Corps de l’article

Introduction

Au Québec, le système de protection de la jeunesse (PJ) prévoit différents milieux de placement pour les jeunes suivis en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Parmi eux figure le centre de réadaptation pour jeunes en difficultés d’adaptation (CR), un milieu de placement collectif qui, avec les ressources intermédiaires, accueillait en 2021 8 % des jeunes ayant fait l’objet d’une mesure de protection (DPJ, 2021). Cet article vise à mieux comprendre les liens entre ce mode de placement et le processus d’autonomisation des jeunes qui y sont placés à partir des expériences juvéniles[1]. Les résultats témoignent du caractère carcéral des expériences de placement en CR. Ils révèlent comment les éléments architecturaux carcéraux, l’isolement, l’enfermement et l’encadrement multiforme créent une expérience « totale » (Goffman, 1968) chez les jeunes placés, orientent leurs conduites (Foucault, 1975 ; 1978) et restreignent leur processus d’autonomisation (Ramos, 2011), complexifiant leur sortie de placement. Avant d’illustrer ces résultats à partir de données issues de trois recherches récentes menées auprès de jeunes placés en PJ au Québec, cet article revient brièvement sur les particularités du placement en CR et les enjeux soulevés par les parcours de transition vers l’âge adulte (TVAA) des jeunes placés.

Recension des Écrits

Historique et critiques des CR en PJ

Le CR est un établissement de deuxième ligne desservant des jeunes avec « des difficultés d’adaptation personnelle et sociale affectant leur développement. Les jeunes visés manifestent des comportements problématiques qui, par leur nombre, par leur fréquence et par leurs conséquences, revêtent un degré de gravité important » (Gouvernement du Québec, 2010, p. 207). Le système de PJ prévoit une gradation de l’encadrement des jeunes placés dans des unités du CR en fonction de leurs comportements, allant des unités ouvertes, au traitement individualisé (appelées globalisantes ou normalisantes) aux unités plus sécuritaires (dites d’encadrement dynamique élevé ou intensif) (Geoffrion et Ouellet, 2013).

Cette institutionnalisation des jeunes placés n’est pas nouvelle, mais a traversé l’histoire du système québécois de PJ. Elle s’est incarnée dans la création des écoles d’industrie en 1869, dans un contexte de transformation du regard sur les enfants, orphelins et vagabonds (Fecteau et al., 1998 ; Ménard et Strimelle, 2000). Ces derniers ont progressivement été perçus comme un problème social et politique (Fecteau et al., 1998) nécessitant une intervention étatique, notamment dans une perspective hygiéniste (Ménard, 2003) et de moralisation (Joyal, 1996). Aux côtés des écoles de réforme (pour les enfants jugés délinquants), les écoles d’industrie (pour les enfants en besoin de protection) ont scellé l’avènement d’un double système de PJ dite délinquante et en danger (Bienvenue, 2011).

Les établissements collectifs se sont progressivement transformés avec les évolutions du système de PJ. Plus particulièrement, dans la seconde moitié du 20e siècle, les évolutions législatives ont participé à modifier et à limiter le recours aux milieux de placement collectif pour les enfants en besoin de protection (Joyal et Chatillon, 1996). En effet, ce mode de placement a suscité de nombreuses critiques, notamment en raison de la privation de liberté associée aux CR. Par exemple, les rapports de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ont dénoncé, à la fin des années 1990, la violation des droits fondamentaux des mineurs hébergés dans les CR lors de l’usage de certaines pratiques, dont l’isolement et la contention (Lemonde et Desrosiers, 2000). Le souhait d’une désinstitutionalisation plus importante a fait jour, comme celui d’une augmentation des placements collectifs à taille humaine (les foyers de groupe), en famille d’accueil ou encore dans la famille élargie. C’est en particulier le rapport du comité Batshaw (1975) qui a lancé le réseau des services à la jeunesse en difficulté sur la voie de la désinstitutionalisation (Leblanc et Beaumont, 1987).

Encore aujourd’hui, les critiques à l’égard des placements en CR persistent. Dans son récent rapport, la Commission spéciale sur les droits des enfants et de la protection de la jeunesse (CSDEPJ) consacre un chapitre à « l’humanisation des services de réadaptation », soulignant notamment leur « caractère carcéral » (CSDEPJ, 2021, p. 253). Par ailleurs, plusieurs débats demeurent sur les pratiques en CR. Selon Lafortune et al. (2010), deux écoles de pensée traversent les analyses sur l’encadrement intensif mis en place auprès de certains jeunes. Selon l’école socio-clinique, le recours à l’encadrement intensif est une mesure éducative à ajuster à la situation particulière de l’enfant. Pour l’école judiciaire, l’encadrement intensif est au contraire considéré comme une mesure privative de liberté et une atteinte grave aux droits fondamentaux des enfants.

Actuellement et depuis les récentes modifications à la LPJ entrées en vigueur le 26 avril 2023, lorsque le maintien dans le milieu familial n’est pas une option et qu’aucune personne significative n’est en mesure d’accueillir l’enfant, toute décision prise en vertu de la loi doit « assurer la continuité des soins ainsi que la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et son âge[2] ». Ainsi, le placement auprès de personnes significatives ou dans un milieu de vie se rapprochant le plus d’un milieu familial est privilégié, si les circonstances le permettent. Le CR continue cependant d’accueillir des jeunes placés et demeure une figure historique de l’institutionnalisation dans le paysage de la PJ.

