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Introduction

Sur le plan de l’enseignement, l’Université de Moncton, campus de Shippagan (UMCS), peut sembler avoir été moins affectée par la pandémie de COVID-19 que d’autres universités. D’abord, avant même la COVID-19, la formation à distance (FAD) était déjà pratiquée de façon importante dans certains cours ou programmes (Michelot, 2022). Surtout, en raison de sa petite taille et de son relatif éloignement des zones touchées par le virus, l’institution néobrunswickoise a longtemps pu se permettre de maintenir beaucoup de ses activités en présentiel[1].

Toutefois, cela n’a pas empêché de voir la FAD s’immiscer dans la plupart des cours, notamment pour maintenir les enseignements dans les situations de quarantaine, puis, dans un second temps, durant une période de fermetures plus draconiennes du campus. Même si un certain nombre de personnes enseignantes et étudiantes de l’UMCS étaient relativement préparées au distanciel, l’évolution du contexte a bousculé des pratiques. Une quinzaine d’ateliers et de formations en soutien à la FAD en ligne étaient en préparation lorsqu’une première vague (tardive comparativement aux autres provinces canadiennes) a frappé le Nouveau-Brunswick, dont la région environnant l’UMCS, à l’hiver 2021-2022. Cela a conduit l’administration de l’UMCS à fermer le campus pour plusieurs semaines, une première depuis les premiers jours du confinement. C’est donc dans ce contexte qu’une enquête a été conduite auprès des enseignants et enseignantes de l’établissement. Mais, au-delà d’une acceptation « contrainte » de technologies éducatives en vue de faire face aux contingences sanitaires, il s’agissait de savoir si ce rapport aux technologies s’ancrait dans une adoption plus pérenne qui laisserait entrevoir une mobilisation sur le long terme des outils numériques en contexte d’enseignement et d’apprentissage.

Cet article a donc pour objectif de suivre l’évolution de l’acceptation des technologies par les personnes enseignantes de l’UMCS au regard de leurs rapports aux technologies éducatives en FAD et de leur résistance au changement.

Les prochaines sections présentent le cadre conceptuel, la méthodologie, les résultats, puis la discussion.

Cadre conceptuel

Cette recherche mobilise plusieurs concepts, à commencer par le modèle d’acceptation des technologies, qui est mis en dialogue avec la valeur et l’espérance de réussite, le sentiment d’autoefficacité et la résistance au changement.

L’acceptation des technologies

Cette recherche s’inscrit dans le modèle d’acceptation des technologies « TAM3 » (Technology Acceptance Model 3; Venkatesh et Bala, 2008). Le modèle TAM original (Davis, 1989; Davis et al., 1989) visait à anticiper l’adoption et l’utilisation de TIC en postulant que l’intention comportementale des individus d’utiliser une technologie est essentiellement déterminée par deux croyances : i) la facilité d’utilisation perçue, c’est-à-dire dans quelle mesure un individu croit que l’utilisation d’une technologie impliquera ou non certains efforts; ii) l’utilité perçue, soit dans quelle mesure un individu croit au fait que l’utilisation d’une technologie améliorera ses performances professionnelles. Plusieurs propositions de complexification dudit modèle ont été présentées avec le temps; ainsi, dans le modèle TAM 3, l’utilité perçue est notamment expliquée par des processus d’influence sociale (p. ex. l’image ou des normes subjectives), la pertinence de l’emploi, la qualité du résultat produit ou encore le fait que des résultats puissent être démontrés. La facilité d’utilisation perçue est, quant à elle, expliquée par des variables dites d’ajustement comme le potentiel distrayant (enjoyment) de la technologie ou l’utilisabilité, ainsi que des variables d’ancrage telles que l’autoefficacité en informatique, l’anxiété à l’égard de l’informatique, le potentiel ludique (playfulness) perçu de l’informatique et les perceptions de contrôle externe, dont le soutien organisationnel qui continue à réduire l’anxiété (Venkatesh et Bala, 2008).

La valeur et l’espérance de réussite

La théorie de la valeur et de l’espérance de réussite (expectancy-value; Eccles et Wigfield, 2002; Pintrich, 2003; Wigfield et Eccles, 2000) énonce que la motivation découle à la fois des attentes de l’individu quant à son aptitude à effectuer une tâche et de la valeur qu’il attribue à la réussite d’effectuer cette tâche. La conjugaison de ces deux aspects favorisera l’engagement dans la tâche. Plus précisément, la dimension relative à la valeur, influencée notamment par le type de buts poursuivis, l’importance et la pertinence de la tâche ou encore l’intérêt accordé à celleci (Poellhuber et Michelot, 2019), conduit l’individu à s’engager dans une tâche. La valeur accordée à une tâche repose sur les éléments constitutifs que sont la valeur accordée à l’accomplissement de la tâche (c.àd. l’importance qu’une personne accorde à la réussite d’une tâche), l’intérêt intrinsèque pour celleci (c.àd. l’intérêt que l’on éprouve à participer à une tâche ou à une activité associée à cette tâche), l’utilité qui lui est accordée (c.àd. la perception de l’utilité d’une tâche dans l’avenir), ainsi que le coût. Quant au coût, à l’inverse des trois autres éléments suggérant un engagement accru dans une tâche, il représente une évaluation négative associée à la participation à une tâche; Flake et al. (2015) proposent d’appréhender le coût selon le coût de l’effort associé à la tâche, les coûts indirects de l’effort associé à la tâche, la perte d’alternatives appréciées et le coût émotif.

