Corps de l’article

Introduction

Depuis 2020, la pandémie a entraîné la fermeture régulière des établissements de formation, contraignant les enseignants et enseignantes à assurer une continuité pédagogique des enseignements. Les cours en présentiel ont laissé place au « distanciel » auquel les équipes pédagogiques ont dû rapidement s’adapter. Ces deux dernières années ont ainsi vu naître des outils technopédagogiques favorisant l’enseignement à distance dans un contexte déjà fortement marqué par le développement d’outils logiciels et de périphériques matériels. La démocratisation des périphériques et des accès au réseau ainsi que la multiplication des logiciels de visioconférence ont massivement rendu accessibles des outils traditionnellement utilisés pour la collaboration en ligne.

Après deux années d’utilisation, le constat reste pourtant mitigé. Les études menées ont souligné les difficultés vécues par les acteurs (Boudokhane-Lima et al., 2021; Issaieva et al., 2020), parmi lesquelles une perte de concentration et de motivation de même qu’un sentiment d’isolement chez les apprenants et apprenantes. Les enseignantes et enseignants ont, quant à eux, évoqué des interactions pédagogiques insatisfaisantes, voire dégradées (Granjon, 2021; Peraya et Peltier, 2020a) ainsi qu’un malaise lié à leur absence de maîtrise des outils numériques. Le cours en ligne reste cependant, pour un territoire insulaire tel que la Guadeloupe, une véritable plus-value. En effet, outre le contexte pandémique, la Guadeloupe est contrainte par sa double insularité et régulièrement paralysée par des événements climatiques ou sociaux pouvant rendre la circulation impossible. Dans un tel contexte, la pérennisation du distanciel prend tout son sens. Les équipes pédagogiques ont décidé de maintenir une modalité hybride, en cherchant à améliorer la qualité des cours à distance.

Face au constat du désengagement des étudiants et étudiantes durant les cours en ligne, en grande partie en raison d’absence d’interactions humaines, nous étudions dans ce travail la pertinence d’utiliser des outils plus immersifs pour maintenir un enseignement à distance favorisant cet engagement. Nous avons choisi la réalité virtuelle (RV), qui s’est beaucoup développée ces dernières années (Leubou, 2021). Nous avons conduit cette étude auprès d’étudiantes de master auxquels nous avons dispensé des enseignements en RV répartis sur un semestre. Notre objectif était d’évaluer l’intérêt de la RV dans un dispositif de formation hybride et d’évaluer son impact sur l’engagement cognitif, comportemental et affectif des étudiants et étudiantes (Molinari et al., 2016). Nous avons en particulier cherché à mesurer les écarts d’engagement pouvant exister entre les cours en ligne tels que réalisés durant la pandémie et ceux réalisés en RV.

Pour présenter ce travail, nous définissons tout d’abord le cadre théorique qui situe les concepts abordés, puis nous exposons la méthodologie appliquée. Nous présentons et discutons ensuite les résultats obtenus qui éclairent la pertinence et la plus-value de l’utilisation de la RV sur résultats obtenus qui éclairent la pertinence et la plus-value de l’utilisation de la RV sur l’engagement des apprenants et apprenantes, mais également son intérêt dans une utilisation postpandémique.

Enseignement à distance : développement, engagement et perspectives

Enseignement à distance en contexte pandémique

L’enseignement à distance se caractérise par la distance dans la relation pédagogique, il s’agit pour les formateurs et formatrices d’apprivoiser cette distance (Jacquinot, 1993). Pour Peraya et Peltier (2020b), ce type d’enseignement impliquant une mise à distance et une rupture dans le processus d’enseignement-apprentissage impose aux équipes pédagogiques l’obligation de concevoir les activités sur toute la durée du cours. La mise en oeuvre de l’enseignement à distance en situation d’urgence a cependant fait ressortir deux types de difficultés chez les équipes pédagogiques. On relève des difficultés d’ordre technique relatives au manque de maîtrise des outils de l’enseignement à distance (Boudokhane-Lima et al., 2021; Issaieva et al., 2020). Les auteurs et autrices soulignent également des difficultés relatives à l’ingénierie pédagogique propre à l’enseignement à distance, méconnue de la majorité des enseignant·e·s interrogés. Les compétences des équipes pédagogiques en la matière étant lacunaires, les formes de continuité ont souvent revêtu l’aspect d’un transfert des démarches pédagogiques du présentiel vers les cours en ligne, notamment par la mise en place de visioconférences (Granjon, 2021). Les enquêtes réalisées ont montré que ces transferts ont entraîné des ruptures chez les acteurs concernés, ce qui a pu générer des situations de malaise, de malêtre et de décrochage.

