Corps de l’article

Introduction

Depuis le début du 20e siècle et l’avènement de la figure de l’enfant comme être en développement et « à protéger » se développe le champ de la « protection des mineur·e·s », composé d’instances judiciaires et administratives. Ce champ s’organise de manière variable en fonction des contextes nationaux. Dans certains pays (en France, en Suède ou au Canada, par exemple), une juridiction unique statue sur toutes les mesures de protection, qu’elles soient civiles ou pénales, alors que dans d’autres, ces affaires sont traitées séparément. C’est le cas en Suisse, où s’est déroulée notre enquête : la sphère civile de protection des mineur·e·s – ciblant les enfants victimes de parents jugés déviants – fait l’objet d’un dispositif distinct de la justice pénale visant des mineur·e·s ayant eux-mêmes transgressé la loi.

La littérature scientifique s’aligne souvent sur la distinction juridique entre « pénal » et « civil » dans la construction des objets de recherche. On trouve, d’une part, des travaux sur la justice pénale des mineur·e·s, qui soulignent l’entremêlement entre les logiques de protection et de punition qui prévaut dans cet univers de pratiques (Sallée, 2016 ; Henriksen et Prieur, 2019 ; Bugnon, 2020). Ces recherches explorent la conception duale de l’enfant, à la fois vulnérable et dangereux, qui fonde les systèmes de justice juvénile et fait coexister la protection avec la punition, le soin avec le contrôle (Enell et Wilińska, 2021). D’autre part, il existe des recherches sur la protection de l’enfance dans la sphère civile qui analysent les normes familiales qui sous-tendent les interventions judiciaires visant à protéger des enfants considéré·e·s comme « maltraité·e·s » (Minoc, 2017 ; Oehmichen, 2023), ou encore les conditions d’accès des familles concernées à la justice (Bernheim et Coupienne, 2019).

Dans la lignée de certains auteurs (Niget, 2008 ; Teillet, 2020), cet article[1] propose de dépasser ces frontières de juridiction afin de penser la protection de manière transversale aux sphères civiles et pénales. Il interroge les significations et dynamiques de la contrainte à des fins de protection propres à ces deux sphères judiciaires dans le contexte suisse. Si ces deux dispositifs partagent le même noyau normatif – protection, éducation, intérêt supérieur de l’enfant – leur ancrage juridique et institutionnel distinct produit des effets sur les conceptions et pratiques décisionnelles. En quoi les catégories juridiques et leur mobilisation renseignent-elles sur les buts et raisons sous-jacentes de la régulation ? Quels sont les motifs invoqués pour justifier la protection, au civil ou au pénal ? Et quels sont les ressorts de la contrainte judiciaire dans chacun de ces dispositifs ?

Ces interrogations ont toute leur importance, car le champ de la protection de l’enfance est marqué en Suisse par des mutations durant la deuxième moitié du 20e siècle qui conduisent à une judiciarisation et à une professionnalisation du champ (Schoch et al., 2020) ainsi qu’à une autonomisation de chaque sphère (civile/pénale). Cette judiciarisation, définie par une « extension de l’intervention judiciaire dans de nouvelles sphères de la vie sociale » (Serre, 2001), s’accompagne d’une « juridicisation », à savoir une prolifération des règles de droit dans le monde social (Pélisse, 2009). À ce titre, le canton de Genève, contexte de notre enquête, fait figure de pionnier en Suisse puisqu’il promulgue des lois sur l’enfance abandonnée à la fin du 19e siècle, puis institue une Chambre pénale de l’enfance en 1913. Ce phénomène de judiciarisation s’accélère au tournant des années 2000, avec un accroissement considérable de l’activité judiciaire à des fins de protection et une multiplication des règles de droit, surtout procédurales, dans ce champ d’intervention[2].

Partant du constat que le fonctionnement de la justice au concret est encore peu connu des sciences sociales (Commaille et Dumoulin, 2009) – a fortiori en Suisse où la sociologie de la déviance et de la justice n’a pas connu les mêmes développements qu’en France ou en Belgique (Bugnon et Frauenfelder, 2018) – nous poursuivons ici le projet d’une analyse sociologique du droit « en actes » (Israël, 2008). Considérer le droit comme une pratique sociale ordinaire permet de s’émanciper d’une conception universaliste qui assoit la légitimité des règles de droit sur leur caractère prétendument a-politique et a-sociologique, pour adopter une perspective tournée vers le « sens de l’activité sociale » (Bernheim, 2013) des professionnel·le·s du droit.

La notion de contrainte judiciaire se situe au coeur de nos interrogations. Nous l’abordons ici comme une forme spécifique de contrainte sociale, car sa légitimité repose sur des normes codifiées par le droit et sur un appareil judiciaire autorisé par l’État à recourir à la contrainte pour réguler les conflits sociaux. Partant de ce constat, notre démarche a pour objectif d’interroger empiriquement les formes variables de cette contrainte judiciaire à des fins de protection.

