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Introduction

Les effets positifs du recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) sur la transmission de savoir sont connus (Kozanitis et Quévillon Lacasse, 2018), mais l’emploi des TIC dans l’enseignement supérieur demeurait restreint par rapport à l’ensemble de l’offre, possiblement en fonction de formations limitées (Collin et al., 2015). Les personnes étudiant en sciences préfèrent une intégration des TIC avec des manipulations traditionnelles, reconnaissant le rôle important ou indispensable des ordinateurs, toutefois, il restait encore essentiel d’encourager les enseignants et enseignantes à intégrer davantage les TIC (Guennoun et Benjelloun, 2016). Shale (2002) soulignait les bénéfices indéniables du format hybride, pourtant perçu comme « niché » et limité par la structure institutionnelle des universités traditionnelles. L’importance de la perception du personnel enseignant par rapport à sa compétence en lien avec les TIC pourrait être un facteur expliquant sa faible mobilisation (Duguet et Morlaix, 2017). La crise sanitaire de la COVID-19 a forcé une transition abrupte à l’enseignement à distance (EAD) pour tout le personnel enseignant dans les universités. Dans ce contexte d’obligation quasi universelle d’enseigner à distance et afin de soutenir l’enseignement, les établissements d’enseignement universitaire ont offert des formations nouvelles adaptées à la situation de l’enseignement et à l’apprentissage à distance. Celles-ci portaient sur l’utilisation et l’adaptation pédagogiques des technologies de l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation en ligne, les environnements numériques d’apprentissage (ENA) et la façon d’encadrer et de motiver les étudiantes et étudiants à distance. L’attention portée à l’ajout d’éléments numériques à l’activité centrale d’enseignement exige une mise en cohérence pédagonumérique (Lafleur, 2022).

L’objectif de ce compte rendu d’expérience (ci-après étude) est de présenter l’impact des pratiques d’EAD développées par le personnel enseignant en temps de pandémie et poursuivies de retour à l’enseignement en présentiel. Pour ce faire, nous nous basons sur une étude de l’évolution du sentiment d’efficacité personnelle (SEP; Bandura, 2007) et l’emploi d’outils numériques pour appuyer la pédagogie, à laquelle nous nous référerons en utilisant le terme « technopédagogie ».

Il est à préciser que le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) du personnel enseignant est une mesure utile pour déterminer la perception globale de l’EAD. Le SEP a été défini par Bandura comme un « système de croyance sur son autoefficacité [...] au fondement de la motivation, du bien-être et des accomplissements humains » (Carré, 2004, paragr. 16). Le SEP décrit les croyances des personnes quant à leurs capacités à réaliser des performances (Rondier, 2004) qui sont en soi issues de l’interaction du comportement, de l’environnement et de la personne. L’adaptation forcée de la livraison de ses cours universitaires à distance, en employant les outils numériques, peut être influencée par son SEP.

Dans un premier temps, cet article présente les sous-objectifs et les hypothèses de l’étude. Puis sont exposés la méthodologie utilisée et les résultats des analyses quantitatives et qualitatives enregistrés au cours de l’évolution des pratiques d’EAD. L’article se termine avec une discussion sur la transformation et l’évolution de la compétence technopédagogique du personnel enseignant.

Objectif, sous-objectifs et hypothèses

Décrire l’impact postpandémique des pratiques d’EAD mises en oeuvre par le personnel enseignant en temps de pandémie est l’objectif principal de cette étude. Il sera étudié à partir de deux sous-objectifs, soit :

  1. Connaître le choix des outils technologiques et leur utilisation par le corps professoral à la suite des formations offertes au corps professoral et avec l’avancement du temps d’EAD;

  2. Faire l’état des lieux quant à l’évolution du SEP dans le contexte « EAD » imposé pour le corps professoral.

Les hypothèses étaient les suivantes :

  1. Le SEP du personnel enseignant par rapport aux éléments technopédagogiques sera significativement accru avec la pratique de l’EAD lors de la pandémie;