En formation à distance, la valeur et l’espérance de réussite sont fortement soulignées pour contribuer à la motivation et à l’engagement des personnes apprenantes (voir notamment Poellhuber et Michelot, 2019). Ainsi, sur le plan des apprentissages, l’intention des étudiants et étudiantes d’utiliser des ENA semble influencée par l’espérance de réussite (Tarhini et al., 2017) et les espérances de réussite en matière de technologies sont un déterminant important de l’acceptation de l’apprentissage en ligne (Chen, 2011). Du côté enseignant, les attentes en matière de performance influencent de manière significative les intentions comportementales des enseignants et enseignantes universitaires concernant l’enseignement en ligne (Xian, 2019).

Le sentiment d’autoefficacité

Le sentiment d’autoefficacité (ou sentiment d’efficacité personnelle, SEP) désigne la croyance que l’on a en sa capacité à réaliser une tâche, à atteindre un objectif ou à réussir une activité (Bandura, 1986). Les personnes ayant un SEP plus élevé sont plus enclines à prendre des initiatives et à persévérer face aux difficultés et aux obstacles. Elles sont alors plus susceptibles de s’engager dans des activités qui les intéressent et qu’elles estiment être en mesure d’effectuer. Pour des raisons méthodologiques simples et inhérentes au champ d’études, les compétences ou les aptitudes personnelles des enseignants et enseignantes ne peuvent qu’être difficilement mesurées en contexte professionnel, notamment en ce qui a trait aux technologies éducatives. En ce sens, le SEP peut être appréhendé comme une option alternative à l’évaluation des compétences (Talsma et al., 2018). Le SEP, réfléchissant le succès antérieur des individus dans leurs pratiques, permet d’anticiper la compétence d’une personne pour exécuter une tâche (Coutinho et Neuman, 2008; Pintrich et de Groot, 1990).

Ici, le SEP en formation à distance est appréhendé selon un syncrétisme conceptuel visant à saisir la façon dont les personnes enseignantes sont en mesure de manipuler certaines fonctionnalités dans leurs environnements numériques d’apprentissage (ENA; p. ex. Moodle, Teams, etc.), ainsi que leurs compétences numériques au quotidien et en contexte d’enseignement, leur aptitude à stimuler des interactions avec leurs étudiants et étudiantes à distance, des compétences génériques en enseignement (p. ex. la capacité à communiquer clairement des objectifs de cours) et, finalement, l’attitude générale à l’égard des technologies (Michelot et Poellhuber, 2022; Michelot, Poellhuber, Bérubé, et al., 2021; Michelot, Poellhuber, Charette, et al., 2021).

La résistance au changement

La question de la résistance au changement est difficile à appréhender. Quoique ce sujet soit fréquemment abordé en contexte professionnel, il s’agit d’un phénomène à la conceptualisation plus floue. Dans les études portant sur le changement dans les écoles dans les années 1960, la résistance au changement est évoquée autour des dimensions de la critique, de la confusion, de la réticence et de la recherche du statu quo dans les établissements (Terhart, 2013, cité dans Akdeni̇z et Konakli, 2022).

Des facteurs internes et externes peuvent influencer la réaction au changement (Gratz et Looney, 2020) : parmi les facteurs situationnels (externes), on trouve notamment le niveau de soutien accessible dans l’environnement et la communication; quant aux facteurs dispositionnels (internes), on relève par exemple le contrôle perçu, l’estime de soi, l’optimisme, la rigidité et la fermeture d’esprit. En vue de bâtir l’échelle de mesure réutilisée dans cette recherche (cf. Méthodologie), Oreg (2003) a discerné les six sources de résistance au changement que sont la frilosité (reluctance) à la perte de contrôle, la rigidité cognitive (l’auteur parle de personnalités dogmatiques et à l’esprit fermé), le manque de résilience sur le plan psychologique, l’intolérance à la période d’adaptation induite par le changement, la préférence pour les faibles niveaux de stimulation et de nouveauté, ainsi que la réticence à abandonner les vieilles habitudes. Notons toutefois que la littérature ne semble pas fixée sur la conceptualisation de la résistance au changement.

Les comportements de résistance au changement auraient des conséquences aux points de vue individuel et organisationnel, puisqu’ils affectent les personnes enseignantes sur le plan émotionnel et professionnel, et qu’ils influencent les relations entre collègues et dans l’environnement scolaire au niveau organisationnel (Akdeni̇z et Konakli, 2022). Pour Jaoua et al. (2022), chez les étudiants et étudiantes, l’efficacité de l’apprentissage en ligne est affectée par la résistance au changement.

Si le virage imposé vers la FAD a été de facto accepté considérant la crise, cette acceptation atelle évolué tandis que s’ouvrait un retour progressif vers la normale? En d’autres termes, après que les personnes enseignantes aient « toléré » de nombreux changements, dont l’intégration de la FAD, dans un contexte sanitaire très spécifique, cette acceptation estelle devenue une nouvelle normalité? Au contraire, y atil eu un reflux qui traduirait, par exemple, une volonté de retourner vers des habitudes prépandémiques?