Dans ce contexte pandémique, l’enseignement à distance a été soudain et subi, avec toutes les contraintes que cela induit. Si la pertinence de l’usage des technologies est indiscutable, l’impact de la distance sur l’engagement étudiant est une dimension qui mérite que l’on s’y intéresse.

Enseignement à distance et engagement

Les théories de l’apprentissage ont éclairé les processus qui permettent aux apprenants et apprenantes de s’engager pour bien apprendre, dans les dispositifs de formation tant en présentiel qu’à distance (Molinari et al., 2016). Nous retenons les trois types d’engagements établis par Fredricks et al. (2011) : (1) cognitif, (2) comportemental et (3) affectif.

L’engagement cognitif est défini par le niveau d’investissement dans les apprentissages et les efforts à déployer pour comprendre les idées complexes ou les habiletés difficiles. L’engagement comportemental est caractérisé par un comportement positif vis-à-vis des apprentissages et du contexte dans lequel ils se déroulent. Il se traduit par la participation et l’investissement dans les activités. L’engagement affectif renvoie enfin à toutes les réactions positives ou négatives envers l’enseignement, tant dans les rapports interpersonnels qu’au regard du contenu et des activités.

Si la question de l’engagement est importante pour la réussite du parcours de formation, pour Tiberghien (2006), elle est primordiale quand il s’agit d’enseignement à distance. En effet, pour réussir, les apprenants et apprenantes doivent dépasser leur sentiment d’isolement, gérer leur temps de formation et s’organiser pour apprendre dans le temps qui leur est imparti. L’enseignement à distance possède également cette particularité de supprimer les temps informels périphériques à la formation et les interactions interpersonnelles (Crépy et al., 2021). Cela agit sur la cohésion du groupe, car ces temps sont l’occasion de construire du lien et de partager les expériences, mais aussi d’approfondir des points de la formation. C’est ainsi que face aux limites des outils utilisés dans l’enseignement à distance, de récents travaux se sont intéressés à des dispositifs innovants pour améliorer la qualité des cours en ligne. Nous avons choisi de nous intéresser à la réalité virtuelle.

Réalité virtuelle en formation

La réalité virtuelle (RV) se définit comme un environnement numérique artificiel, modélisé en trois dimensions et simulé à l’aide d’un casque et de contrôleurs. Ces derniers permettent à un individu de se mouvoir et d’interagir avec son environnement virtuel. Le premier dispositif permettant la RV a été conçu dans les années 1960 pour des applications militaires (Bown et al., 2017). Toutefois, c’est dans les années 2010 que cette technologie a connu une forte croissance, poussée tant par l’amélioration des performances de calculs et de modélisation 3D que par la miniaturisation des composants. Ces dernières années, la recherche sur la RV s’est donc beaucoup développée. Des équipes de recherche telles que le Virtual Human Interaction Lab. étudient de nombreux champs disciplinaires autour de la RV sur des aspects techniques (Miller et al., 2021), sociaux (Markowitz et Bailenson, 2021), médicaux (Paul et al., 2022) ou pédagogiques (Queiroz et al., 2023). L’utilisation de la RV en formation est donc relativement récente et a été, à titre d’exemple, expérimentée dans ce contexte pour l’apprentissage des gestes techniques en chirurgie ophtalmologique (Thomsen et al., 2015) ou la formation à la maintenance technique dans des entreprises (Numfu et al., 2019).

Plus généralement, les travaux empiriques se sont intéressés à l’apport de la RV comparativement aux méthodes et outils pédagogiques déjà utilisés. Parong et Mayer (2021) se sont, par exemple, concentrés sur les processus d’apprentissage et les conditions nécessaires pour que les outils de RV soient efficaces. Ils montrent ainsi comment les environnements immersifs induits par la RV peuvent créer des émotions positives qui affectent le processus d’apprentissage. Barbe et Boboc (2022) s’intéressent, quant à eux, à l’hybridation d’un parcours de formation utilisant la RV, en se focalisant sur les conditions facilitant l’apprentissage. Ils montrent que, pour que la RV soit capacitante, il faut qu’elle soit stimulante, sécurisante, et qu’elle n’entrave pas les apprentissages des apprenants et apprenantes, mettant ainsi les limites de son utilisation dans certains contextes.