Ampleur du recours au CR

Selon le dernier bilan des Directeurs provinciaux de la jeunesse (DPJ, 2021), au 31 mars 2021, 31 978 enfants faisaient l’objet de mesures de protection en vertu de la LPJ. Parmi eux, 8 % étaient placés en CR ou en ressources intermédiaires, alors que 23,6 % étaient placés dans une ressource de type familial et 13 % confiés à un tiers significatif. Les CR accueillent surtout des enfants de 12 ans et plus (Alladatin, 2021), bien que les plus jeunes puissent être hébergés dans des unités prévues pour les 6-11 ans. Concernant l’usage de mesures de contrôle, on estime que 21,4 % des jeunes âgés de 6 à 12 ans vivant en CR ont fait l’objet d’au moins une mesure d’isolement, comparativement à 7,1 % des jeunes âgés de 13 à 17 ans (CSDEPJ, 2021). De plus, 11,5 % des jeunes en CR ont fait l’objet d’une mesure d’encadrement intensif, pour une durée moyenne de 51 jours (CSDEPJ, 2021). À noter que le placement en encadrement intensif est généralement réservé aux jeunes de 14 à 18 ans (Gouvernement du Québec, 2010).

Impact du placement en CR sur la transition à la vie adulte (TVAA)

Le placement en CR n’est pas neutre sur les parcours des jeunes, notamment lors de la TVAA qui est aujourd’hui plus complexe, et ce, pour l’ensemble des jeunes de la société (Wood et al., 2018). Selon Ramos (2011), le processus d’autonomisation qui s’opère durant cette période se décompose en trois notions distinctes : l’indépendance qui renvoie au fait de disposer de ressources suffisantes pour s’affranchir du soutien parental ; l’autonomie référant à l’idée de se fixer ses propres règles ; l’accès à l’âge adulte défini comme l’acquisition des statuts désynchronisés associés à différentes étapes de vie, non linéaires, dont la fin des études, le départ du domicile parental et le début de la vie professionnelle. Différents facteurs contribuent à allonger et à complexifier cette transition, comme le manque d’opportunités d’emploi, le coût des études ou encore l’augmentation des loyers (Wood et al., 2018). Les experts avancent que de nos jours, cette transition s’étire jusqu’à la mi-vingtaine, voire parfois au début de la trentaine (Sawyer et al., 2018 ; Van de Velde, 2015). Les jeunes placés atteignant la majorité en CR se retrouvent forcés de vivre cette transition prématurément, sans avoir le soutien et les ressources nécessaires durant ce processus pourtant crucial.

Les études dressent d’ailleurs un portrait inquiétant du parcours des jeunes placés en CR. Ceux-ci présentent une plus grande instabilité au fil de leur trajectoire de placement en comparaison de leurs pairs placés dans d’autres milieux (Goyette et al., 2019). Conséquemment, leur TVAA s’opère de manière encore plus complexe que pour leurs pairs (Mann-Feder et Goyette, 2019) qui rencontrent déjà de nombreux défis à leur sortie de placement (Cameron et al., 2018). Ceux en CR présentent une plus faible probabilité d’obtenir un diplôme d’études secondaires ou de poursuivre des études postsecondaires, et cette probabilité diminue encore plus lorsque le temps passé en CR augmente (Goyette et Blanchet, 2018) et lorsque le milieu de placement devient plus restrictif (Mech et Fung, 1999). Les jeunes adultes dont le dernier lieu de placement était un CR déclarent également vivre plus d’instabilité résidentielle (Harder et al., 2011), avec notamment un ou plusieurs épisodes d’itinérance à leur sortie (Goyette et al., 2019), épisodes d’ailleurs associés à une importante surjudiciarisation (Goyette et al., 2022).

Rares sont les études explorant les raisons derrière le désavantage des jeunes placés en CR, qui plus est du point de vue de ces jeunes. Selon Harder et al. (2019), la fin du placement en CR est subie par certains, vécue comme mal organisée, et leur préparation en vue de la sortie de placement est jugée insuffisante. Rauktis (2016) rapporte que si les pratiques de contrôle facilitent l’adoption de comportements appropriés en CR, elles n’encouragent ni le développement du pouvoir d’agir ni la participation significative à l’extérieur. La présente étude propose de poursuivre dans cette voie en explorant l’expérience en CR et son influence sur le processus d’autonomisation. Par ailleurs, le placement en CR a jusqu’à présent été surtout étudié à partir du regard des intervenants de la PJ (Lavoie, 2017) ou sous l’angle des pratiques professionnelles (Geoffrion et Collin-Vézina, 2021). L’objectif de cet article est donc de comprendre, à partir du point de vue des jeunes, comment ce placement en CR est vécu et ce qu’il produit dans leur vie, plus précisément sur le processus d’autonomisation et leur TVAA.