Méthodologie

Les analyses reposent sur un corpus empirique (archives administratives, dossiers personnels de mineur·e·s, entretiens individuels et collectifs avec des professionnel·le·s) recueilli dans le cadre d’une enquête plus large sur la protection des mineur·e·s dans deux cantons romands[3]. Dans le cadre de cette enquête, 154 dossiers de mineur·e·s suivi·e·s par les services administratifs et juridictions civile et pénale de la protection de l’enfance de 1960 à nos jours ont été analysés. Cet article se base sur les dossiers personnels non archivés de jeunes suivi·e·s[4] par les deux tribunaux genevois concernés (Tribunal des mineurs, ou TMin, relatif à la sphère pénale et Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant, ou TPAE, relatif à la sphère civile) ainsi que sur des entretiens réalisés avec des juges en fonction[5]. Les dossiers ont été sélectionnés par les juges, avec la consigne de mettre à disposition de l’équipe de recherche des « cas contrastés » (en fonction du profil des jeunes, des motifs conduisant à l’intervention et du type de mesure judiciaire), donnant lieu à des mesures de protection plus ou moins contraignantes (voir tableau 1) ; à noter que ces mêmes critères de sélection ont été adoptés par l’équipe de recherche pour sélectionner les dossiers plus anciens parmi un échantillonnage de cartons d’archives.

Tableau 1

Tableau récapitulatif du corpus de dossiers

Tableau récapitulatif du corpus de dossiers

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La sélection des dossiers récents par les juges procède d’une démarche visant à croiser les entretiens menés avec les juges et les dossiers dans lesquels ils et elles sont impliqué·e·s. Notre enquête s’inscrit dans une approche qualitative et compréhensive qui se centre sur « la mise au jour des significations que chacun d’entre nous attribue à son action [...] ainsi que sur la mise au jour de la logique collective qu’est l’activité sociale » (Charmillot et Dayer, 2007). Les dossiers sont ici appréhendés comme des sources d’information sur ces jeunes et leur trajectoire, mais aussi comme le produit de logiques sociales et comme des instruments de travail permettant aux professionnel·le·s d’orienter leur action (Atkinson et Coffey, 2010 ; Lomba, 2008). Soulignons à cet égard qu’indépendamment du mode de sélection du dossier (par l’équipe ou par les juges), les mêmes logiques – souvent paradoxales – de la contrainte à des fins de protection ont pu être révélées par l’analyse.

Nous présenterons dans une première partie les dynamiques spécifiques à la protection des mineur·e·s dans le champ pénal, puis celles relatives à la sphère civile. En conclusion, nous reviendrons sur les différences et les continuités qui structurent le champ de la protection des mineur·e·s.

La protection au pénal : réguler les déviances juvéniles

La justice pénale des mineur·e·s est bâtie, depuis le début du 20e siècle, sur un projet de régulation reposant sur les idéaux d’éducation et de protection des jeunes délinquant·e·s (Droux et Praz, 2021 ; Sallée, 2016). Cette visée protectionnelle entre constamment en tension avec l’impératif sécuritaire de protéger la société face à des jeunes jugé·e·s « violent·e·s » ou « dangereux·euses » (Muncie, 2006 ; Enell et Wilińska, 2021 ; Henriksen et Prieur, 2019). La justice pénale des mineur·e·s est donc un domaine d’intervention complexe, basé sur des logiques de contrôle « souples » (priorité aux mesures en milieu ouvert) et souvent hybrides (éducatives, thérapeutiques et punitives) (Bugnon, 2020 ; Périssol, 2020). Ce champ se différencie du système pénal classique : la correspondance entre délit et peine est remplacée par l’adéquation de la réponse pénale « aux conditions de vie et à l’environnement familial du mineur, ainsi qu’au développement de sa personnalité » (Art. 2, Droit pénal des mineurs suisse, ci-après DPMin).