Plusieurs études ont ainsi cherché à mieux comprendre les domaines d’application dans lesquels la RV présentait une valeur ajoutée dans un contexte de formation (Narciso et al., 2021). Si ces travaux mettent en avant le fait que la RV n’est pas adaptée à toutes les formations, ils constatent par ailleurs son apport dans des contextes où (i) la mise en situation et la répétition du geste sont importantes (Schild et al., 2018), (ii) le besoin d’immersion est fort (Lan, 2020), (iii) la prise de parole est problématique (Poeschl, 2017) ou (iv) la dimension collaborative est forte (Queiroz et al., 2023).

En somme, bien que toutes ces approches soient relativement récentes, les auteurs et autrices de ces travaux s’accordent sur l’intérêt de la RV pour combler la distance entre personnes formatrices et apprenantes dans un contexte de formation à distance (Harfouche et Nakhle, 2020). En effet, contrairement aux environnements de cours en ligne qui figent les participants et participantes dans un environnement en 2D, certains d’entre eux mettent en avant la dimension spatiotemporelle offerte par ces environnements virtuels en 3D. Les avatars représentant les participants et participantes facilitent les interactions et les échanges en temps réel (Monahan et al., 2008). Ainsi, la capacité de la RV à recréer des environnements semblables à la réalité a pour conséquence de renforcer l’intérêt des personnes apprenantes (Thakral, 2010).

Si certains travaux ont ainsi cherché à mesurer les différents apports de la RV, en l’état actuel de nos connaissances, il n’existe pas de travaux relatifs à l’impact de l’utilisation de la RV sur l’engagement dans le contexte de formation à distance.

Étude empirique : mesure de l’engagement en réalité virtuelle

L’objectif de notre recherche était d’évaluer l’intérêt de la RV dans un dispositif de formation à distance. Pour cela, nous avons cherché à mesurer les écarts pouvant exister entre l’engagement cognitif, comportemental et affectif des étudiants et étudiantes durant les cours à distance tels que réalisés durant la pandémie, et ceux réalisés en RV.

Méthode

Pour réaliser cette étude, nous avons équipé de casques de RV une promotion composée de 24 étudiants et étudiantes inscrits en master 1 et 2 en Méthodes informatiques appliquées à la gestion de l’entreprise (MIAGE) et de cinq enseignants volontaires intervenant dans les enseignements de ces deux promotions. Parmi ces 24 étudiants et étudiantes, 19 poursuivent le parcours depuis la licence 3e année. Ils ont tous connu les trois modalités de cours : en présentiel, en ligne et l’expérimentation en RV, ce qui leur permet d’avoir une expérience de chacune des modalités. La moyenne d’âge des étudiants et étudiantes est de 24 ans, et celle des enseignants de 45 ans, avec une expérience moyenne de 10 ans dans l’enseignement supérieur.

Durant la pandémie, tous les cours ont été intégralement réalisés à partir de l’application Zoom, choisie par l’Université. Les enseignements en RV se sont inscrits dans une période postpandémique émaillée de confinements partiels et de blocages routiers résultant de manifestations sociales. Cette modalité a été introduite dans six enseignements (3 en M1 et 3 en M2), ce qui représente un total de 23 séances de 2 heures réalisées en RV, réparties sur le semestre. Il est à préciser que pour les enseignements retenus dans le cadre de l’expérimentation, c’est une modalité hybride qui a été mise en place : des cours en présentiel et des cours en RV. Avant le premier cours en RV, les enseignants de même que les étudiants et étudiantes ont réalisé une séance de prise en main de l’outil d’une durée de 2 heures (mise en service, installation et découverte des outils). La formation MIAGE étant une formation spécialisée en informatique, la prise en main a été plutôt aisée pour l’équipe pédagogique et les étudiants et étudiantes.