Lien entre les différents concepts

Nous proposons, dans le schéma ci-dessous (figure 1), une représentation des liens supposés ou anticipés entre les différents concepts mobilisés dans cette recherche. En l’espèce, nous supposons que l’autoefficacité en FAD ainsi que la valeur accordée à la tâche de recourir à des technologies éducatives contribuent positivement à l’acceptation des technologies. À l’inverse, la résistance au changement de même que le coût associé au recours aux technologies éducatives exerceraient une influence négative sur l’acceptation des technologies.

Figure 1

Proposition de liens entre les différents concepts. Les relations positives anticipées sont en rouge (traits pleins) et les relations négatives en bleu (tirets).

Proposition de liens entre les différents concepts. Les relations positives anticipées sont en rouge (traits pleins) et les relations négatives en bleu (tirets).

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Pour étudier l’évolution de ces différents concepts, une méthodologie mixte a été mobilisée.

Méthodologie

Devis

Cette recherche repose sur un devis mixte séquentiel à dominante quantitative. Ainsi, au terme d’une collecte essentiellement quantitative en deux temps, des champs ouverts permettaient aux personnes répondantes de préciser leur perception de la FAD.

Échantillonnage

Les personnes répondantes sont issues d’un échantillonnage non probabiliste volontaire. Les enseignantes et enseignants de l’Université de Moncton, campus de Shippagan (Nouveau-Brunswick, Canada) ont été sollicités par courriel à deux moments : à la moitié de l’année universitaire 2021-2022 (janvier 2022; T1) et à la rentrée 2022-2023 (août-septembre 2022; T2).

En valeur absolue, la taille de l’échantillon peut sembler restreinte, quoiqu’elle soit en fait relativement large considérant la taille du campus. En effet, après suppression des questionnaires non répondus à plus de 50 %, le taux de réponse à l’enquête varie de 31 % à 36 % de l’ensemble du corps enseignant de l’UMCS, qui compte 78 individus de tous statuts et sessions confondus (n = 24 au T1; n = 28 au T2). Une partie des personnes répondantes ont profité des champs ouverts (n = 15 au T1; n = 16 au T2).

Collecte et instruments

Le questionnaire était soumis en ligne avec la plateforme de sondage LimeSurvey. Les personnes participantes n’étaient pas limitées dans le temps pour leur réponse.

Après avoir répondu à plusieurs questions relatives à leur profil personnel (p. ex. le genre) et professionnel (p. ex. le statut), les personnes répondantes devaient manifester leur niveau d’accord de 1 (« pas du tout d’accord ») à 10 (« tout à fait d’accord ») à une série d’items correspondant à quatre échelles. Le score des échelles a été calculé en faisant la moyenne des différents facteurs qui les composent; le score de chacun des facteurs était luimême calculé en faisant la moyenne des items qui y sont associés[2].

Le premier construit, la résistance au changement, a été mesuré à partir d’une traduction en français de l’échelle proposée par Oreg (2003). Il s’agit d’une échelle en 17 items répartis sur quatre facteurs : i) la recherche de routines; ii) la réaction émotive; iii) la pensée à court terme; iv) la rigidité cognitive. Les indices traduisent une grande fidélité de l’échelle (ω = 0,87; IC95% [0,80; 0,91]; α = 0,87; IC95% [0,80; 0,91]; cf. annexe A).

La valeur perçue a été mesurée à partir d’une traduction en français d’une adaptation de l’échelle de Conley (2012, cité dans Ranellucci et al., 2020) par Ranellucci et al. (2020). L’échelle, composée de 14 items, est répartie sur trois facteurs : i) l’intérêt accordé à la tâche; ii) la valeur accordée à l’accomplissement de la tâche; iii) l’utilité accordée à la tâche. Les indices évoquent une grande fidélité de l’échelle (ω = 0,89; IC95% [0,82; 0,92]; α = 0,89; IC95% [0,83; 0,93]).

Le coût associé à la tâche a, quant à lui, été mesuré avec une version traduite de l’échelle proposée par Ranellucci et al. (2020) et adaptée de Flake et al. (2015). Les 17 items de l’échelle composent quatre facteurs que sont : i) le coût de l’effort associé à la tâche; ii) les coûts indirects de l’effort associé à la tâche; iii) la perte d’alternatives appréciées; iv) le coût émotif. Les indices traduisent une grande fidélité de l’échelle (ω = 0,89; IC95% [0,83; 0,93]; α = 0,89; IC95% [0,84; 0,93]).

Le sentiment d’efficacité personnelle en formation à distance a été mesuré par l’échelle proposée par Michelot, Poellhuber, Bérubé et Béland (2021). L’échelle, composée de 45 items, comprend six facteurs : i) l’attitude générale à l’égard des TIC; ii) les compétences numériques au quotidien; iii) les compétences génériques en enseignement; iv) l’aptitude à animer des interactions avec un groupe-classe; v) les compétences numériques en enseignement; vi) les habiletés relatives à la manipulation de l’environnement numérique d’apprentissage (ENA)[3]. Les indices reflètent une très grande fidélité de l’échelle (ω = 0,96; IC95% [0,94; 0,97]; α = 0,88; IC95% [0,93; 0,97]).