  2. Le SEP augmentera en corrélation avec la formation technopédagogique suivie;

  3. Le nombre d’outils technopédagogiques employés augmentera avec l’expérience en EAD;

  4. La maîtrise d’outils technopédagogiques augmentera avec l’EAD;

  5. L’investissement dans la formation aux outils technopédagogiques servira audelà de la période pandémique.

Méthodologie

Cette étude comprend deux questionnaires répondus par le personnel enseignant : le premier, d’ordre quantitatif, est d’environ 20 minutes et accessible en ligne (annexe A), alors que le deuxième est une entrevue individuelle semi-structurée facultative (annexe B). Les deux outils ont été distribués à trois moments distincts en EAD : (T1) au début du semestre d’automne 2021, (T2) au début du semestre d’hiver 2022 et (T3) à la fin de ce dernier, au printemps 2022. Tout le personnel enseignant d’un campus de l’établissement (ciaprès en remplacement du nom de l’établissement caché pour évaluation) a été invité à y participer. Les invitations ont été envoyées au courriel institutionnel des personnes enseignantes par le bureau du syndicat. Un rappel a été envoyé approximativement deux semaines après l’envoi initial.

Le premier questionnaire comprend plusieurs éléments d’une étude menée dans un établissement francophone canadien, soit l’Université de Montréal (Michelot et al., 2021). Deux particularités de l’étude sont, premièrement, la distribution du questionnaire à trois moments pendant l’année universitaire 2020-2021 et, deuxièmement, l’ajout de questions portant sur les outils technopédagogiques soutenus par l’établissement.

Pour comprendre le contexte, nous présentons l’offre de formation aux membres du personnel enseignant durant et après la période imposée d’EAD. À l’établissement, les spécialistes du groupe appuyant la technopédagogie, de la Formation continue, avec la direction du service appuyant l’enseignement universitaire, ont proposé aux membres du personnel enseignant des formations par visioconférence et des rencontres hebdomadaires pour répondre aux questions du corps enseignant. Les sujets des formations offertes sont présentés en annexe C. Les deux outils favorisés pour l’EAD à cet établissement sont l’ENA asynchrone Brightspace et la plateforme numérique pour la collaboration avec visioconférence (ENA) synchrone Microsoft Teams de Microsoft Office 365. Les guides et ateliers formatifs qui ont été développés pendant l’année universitaire 2020-2021 sont toujours accessibles au personnel enseignant, même depuis l’assouplissement des mesures sanitaires. Ainsi, celuici peut continuer de profiter des expériences vécues au cours de la période EAD-COVID-19 tout en renforçant sa connaissance et en retenant des éléments pertinents depuis le retour à l’enseignement en présentiel.

Le premier questionnaire comprenait 19 (T1) ou 25 (T2 et T3) questions regroupées en plusieurs sections (voir l’annexe A). Les questions ajoutées aux T2 et T3 portaient essentiellement sur les outils technopédagogiques. Une série de questions mesuraient le SEP, et ce, selon l’échelle proposée par Michelot et al. (2021). Cette échelle comprend 57 items répartis en neuf facteurs, à savoir : 1) les compétences génériques en enseignement (neuf items); 2) les impressions vis-à-vis du numérique en éducation (sept items); 3) les compétences numériques au quotidien (neuf items); 4) les interactions avec les étudiantes et étudiants (quatre items); 5) les compétences numériques en enseignement (13 items où l’échelle Michelot et al., 2021, en comportait 11); 6) les habiletés relatives à la manipulation des deux ENA soutenus par l’établissement (15 items où l’échelle de Michelot et al., 2021, en comportait sept); 7) les compétences dans l’utilisation des technologies (neuf items); 8) les approches pédagogiques (cinq items); et 9) les formations suivies (2 items, regroupés en catégories de l’annexe C). Pour compléter le questionnaire, nous avons enregistré les données démographiques du personnel enseignant, y compris le genre, les tranches d’âge, le nombre d’années d’expérience et le secteur d’enseignement.

Les personnes qui ont répondu au questionnaire pouvaient de plus participer à une entrevue visant des sous-objectifs de l’étude. Les questions posées lors des entrevues concernaient les nuances des expériences (annexe B).