Notre propos cherche à identifier quelques traits caractéristiques – et forcément réducteurs aussi – de l’intervention pénale à des fins de protection, afin de les mettre en perspective avec la protection dans la sphère civile. Ce questionnement présuppose de définir ce qui relève de la protection au pénal : au sens littéral du terme, elle s’incarne, dans le DPMin, par lesdites « mesures de protection » (surveillance, assistance personnelle, traitement ambulatoire et placement), en opposition avec les peines prévues par le texte de loi (réprimande, amende, prestation personnelle[6] et peine privative de liberté). Depuis le nouveau droit entré en vigueur en 2007, mesures et peines peuvent cohabiter, au nom d’un dualisme pénal censé favoriser à la fois la responsabilisation et la protection. D’un point de vue statistique[7], les peines sont largement majoritaires par rapport aux mesures de protection : en 2019, au niveau national, seules 476 mesures de protection ont été prononcées lors d’un jugement, contre 12 712 peines[8] la même année[9]. Parmi ces mesures de protection, en 2019, la plupart ont été exécutées en milieu ouvert, notamment des mesures d’assistance personnelle (N=254), qui consistent en un accompagnement du ou de la jeune et de sa famille par un·e éducateur·trice de référence, et des traitements ambulatoires (N=235), qui prennent généralement la forme d’un suivi psychothérapeutique, en lien parfois avec des problématiques d’addiction. Le placement en institution (ouverte ou fermée) n’a été ordonné que 65 fois. Si les mesures de protection représentent une part congrue des décisions judiciaires, elles mobilisent néanmoins fortement les juges et intervenant·e·s de terrain, en ce qu’elles nécessitent un suivi long et intense de mineur·e·s se trouvant dans des situations personnelles et familiales très complexes, comme l’ont souligné nos enquêté·e·s à maintes reprises.

Au-delà des catégories juridiques relevant officiellement de la protection, nous considérons également dans cet article toute décision qui mobilise un registre protectionnel. Ainsi, comme nous le verrons, une détention préventive peut être prononcée dans une visée de protection. Nos analyses partent donc d’une acception stricto sensu de la protection pour interroger ensuite la manière dont la logique protectionnelle se déploie, dans la justice pénale des mineur·e·s, bien au-delà des catégories prévues par la loi.

Les mineur·e·s au coeur de l’intervention

Une première façon d’interroger l’action judiciaire est de revenir sur les catégories juridiques contenues dans la loi. Dans le DPMin, les mesures de protection ont toutes pour cible la ou le jeune, qu’il s’agira de surveiller, d’assister personnellement, de soigner ou encore de placer, que ce soit à titre de mesure provisionnelle ou de jugement définitif.

Cela nous conduit à dresser un premier constat : la régulation pénale cible le ou la mineure en personne. Ainsi, le coeur du dossier est constitué de documents relatifs aux délits commis (plaintes pénales, PV d’auditions à la police et d’audiences au TMin), aux décisions prises par la justice (ordonnances pénales, jugements) et au suivi du jeune[10] (rapports sur l’exécution des peines, du placement ou du suivi ambulatoire, courriers de l’avocate, etc.). Lorsque la juge ordonne une expertise psychiatrique, celle-ci vise uniquement le jeune concerné, et non toute sa famille comme c’est le cas au civil. Par exemple, le juge chargé du suivi du jeune Assan ordonne une expertise psychiatrique avec l’objectif d’évaluer sa « responsabilité pénale », sa « dangerosité » ainsi que la « pertinence d’un placement en milieu fermé » pour ce dernier.

Par ailleurs, l’élément déclencheur de l’intervention pénale est codifié par la loi : il s’agit nécessairement d’une infraction au sens du code pénal suisse. Si la qualification même du délit peut faire débat, ou le type de réponse pénale apportée, le fait que le système judiciaire doit répondre à l’infraction commise n’est généralement pas questionné. Comme nous le verrons plus loin, les faits à l’origine de l’intervention civile sont à la fois moins codifiés par le droit et moins consensuels et donc plus propices à générer des conflits d’interprétation.

Un continuum de la contrainte à des fins de protection

Tous les dossiers pénaux analysés révèlent une forme de priorité accordée aux mesures de protection. Face à des situations interprétées comme complexes, témoignant d’une vulnérabilité particulière du mineur concerné en raison de son état psychique, de sa situation familiale ou encore scolaire, les décisions avant et après jugement privilégient systématiquement une approche protectionnelle. Or, le deuxième constat qui émerge de nos analyses est que cette priorité donnée à la « protection » ne renseigne en rien sur le degré de contrainte exercée par ces mesures.

Le cas d’Assan est très éclairant à ce sujet : il comparaît de nombreuses fois devant le juge sur une période de deux ans pour des délits qu’il commet, la plupart du temps avec d’autres mineurs. À chaque « récidive » se pose la question de la réponse pénale à apporter. Si les mesures de protection restent priorisées, celles-ci prennent une forme toujours plus répressive, jusqu’au placement d’Assan en centre éducatif fermé pour une durée indéterminée. Assan comparaît la première fois pour cambriolages, vols de véhicules, dégradations dans une école et conduite sans permis et se voit soumis à une mesure d’assistance personnelle. Quelques mois plus tard, il est inculpé à nouveau pour avoir conduit un véhicule volé et pris la fuite lors d’un contrôle de police. Il échappe alors de justesse à la détention : le juge salue en effet son courage d’admettre les faits et l’envoie passer deux semaines dans un camp sportif en guise de « séjour de rupture ». À la fin de la même année, il est arrêté pour le braquage d’une station-service et envoyé en détention provisoire. Un mois plus tard, le juge ordonne sa mise en liberté afin qu’il puisse « reprendre sa scolarité, trouver une place d’apprentissage et démontrer qu’il est capable de se comporter autrement ». Au début de l’année suivante, Assan est à nouveau arrêté et inculpé pour un vol de moto. Cette fois, le juge ordonne sa mise en observation dans un centre éducatif fermé ainsi qu’une expertise psychiatrique. À la fin des trois mois et demi d’observation, Assan est placé sur ordonnance provisionnelle en milieu fermé. Six mois plus tard, lors du jugement, le juge le condamne à une peine privative de liberté de six mois et confirme son placement en milieu fermé, précisant que cette mesure de protection prime sur la peine. La logique protectionnelle peut donc aisément se décliner dans un éventail de mesures, de la moins contraignante à la plus contraignante.