MÉthodologie

Cet article est le fruit d'une analyse secondaire de données provenant de trois recherches qualitatives : la première, menée par Marie Dumollard entre 2018 et 2019, s’intéressait à l’action publique sociopénale visant des jeunes judiciarisés dans le système de justice des mineurs, souvent suivis en amont ou en parallèle en PJ (Dumollard, 2020)  ; la deuxième traitait de la participation de jeunes placés à des comités des résidents ou à des comités des usagers, à partir de données collectées en 2015 par Isabelle Lacroix (Lacroix dans Greissler et al., 2018 ; 2020); la troisième, conduite entre 2015 et 2018 par Isabelle Lacroix, Rosita Vargas-Diaz et Isabelle-Ann Leclair-Malette, interrogeait la participation de jeunes ayant vécu un placement en PJ dans des associations d’entraide à la sortie de placement (Lacroix et al., 2020). Au total, 43 jeunes de 16 à 35 ans ont participé aux 3 recherches dans le cadre d’entrevues individuelles de type récit de vie retraçant leur parcours de manière rétrospective. Les parcours n’ont pas été reconstruits à partir de critères objectifs (p. ex., la trajectoire de services ou la durée des placements), mais avant tout selon la subjectivité des interviewés : ces derniers abordaient librement les aspects de leur parcours les plus significatifs pour eux. S’il ne faisait pas l’objet des premières interrogations des trois recherches, le placement en CR et ses enjeux sur l’autonomisation ont rapidement émergé des discours recueillis et de la mise en commun des matériaux empiriques. Une analyse secondaire a spécifiquement été menée sur 30 des 43 entretiens, sélectionnés à partir d’un critère unique : que le jeune ait été ou soit placé en CR sous la LPJ. Sur les 30 participants, 13 étaient des femmes et 17 des hommes, avec une moyenne d’âge de 19,8 ans. La moitié avait moins de 18 ans et 13 étaient encore placés au moment de l’entrevue. Malgré un contexte sociohistorique différent et une institution de la PJ qui évolue entre les périodes de placement des interviewés, nous avons observé la constance des propos à l’égard de la carcéralité des CR chez les participants encore placés, comme chez ceux ne l’étant plus depuis plusieurs années.

L’analyse secondaire (NVivo) était de nature inductive. Plus concrètement, elle était inspirée de la théorisation ancrée (Charmaz, 2006), en laissant émerger les catégories d’analyse des données traitant du CR. Deux éléments principaux ont émergé de façon singulière et structurent les résultats de l’article : d’une part, trois manifestations de la carcéralité expérimentée par les participants (l’architecture, l’isolement, l’enfermement) ; d’autre part, la mise à l’épreuve conséquente de l’autonomisation individuelle par un encadrement multiforme. Ces résultats ont ensuite été lus à travers le concept goffmanien d’institution totale, qui renvoie à un lieu « où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (Goffman, 1968, p. 41). Ils ont aussi été mis en lien avec la perspective foucaldienne de la gouvernementalité qui vise à faire adopter aux individus des conduites en usant de stratégies et de tactiques particulières, les technologies de pouvoir (Foucault, 1975 ; 1978). Cet arrimage théorique a permis de mieux comprendre, à la suite de la codification inductive, les formes de carcéralité éprouvées par les participants lors de leur placement en CR et les effets sur le processus d’autonomisation tel que défini par Ramos (2011).

RÉsultats. La carcÉralitÉ en CR : de l’expÉrience de placement À l’autonomisation complexifiÉe

à X [nom du CR], mon seul crime c'était d’être née. Faque, maintenant je me dis une prison pour jeune, toutes les excuses pour dire que ce n’est pas une prison pour jeune c’est faux, c’est une prison, seuls les foyers de groupe ou les maisons d’accueil ne sont pas une prison pour les jeunes.

Jasmine, 24 ans

Les termes « carcéral » et « prison » pour qualifier le CR sonnent comme un marqueur fort des expériences juvéniles dans cet établissement de placement. Si tous les participants n’emploient pas ces mots, le langage qu’ils utilisent, les situations qu’ils décrivent ou encore les sentiments et émotions qu’ils partagent pour évoquer les milieux de vie en CR pointent les matérialisations de la carcéralité. Bien que « le Centre jeunesse, ce n’est pas de ta faute, c’est celle de tes parents » (Jasmine, 24 ans) et que les participants rappellent avoir été placés dans les unités de la PJ en CR et non dans celles fermées du système de justice des mineurs, ils déplorent le traitement dont ils ont fait ou font l’objet et son rapprochement de celui réservé à un public judiciarisé au pénal. Leurs discours pointent plus particulièrement les aspects qui révèlent la carcéralité de l’établissement, aux effets contraignants sur le processus d’autonomisation : d’une part, l’architecture, l’isolement, le sentiment d’enfermement ; d’autre part, l’encadrement multiforme.