Malgré des invitations multiples aux trois moments de cette étude, le nombre de répondantes et répondants était restreint par rapport à la population ciblée (tableau 1). Les groupes étaient hétérogènes en termes de genre, d’âge, d’expérience et de domaine d’enseignement (venant des sept facultés de l’établissement : droit, sciences, ingénierie, administration, arts et sciences sociales, sciences de la santé et des services communautaires, éducation).

Tableau 1

Nombre de réponses aux questionnaires et entrevues selon le moment

Nombre de réponses aux questionnaires et entrevues selon le moment

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Les résultats du questionnaire ont été analysés à l’aide de jamovi (The jamovi project, 2021), notamment avec des matrices de corrélation et des analyses ANOVA, en tenant compte de la contribution de toutes les questions (seuil de significativité retenu à p < 0,05). Quant aux informations recueillies lors des entrevues, chacune a été retranscrite et l’ensemble analysé en employant le logiciel NVivo (version 12). L’analyse des entrevues en trois étapes a permis : 1) la classification des caractéristiques définies; 2) l’identification des principales préoccupations soulevées; et 3) l’interprétation des résultats en lien avec le concept de SEP (Lecomte, 2004). Les caractéristiques ont été regroupées et le nombre de fois qu’elles ont été mentionnées par entrevue a été compilé et a permis de déterminer la somme de l’ensemble.

Résultats

Le sentiment d’efficacité personnelle mesuré par le questionnaire

Les résultats du questionnaire sont présentés par catégories de questions SEP (tableau 2). Le SEP a progressé de façon inégale et sans lien observable avec les formations suivies. Il n’y avait pas de variation significative, mais une tendance à la baisse au T2 a été constatée alors que quatre des sept valeurs au T3 étaient maximales (tableau 2). Ces résultats n’appuient pas l’hypothèse 1 voulant que le SEP soit significativement accru avec la pratique en période d’EAD.

Tableau 2

Résultats (moyenne ± écart-type) par catégories (facteur) de questions, selon le moment, à travers la population répondante en lien avec le SEP. (1 = pas de tout; 7 = tout à fait). Valeur la plus élevée par facteur et moment en italique

Résultats (moyenne ± écart-type) par catégories (facteur) de questions, selon le moment, à travers la population répondante en lien avec le SEP. (1 = pas de tout; 7 = tout à fait). Valeur la plus élevée par facteur et moment en italique

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Le rôle des formations suivies

Les formations offertes à distance par les services institutionnels en 2020 jusqu’à ce jour restent accessibles et continuent à être consultées (tableau 3). Aux trois moments de l’étude, les personnes répondantes avaient suivi entre aucune et toutes les catégories de formation. Le nombre de visionnements de chacune des catégories de formation est présenté au tableau 3.

Lors de l’étude de corrélation entre chacun des facteurs de mesure du SEP par rapport au nombre de formations suivies, il y avait peu de relation significative. Des 16 analyses effectuées, seulement deux corrélations significatives étaient en lien avec une formation spécifique offerte (annexe D). Il en ressort que la participation aux ateliers pratiques en mai-juin 2020 a mené à une baisse du sentiment de compétence à interagir avec un groupe (p = 0,032). Quant aux formations offertes au début du semestre d’automne 2020, il en ressort une baisse de perception des habiletés en lien avec l’ENA (Brightspace, p = 0,042). Alors, l’hypothèse 2 voulant que le SEP augmente en corrélation avec la formation technopédagogique n’est pas appuyée.

Tableau 3

Formations offertes au personnel enseignant à partir d’avril 2020 avec visionnements compilés jusqu’en septembre 2022

Formations offertes au personnel enseignant à partir d’avril 2020 avec visionnements compilés jusqu’en septembre 2022

* Les objets peuvent comprendre des formations, des vidéos, des fiches d’information ou encore des guides. La liste des ressources et leur nature se trouvent à l’annexe C.