Nous avons utilisé l’application Horizon Workrooms qui permet de collaborer dans des salles de cours virtuelles pouvant impliquer jusqu’à une vingtaine de participants et participantes. L’environnement reproduit une salle de cours et leur offre, entre autres, des fonctionnalités sociales (discuter, lever le doigt, changer de place...) et des fonctionnalités symboliques d’une salle de cours (projeter son écran, utiliser un pointeur, aller au tableau et y écrire...). Enfin, l’outil permet également à ceux et celles qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas utiliser la RV de se connecter à la salle de cours virtuelle en utilisant un ordinateur et une webcam. Dans ce cas, ils ne sont pas immergés, voient la scène en 2D et apparaissent aux autres participants et participantes sous la forme d’un écran flottant.

Les données ont été recueillies selon le protocole présenté à la figure 1, à partir de questionnaires en ligne et d’entretiens semi-directifs individuels et collectifs. Le questionnaire et les entretiens menés avant de commencer l’expérimentation en RV avaient pour objectifs de déterminer les indicateurs de l’expérience utilisateur relatifs à l’enseignement à distance synchrone. Ceux qui ont été soumis à la fin ont servi à établir les indicateurs de l’expérience utilisateur de la RV.

Figure 1

Schématisation du recueil de données

Schématisation du recueil de données

-> Voir la liste des figures

Nous avons ainsi collecté, avant le démarrage de l'expérimentation, les réponses relatives au cours en ligne à partir de (i) 24 questionnaires et 24 entretiens individuels réalisés avec les étudiants et étudiantes (ii) 4 questionnaires et 4 entretiens individuels réalisés avec les enseignants. À la fin de l'expérimentation, nous avons collecté les réponses relatives au cours en RV à partir de (iii) 22 questionnaires et 2 entretiens collectifs réalisés avec les étudiants et étudiantes, ainsi que (iiii) 4 questionnaires et 1 entretien collectif réalisé avec les enseignants[1]. Les données recueillies à partir des questionnaires ont fait l’objet d’une analyse quantitative par tris croisés, à partir d’une catégorisation des questions (tableaux 1 et 2), qui a été enrichie par celles recueillies lors des entretiens. Une analyse thématique de contenu a été opérée sur le discours relevé.

Tableau 1

Catégorisation des données recueillies au moyen de questionnaires et d’entretiens effectués auprès des enseignants

Catégorisation des données recueillies au moyen de questionnaires et d’entretiens effectués auprès des enseignants

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 2

Catégorisation des données recueillies via les questionnaires et entretiens administrés aux étudiants et étudiantes

Catégorisation des données recueillies via les questionnaires et entretiens administrés aux étudiants et étudiantes

-> Voir la liste des tableaux

Dans la section qui suit, nous nommons « cours en ligne » les enseignements à distance dispensés pendant et au sortir de la pandémie, et « cours en RV » les enseignements dispensés dans la RV.

Résultats

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’intérêt de la RV dans l’enseignement à distance et d’en mesurer plus particulièrement l’impact sur l’engagement cognitif, comportemental et affectif des étudiants et étudiantes. L’impact est évalué en comparant les écarts d’engagement entre le cours en ligne et celui en RV. On peut noter qu’avant l’étude, aucun des étudiants et étudiantes n’avait eu d’expérience de formation en RV. La figure 2 montre des captures d’enseignements réalisés en RV.

Figure 2

Exemples de séances en RV réalisées avec des étudiants et étudiantes de master 2

Exemples de séances en RV réalisées avec des étudiants et étudiantes de master 2

-> Voir la liste des figures

Mesure de l’écart d’engagement cognitif entre les cours en ligne et en RV

Pour étudier l’impact de la RV sur l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes, nous avons comparé leur implication pendant les cours en ligne et en RV dans (a) la participation aux activités orales et (b) la réalisation des activités écrites (tableau 3).

Tableau 3

Comparaison de l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes entre les cours en ligne et en RV concernant (a) la participation aux activités orales et (b) la réalisation des activités écrites

Comparaison de l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes entre les cours en ligne et en RV concernant (a) la participation aux activités orales et (b) la réalisation des activités écrites

-> Voir la liste des tableaux

On peut noter une augmentation de l’implication spontanée dans les activités orales de 134 % et dans les activités écrites de 140 %. Lors des entretiens, les étudiants et étudiantes ont rapporté avoir davantage compris ou envie de comprendre le contenu des enseignements lorsque dispensés en RV.

On comprend beaucoup mieux les cours. En cas de doute, on pose plus facilement des questions.

Étudiant 1, master 1

Les enseignants peuvent expliquer tout de suite en direct, faire des schémas... On peut sauvegarder les tableaux et revenir dessus.