Entre architecture carcérale et sentiment d’enfermement

Au niveau architectural, les descriptions des espaces quotidiens en CR rappellent à bien des égards un établissement carcéral. Les participants rapportent des éléments analogues à ceux étudiés dans les unités voisines de placement pénal qui, si elles n’en portent pas le nom, ressemblent à une prison (Sallée et Tschanz, 2018). La chambre est par exemple décrite comme un lieu sommaire, avec des meubles impersonnels et peu d’objets. Selon le CR et le niveau d’encadrement de l’unité, le dénuement est parfois plus grand, renforcé par les matériaux – le béton plutôt que le bois, une « plaquette de métal » sous le matelas –, et les meubles vissés au sol :

[…] c’est peint tout de blanc t’es contre deux murs serrés […] vous avez déjà vu une chambre à Y [nom d’un CR] ? Non […] À Y, c’est une belle chambre de jeune normal genre. D’accord. T’as un lit, t’as du bois, t’as des couleurs dans ta chambre, t’as une chaise, un bureau, t’as beaucoup d’espace, mais dans ta chambre à X [nom d’un CR aux unités plus sécuritaires], t’as rien de tout ça. C’est tout du béton […] Mais t’as quand même t’as une table et tout ça ? Ouais mais mon banc est vissé, j’ai deux prises seulement pis j’ai une fenêtre mais avec des grilles.

Yves, 16 ans

Simon (19 ans), qui a aussi connu plusieurs unités de CR, s’indigne : « Mais là-bas être dans sa chambre, c'est une cellule câlisse, c'est pas l’fun ! » Les grilles à certaines fenêtres rappellent la clôture qui entoure la cour de certaines unités et qui, comme l’explique Jasmine, est « limée pour pouvoir déchirer ». Plusieurs l’ont d’ailleurs « grimpée » et se sont parfois blessés en s’y « frappant ». En plus de la clôture qui sépare du monde extérieur, les portes de certaines unités sont fermées à clé :

Tu sors pas, tu sors jamais, tu sors dehors là t’as une grille là. Pis y’a pas de porte de sortie. D’accord. Ah oui la porte de l’unité, elle est fermée en fait. Tout est barré. La porte de l’unité est barrée par en dedans du fait que si t’as pas les clés, tu peux pas ouvrir la porte de l’unité.

Daphnée, 16 ans

Charles (17 ans) nous explique qu’à l’intérieur de l’établissement, il faut parfois faire signe aux caméras de surveillance pour que les agents actionnent l’ouverture des portes sécurisées.

Dans cet environnement carcéral, l’unité d’isolement émerge spontanément dans les discours pour décrire l’isolement dans lequel elle plonge et qui a marqué les participants. Ils y ont été placés lorsqu’ils « se désorganisent », un terme que Pierre (18 ans) avoue « n’avoir jamais compris ». Plus spécifiquement, l’isolement survient en réponse à des comportements jugés problématiques ou si les jeunes « n’écoutent pas » les intervenants. Ils y sont envoyés souvent après avoir été « maîtrisés » – c’est-à-dire plaqués contre le mur ou le sol, voire parfois menottés selon certains, par les agents, « les sécurités ». Pierre explique que les blocs dans lesquels ils sont placés, seuls et temporairement, deviennent de l’isolement « quand la porte est fermée » : « Ça c'était pour vraiment isoler la personne, ils t'enferment le truc, ferment la porte du bloc, pis ferment là. »

Il raconte alors que ces épisodes sont souvent une source d’angoisse. Même s’il avait trouvé, avec les agents, une manière de minimiser son anxiété, il en craignait les premières minutes :

Mais j'aimais pas ça être enfermé entre quatre murs parce que moi fallait que je ferme la porte pour commencer pendant les 15 premières minutes. Pis moi quand je commence, quand je suis enfermé, c'est de là que ça tourne dans ma tête pis c'est là… Mais ils [les agents] la laissaient entrouverte. Juste la laisser entrouverte ça, c'était comme dans ma tête, ça jouait un peu.

Le sentiment d’enfermement – que plusieurs résument au fait d’être « entre quatre murs » – a aussi été beaucoup ressenti par les participants placés quelques semaines dans les unités d’encadrement intensif. À l’inverse de l’unité d’isolement dans laquelle les jeunes placés en CR sont envoyés ponctuellement pour éviter qu’ils soient « en état de nuire », celle d’encadrement intensif les insère plutôt « dans un milieu de vie à connotation thérapeutique » (Desrosiers, 2005, citée dans Lavoie, 2017, p. 12). Ces « unités sécuritaires fermées », desquelles « tu peux pas sortir » (Caroline, 17 ans), génèrent colère et frustration au fil d’une gradation de l’encadrement. C’est le cas notamment lorsque les jeunes fuguent de leur milieu de placement. Plusieurs expliquent avoir voulu retrouver leur liberté, reprendre du contrôle sur leur vie ou gérer leurs émotions pendant leur(s) fugue(s). Cependant, si la fugue peut être un espace d’expérimentation de l’autonomie (p. ex. Lemercier, 2017), plusieurs participants racontent qu’elle donne lieu, au retour en unité, à un nouvel enfermement, notamment en unité d’encadrement intensif. Benjamin (19 ans) l’a vécu au fil de nombreux allers-retours entre les unités régulières du CR et celles d’encadrement intensif :

À un moment donné, je pouvais fuguer à chaque jour, genre des fois je venais manger, je me couchais, je refuguais le lendemain. […] Aussitôt que tu fais plusieurs fugues, eux autres ils vont dire « Ok, il peut pas rester en centre ouvert. » Ils vont te mettre […] dans un centre fermé, à clé. Ça fait que tu peux pas sortir, jamais. Si t'essaies de t'évader, ça marchera pas […].