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L’utilisation des outils d’ENA

De T1 à T3, le nombre d’outils technopédagogiques utilisés ainsi que leurs fonctions ou applications ont augmenté, et ce, en ENA synchrone autant qu’asynchrone (figure 1), ce qui est aussi le cas des logiciels bureautiques (ressources d’Office 365, figure 2). Ceci appuie l’hypothèse 3 voulant que l’étendue des outils technopédagogiques employés augmente avec l’expérience en temps d’EAD. Ceci suggère que la maîtrise des outils technopédagogiques aurait augmenté suivant la période EAD (hypothèse 4).

Figure 1

Fonctions utilisées de la plateforme ENA d’enseignement asynchrone (Brightspace) et synchrone de visioconférence (Teams) par le personnel enseignant universitaire

Fonctions utilisées de la plateforme ENA d’enseignement asynchrone (Brightspace) et synchrone de visioconférence (Teams) par le personnel enseignant universitaire

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Figure 2

Applications utilisées de la suite bureautique Office 365 par le personnel enseignant universitaire

Applications utilisées de la suite bureautique Office 365 par le personnel enseignant universitaire

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Les entrevues

L’analyse des entrevues du personnel enseignant qui s’est prêté à l’exercice a permis de retenir quatre thèmes récurrents en lien avec l’EAD. Il s’agit de l’apprentissage, des avantages, des défis et de l’enseignement. La figure 3 brosse le tableau des thèmes identifiés lors de l’analyse des données auxquelles sont associés les sujets mentionnés. Il y a lieu de rappeler qu’il n’y a pas eu d’entrevues au T2, car personne du personnel enseignant n’a répondu à l’appel.

Quant au thème des avantages de l’EAD, toutes les entrevues mentionnaient le lien avec un réinvestissement éventuel des connaissances, appuyant l’hypothèse 5 de l’étude. Une amélioration de la structure et un renforcement de la planification ont surtout été mentionnés au T1 (trois des quatre entrevues au T1 et deux des six entrevues au T3). La collaboration renforcée (mentionnée à deux entrevues aux T1 et T3) et la flexibilité accrue (mentionnée lors d’une entrevue au T1 et de deux au T3) étaient moins citées.

Les défis de l’EAD, le troisième thème, ont permis l’identification de plus de sujets que les autres thèmes. Aucun de ces sujets ne se démarquait par rapport aux autres. Les plus souvent cités étaient en lien avec la participation des étudiantes et étudiants (mentionnée occasionnellement au cours de toutes les entrevues au T1 et lors de quatre des six entrevues au T3) et les désavantages globaux (trois des quatre entrevues au T1 et quatre des six entrevues au T3), mais les inquiétudes pour la réussite des étudiantes et étudiants et l’interaction limitée suivaient de près (chaque sujet étant mentionné lors de deux des quatre entrevues au T1 et quatre des six entrevues au T3). Des sujets de défis identifiés augmentaient avec le temps : la santé et la motivation (une ou deux entrevues au T1, et trois ou quatre au T3), l’assiduité et l’expérience collaboratives mentionnées dans chaque cas seulement au T3 (une ou deux entrevues, respectivement) alors que les problèmes techniques gênaient davantage les répondantes et répondants au T3 (une entrevue au T1 et trois au T3). Les difficultés de communication étaient mentionnées plus souvent au T1 qu’au T3 (trois entrevues au T1 et une au T3). La plateforme Teams était une source de défis aux deux moments (deux entrevues chacun au T1 et au T3). Il faut mentionner que cette plateforme était nouvelle et que son utilisation était très limitée avant la pandémie.

L’enseignement était affecté par l’EAD, ayant un effet important sur le SEP mentionné lors de toutes les entrevues aux deux temps mais plus souvent au T3. En deuxième lieu, les activités pédagogiques étaient souvent citées (toutes les quatre au T1 et cinq des six au T3). Les aspects d’évaluation en ligne étaient mentionnés un peu moins souvent (deux au T1, trois au T3) alors que l’appui aux étudiantes et étudiants était une inquiétude croissante (une au T1 et six au T3), tout comme l’évaluation de l’enseignement (seulement mentionnée au T3, ceci lors de cinq des six entrevues). De plus, chacun de ces trois derniers aspects n’était mentionné que rarement lors des entrevues.