Étudiant 2, master 2

Cette amélioration de l’engagement cognitif est également soulignée par les enseignants, qui témoignent d’une nette amélioration de la participation des étudiants et étudiantes durant les séances en RV.

On voit l’attention des étudiants, on voit où ils regardent, on les voit travailler. [...] Très bonne expérience. Ils travaillaient en groupes, on sentait l’envie de faire des choses. On peut savoir qu’ils rencontrent des difficultés sur leurs mouvements, ce qu’on ne peut pas faire avec Zoom.

enseignant 1, master 2

L’amélioration de l’engagement cognitif peut s’expliquer par les interactions entre les avatars des personnes participantes, ce qui favorise les apprentissages. En effet, la RV produit un environnement virtuel qui n’est destiné qu’à l’apprentissage, tout en laissant une liberté d’interaction et de prise de parole. Elle permet ainsi aux étudiants et étudiantes d’être pleinement impliqués dans leurs activités.

Mesure de l’écart d’engagement comportemental entre les cours en ligne et en RV

Concernant l’engagement comportemental, nous avons cherché à comparer le comportement des étudiants et étudiantes durant les deux types de cours, du point de vue de leur attention et de leur attitude face au respect des consignes et de l’environnement de travail (tableau 4).

Tableau 4

Comparaison de l’engagement comportemental des étudiants et étudiantes entre les cours en ligne et en RV concernant leur niveau d’attention et le respect des consignes

Comparaison de l’engagement comportemental des étudiants et étudiantes entre les cours en ligne et en RV concernant leur niveau d’attention et le respect des consignes

a. Regroupement de six questions.

-> Voir la liste des tableaux

Les réponses montrent une augmentation de l’attention de 448 % lorsque le cours est offert en RV, ainsi qu’une augmentation du respect des consignes et de l’environnement de 54 %. Les étudiants et étudiantes ont déclaré être totalement immergés dans leur salle de cours, le casque les rendant hermétiques aux perturbations de leur environnement réel :

On est plus isolé chez nous, les autres nous laissent tranquilles.

Étudiant 3, master 1

Par rapport aux enseignements, c’est à des années-lumières [de] la visio : on est plus dedans, plus concentrés, on est immergés complètement, y a moins de distance avec le prof.

Étudiant 4, master 1

Ce renforcement de l’engagement comportemental semble s’expliquer par la capacité de la RV à immerger les personnes participantes dans un environnement destiné à la formation, qui les coupe de leur environnement réel pouvant être source de distraction. Les possibilités de déconcentration liées à l’environnement proche deviennent ainsi moins aisées en RV, d’autant que le retrait du casque entraîne une éjection du monde virtuel, immédiatement visible de tous.

Mesure de l’écart d’engagement affectif entre les cours en ligne et en RV

L’engagement affectif a été mesuré en comparant (e) les interactions entre étudiants et étudiantes et avec les enseignants et (f) l’intérêt manifesté pour le contenu des enseignements (tableau 5).

Tableau 5

Comparaison de l’engagement affectif des étudiants et étudiantes entre les cours en ligne et en RV concernant leurs interactions avec les autres participants et participantes et leur intérêt pour les activités

Comparaison de l’engagement affectif des étudiants et étudiantes entre les cours en ligne et en RV concernant leurs interactions avec les autres participants et participantes et leur intérêt pour les activités

a. Regroupement de trois questions.

-> Voir la liste des tableaux

Les étudiantes et étudiants ont déclaré avoir interagi davantage avec les autres personnes participantes, et être davantage intéressés par le contenu des enseignements :

Par rapport à la visio, c’était vraiment mieux. C’était plus facile d’interagir avec les autres. Tout le monde a le même niveau d’équipement donc c’est mieux.

Étudiante 3, master 1

Plus intéressant au niveau des cours car tu n’as pas l’impression d’être seul. On a eu plus d’interactions pendant les cours en VR que les cours en ligne, plus d’échanges avec l’enseignant aussi.

Étudiant 4, master 2

On note également une augmentation des interactions avec les enseignants et entre étudiants et étudiantes de 145 %, et de l’intérêt envers les enseignements dispensés de 69 % :

J’ai noté une augmentation de la participation. Ceux qui étaient en VR participaient, en revanche ceux qui étaient en webcam parce qu’ils avaient rencontré des problèmes techniques ne participaient pas, alors qu’en VR ils participaient.