Enfin, l’acceptation des technologies était mesurée avec une traduction de l’échelle de Ranellucci et al. (2020) que ces derniers ont proposée sur la base de plusieurs échelles existantes. Elle est composée de 17 items répartis sur cinq facteurs : i) l’utilité perçue; ii) la simplicité d’utilisation perçue; iii) les normes subjectives; iv) les conditions facilitantes; v) l’attitude à l’égard du numérique. Les indices traduisent une grande fidélité de l’échelle (ω = 0,86; IC95% [0,76; 0,91]; α = 0,85; IC95% [0,78; 0,90]).

Au terme du questionnaire, plusieurs champs ouverts permettaient aux personnes répondantes d’exprimer leur avis sur la FAD relativement aux : i) avantages; ii) aspects négatifs; iii) éléments à retenir et recommandations à formuler.

Analyses

Au préalable, la fidélité des scores des échelles a été calculée (α de Cronbach et ω total de McDonald). Les indices audelà de 0,80 traduisent une grande fidélité de l’échelle, tandis que les indices audessus de 0,90 traduisent une très grande fidélité (Cohen et al., 2018).

Les tests statistiques opérés ont été effectués sur les différentes échelles, ainsi que sur les items.

Les conditions d’application des tests ont été effectuées sur le plan de la normalité des distributions (test de Shapiro-Wilk; normalité si p > 0,05) et de l’homogénéité des variances (test de Levene; homoscédasticité si p > 0,05). En cas d’hétéroscédasticité, les corrections ont été appliquées.

Après remplacement des données manquantes par imputation multiple (m = 20), des analyses descriptives et inférentielles ont été opérées. Le pourcentage de données manquantes, toutes variables numériques confondues, s’établissait à 16,49 %.

Le test t unilatéral pour échantillon indépendant a été employé afin de comparer les résultats entre le T1 et le T2. Pour des raisons de respect de la confidentialité des personnes répondantes, le test t pour échantillon apparié (prétest post-test) n’a pu être employé. Enfin, afin d’établir la relation prédictive entre l’acceptation des technologies et les diverses variables, la modélisation par le modèle linéaire général a été employée.

La valeur p diminuant à mesure que la taille de l’échantillon s’accroît (Demidenko, 2016), elle ne saurait être utilisée seule avec un échantillon comme celui présent. De fait, la taille de l’effet (d de Cohen) et son intervalle de confiance à 95%, ainsi que la puissance (power, 1 – β) sont rapportés.

Les analyses ont été faites à l’aide de jamovi 2.3.16.0 (incluant le module esci 0.9.4), jasp 0.16.3 (incluant le module Reliability) et Rstudio 2022.12.0 avec 4.2.2 (incluant le module mice 3.15.0, GGally 2.1.2).

Pour les champs ouverts, les unités de sens ont été catégorisées avec le logiciel d’aide à l’analyse qualitative QDA Miner 6.0.14. La dimension qualitative de la recherche étant secondaire et ne visant pas à l’exhaustivité, aucune procédure de contrecodage n’a été entreprise.

Description de l’échantillon

Les femmes constituaient 58 % des personnes répondantes au T1 et 50 % au T2. Les professeurs et professeures représentaient une grande majorité de l’échantillon (de 63 % au T1 à 82 % au T2; tableau 1).

Au T1, seuls 8 % déclaraient n’avoir jamais expérimenté la formation à distance en ligne, ce qui recouvre néanmoins une diversité de réalité : la quasi-totalité des enseignants et enseignantes avait déjà enseigné en ligne de façon synchrone (92 %), mais seuls 33 % avaient expérimenté des modèles flexibles (58 % de l’asynchrone, 50 % de l’hybride, 50 % du comodal).

L’équipement informatique semble quant à lui s’être diversifié au fil des mois. Ainsi, le taux d’enseignants et enseignantes déclarant disposer d’un matériel vidéo pour l’enseignement en ligne est passé de 15 % à 25 % tandis qu’il a cru de 19 % à 37 % dans le cas de ceux disposant d’une tablette numérique.

Au sein de cet échantillon, on a pu observer plusieurs évolutions, notamment observées grâce à diverses mesures quantitatives.

Tableau 1

Répartition de l’échantillon selon le temps de mesure (T₁ et T₂), le statut de l’enseignant ou l’enseignante et le genre

Répartition de l’échantillon selon le temps de mesure (T₁ et T₂), le statut de l’enseignant ou l’enseignante et le genre

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Résultats

La résistance au changement

La résistance au changement a progressé (T1 = 4,00; T2 = 4,72), à la limite du seuil de significativité généralement accepté (tableau 2; t [50] = –1,98; p = 0,053). La taille de l’effet peut être qualifiée de moyenne (d = –0,55; IC95% [–1,11; 0,02]; 1 – β = 0,50). Cette différence s’avère plus marquée quant au facteur relatif à la recherche de routines (t [50] = –2,19; p = 0,033; d = –0,61; IC95% [–1,18; 0,03]; 1 – β = 0,58).

Tableau 2

Comparaison des scores de résistance au changement selon le temps (T1 et T2)

Comparaison des scores de résistance au changement selon le temps (T1 et T2)

Note. Ha : μT1 ≠ μT2

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À l’item « Je préfère faire des choses habituelles plutôt que d’essayer de nouvelles choses » en contexte de travail, la différence est significative et la taille de l’effet est moyenne (t [50] = –2,13; p = 0,038; d = –0,59; IC95% [–1,16; 0,02]; 1 – β = 0,55). Le constat concernant l’item « Chaque fois que ma vie devient routinière, je cherche des façons de la changer » (score inversé) est à l’avenant (t [50] = –2,68; p = 0,010; d = –0,75; IC95% [–1,32; –0,15]; 1 – β = 0,76).

