombreux participants interrogés pensent qu’une diminution du recours à la protection de la jeunesse devrait passer par de meilleurs services de prévention. Différentes études ont aussi démontré que l’accès à des services ou programmes d’intervention précoces peut avoir pour effet de diminuer le recours à la protection de la jeunesse chez les familles vulnérables (St-Germain, Baudry et Bussières, 2016 ; Van der Put et al., 2018). Or, au Québec, ces services sont trop souvent absents ou difficiles d’accès en raison des listes d’attente. De plus, les services de prévention doivent tenir compte du fait que la clientèle suivie en protection de la jeunesse est souvent défavorisée sur le plan socioéconomique et évolue fréquemment dans un contexte social et familial précaire (Duret et Boudreau, 2012). Par exemple, les études menées par Esposito et ses collègues à partir de données québécoises montrent que la récurrence de la négligence demeure étroitement associée à la vulnérabilité économique (Esposito et al., 2021) et que les familles qui évoluent dans un environnement défavorisé sur le plan socioéconomique ont plus de risques de voir leur enfant retiré du milieu familial (Espositio et al., 2017).

La maltraitance et la négligence à l’égard des enfants sont reconnues comme un phénomène multifactoriel dont les déterminants relèvent autant de facteurs individuels, sociaux, culturels qu’économiques (Clément, Gagné et Hélie, 2018 ; Valentino et Edler, 2022). Par conséquent, il est permis de croire que les solutions pour y remédier ne peuvent reposer que sur une seule organisation et se trouvent plutôt dans la combinaison de diverses mesures (Gagné et Goulet, 2017 ; Lacharité, 2014 ; Minas, 2016). La coordination des services exige non seulement la mise en place d’un système cohérent qui met à contribution différentes expertises, mais également le recours à des pratiques favorisant la collaboration entre les divers acteurs impliqués (CSDEPJ, 2021 ; Chamberland et Trocmé, 2007). Dans la présente étude, les défis de collaboration et d’arrimage entre les services sont identifiés par les participants comme un facteur qui nuit à l’offre de service de qualité et qui contribue indirectement à la surutilisation des services de protection de la jeunesse. Ce constat s’inscrit dans une réflexion plus générale sur l’intégration des services. À ce titre, Minas (2016) souligne que les populations plus vulnérables présentant des problématiques complexes et cumulant souvent plusieurs problèmes sociaux (telles que les familles suivies en protection de l’enfance) sont aussi celles qui bénéficient le plus de l’intégration des services.

Une question se pose également en arrière-plan, soit celle du rôle et du mandat attribués aux services de protection de la jeunesse. Dans leur étude pancanadienne, Trocmé et al. (2014) indiquent que les signalements classés non urgents traités par les services de protection de l’enfance ont pratiquement doublé entre 1998 et 2008. Ce résultat laisse croire que certaines situations, traitées par les services PJ, auraient sans doute pu être prises en charge par les services de première ligne. De ce constat découlent également d’autres questions : les établissements de première ligne et les organismes communautaires sont-ils suffisamment financés pour répondre aux besoins des familles vulnérables et éviter leur prise en charge en protection de la jeunesse ? Le rôle et le mandat de la DPJ sont-ils toujours bien compris ? Le caractère d’exception de la LPJ est-il toujours adéquatement appliqué et interprété ? Comme le mentionne le rapport de la Vérificatrice générale (2019), la méconnaissance du mandat de la DPJ par la population et par les professionnels peut contribuer à la surcharge vécue actuellement en protection de la jeunesse.

Sur le plan structurel, il est difficile de passer sous silence les impacts de la réforme de 2015 (Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales) sur l’organisation de la protection de la jeunesse : plusieurs indicateurs permettent d’affirmer que cette réforme a non seulement bouleversé le fonctionnement, les pratiques et les ressources en place (CDPDJ, 2020 ; Le Pain et al., 2021), mais elle a aussi contribué significativement à la hausse des signalements (Tarabulsy et al., 2020). Les propos des participants à cette étude s’inscrivent en continuité de ces constats : plusieurs des gestionnaires interrogés soutiennent que cette réforme est venue fragiliser l’ensemble de la structure de services en protection de la jeunesse et qu’elle a ajouté de la pression sur le personnel en place.

En ce qui a trait aux facteurs liés aux ressources humaines, les obstacles identifiés par les participants tels que la pénurie de personnel, la surcharge de travail et le départ d’intervenants expérimentés auraient eux aussi contribué à la hausse du recours aux services PJ et aux délais de traitement. Par exemple, l’embauche massive de jeunes intervenants et le roulement de personnel, combinés au manque de ressources et de services en première ligne, expliqueraient en partie le recours plus rapide à la DPJ, celle-ci devenant en quelque sorte un rempart de sécurité dans la gestion du risque. La situation des intervenants en protection de la jeunesse a d’ailleurs été largement discutée dans le rapport de la Commission Laurent : le manque de temps dont ils disposent pour bien accompagner les familles, la lourdeur croissante des tâches administratives, le manque d’encadrement et de supervision cliniques et les besoins de formation et de développement de compétences spécifiques y sont identifiés comme des enjeux importants (CSDEPJ, 2021). Ultimement, il convient aussi de se demander si l’adoption d’une approche centrée sur la performance et la reddition de comptes, préconisée en protection de la jeunesse au cours des 30 dernières années (Pagé, 2018), n’a pas atteint un point de non-retour. À l’unanimité, les acteurs et les instances impliqués dans le domaine notent que la reconnaissance et la valorisation du travail des intervenants seront nécessaires pour ramener un certain équilibre et améliorer les services offerts en protection de la jeunesse.

CONCLUSION

Les résultats soulèvent et discutent d’enjeux et de défis en partie déjà connus et identifiés par les acteurs et décideurs du réseau de la santé et des services sociaux. Cependant, les analyses réalisées permettent de situer ces enjeux organisationnels dans leur contexte et de dresser un portrait tenant compte de facteurs à la fois internes et externes. Cette étude met aussi de l’avant le point de vue de gestionnaires qui, de par leur statut et fonctions, se permettent rarement de s’exprimer ouvertement sur les difficultés rencontrées. Pourtant, leurs connaissances de l’organisation et des mécanismes mobilisés dans le déploiement des services contribuent à une meilleure compréhension du système de la protection de la jeunesse ainsi qu’à l’identification de solutions potentielles.

L’augmentation du nombre de situations signalées en protection de la jeunesse témoigne d’une préoccupation collective grandissante à l’égard du bien-être des enfants, ce qui en soi peut être entrevu positivement. Par contre, l’augmentation du nombre d’enfants pris en charge et les difficultés observées dans l’offre de service posent leur lot d’inquiétudes. Ces préoccupations se trouvent inévitablement accentuées par l’effet combiné des difficultés associées à l’organisation des services et des enjeux liés aux ressources humaines. Il est donc permis de croire que l’amélioration des services offerts aux enfants et aux familles vulnérables repose sur une lecture transversale de la maltraitance et des services, c’est-à-dire sur une approche visant à se préoccuper tout autant des besoins des enfants et de leurs familles que des acteurs, des ressources et des organisations qui ont pour mandat de veiller sur eux.