Enseignant 2, master 2

Cette augmentation des interactions peut s’expliquer par la capacité de la RV à recréer des contextes de travail semblables à la réalité d’une salle de classe. Les étudiants et étudiantes de même que l’enseignant ou l’enseignante peuvent avec leurs avatars se regarder dans les yeux, pointer du doigt, aller au tableau, se déplacer dans la salle ou s’interpeller. Les échanges sont donc facilités, ce qui renforce l’intérêt des étudiants et étudiantes.

Mesure de l’écart de satisfaction des participants et participantes entre les cours en ligne et en RV

Globalement, les résultats obtenus montrent une augmentation de la satisfaction des étudiants et étudiantes au regard du cours en RV (figure 3).

Figure 3

Comparaison de la satisfaction globale des étudiants et étudiantes entre le cours en ligne et le cours en RV

Comparaison de la satisfaction globale des étudiants et étudiantes entre le cours en ligne et le cours en RV

-> Voir la liste des figures

On note une diminution de l’insatisfaction de 78 % relativement aux cours en RV. Les étudiants et étudiantes ont ainsi déclaré que ces cours ont favorisé les interactions entre pairs et avec les enseignants, renforcé la concentration, stimulé leur curiosité et leur intérêt, et contribué à accroître la participation et l’implication :

On était plus investis, il y avait plus d’interactions donc on était plus attentifs, plus engagés. Parce qu’on [ne] peut pas esquiver. Et puis il y a le côté nouveauté aussi. Et le fait que ce soit sur les yeux, on a moins l’envie, et... le choix d’aller faire quelque chose à côté.

Étudiant 5, master 2

Les enseignants interrogés ont fait part des mêmes observations : en RV, les cours ont été plus interactifs, et les étudiants et étudiantes plus participatifs et impliqués.

On voit qu’ils ont compris parce qu’on les voit hocher de la tête et c’est plus agréable.

Enseignant 3, master 2

Le manque d’interactions entre les participants et participantes, qui semblait être la source majeure d’insatisfaction, a été atténué par l’immersion en RV.

Discussion : la réalité virtuelle dans un contexte postpandémique

L’enseignement à distance se caractérise principalement par la distance dans la relation pédagogique. Le défi majeur réside donc dans sa capacité à maintenir une pédagogie efficace qui conjugue avec l’absence (1) physique du formateur ou de la formatrice, (2) des interrelations et (3) des interactions entre personnes apprenantes (Jacquinot, 1993). L’autrice détermine cinq dimensions de la distance à apprivoiser, sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour mieux comprendre l’apport de la RV en formation par rapport au présentiel et au cours en ligne.

La RV, un outil qui allie les qualités du présentiel et du cours en ligne

Au regard des résultats, nous avons observé que les cours en RV semblent réussir à supprimer l’absence de plusieurs dimensions. En nous appuyant sur les travaux de Jacquinot (1993), nous avons élaboré un tableau permettant de comparer le cours en présentiel, en ligne et en RV, afin d’extraire la plus-value de la RV pour la formation à distance dans une utilisation postpandémique. Le tableau 6 montre en quoi les cours en RV présentent les avantages à la fois de l’enseignement en présentiel et du cours en ligne.

Tableau 6

Comparaison des cinq dimensions entre les cours en présentiel, en ligne et en RV

Comparaison des cinq dimensions entre les cours en présentiel, en ligne et en RV

-> Voir la liste des tableaux

À partir de ce tableau, nous pouvons observer que les cours en RV permettent de supprimer l’absence générée par la distance, en recréant, à travers un environnement immersif, les principales caractéristiques d’un cours en présentiel. Comme nous l’avons précédemment observé dans notre expérience, cet environnement virtuel facilite la compréhension et suscite l’intérêt, en particulier grâce aux interactions entre les personnes participantes.

Cette observation avait aussi été faite par Harfouche et Nakhle (2020) dans un contexte d’apprentissage à distance en bioéthique; ceuxci montraient que la création d’un environnement virtuel immersif avait permis d’améliorer l’engagement et la participation des étudiants et étudiantes, ainsi que leur compréhension des concepts abstraits.

Le sentiment d’isolement est également diminué, ce qui renforce la participation et le travail collaboratif, tout en rendant quasi nulles les possibilités de distractions. Bien que Monahan et al. (2008) ne s’intéressaient pas directement à l’impact de la RV sur l’engagement, leur étude confirme aussi cet impact positif de la RV dans l’amélioration de la collaboration et la communication entre les personnes apprenantes.