La valeur perçue

La valeur perçue a diminué entre le T1 (T1 = 7,42) et le T2 (T2 = 6,51, à la limite du seuil de significativité généralement accepté (tableau 3; t [50] = 1,87; p = 0,067). La taille de l’effet peut être qualifiée de moyenne (d = 0,52; IC95% [–0,05; 1,08]; 1 – β = 0,47). L’ensemble des scores des facteurs de l’échelle semblent avoir diminué entre les deux mesures, mais seul le score moyen du facteur relatif à l’importance accordée à la tâche a baissé de façon significative (t [50] = 2,02; p = 0,048; d = 0,56; IC95% [–0,01; 1,13]; 1 – β = 0,51).

Tableau 3

Comparaison des scores de valeur selon le temps (T1 et T2)

Comparaison des scores de valeur selon le temps (T1 et T2)

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Plus spécifiquement, le score moyen de plusieurs items a régressé : « J’apprécie utiliser des technologies » (tWelch [44,57] = 3,32; p = 0,002; d = 0,91; IC95% [0,29; 1,47]; 1 – β = 0,90); « De manière générale, j’apprécie les technologies » (t [50] = 2,19; p = 0,033; d = 0,64; IC95% [0,03; 1,18]; 1 – β = 0,62); « Les technologies me seront utiles dans l’avenir » (tWelch [47,64] = 2,17; p = 0,035; d = 0,60; IC95% [0,01; 1,15]; 1 – β = 0,57).

Le coût associé à la tâche

Considérant le coût associé à la tâche, les variations moyennes de l’échelle et de ses facteurs entre les T1 et T2 sont tantôt positives, tantôt négatives (tableau 4). Toutefois, elles sont toujours sans différence statistiquement significative.

Tableau 4

Comparaison de la perception du coût associé à la tâche selon le temps (T₁ et T₂)

Comparaison de la perception du coût associé à la tâche selon le temps (T₁ et T₂)

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Aucune différence significative n’est par ailleurs notable lorsque l’on étudie la variation moyenne des items.

Le sentiment d’efficacité personnelle

Sur le plan de l’autoefficacité personnelle, on constate une stagnation entre les T1 (T1 = 7,57) et T2 (T2 = 7,56; tableau 5). Les scores moyens aux différents facteurs de l’échelle diminuent (compétence numérique en enseignement et au quotidien, interactions en ligne), stagnent (habiletés avec l’ENA, compétences générales d’enseignement) ou progressent (attitudes à l’égard des TIC).

Tableau 5

Comparaison de la perception de l’autoefficacité en formation à distance selon le temps (T1 et T2)

Comparaison de la perception de l’autoefficacité en formation à distance selon le temps (T1 et T2)

Note. Ha : μT1 ≠ μT2

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En ce qui a trait aux items, on constate une évolution significative ou au seuil de significativité de la moyenne des scores pour plusieurs d’entre eux. Ainsi, la moyenne du score de l’item reflétant le sentiment de compétence pour « Utiliser des TIC pour illustrer efficacement du contenu à enseigner » progresse (T1 = 6,46 vs T2 = 8,07; tWelch [36, 22] = –1,89; p = 0,067; d = –0,54; IC95% [–1,11; 0,03]; 1 – β = 0,48).

À l’inverse, l’item reflétant le sentiment de compétence pour « Apprendre comment utiliser de nouveaux outils technologiques » diminue (T1 = 8,67 vs T2 = 7,29; tWelch [44,70] = 2,30; p = 0,026; d = 0,63; IC95% [0,04; 1,18]; 1 – β = 0,61). Il en est de même quant à la perception du fait que « [l]’apprentissage peut être facilité par le numérique en contexte de formation à distance » (T1 = 8,38 vs T2 = 6,93; [50] = 1,92; p = 0,060; d = 0,53; IC95% [–0,04; 1,10]; 1 – β = 0,47).

L’acceptation des technologies (le TAM)

Concernant l’acceptation des technologies et ses différents facteurs, on ne constate pas de différences statistiquement significatives entre le temps T1 et le temps T2 (tableau 6). En revanche, on observe tout de même des diminutions dans le temps. Par exemple, pour l’ensemble du TAM, le score passe de = 7,46 à  = 6,94 (t [50] = 1,41; p = 0,166; d = –0,39; IC95% [–0,17; 0,94]; 1 – β = 0,28). Concernant la perception d’utilité des technologies, la différence est au seuil communément admis de significativité (t [50] = 1,84; p = 0,071; d = –0,51; IC95% [–0,06; 1,07]; 1 – β = 0,44).

Plus spécifiquement, quant aux items « Je trouve que l’usage de technologies est utile pour mon travail » et « Une fois que je commence à utiliser une technologie, je trouve qu’il est difficile de m’en passer », la différence est significative (respectivement t [50] = 2,05; p = 0,046; d = 0,57; IC95% [–0,01; 1,13]; 1 – β = 0,53 et tWelch [40,46] = 2,41; p = 0,021; d = 0,65; IC95% [0,06; 1,21]; 1 – β = 0,64).