Figure 3

Sujets mentionnés (en vertical) lors des entrevues, groupés par moments (T1, T3), spécifiant le nombre de mentions (nombre d’entrevues avec mention / nombre de mentions en tout); zones les plus importantes en gras; deuxièmes en importance en italique

Sujets mentionnés (en vertical) lors des entrevues, groupés par moments (T1, T3), spécifiant le nombre de mentions (nombre d’entrevues avec mention / nombre de mentions en tout); zones les plus importantes en gras; deuxièmes en importance en italique

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Le thème de l’apprentissage de l’EAD réfère aux connaissances et compétences (mentionnées lors de toutes les entrevues aux deux moments et jusqu’à 53 fois lors des entrevues au T3) ainsi qu’à la reconnaissance des ressources accessibles pour appuyer cet apprentissage (mentionnée lors de toutes les entrevues au T1 et de trois des six au T3). L’apprentissage par accompagnement, le soutien fourni et les formations ont été moins mentionnés (apparaissant lors de la moitié des entrevues).

Discussion

Cette étude montre une évolution de la compétence technopédagogique du personnel enseignant. Cette évolution est décrite par le nombre de formations suivies (table 3) ainsi que les fonctions/applications utilisées (figures 1 et 2). Toutefois, malgré la croissance d’emploi de fonctions, le personnel enseignant répondant ne semble pas percevoir une maîtrise accrue (selon les réponses aux questionnaires résumés au tableau 2 et les mesures de SEP dans la dernière colonne de la figure 3). Le virage vers l’EAD, qui semble être amorcé de façon continue, pourrait s’appuyer sur cette progression observable d’emploi de formations accessibles en ligne (tableau 3), quoique précaire vu l’absence de confiance chez le personnel enseignant. En revanche, plusieurs défis de taille découlant de la période d’EAD imposée sont ressortis de l’analyse des résultats, questionnaires et entrevues. Notamment, le personnel enseignant universitaire a tendance à insister sur les éléments qui sont à maîtriser plutôt que sur les connaissances déjà acquises. Avec le temps, les inquiétudes centrées sur la technologie ont cédé leur place aux aspects de la communication et de l’enseignement traditionnel (la participation, la santé, la collaboration, la motivation et l’évaluation de soi et des connaissances des étudiantes et étudiants, mentionnées plus souvent lors des entrevues au T3 qu’au T1). Cela peut indiquer que les outils technopédagogiques d’EAD deviennent moins distrayants, ce qui permet de viser les priorités fondamentales de la transmission de savoir.

Il est important de souligner le développement ininterrompu des formations et des ressources appuyant l’EAD même s’il n’est plus imposé. La période suivant la fin de l’EAD imposé (le retour en salle de classe, colonne 4 au tableau 3) représente jusqu’à 33 % (3 de 9 ressources ajoutées aux fiches scénarios) du nombre de ressources totales développées. Les ressources technopédagogiques ont été développées à la demande du personnel enseignant, alors le nombre de formations associé au moment de leur création témoigne de son intérêt soutenu pour le perfectionnement des capacités d’EAD.

Ainsi, semble-t-il que l’utilisation obligée d’outils technopédagogiques a initialement détourné la tâche d’enseignement, pour ensuite se révéler un outil de valeur ajoutée potentielle (réinvestissement, connaissance). Le SEP demeure un défi pour le personnel enseignant, ce qui ne l’est pas autant pour les apprenantes et apprenants (Black et al., 2022; Prior et al., 2016).