Cette hégémonie de la logique protectionnelle se traduit même dans des décisions judiciaires a priori étrangères à une visée de protection : une mise en détention préventive peut être justifiée par une rhétorique protectionnelle, alors que d’un point de vue strictement juridique, d’autres critères doivent prévaloir[11]. Le cas d’Hilal en est une illustration. Il est condamné à une peine de prestations personnelles (4 jours) pour des vols commis dans des parcs, peine assortie d’une mesure d’assistance personnelle. Quelques semaines plus tard, il est arrêté à la suite de nouveaux délits (vols, injures, menaces, dommage à la propriété et voies de fait). Lors de l’audience d’instruction, Hilal dit avoir volé des objets pour les revendre et quitter son domicile, car il considère sa « situation [comme] intenable à la maison ». Il sollicite son placement auprès de la juge, qui note que « le prévenu sanglote énormément » et ordonne sa mise en détention préventive. Le caractère « protectionnel » de cette détention sera confirmé un mois plus tard par la responsable du centre de détention, laquelle rapporte qu’Hilal a affirmé se sentir « soulagé et apaisé de se trouver dans un espace intime où il peut se poser et se reposer ». Les actes commis par Hilal sont alors interprétés comme un besoin de prendre de la distance avec sa famille et sa détention préventive comme un temps de pause bénéfique. À noter que le recours à la privation de liberté en réponse à des comportements juvéniles qui débordent du cadre strictement pénal a été largement relevé par la littérature internationale (Henriksen et al., 2021).

Le parcours pénal de Paola conforte ces analyses : arrêtée et inculpée pour détention, consommation et trafic de stupéfiants, elle est au terme de la première audience envoyée en détention préventive puis en observation en milieu fermé, alors même qu’il s’agit de son premier passage devant la justice. Ce recours immédiat à des mesures restrictives de liberté est assorti de justifications qui puisent largement dans une rhétorique protectionnelle. Ainsi, dans l’ordonnance, le juge décrit la « situation familiale catastrophique » et « l’abandonnisme » dont Paola souffre depuis l’enfance. Il conclut qu’« au vu de ces éléments et de la détresse et souffrance qu’exprime Paola une observation institutionnelle s’impose », laquelle doit s’effectuer en milieu fermé « vu l’état de santé actuel de la jeune fille et du danger qu’elle court pour elle-même ». L’histoire de Paola rappelle la dimension genrée de cette logique de protection – les jeunes filles étant, plus souvent que les jeunes garçons, considérées par la justice comme « vulnérables » ou « autodestructrices », et devant donc être protégées contre leur gré (Blanchard, 2016 ; Bugnon, Sous presse ; Vernay, 2021).

L’hégémonie de la rhétorique protectionnelle – qui s’incarne dans un continuum de la contrainte à des fins de protection – relègue in fine les peines au second rang. Dans les parcours d’Hilal ou d’Assan, les peines prononcées ne sont jamais exécutées, soit parce qu’elles sont compensées par des mesures avant jugement, soit parce que le juge ordonne que la mesure de protection prime sur la peine. Tout se passe comme si les peines telles que prévues par le DPMin étaient, en quelque sorte, invisibilisées ou « absorbées » par la logique protectionnelle.

L’impératif sécuritaire n’est toutefois pas totalement évacué de ces dossiers : le placement d’Assan en milieu fermé est motivé par son état qui « représente une menace pour des tiers » et nécessite « un cadre fermé, qui puisse résister à sa destructivité et à sa toute-puissance et qui lui permette de construire une contenance interne ». Cet exemple illustre la manière dont la « dangerosité » de ces jeunes qu’il convient de « contenir » (Gansel, 2012) sert de moteur à des décisions judiciaires, tout en se combinant avec une logique protectionnelle qui reste toujours prédominante.