Ainsi, par sa capacité à réunir certains avantages du cours en ligne et du cours en présentiel, l’utilisation de la RV en formation nous semble prometteuse pour l’enseignement à distance hors contexte pandémique, bien que des défis restent encore à relever, comme nous le rappelle Thakral (2010).

Limites de l’utilisation de la RV en formation

L’un des plus gros défis reste sans doute la généralisation de la RV à tous les types d’apprentissages, ce qu’ont également observé Barbe et Boboc (2022) : « La RV n’est pas un outil adapté à toutes les formations. » Dans notre étude, les enseignants ainsi que les étudiants et étudiantes ont souligné la difficulté à utiliser la RV lors d’activités de conception autour de la programmation informatique notamment. En effet, la difficulté à pouvoir écrire avec précision sur les touches du clavier rendait ces types d’activités peu aisés. En revanche, les activités impliquant une prise de parole forte telles que des cours magistraux, des travaux dirigés ou des manipulations spatiales et collaboratives sont celles qui ont été les plus appréciées.

Les données obtenues lors de notre expérimentation font ressortir trois types de limites qui pourraient freiner l’adoption de la RV dans l’apprentissage. Tout d’abord des limites techniques, puisque les technologies et outils sous-jacents nécessitent d’avoir une bonne infrastructure pour simuler toute la complexité des environnements en 3D et les interactions avec les participants et participantes. L’autonomie, qui est de l’ordre de 3 heures, limite également son utilisation sur de longues périodes. L’outil est également très complet et nécessite une prise en main pour être pleinement appréhendé.

Des limites physiologiques ont également été observées. Lors de nos expériences, plusieurs étudiants et étudiantes ont rapporté avoir des difficultés avec le poids du casque, dont l’usage pouvait s’avérer désagréable après quelques minutes d’utilisation. D’autres étudiants et étudiantes ont également fait mention de fatigue oculaire ou de malaise après des séances de 2 heures. Sur l’ensemble des personnes participantes, un étudiant a arrêté l’expérience et ne participait qu’à travers sa webcam.

Enfin, un certain nombre de limites fonctionnelles ont également été relevées, notamment l’impossibilité de percevoir les comportements non verbaux ou non verbalisés, ou la difficulté à pouvoir utiliser un clavier.

Conclusion et perspectives

Dans ce travail, nous nous sommes intéressés à l’intérêt de la RV dans le contexte de l’enseignement à distance. Nous avons en particulier cherché à évaluer l’impact de la RV sur l’engagement des étudiants et étudiantes en proposant une méthodologie visant à mesurer l’apport de cette technologie sur les plans cognitif, affectif et comportemental.

Les outils méthodologiques utilisés nous ont amenés à observer qu’avec l’usage d’environnements simulés, la RV permet aux personnes apprenantes de s’immerger dans des situations de formation plus interactives et engageantes. La RV peut alors leur offrir aux personnes apprenantes la possibilité de communiquer de façon plus naturelle, ce qui renforce leur engagement et favorise l’implication, la participation, l’intérêt, et donc les apprentissages.

En conclusion, l’expérimentation a montré que la RV présente de nombreux avantages pour l’enseignement à distance par sa capacité à combiner certains avantages du présentiel et du distanciel. Elle apparaît donc comme une solution prometteuse qui permet, en tirant profit des bonnes pratiques du distanciel durant la pandémie, de proposer un enseignement à distance de qualité, proche du présentiel.

En ce qui a trait aux limites évoquées de l’expérimentation en RV, le retour du vécu des personnes participantes est focalisé sur les améliorations techniques à apporter aux fonctionnalités afin de rendre l’expérience plus confortable sur de longues périodes d’utilisation. Notre étude a également mis en lumière la nécessité de disposer d’une infrastructure technique robuste et d’une formation des utilisateurs et utilisatrices pour garantir un usage maximisé des fonctionnalités offertes par la technologie. Enfin, le coût du casque est un élément qui peut freiner son utilisation à grande échelle.

Dans nos travaux futurs, nous entendons poursuivre cette expérience, en nous appuyant sur une grille d’observation de l’engagement spécifique au cours en RV, et l’étendre à d’autres types de formations.