La pérennité des actions résultant de la pandémie pour l’enseignement en présentiel

Malgré les défis identifiés, l’analyse laisse entrevoir que les répondantes et répondants souhaitent maintenir des pratiques d’EAD acquises des formations mises en place lors de la période de COVID-19. Dès le T1, les participantes et participants à l’entrevue envisagent de réutiliser leurs compétences et matériels créés pendant l’EAD-COVID-19 une fois de retour en présentiel. Des commentaires du type « C’est quelque chose que je vais continuer à faire », en référence à l’enregistrement de vidéos, par exemple, ou encore « Je vais aussi continuer à utiliser Teams » sont énoncés dès le T1. On retrouve aussi des commentaires comme « les mêmes outils qu’on utiliserait à distance, on peut les utiliser en présentiel aussi » et « les choses qui sont enregistrées à l’avance, je les utiliserai à nouveau dans le futur ». Au T3, on constate que l’aspiration au réinvestissement des compétences et matériels développés augmente : les participantes et participants à l’entrevue entrevoient de « garder cette expertise [...] même si on est en face à face », « ça va rester... », « tout ce que j’ai appris, je vais le réutiliser » et « je veux vraiment conserver le format de la classe inversée ».

La poursuite du recours à l’EAD en période postpandémique?

Depuis l’automne 2021, l’établissement a fait un retour à l’enseignement en présentiel « généralisé », en ce sens que la grande majorité des cours offerts à distance pendant la pandémie sont revenus à un enseignement en présentiel. Certains sont, cependant, toujours offerts en EAD. En dépit de cette tendance, disons, traditionnelle, quant à la livraison des cours, nous tenons à rappeler que l’analyse qualitative permettait de faire ressortir l’intérêt des participantes et participants à l’entrevue à réinvestir leurs connaissances acquises et le matériel créé pendant l’EAD dans le cadre de leur enseignement en présentiel. Qui plus est, comme indiqué antérieurement, les services technopédagogiques continuent de développer des ressources pour le personnel enseignant.

Limitations de l’étude

Les limitations de ce compte rendu d’expérience sont surtout en fonction de la population répondante restreinte. Les répondantes et répondants représentent moins de 7 % de la population ciblée, soit le personnel enseignant du campus particulier. Le taux de réponse aux questionnaires en ligne est généralement plus bas que celui des entrevues (en moyenne au moins 11 % de moins de personnes répondantes et, parmi les universitaires, 13 % de moins selon Daikeler et al., 2020). Cependant, le questionnaire en ligne était le seul moyen de procéder en temps de COVID-19.

Les participantes et participants pouvaient répondre à plus d’un sondage dans l’étude en trois temps, soit le T1, T2 et T3. Cependant, peu ont répondu à plus d’un questionnaire (une personne a répondu aux T1 et T2, deux aux T1 et T3 et trois aux T2 et T3; alors il y avait 56 personnes répondantes parmi les 62 réponses aux questionnaires reçus). Donc, il est impossible de parler avec certitude d’une évolution individuelle de la perception ou d’une étude strictement longitudinale. Puisque les trois temps de cette étude visaient une même population d’un même établissement suivant le même style d’annonce, il est probable que les résultats soient similaires à ceux d’une étude longitudinale.

Quant aux entrevues, le nombre de personnes participantes était encore plus restreint, six au plus (T3), car cellesci comptaient parmi les répondantes et répondants aux questionnaires. Les codes de participation n’étant pas uniformément enregistrés, il est impossible de savoir si des personnes ont participé aux deux temps des entrevues.

Conclusion

Alors que la COVID-19 a bouleversé les établissements d’enseignement, il va sans dire qu’elle laisse des vestiges dans les pratiques d’enseignement chez le personnel enseignant de l’établissement depuis le retour en présentiel. En effet, les résultats de l’étude menée en 2020-2021 permettent non seulement d’informer sur les effets à moyen et long terme des formations de soutien à l’enseignement et à l’apprentissage qui ont été mises en oeuvre à l’établissement pendant la pandémie, mais aussi d’anticiper le réinvestissement technopédagogique du personnel enseignant. Il en ressort que l’augmentation du nombre de types d’outils technopédagogiques utilisés et du nombre de fonctions de ces derniers chez le personnel enseignant en temps de pandémie est garante des formations offertes et des ressources mises à la disposition du personnel enseignant. Ce dernier manifeste clairement son intention de maintenir les acquis issus de la pandémie, sur le plan tant des connaissances que du matériel créé ou encore des nouvelles pratiques enseignantes utilisées. « Finalement, cette pandémie, elle nous offre des occasions » et les répondantes et répondants de l’étude ont su les saisir et prévoient les maintenir.