Tableau 6

Comparaison des scores du TAM selon le temps (T₁ et T₂)

Comparaison des scores du TAM selon le temps (T₁ et T₂)

Note. Ha : μT1 ≠ μT2

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Pour résumer, la figure 2 permet de voir dans quelle mesure le sentiment d’autoefficacité, le coût associé à la tâche et l’acceptation des technologies semblent avoir plutôt stagné. En parallèle, la valeur associée à la tâche a diminué tandis que la résistance au changement a augmenté.

Figure 2

Comparaison des boîtes à moustaches des principales variables aux deux temps de mesure (T₁ et T₂)

Comparaison des boîtes à moustaches des principales variables aux deux temps de mesure (T₁ et T₂)

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Modélisation par le modèle linéaire général

Une première étude de corrélation (figure 3) semble montrer que l’acceptation des technologies a une relation positive moyenne avec la valeur perçue (r = 0,65; IC95% [0,46; 0,78]; p < 0,001) et le sentiment d’autoefficacité (r = 0,62; IC95% [0,42; 0,76]; p < 0,001). À l’inverse, la relation serait négative avec le coût associé à la tâche (r = –0,46; IC95% [–0,65; –0,22]; p < 0,001). La relation semble nulle avec la résistance au changement (r = 0,03; IC95% [–0,24; –0,30]; p < 0,819).

Figure 3

Matrice de corrélation entre les différentes échelles. L’indice de corrélation de Pearson est indiqué pour les T1 et T2 réunis (en gris), pour le T1 (en rouge) et pour le T2 (en bleu)

Matrice de corrélation entre les différentes échelles. L’indice de corrélation de Pearson est indiqué pour les T1 et T2 réunis (en gris), pour le T1 (en rouge) et pour le T2 (en bleu)

* p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,001

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Le fait que l’acceptation des technologies (TAM) puisse être expliquée par le modèle linéaire général grâce à certaines variables quantitatives (la résistance au changement, la valeur perçue, le coût associé à la tâche, le sentiment d’efficacité personnelle) et qualitatives (le genre, le statut d’emploi, la discipline enseignée, la date de naissance, ainsi que le temps de mesure) a ensuite été étudié.

La méthode descendante suggère que le modèle incluant la valeur perçue, le coût associé à la tâche, le sentiment d’efficacité personnelle, ainsi que la durée d’enseignement et le temps de mesure est celui qui s’ajuste le mieux et est le plus parcimonieux (AIC = –19,08, contre AIC = –18,83 pour le modèle qui inclut en plus la résistance au changement). En revanche, en enlevant la résistance au changement, le test de Fisher partiel de comparaison des modèles montre que la différence entre les deux modèles n’est pas significative (p = 0,243). Il a alors été décidé de maintenir la variable relative à la résistance au changement dans le modèle.

Le modèle de régression retenu (tableau 7) suggère qu’une proportion significative de la variance de l’acceptation des technologies peut être expliquée (R2 = 0,74; F[10; 41] = 11,5; p < 0,001) par les variables suivantes : i) la résistance au changement (η2part. = 0,03; 2 = 0,10); ii) la valeur perçue (η2part. = 0,21; 2 = 0,61); iii) le coût associé à la tâche (η2part. = 0,06; 2 = 0,16); iv) le sentiment d’efficacité personnelle (η2part. = 0,12; 2 = 0,32); v) la durée d’enseignement (η2part. = 0,35; 2 = 0,93); vi) le temps de mesure (η2part. = 0,05; 2 = 0,12).

Les commentaires

À la fin des questionnaires, dans des champs ouverts, il était proposé aux personnes répondantes de formuler quels étaient les avantages, les aspects négatifs ainsi que les éléments à retenir ou leurs recommandations concernant la FAD. De façon générale, la FAD semble reconnue pour apporter de la « souplesse », de la « flexibilité » à l’enseignement et aux apprentissages. Cela se traduit relativement au potentiel pédagogique et aux interactions avec les étudiants et étudiantes en particulier, mais aussi sur le plan des transports.

Tableau 7

Coefficients du modèle prédisant le score en acceptation des technologies

Coefficients du modèle prédisant le score en acceptation des technologies

a. Représente la moyenne générale.

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La distance physique. Parmi les avantages associés au recours à la FAD, le fait de pouvoir être éloigné du lieu d’études est rapporté : en effet, en plus d’avoir découvert les vertus du travail à distance, des enseignants et enseignantes signalent que la FAD s’avère une solution efficace face aux conditions météorologiques. Pour l’une, la FAD « permet de tenir un cours si le campus ferme en raison de tempête ou autre », ce qui n’est pas négligeable dans une région où la météo peut rapidement se dégrader l’hiver.

Le potentiel pédagogique. Plusieurs soulignent le fait que des outils accessibles dans les ENA favorisent la prise de connaissance asynchrone du matériel. L’une remarque que « les étudiants peuvent revisionner les cours s’ils veulent repasser la matière », tandis qu’un autre enseignant note que l’enregistrement l’a forcé à recentrer ses propos : « Je trouve, dit-il, que je transmets l’information de façon plus directe et claire et que je perds moins de temps sur du détail plus ou moins important ». En outre, le recours aux ENA est également un moyen de diversifier les contenus pédagogiques, notamment en employant des questionnaires formatifs autocorrigés.