La recherche de liberté se prolonge au-delà des fugues. Au fil de l’avancée en âge, la volonté de sortir du CR et de devenir autonome devient plus grande. Les participants reconnaissent ainsi que les jeunes en situation de placement ont hâte de quitter le cadre contraignant de l’établissement. Néanmoins, la réalité de leur situation à 18 ans et au-delà – notamment un réseau social fragile – est source de préoccupations :

Pis les jeunes le savent ça même avant de quitter ils le disent qu’y’ont hâte de partir, mais en même temps, si tu le sais que t’as pas grand-chose devant toi, t’as pas de filet de sécurité, t’as pas beaucoup de réseau, tu le sens en dedans de toi ça aussi fake c’est sûr que des fois c’est très questionnant.

Bernard, 28 ans

Le fort sentiment de liberté ressenti à la sortie de placement, en contraste de l’enfermement vécu parfois pendant plusieurs années, peut également provoquer un certain déséquilibre. Les jeunes ne savent pas forcément comment gérer cette liberté d’une vie hors institution, insuffisamment préparée et marquée par l’encadrement :

Il faudrait faire une transition, justement avec un encadrement moins grand et que cette préparation-là […] pour que quand [un jeune] arrive à 18 ans, le clash ne soit pas genre « j’ai beaucoup de liberté » ou « je n’ai pas du tout ».

Bryan, 22 ans

La mise à l’épreuve de l’autonomisation par un encadrement multiforme

Dans ce contexte, les participants témoignent d’un encadrement multiforme, qui vient s’ajouter au contrôle des corps précédemment décrit à travers l’architecture, l’isolement et l’enfermement. À ce propos, l’organisation de la vie quotidienne dans les unités de vie illustre de manière concrète la mise en place de l’approche cognitivo-comportementale telle qu’elle est conceptualisée au Québec pour traiter la « déviance générale », notamment des jeunes placés en PJ pour troubles de comportement (Le Blanc et Trudeau Le Blanc, 2014). L’aspect le plus rapporté par les participants est l’encadrement du temps et des activités quotidiennes en CR. Comme l’explique Mathieu (16 ans), il s’agit de « la programmation structurée de l’unité », avec une planification rigide des activités (activités cliniques, école et démarches en lien avec le parcours individuel). Chaque journée est régulée, avec peu de temps morts et de rares moments « pour soi », si ce n’est le soir avant le coucher – William (16 ans) évoque « un gros max trente minutes ». Une certaine habitude se crée alors : la même programmation règle la vie d’une unité à l’autre. Et dans ce contexte réglé, les participants expliquent disposer de peu de marge de manoeuvre pour les tâches de la vie quotidienne :

J'ai changé de Centre jeunesse cinq fois dans ma vie et ça a été tout le temps le même câlisse d’horaire, même chose identique. […] parce qu'entre 10 heures et 8 heures du matin tu n’as pas le droit d’aller aux toilettes. Tsé là, tu te lèves à quelle heure habituellement ? En plein milieu de la nuit câlisse pour aller pisser, faque, après ça, ils se demandaient pourquoi il y avait un haut taux de pipi au lit.

Jasmine 24 ans

Eddy (17 ans) raconte même à ce propos que cet environnement produit « un lavage de cerveau » qui enlève toute autonomie ou tout esprit d’initiative.

L’habitude qu’on leur dise quoi faire et d’être surveillés s’articule au risque d’être soumis à une sanction disciplinaire (le retrait dans la chambre, voire l’isolement) en cas de mauvais comportements ou lorsqu’ils ne se conforment pas aux règles. À cet égard, les descriptions relatives à la gestion des comportements jugés à risque rappellent la perspective cognitivo-comportementale en vigueur dans les unités de garde ouverte et fermée du système de justice des mineurs, qui permet de réaffirmer la visée disciplinaire de l’enfermement des jeunes judiciarisés (Sallée, 2021). La menace de la sanction et de la maîtrise des corps, des comportements et des attitudes vient même renforcer le cadre normatif dans lequel se trouvent les jeunes hébergés dans les unités de PJ du CR et incite les participants à moins, voire ne pas exprimer leurs besoins. Simon le résume par le fait que « […] les enfants de la DPJ, on a été éduqué à tu fais une connerie, ben tu t’en vas en retrait pendant 15 minutes, ou t’as des petites réflexions ». Deux participants utilisent même la métaphore d’une laisse qui les attache au CR pour qualifier leur rapport de conformité vis-à-vis de l’institution. Finalement, c’est surtout le sentiment d’être « dirigé » plutôt qu’« accompagné » qui prédomine, non sans rappeler l’idée foucaldienne de « conduite des conduites » (Foucault, 1975 ; 1978) :

Nous de la façon qu’on est, comment je pourrais dire, qu’on est élevé, on est amené à suivre leur chemin qu’eux autres veulent qu’on prenne, donc on est dirigé […]. C’est ben mieux être accompagné que dirigé […].