La protection au civil : réguler les déviances parentales

La régulation étatique des « désordres familiaux » au nom de l’intérêt de l’enfant commence à se déployer au tournant du 20e siècle et coïncide avec l’avènement des tribunaux pour mineur·e·s. Ce tournant signe le début de l’intervention dans les familles jugées « défaillantes » dans le but de normaliser les relations familiales et par là, aussi, le développement des enfants. Cette « police des familles » (Donzelot, 1977) prend la forme de dispositifs multiples : assistant·e·s sociaux·ales, éducateurs·trices, mais aussi curateurs·trices et juges chargé·e·s de se prononcer en cas de séparation ou de déviances parentales diverses (alcoolisme, troubles psychiques, etc.). Dans le code civil suisse actuel, le premier article du chapitre sur la protection de l’enfant dresse les contours de ce champ d’intervention : « L’autorité de protection de l’enfant prend les mesures nécessaires pour protéger l’enfant si son développement est menacé et que les père et mère n’y remédient pas d’eux-mêmes ou soient hors d’état de le faire » (Art. 307, al.1).

Les parents au coeur de l’intervention

Aujourd’hui, dans le canton de Genève, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après TPAE) traite les situations nécessitant une intervention judiciaire civile à des fins de protection de l’enfant. D’emblée, on constate une différence importante avec les dossiers du TMin analysés plus haut : l’essentiel du dossier est consacré à détailler la dynamique et l’histoire familiale, les relations entre les parents ou encore leurs pathologies psychiques. Différents documents, relayant les points de vue des professionnel·le·s et de la famille, se succèdent au fil du dossier : rapports du Service de protection des mineurs (SPMI) ; PV d’audiences et ordonnances judiciaires ; courriers des parents, de l’école ou d’une avocate ; documents médicaux concernant l’enfant ou ses parents ; expertises psychiatriques de tous les membres de la famille. La mineure concernée, dont « l’intérêt supérieur » fonde et légitime l’intervention, est présente dans les pièces du dossier, mais dans une bien moindre mesure que dans les affaires pénales.

Cette centralité des parents est aussi incarnée dans les catégories juridiques : parmi les mesures de protections du code civil, on trouve la curatelle, le retrait du droit de déterminer le lieu de résidence ainsi que le retrait de l’autorité parentale. Toutes ces mesures désignent une intervention ciblant les parents, que l’on va assister par le biais d’un curateur, ou à qui on va retirer certains droits ou prérogatives. Les catégories du droit civil les plus souvent mobilisées – notamment la « curatelle » et le « retrait du droit de déterminer le lieu de résidence » – se caractérisent par des contours flous, qui ne renseignent pas sur les modalités concrètes de leur mise en oeuvre. Ainsi, le retrait du droit de déterminer le lieu de résidence consiste, dans la pratique, à placer l’enfant dans une institution ou une famille d’accueil. Mais le texte de loi en dit peu sur les modalités du placement et s’en tient à décrire les justifications légales d’une telle décision, qui ne peut intervenir qu’en ultima ratio. De même, il existe dans la pratique une myriade de curatelles visant des objectifs différents (curatelle d’assistance éducative[12], d’organisation et de surveillance des relations personnelles[13], de soins, etc.), mais toutes relèvent du même article du code civil qui ne détaille pas ces modalités ni leurs finalités.

Les termes employés dans les dossiers pour justifier la mesure de protection évoquent tantôt des « défaillances parentales » (incapacité à mettre un cadre, défaut de collaboration, trouble psychique, etc.), tantôt le risque encouru par l’enfant en raison de ces défaillances. Ainsi, dans le dossier de Carlos, le juge évoque une « situation de danger pour Carlos en termes de maltraitance psychologique, de négligence matérielle, d’exposition à des peurs intenses et d’absence de collaboration » qui justifie la ratification d’une clause péril[14] et le placement de l’enfant. En miroir, dans le dossier de Kilian, qui met en scène une situation de « conflit parental », on voit les compétences dont doivent être dotés les parents pour être considérés comme adéquats : « Madame se montre à l’écoute des besoins de [son enfant] tant sur le plan physiologique que psychologique. Elle assure la régularité des différents suivis, notamment auprès de la guidance infantile. Madame interpelle régulièrement les différents intervenants afin de solliciter leur aide. De plus, elle parvient à s’adapter en fonction des recommandations des professionnels. » Pour être considéré comme un parent « compétent », il ne s’agit donc pas uniquement de garantir le bien-être physique et psychique de son enfant ; il faut également être capable de reconnaître ses carences personnelles, de laisser agir les professionnel·le·s et de s’adapter à leurs recommandations.