À l’inverse, il ressort de cela que les activités ne sont pas aussi fluides. Du côté des évaluations (formatives ou sommatives), on déplore par exemple la difficulté de « faire respecter les échéances » et la nécessité de devoir « faire des suivis » de manière plus régulière. Aussi, les évaluations constituent une surcharge de travail en vue de leur mise en oeuvre. Il y a une courbe d’apprentissage à relever : une enseignante déplore « les petits pépins technologiques rencontrés lors des cours via Teams [qui] sont reliés à la nouveauté de cette technologie dans [son] quotidien », mais avoue pouvoir s’y habituer. Le sentiment de manque de soutien est cependant manifeste; si des formations ont été offertes, elles paraissent insuffisantes et « ne permettent pas de maîtriser à fond chaque outil », souligne une professeure. Celle-ci pense que l’on « devrait tirer avantage de ce virage pour approfondir [...] et ainsi offrir des cours de meilleure qualité », tout en constatant que le temps et les ressources manquent. En ce sens, des ressources sont souhaitées, mais dont l’expertise ne se limiterait pas à la technique : un enseignant a déploré le manque « d’appui sur la pratique pédagogique : on a eu une formation technique, mais pas comment appliquer cela (exercices pratiques, simulations, etc.) ». Enfin, des « réseaux de collaboration virtuelle », des « forums de discussion » ont été suggérés.

Les interactions. Plusieurs personnes enseignantes voient dans les outils utilisés en contexte de FAD un atout pour favoriser les interactions avec les étudiants et étudiantes. Bon nombre d’entre elles apprécient leur accessibilité accrue. Aussi, un professeur remarque ainsi que les étudiants et étudiantes « se sentent plus en confiance pour interagir, car ils ne sont pas en contact direct et se sentent plus en sécurité. Il est plus facile de les interpeller individuellement (petit groupe) et de les faire répondre ». L’organisation du travail en petits groupes est particulièrement prisée pour des rencontres ponctuelles ou des travaux de plus longue haleine.

En revanche, cette lecture est largement nuancée. Les webcams fermées sont ainsi une source importante de frustration, car les enseignants et enseignantes ne se sentent pas en mesure d’ajuster leur enseignement grâce au non verbal notamment : « J’ai l’impression de parler dans le vide », résume l’une des enseignantes. De façon générale, la FAD a parfois créé un sentiment d’éloignement qui se manifesterait par une baisse de participation.

À plus long terme. Dans l’ensemble, aucune des personnes répondantes n’a exprimé de rejet pur et simple de la FAD. D’aucuns considèrent qu’une partie de l’avenir de la formation universitaire se passera en ligne. La FAD, souligne en ce sens une professeure, accorde la « possibilité d’offrir des webinaires, des MOOC, des programmes de cours en ligne qui nous ouvrent à d’autres publics. Les besoins en cours en ligne ont augmenté avec le télétravail ». En revanche, un scénario « tout distanciel » n’est guère envisagé et plusieurs prônent plutôt un rééquilibrage au profit d’une relative hybridation qui remettrait la finalité pédagogique et didactique au coeur de la réflexion en offrant, au besoin, plus de possibilités de distanciel et d’asynchronicité. Comme l’explique bien un professeur :

Il faudrait mieux encadrer l’utilisation des technologies en milieu/pédagogie universitaire. Reconnaître à leur juste valeur les forces et les limites des technologies en enseignements. En intégrer les aspects forts tout en cessant de préconiser que les technologies sont la réponse à tous nos défis sur le plan de l’enseignement universitaire. Trouver le juste milieu. Ne surtout pas perdre de vue les besoins de nos apprenants et la nature des apprentissages visés.

Discussion et conclusion

Dans cette étude, l’évolution de la perception d’enseignants et enseignantes du postsecondaire visàvis de la formation à distance était observée au cours de deux périodes, la première en janvier 2022, lors d’un épisode de fermeture du campus pour des raisons sanitaires, et la seconde à la rentrée universitaire 2022-2023, tandis que des perspectives de desserrement massif des mesures sanitaires s’annonçaient pour les mois à venir.

Nous nous interrogions donc sur le fait que l’utilisation contrainte de la formation à distance ait pu, peu à peu, se transformer en pratique « normalisée ». Bien que leur rapport aux technologies soit stable sur le plan du sentiment de compétences, du coût associé à la tâche ou encore de l’acceptation des technologies, on se doit de noter une baisse de la valeur perçue et une progression de la résistance au changement.

Plus précisément, on a constaté un affaiblissement, quoique modeste, de l’acceptation des technologies par les enseignants et enseignantes de l’UMCS qui ont répondu à cette enquête. En parallèle, la valeur accordée à la tâche du recours aux technologies a elle aussi diminué, tandis que l’on a assisté à une stagnation de la moyenne du SEP en matière de FAD (et à une légère augmentation de la médiane). Pendant ce temps, si le coût associé à la tâche n’a guère évolué, la résistance au changement a nettement progressé. Finalement, un modèle linéaire a pu être élaboré visant à anticiper le score en acceptation des technologies.