Caroline, 17 ans

Dans ce contexte, les choix dans les parcours individuels et les règles sont établis par l’institution, et les participants considèrent disposer de peu de pouvoir pour en changer ou pour exprimer leur désaccord. Le sentiment d’une participation « éphémère » s’accompagne même du contrôle plus direct du langage des jeunes hébergés. Au sein des unités du CR, ils ne peuvent parler de tous les sujets et risquent de se faire « pénaliser si tu dis de quoi qui fait pas leur affaire » (Daphnée, 16 ans). Le « langage de rue » est aussi interdit, comme le fait de parler « du monde extérieur » :

Dans certaines unités, ben on a des sujets de discussion plus fermés, on n’a pas le droit de parler du monde extérieur, on n’a pas le droit de parler de gros sujets de conversation comme la drogue des affaires comme ça, la violence.

Mathieu, 16 ans

Si cette interdiction semble liée au fait de contrôler les risques associés à certains enjeux (la drogue ou la violence, comme les énumère Mathieu), elle renforce aussi la coupure symbolique avec l’extérieur du CR.

Cet encadrement multiforme n’est pas sans conséquence sur le processus d’autonomisation de ces jeunes à l’aube de la majorité, à l’instar de ce que décrit Eddy (17 ans). Depuis son transfert récent d’une unité à l’encadrement plus sévère vers une unité dédiée à la préparation à la sortie, axée sur l’autonomisation et dans laquelle il peut organiser lui-même son temps et ses activités quotidiennes, il reconnaît être déstabilisé par l’absence de directives de la part des intervenants, et « s’emmerder ». Finalement, le placement en CR impacte directement les apprentissages des habiletés de base, que les participants regrettent ne pas avoir acquises assez tôt. Les discours citent des exemples nombreux : penser à éteindre la lumière d’une pièce, prendre un bain, faire son épicerie, préparer ses repas, faire un budget ou ses impôts, gérer une carte de crédit, signer un bail ou encore demander une carte d’assurance maladie. Au-delà de l’autonomie fonctionnelle, le manque d’habiletés dont témoignent les participants renvoie aussi au défi de prendre ses propres décisions. « Passer de tout à rien » a aussi fait en sorte qu’ils se trouvent « face à un mur », difficile à franchir, compte tenu du peu d’informations qui leur ont été transmises sur les ressources mises à leur disposition pour « t’aider quand t’es vraiment dans le pétrin » (Étienne, 21 ans) :

Il y a plein d’affaires encore que je ne le sais pas, que je ne comprends pas puis l’année passée, j’ai appris qu'il fallait que je fasse des impôts, façon de parler tsé, je le savais, mais je ne savais pas où appeler, je ne savais pas... […] Je n’ai pas rencontré le médecin je pense depuis que j’ai été au Centre jeunesse parce qu’il fallait que je trouve un médecin de famille et je ne sais pas où aller […].

Bryan, 22 ans

Même si, comme l’ont dit plusieurs participants, ils ne peuvent jamais être totalement préparés à la sortie de placement et à la majorité, les propos de ceux ayant quitté le CR et expérimenté la vie autonome illustrent le fait qu’ils se sont sentis livrés à eux-mêmes à 18 ans, vivant un grand « clash » entre le placement – un monde à part que certains nomment « une bulle » ou « une cage » – et l’extérieur :

Tu pourras poser la question à 50 jeunes ici là pis je suis pas mal sûre qu’ils diraient tous la même affaire […]. Tsé c’est comme si on te mettait dans la jungle là […]. Tu sors d’icitte… t’as tous tes trois repas, t’as un toit, t’as une place pour dormir, t’as tout ; tu sors dehors tu sais même pas si tu vas réussir à manger tes trois repas.

Daphnée, 16 ans

Il est important de souligner qu’au milieu de ces discours critiques et malgré l’encadrement multiforme vécu, des jeunes ont reconnu s’être sentis écoutés et accueillis par certains intervenants. Chaque fois, ils ont évoqué des professionnels avec qui une relation singulière a été établie. Par ailleurs, certains participants ont expliqué avoir bénéficié d’une aide en préparation à leur sortie de placement grâce à quelques outils formalisés de l’institution. Par exemple, le Programme qualification jeunesse (PQJ) a permis à ceux qui en ont bénéficié de développer des habiletés de base pour la transition et d’avoir confiance en leurs compétences. D’autres outils ont aussi été cités ponctuellement : un programme de stage, un autre en employabilité, certains plans d’intervention ou encore le placement dans des unités spécialisées. Certains reconnaissent par ailleurs que le travail sur la gestion des émotions les a parfois aidés à les comprendre et à mieux les gérer, de façon utile pour l’autonomisation. Malgré ces ouvertures, les éléments relatifs à la carcéralité – l’architecture, l’isolement, l’enfermement et l’encadrement multiforme – ont été prédominants dans tous les récits.

Discussion

L’objectif de l’article était de retracer l’expérience juvénile en CR et de voir comment ce mode de placement influence le processus d'autonomisation et la TVAA. Il s’inscrit dans la lignée de rares travaux qui interrogent les différents apprentissages de l’autonomie selon les modes de placement (Frechon et al., 2020). Plusieurs constats se dégagent des résultats.