Alors qu’au pénal la légitimité de l’intervention est objectivée par un délit, dans les procédures civiles les parents se voient mis en question sur la base de déviances peu formalisées par le droit. On observe depuis plusieurs décennies une multiplication des normes de « bonne parentalité » ainsi qu’une extension du domaine de la déviance parentale : « aucune définition de ce que représentent les compétences parentales ne fait consensus » (Bernheim et Lebeke, 2014, p. 115) et une pluralité d’acteurs·trices (psychologues, psychiatres, travailleurs·euses sociaux·ales) sont amené·e·s à établir des diagnostics en la matière, ce qui contribue encore au caractère mouvant, pluriel et donc controversé de ces diagnostics (Bernheim et Lebeke, 2014).

Une contrainte au spectre large et à l’intensité variable

Nous avons montré que le champ de régulation des déviances parentales est vaste et peu formalisé : il prend pour cible le monde dense, complexe et chargé d’affects de la sphère familiale. Interrogeons à présent les modalités concrètes de ces processus décisionnels ainsi que le degré de contrainte qu’ils induisent. La contrainte exercée sur les familles au civil est tout aussi constante, mais moins linéaire, que celle produite dans la sphère pénale, dont l’intervention porte principalement sur le ou la mineur·e. Dans la sphère civile, cette contrainte s’appuie sur des problématiques multidimensionnelles et parfois déconnectées entre elles, notamment parce qu’elles ne sont pas relatives à un seul individu. L’intervention peut aussi bien cibler un « problème » relatif aux deux parents (conflit conjugal) ou plus spécifiquement à l’un d’entre eux (addiction, troubles psychiatriques) ou encore viser le ou la mineur·e (mise en danger de soi, fugues). Cette complexité amène la sphère civile à devoir jongler avec différents droits (droit aux relations personnelles, droit d’être entendu·e), relatifs à divers protagonistes qui parfois s’opposent entre eux.

De la pluralité des dimensions propres à l’intervention civile découle une contrainte à l’intensité et aux contours variables. La présentation de trois dossiers, qui illustrent chacun un cas de figure apparu comme typique au sein du corpus de données, permet d’analyser ces modalités de contrainte civile à des fins de protection. Le premier met en scène la régulation du droit de visite paternel dans une situation de « conflit parental » ; le deuxième montre les effets d’emballement du système de protection lorsque l’intégrité physique d’un enfant semble menacée ; le troisième illustre l’emprise multi-dimensionnelle de l’État sur certaines familles lorsque les parents se voient suspectés de diverses « carences » ou « défaillances ».

Le cas de Yanis est illustratif du travail d’orfèvre opéré par le TPAE lorsqu’il s’agit d’organiser le droit de visite d’un parent. Ses parents se séparent lorsque Yanis est âgé de 18 mois : la mère quitte le domicile avec son fils, se disant victime de violences, notamment sexuelles, de la part de son conjoint. Elle réclame la garde exclusive de son fils, ce que son ex-conjoint conteste. Le tribunal suit le préavis du SPMI qui préconise d’attribuer la garde à la mère, relevant sa disponibilité (elle ne travaille pas), son comportement adéquat avec Yanis (le pédiatre la décrit comme « chaleureuse » et « aimante ») et la « mésentente parentale grave » qui rend toute garde alternée impossible. Le TPAE souligne qu’il est néanmoins indispensable de garantir le droit de visite du père : « le droit aux relations personnelles est désormais conçu non seulement comme un droit et un devoir de ceux-ci, mais aussi comme un droit de la personnalité de l’enfant ». À cette fin, et en raison du conflit parental, le tribunal fixe un droit de visite du père dans un lieu de visites protégées, à raison de 1 h 30 tous les 15 jours, et prononce une curatelle d’assistance éducative et de surveillance des relations personnelles.

Durant les deux années suivantes, le TPAE ajuste régulièrement ce droit de visite sur la base des rapports envoyés par le lieu de visites protégées et des préavis du SPMI. À la suite du premier rapport qui relève la « régularité des visites et le respect du cadre horaire » et souligne le plaisir que Yanis et son père ont à se retrouver, le tribunal élargit le droit de visite à une demi-journée par semaine. La mère de Yanis, qui note que son fils revient perturbé du temps passé avec son père, demande de revenir sur cette décision. Toutefois, le rapport suivant souligne à nouveau que Yanis « transite aisément d’un parent à l’autre » et « manifeste du plaisir à retrouver son père (sourire, lui saute dans les bras) ». Le droit de visite est ensuite progressivement élargi pour aboutir, au bout de deux ans, à un week-end sur deux, nuits comprises. Malgré l’opposition de la mère de Yanis et son inquiétude pour l’intégrité physique et sexuelle de son enfant, le SPMI et le TPAE continuent à interpréter la situation au prisme d’un « conflit parental » qu’il s’agit d’apaiser. Le TPAE note qu’il « ressort de l’instruction de ce dossier qu’en dépit des craintes exprimées par la mère, celui-ci connait une évolution positive et entretient de très bonnes relations avec son père, lequel se montre adéquat et attentif à ses besoins ». Les inquiétudes de la mère ne constituent pas un élément pertinent pour orienter les décisions : sa plainte pénale pour violences physiques et sexuelles est classée en raison d’une absence de preuve et elle est enjointe à effectuer un suivi thérapeutique afin d’« aborder dans un lieu adéquat les traumatismes vécus durant sa vie conjugale ».