Quant aux données qualitatives recueillies en marge de l’enquête, nous avons pu constater que les membres du corps enseignant reconnaissaient, dans leur ensemble, un potentiel positif à la formation à distance : il s’agit d’une solution efficace pour remédier aux distances et qui ouvre, de surcroît, des perspectives pédagogiques quant aux activités ou aux ressources mises à leur disposition. En revanche, la FAD vient aussi avec ses défis pédagogiques, particulièrement en ce qui a trait à l’engagement des personnes apprenantes. Aussi, si l’on note l’existence de ressources techniques, un manque de soutien pédagonumérique est souligné en parallèle. Finalement, un besoin de rééquilibrage de la place du distanciel, au profit du présentiel, semble être exprimé. Il ne s’agirait pas de revenir sur les « avancées » en matière d’intégration de la FAD au quotidien des pratiques d’enseignement, mais de mieux les intégrer.

Plusieurs méta-analyses ont souligné les apports de l’hybridation des enseignements (p. ex. Bernard et al., 2014; Means et al., 2013; Vo et al., 2017). La pratique semble avoir fait infuser ce constat dans l’impression qu’ont les enseignants et enseignantes du distanciel. En revanche, cela nous amène à dresser deux constats.

Sur le plan théorique, cette recherche montre l’importance d’appréhender concomitamment l’utilité et la facilité d’utilisation perçues en vue de saisir l’intention d’utiliser les technologies. En effet, quand bien même le sentiment d’autoefficacité progresserait, il ne suffit guère pour mobiliser la FAD et recourir aux technologies éducatives[4]. En revanche, la pertinence professionnelle de la tâche est à considérer. D’ailleurs, il est évocateur que le score moyen à l’affirmation « Je trouve que l’usage de technologies est utile pour mon travail » ait baissé. Si l’on conçoit l’enseignement comme étant une responsabilité que l’on ne peut étirer indéfiniment dans la charge professorale, la personne enseignante a tout intérêt à s’interroger sur le bien-fondé d’une stratégie éducative ou autre selon un ensemble de paramètres. Si le recours à la FAD n’est plus indispensable en raison de l’évolution du contexte sanitaire, elle retrouve alors sa latitude pour réguler elle-même l’emploi de stratégies numériques impliquant en tout ou partie du distanciel par un mécanisme de mise en balance de la valeur et des espérances de réussite, d’une part, et des coûts, d’autre part. Cela pourrait se traduire dès lors par une résistance au changement, plus ou moins passive, mais qui dénoterait une volonté de ne pas s’engager dans des bouleversements aussi draconiens que ceux connus durant la période pandémique. En ce sens, les demandes qui ont été recueillies afin d’opérer des choix raisonnés et mesurés quant aux technologies nous semblent cohérentes. Pour l’avenir, il y a peutêtre lieu d’inscrire les changements dans une dynamique moins forcée, moins disruptive.

Sur un plan plus pratique, il nous semble indispensable de mettre en exergue l’importance d’offrir un soutien avant tout pédagogique au personnel enseignant des établissements d’enseignement supérieur. Au fil de la pandémie, des compétences se sont développées de façon évidente autour de certains : il reste encore, parfois, un travail d’étayage pour accompagner l’utilisation d’outils numériques en tant qu’artefacts vers une instrumentation pédagonumérique plus approfondie. Pour ce faire, audelà d’un soutien d’urgence strictement technique, un accompagnement quotidien devient indispensable afin de pouvoir compter, pour reprendre les conclusions de Zhao et Song (2021), sur d’autres formes de soutien : « pedagogical support, financial and infrastructure support, policy support, technical support and emotional support » (p. 116).

À l’image du commentaire de l’enseignante rapporté à la fin de la section d’analyses (« [Il faut] reconnaître à leur juste valeur les forces et les limites des technologies en enseignements »), le rapport aux technologies éducatives semble plus nuancé. La valeur accordée à l’enseignement distanciel semble moins importante et le constat selon lequel « l’apprentissage peut être facilité par le numérique en contexte de formation à distance » paraît moins partagé. Les résultats présentés dans cet article invitent donc, selon nous, à tempérer les affirmations selon lesquelles la FAD est une nouvelle normalité pleinement adoptée par les enseignants et enseignantes dans leur quotidien.

Limites et recherches futures

Considérant la traduction des échelles, les circonstances n’ont pas permis de suivre un protocole tel que la démarche de validation transculturelle de Vallerand (1989). Une pareille stratégie, bien que souhaitable, aurait entraîné plusieurs mois de travail. En pratique, les items ont été traduits par le chercheur principal, puis soumis à une collègue bilingue pour relecture et éventuelle reformulation. Enfin, ils ont été retravaillés, lorsque nécessaire, par une autre collègue en didactique du français.

La taille de l’échantillon constitue une limite méthodologique évidente de la présente recherche. Par ailleurs, comme pour beaucoup de recherches sur la FAD, la perception des personnes participantes a été enquêtée au moment de bascules importantes. En outre, le fait que l’échantillon diffère entre le T1 et le T2 exige d’aborder les résultats avec prudence : avoir des personnes répondantes différentes ne permet de répondre qu’imparfaitement à l’objectif. De plus, l’échantillon étant constitué sur une base volontaire, il ne saurait être tout à fait représentatif de la situation.

Ainsi, pour une meilleure compréhension du passage au distanciel, il y aurait lieu d’engager des études longitudinales qui permettraient de mieux documenter l’intégration de nouvelles pratiques dans des contextes où les changements sont moins abrupts.