Des expériences carcérales

Les jeunes interviewés expriment tout d’abord une expérience commune de « carcéralité ». Les résultats illustrent leur vécu qui s’apparente à celui des « reclus » dans les institutions totales de Goffman (1968), dans le sens où ils vivent dans une institution à l’architecture carcérale, coupée du monde extérieur, dans laquelle ils disposent de peu de marge de manoeuvre dans l’organisation de leur quotidien réglé par un calendrier d’activités du lever jusqu’au soir. L’ensemble de ces éléments ainsi que le sentiment d’avoir peu d’emprise sur les choix dans leur parcours et d’être « dirigés plutôt qu’accompagnés » enserrent leurs conduites, suivant une lecture foucaldienne (Foucault, 1975 ; 1978). Cela s’apparente à l’analyse de Rostaing sur l’univers de la prison et son aspect totalitaire au sens goffmanien. Elle y dégage trois traits distinctifs qui se retrouvent dans nos résultats : la barrière entre le dedans et le dehors ; les atteintes à l’identité ou encore les relations entre détenus et personnels (Rostaing, 2001). Par ailleurs, malgré les changements légaux et dans la pratique concernant le recours à certaines mesures restrictives en CR (Lavoie, 2017), certaines pratiques y sont vécues par les jeunes comme une atteinte à leurs droits.

Des effets importants sur les dimensions de l’autonomisation

Cette expérience commune de « carcéralité » a un impact majeur sur les trois dimensions de l’autonomisation telles que définies par Ramos (2011) : l’indépendance, l’autonomie et l’accès à l’âge adulte. Concernant l’indépendance, les jeunes placés en CR doivent y accéder, dès 18 ans, dans un temps « compressé » et « accéléré » (Stein, 2006), alors qu’ils cumulent des difficultés sociales et familiales (Van de Velde, 2015). La plupart ne disposent pas des ressources matérielles et relationnelles nécessaires pour être indépendants, et l’architecture, l’isolement et l’enfermement leur a imposé une barrière entre l’institution et l’extérieur, suspendant temporairement leur contact fluide avec ce monde extérieur. L’expérience de placement en soi affaiblit les liens qu’ils entretiennent avec leur entourage (famille et amis) (Lacroix et al., 2020), ce qui, dans le cas des CR, est encore plus évident. Les résultats soulignent qu’il s’agit d’une expérience peu normalisante (ex. les contacts sont décidés et gérés par l’institution), ce qui montre l’influence que le type de placement exerce sur la composition et la relation du réseau formel et informel des jeunes placés (Rosenberg, 2019). Comme les jeunes de la population générale lorsqu’ils atteignent leur majorité, ils ne sont pas prêts à devenir indépendants à 18 ans, mais ils ont d’autant moins de chances d’y parvenir en raison du cumul de vulnérabilités dans les différentes sphères de leur vie (Mann-Feder et Goyette, 2019 ; van Breda et al., 2020).

La dimension de l’autonomie est aussi fortement impactée par l’institutionnalisation. Les jeunes sont pris en charge par un système qui, par son architecture et son encadrement multiforme, leur a peu permis d’éprouver leur capacité de décision et leur agentivité. Certes, leur histoire complexe et marquée par des traumatismes place le plus souvent les intervenants sociaux et l’institution de placement dans une logique de protection de l’enfant, qui envisagent cependant peu sa participation au regard de sa vulnérabilité (Rauktis, 2016). Les enjeux d’apprentissage pour l’autonomisation s’expliquent par les objectifs visés par les CR et le paradigme d’intervention sous-jacent qui se situe à la confluence d’une gestion des risques et de l’approche cognitivo-comportementale. Force est de constater que certaines dynamiques d’intervention décrites dans les résultats, lorsque les jeunes en PJ défient l’institution, font écho à celles appliquées aux jeunes judiciarisés dans le système de justice des mineurs (Dumollard, 2020 ; Sallée, 2021). Pourtant, ils n’ont pas été placés en CR pour des raisons délictuelles, mais en raison d’une situation compromettant leur développement ou leur sécurité, sans que leur milieu familial n’arrive à y mettre fin. À notre sens, la réadaptation ne doit pas viser prioritairement la gestion des risques comportementaux et la normalisation comportementale, mais avoir aussi pour objectif d’accompagner le processus d’autonomisation, dans une temporalité longue, en mettant les jeunes placés en position de pouvoir décider. Les résultats montrent que les jeunes placés en CR vivent cette réadaptation non pas au sens éducatif, mais le plus souvent dans une visée disciplinaire (Foucault, 1975). L’enjeu est donc de travailler tout autant leur histoire, c’est-à-dire le sens du placement et sa sortie, que leurs comportements dans l’institution. Cela pose la question du niveau de risque que l’institution de PJ est prête à accepter, et de la façon dont les professionnels accompagnent l’autonomie tout en gérant ces risques.