Durant cette période, l’activité des professionnel·le·s est intense : le lieu de visites protégées produit quatre rapports, le SPMI en rédige cinq, le TPAE convoque deux audiences et prononce quatre ordonnances. Cette intensité du suivi sur une courte période illustre bien une des facettes de la contrainte que peut déployer le système judiciaire civil sur les familles : une contrainte ciblée – sur le droit de visite du père – et à première vue plutôt « légère » – aucun placement n’est prononcé – mais qui structure l’agenda et les relations quotidiennes des membres de cette famille. De plus, le rythme rapide des nouvelles décisions rappelle à toute la famille le pouvoir d’action et la force contraignante du tribunal sur son quotidien.

Une intervention initialement « légère » du TPAE peut s’intensifier lorsque d’autres « problèmes » surgissent. C’est le cas dans le dossier de Kilian, qui commence par la séparation de ses parents lorsqu’il est bébé et par l’intervention du TPAE pour organiser le droit de visite du père dans un contexte de conflit parental. Un an plus tard, l’intervention du TPAE se fait plus « lourde » à la suite du dépôt de plainte du père de Kilian contre son ex-conjointe, après avoir constaté des marques sur le corps de son fils âgé de 2 ans, lequel est alors placé en urgence à l’hôpital. Ce placement entraîne de nouvelles investigations, car le rapport de l’hôpital évoque un trouble de l’attachement. L’intervention devient multidimensionnelle et le spectre de la contrainte s’élargit, retardant le retour de l’enfant à domicile, alors même que la suspicion de maltraitance est assez rapidement écartée (les marques sur le corps de Kilian relèvent d’une cause physiologique). On peut faire l’hypothèse que cette accélération et extension de la contrainte judiciaire ont été favorisées par le jeune âge de l’enfant et par le fait que sa mère est déjà suivie par le SPMI pour son fils aîné, ce qui contribue à nourrir l’attitude suspicieuse des services à son égard.

Les histoires de Yanis et Kilian éclairent en quoi deux situations a priori similaires, dans lesquelles le conflit parental apparaît comme un cadre d’interprétation dominant, peuvent donner lieu à des interventions – et à un degré de contrainte – fort différents.

Dans d’autres dossiers, la contrainte exercée par le TPAE a d’emblée un spectre large, puisqu’elle concerne plusieurs dimensions de la vie familiale. C’est le cas dans celui de Francesca où le tribunal ordonne de manière successive et concomitante diverses mesures : curatelle d’assistance éducative, curatelle de soins (limitant l’autorité parentale concernant le suivi médical de l’enfant), retrait de garde et curatelle de surveillance des relations personnelles. Durant le placement de Francesca en foyer, les relations personnelles entre la fillette et sa mère sont suspendues puis réintroduites de manière progressive. Par ailleurs, la mère de Francesca, elle-même soumise à une curatelle en raison d’une addiction, se voit aussi préconiser un suivi psychothérapeutique par le Service de protection des adultes pour pallier les difficultés qu’elle traverse depuis le placement de son enfant. Ce dossier illustre une emprise des institutions sur les membres du groupe familial beaucoup plus extensive que dans le cas de Yanis. Il contraste également avec les dossiers analysés plus haut, car ici ce ne sont pas les relations entre parents qui sont mises en cause, mais les « compétences » de la mère de Francesca. Cette dernière est accusée de négligence dans le suivi scolaire et médical de sa fille, qui souffre d’une maladie chronique. Alors que dans les dossiers de Kilian et Yanis, chacun des parents prend à parti le tribunal pour faire valoir son point de vue, la mère de Francesca a un rapport plus méfiant aux institutions (elle ne vient pas aux rendez-vous fixés par l’école ou le SPMI) ; on peut supposer que le stigmate de « mère défaillante » instaure de facto une relation asymétrique dans laquelle toute collaboration devient impossible.

Une protection à la légitimité contestée

Lors d’un entretien, un ancien juge affirmait que « le poste le plus délicat qui existe dans la magistrature c’est le poste de juge dans la protection de l’enfant ». Nos analyses confirment la nature controversée – voire conflictuelle – des procédures civiles, qui contraste avec les dossiers pénaux. Nous faisons l’hypothèse que l’extension du domaine des « déviances parentales » ainsi que le flou autour de la notion de « compétences parentales » sont à l’origine de ces controverses.