Tout ce qui précède a finalement un impact sur l’accès à l’âge adulte. Comme nous l’avons vu, les jeunes ont peu été confrontés au fait de prendre des décisions les concernant, ce qui sera pourtant central à l’âge adulte. Pourtant, comme le constatent Paré et Bé, « il incombe à l’État de faciliter [leur] participation, dans le respect de [leurs] droits, en transformant une situation de vulnérabilité en une occasion d’autonomisation » (2020, p. 246). Ramos (2011) a montré combien, pour le cas français, cette autonomie s’inscrit dans un temps long pour les jeunes en population générale qui relève de l’expérimentation et de la négociation avec les parents. Les jeunes testent des stratégies de séparation et d’individuation, et les différents moments d’expérimentation les construisent progressivement comme auteurs de leurs propres choix et de leurs relations. Ce que l’on observe pour les jeunes placés en CR, c’est que l’institution est, en amont de la sortie, dans une logique statique de contrôler l’ici et maintenant plus que d’accompagner la progression, le changement. La sortie de placement se réalise alors dans une rupture brutale, qui accélère l’accès à l’autonomie et est moins pensée sur le long terme, en projetant ces jeunes comme de futurs citoyens.

Retombées pratiques

Nos résultats de recherche montrent la nécessité de réviser les alternatives du placement au CR pour permettre d’inscrire l’autonomisation dans les apprentissages des jeunes. Ces apprentissages doivent concerner l’« autonomie matérielle », soit la capacité des jeunes à subvenir à leurs besoins, mais aussi l’« autonomie de la volonté », soit la capacité des individus à faire des choix (Join-Lambert, 2006). L’enjeu est aussi de soutenir le développement des compétences psychosociales, d’estime de soi et l’étayage émotionnel qui jouent un rôle majeur dans cette transition. À l’international, de nouvelles façons de faire ont été développées depuis plusieurs années déjà dans ce sens. En France, par exemple, les institutions et services de l’Aide sociale à l’enfance[3] ont développé un parcours de semi-autonomie et d’autonomie qui encourage le détachement des intervenants qui ont pris en charge les jeunes et l’apprentissage de la vie seule (cuisine, budget, se déshabituer de la vie en collectivité, etc.) (Frechon et al., 2020). Comme plusieurs jeunes nous l’ont mentionné, des programmes existent déjà au Québec : le PQJ ou des projets localisés d’unités de préparation à la sortie de placement. Lors de la réalisation des trois recherches, ils n’étaient cependant pas structurels à la politique publique de la PJ, renvoyant l’apprentissage de l’autonomie à des expériences singulières ou à la discrétion des personnes. Tel que soulevé lors de la CSDEPJ (2021), cela pose également la question de leur accessibilité à un bassin plus large de jeunes placés, avec des critères plus souples. À ce propos, plusieurs modifications à la Loi sur la protection de la jeunesse sont entrées en vigueur le 26 avril 2023 et visent à mieux préparer et soutenir l’autonomisation et la transition à la vie adulte des jeunes sortant de placement en CR. Elles prévoient par exemple que dans les deux années précédant les 18 ans, un plan de transition doit être élaboré avec chaque jeune. Ce dernier doit également être informé des services de soutien à sa disposition ainsi que de la possibilité, s’il le consent, de pouvoir rester dans son milieu de vie substitut après ses 18 ans[4]. En effet, la loi prévoit désormais qu’

un établissement doit continuer d’héberger une personne qui a atteint l’âge de 18 ans si cette personne y consent et si l’état de celle-ci ne permet pas son retour ou son intégration à domicile. Cet hébergement doit se continuer jusqu’à ce qu’une place lui soit assurée auprès d’un autre établissement ou de l’une de ses ressources intermédiaires ou d’une ressource de type familial où elle pourra recevoir les services que requiert son état[5].

S’il est aujourd’hui trop tôt pour mesurer les effets de ces nouvelles dispositions législatives, il sera important d’analyser dans quelle mesure elles permettent, ou non, de mieux préparer et soutenir l’autonomisation et la transition vers l’âge adulte des jeunes à leur sortie d’un placement en CR.

Forces et limites

La force du croisement de ces trois recherches réside dans le fait que les résultats ont émergé des entrevues de type récit de vie de jeunes qui présentent des profils bien différents. En effet, bien que tous aient vécu un placement en CR en PJ, certains étaient également judiciarisés au pénal quand d’autres étaient impliqués dans les comités de résidents ou d’usagers ou d’autres encore étaient engagés dans des associations d’anciens placés. Que ces jeunes, dans leur récit, abordent spontanément des propos en lien avec l’environnement carcéral du CR et ses impacts sur leur processus d’autonomisation en dit long sur les retombées de cette expérience dans leur parcours.

Le fait que certaines informations sur la trajectoire en CR n’ont pas été documentées constitue la principale limite de cette étude. En effet, à cause du type d’entrevue utilisé et parce que cette étude se base sur des analyses secondaires, nous ne disposons pas d’informations systématiques, pour une partie d’entre eux, sur la durée du placement en CR, le moment et les raisons du passage en CR dans la trajectoire de prise en charge en PJ et le niveau d’encadrement des unités fréquentées. Il est possible que ces informations constituent des facteurs ayant influencé la perception des jeunes de leur passage en CR et de son impact sur leur processus d’autonomisation et leur TVAA. Pour pallier cette limite, les études futures devraient continuer d’explorer le lien entre l’expérience vécue au fil du parcours en CR et le processus d’autonomisation, en documentant les freins et les facilitateurs du développement de l’autonomie.