Ces conflits entre familles et tribunal prennent, au dire de nos enquêté·e·s, une tournure de plus en plus judiciaire ces dernières années : davantage de recours sont déposés par les parents, qui sont de plus en plus souvent assistés par un avocat. Ces recours interviennent généralement contre une décision de placement jugée abusive. C’est par exemple le cas dans le dossier de Carlos : avec l’aide d’une avocate, la mère de Carlos – pourtant affectée par des troubles psychiques et en situation de grande précarité – parvient à invalider deux fois la décision de placement du TPAE. Le deuxième recours présente le retrait de garde comme « peu étayé, incompréhensible et totalement disproportionné », illustrant la faible légitimité accordée à la décision judiciaire.

Ces recours s’inscrivent dans le mouvement historique de judiciarisation du champ de protection de l’enfance ; les familles sont amenées elles aussi à mobiliser des outils juridiques pour contester les décisions dont elles font l’objet. Paradoxalement, cette contestation judiciarisée fragilise l’horizon normatif prédominant aujourd’hui dans les politiques de l’enfance, basé sur le « partenariat avec les familles » (Millet et Thin, 2017). Dans l’oeuvre fondatrice de Simmel (1995), le conflit juridique est la forme la plus pure, et la plus impitoyable, du conflit. De fait, nos analyses montrent que ces recours surviennent lorsque toutes les autres formes de communication et de collaboration entre l’État et les familles ont été épuisées.

Une protection sous contrainte tiraillée entre souplesse et procéduralisation

Cet article analyse les dynamiques de la contrainte dans deux dispositifs judiciaires de protection des mineur·e·s en Suisse. D’un côté, une sphère pénale qui régule des déviances juvéniles codifiées par le droit, qui intervient pour protéger les mineur·e·s tout en protégeant la société de leur « dangerosité » potentielle et recourt à des mesures de protection dont la contrainte s’intensifie à chaque récidive. De l’autre, une sphère civile qui régule des déviances parentales peu codifiées par le droit et sujettes à controverses, qui doit protéger les mineur·e·s mais aussi les liens familiaux et qui exerce une contrainte à plus large spectre et à l’intensité variable. Cette analyse des dynamiques contrastées de la contrainte à des fins de protection doit toutefois être nuancée, car sphère civile et sphère pénale connaissent de multiples formes d’hybridations (Bugnon et Vernay, 2022). Il arrive qu’un mineur passe de la sphère civile à la sphère pénale (ou l’inverse, mais plus rarement), une situation qui met en exergue les continuités entre ces deux sphères, notamment au niveau des intervenant·e·s de première ligne. Par ailleurs, la contrainte civile peut parfois peser presque exclusivement sur la mineure concernée lorsque celle-ci est étiquetée comme « psychiquement déviante » et internée dans un établissement psychiatrique (Vernay, 2021).

Enfin, au-delà de leurs différences, ces deux sphères d’intervention sont traversées par des logiques de régulation similaires. Ainsi, l’injonction à la collaboration est présente tant au civil qu’au pénal et sert de baromètre pour déterminer le niveau de contrainte exercée. Le fait de collaborer constitue moins un droit qu’un devoir : le défaut de collaboration est interprété comme le symptôme d’une déviance supplémentaire, qui justifie le renforcement de la contrainte (Frauenfelder et al., Sous presse). Une autre dimension transversale s’incarne dans la tension entre souplesse du cadre juridique et procéduralisation, qui traverse tout ce champ d’intervention. En effet, les cadres légaux – tant au civil qu’au pénal – laissent une grande marge d’interprétation aux acteurs·trices judiciaires, au nom de la nécessité d’agir rapidement et d’individualiser le traitement judiciaire des enfants « en danger », comme cela a aussi pu être observé dans d’autres études (Bernheim et Coupienne, 2019). La justice intervient le plus souvent avant ou à côté du verdict judiciaire, par le biais des mesures provisionnelles. Cette mise en oeuvre flexible du droit entre en tension avec la judiciarisation et la professionnalisation concomitantes du champ de protection des mineur·e·s (Serre, 2001 ; Marion, 2014 ; Berrick et al., 2015 ; Falconer et Shardlow, 2018 ; Hultman et al., 2020), résultat de l’importance croissante dans les sociétés contemporaines de la justice procédurale et des droits individuels (Commaille et Dumoulin, 2009). Cette procéduralisation apporte une réponse sans doute bienvenue à la critique de l’arbitraire étatique propre au modèle tutélaire prévalant au cours du 20e siècle. Aujourd’hui, il convient toutefois de se demander dans quelle mesure l’extension des droits dans les sociétés libérales opère comme un outil de protection des populations vulnérables ou au contraire comme un instrument supplémentaire pour asseoir la légitimité de la contrainte étatique (Israël, 2012). Cet article contribue à cette réflexion en proposant une analyse empirique et nuancée des formes variables de contrainte judiciaire dans le champ de la protection de l’enfance.