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Introduction

Le développement de la formation à distance depuis le début du vingtième siècle et l’accroissement exponentiel de l’usage des technologies en pédagogie universitaire (Buckley et al., 2010) ont nécessité l’utilisation d’outils numériques de plus en plus sophistiqués, parmi lesquels figurent les plateformes d’enseignement en ligne. Souvent également nommées learning management system (LMS) ou environnements numériques d’apprentissage, ces plateformes sont des outils logiciels conçus « pour la gestion des parcours, le suivi des apprenants et la diffusion (en ligne) des contenus d’apprentissage » (Brunel et al., 2015, p. 2). Elles permettent en ce sens, selon ces mêmes auteurs, le pilotage des enseignements à distance. En effet, ce type d’outil présente l’intérêt de « créer les conditions de fonctionnement d’une classe virtuelle, fondée sur un accompagnement pédagogique à distance des apprenants et la mise en oeuvre de travaux collaboratifs » (Ernst, 2008, p. 215, cité dans Bouhafs, 2021, p. 127). On ne compte plus aujourd’hui les travaux de recherche produits sur ce type d’outil. Ceuxci ont bien souvent porté sur la manière dont les plateformes d’enseignement en ligne peuvent influer sur les pratiques pédagogiques des enseignants et enseignantes universitaires et la capacité de ces outils technologiques à représenter des « catalyseurs » du changement pédagogique (Docq et al., 2008). D’autres travaux se sont attachés à étudier les représentations des étudiants et étudiantes à l’égard de ce type de plateforme. C’est ainsi que Raby et al. (2011) sont amenés à constater que leur usage est particulièrement apprécié de ceux ci, notamment parce qu’ils considèrent que cela leur permet un accès centralisé aux informations et aux services et facilite ainsi leurs apprentissages. Les résultats de Michaut et Roche (2017) vont dans le même sens : ces auteurs montrent que ces plateformes sont considérées comme étant utiles par plus de neuf étudiants et étudiantes sur dix. Néanmoins, comme le mentionne Bouhafs (2021), les recherches produites sur les plateformes d’enseignement en ligne portent le plus souvent sur les usages qui en sont faits par les étudiants et étudiantes. Par ailleurs, en France, alors même que le contexte de la pandémie de COVID-19 a contraint nombre d’enseignants et enseignantes à mobiliser ces plateformes pour assurer une continuité pédagogique auprès des étudiants et étudiantes, à notre connaissance, aucune étude n’a été produite concernant les liens entretenus entre ces plateformes et l’engagement cognitif de ceuxci, s’agissant pourtant d’un concept étroitement lié à la réussite chez la personne apprenante, comme en témoigne la recension de Fredricks et ses collègues en 2004. Face à de tels constats, nous avons examiné les représentations des étudiants et étudiantes quant à l’utilisation des plateformes d’enseignement en ligne par leurs enseignants et enseignantes à l’université, leur satisfaction à cet égard et leur engagement cognitif. Précisons que nous plaçons la focale sur deux types de plateformes, à savoir Moodle et Teams. Ainsi, nous commencerons par définir le concept d’engagement cognitif et évoquer les enjeux du recours aux plateformes d’enseignement en ligne durant la pandémie de COVID. Puis, nous présenterons les contours méthodologiques de la recherche. Cela nous amènera à en présenter les principaux résultats, que nous discuterons à l’aune de la littérature publiée en lien avec le sujet.

1. L’engagement cognitif des étudiants et étudiantes : éléments de compréhension

Le concept d’engagement apparaît comme étant multiforme (Fredricks et al., 2004). En effet, un certain consensus semble établi dans la littérature concernant la nécessité d’envisager l’analyse de l’engagement selon trois dimensions, comportementale, émotionnelle/affective et cognitive. Ainsi, l’engagement comportemental réfère au suivi des règles et à l’adhésion aux normes de la classe (Finn et Rock, 1997), à l’implication dans l’apprentissage (Birch et Ladd, 1997), ainsi qu’à la participation à des activités liées à l’école (Finn et al., 1995). La dimension émotionnelle (ou affective) concerne les réactions affectives des élèves en classe face aux activités, à leurs pairs ou à l’enseignant ou l’enseignante, ainsi qu’à leur sentiment d’appartenance dans le cours (Heilporn et al., 2020). C’est toutefois sur l’engagement cognitif que nous faisons le choix d’axer ce travail. Ce facteur se définit comme étant la responsabilité de l’étudiant ou l’étudiante dans la réussite de ses études, l’ampleur de son investissement personnel et ses efforts consacrés à son travail d’étudiant (Conseil supérieur de l’éducation, 2008). Ce type d’engagement se manifeste « aux moments où l’étudiant s’investit intellectuellement, fournit des efforts, utilise des stratégies d’apprentissage favorisant sa métacognition et démontre, au final, une meilleure compréhension et une meilleure rétention des contenus importants » (Parent, 2018, p. 4). Autrement dit, l’engagement cognitif concerne l’investissement psychologique de l’élève dans l’apprentissage, mais aussi sa capacité à user de stratégies d’apprentissage, métacognitives et d’autorégulation (Fredricks et al., 2004). On comprend à la lecture de ces travaux que l’engagement cognitif s’articule luimême autour de plusieurs dimensions, notamment décrites par Miller et al. (1996) :

  • Les stratégies d’apprentissage. Elles sont définies par Weinstein et Meyer (1991) comme représentant les moyens pouvant être utilisés par les élèves pour acquérir, intégrer et mémoriser les connaissances qui leur sont enseignées. La littérature s’accorde à identifier différentes dimensions des stratégies. Ainsi, Boulet et al. (1996) font état de stratégies cognitives, affectives, métacognitives et de stratégies de gestion des ressources. Viau (1998) mentionne pour sa part l’existence de stratégies de mémorisation, d’organisation et d’élaboration. Même si les typologies des chercheuses et chercheurs ayant travaillé sur le sujet font parfois l’objet d’un manque de consensus, nombre d’entre eux s’accordent à considérer que ces stratégies sont liées à l’approche de l’apprentissage de l’étudiante ou l’étudiant. D’une part, les stratégies en profondeur amènent celuici à mobiliser des fonctions cognitives complexes afin de s’approprier les savoirs, d’être capable de les mettre en lien avec ses connaissances antérieures et de développer des raisonnements complexes (Leduc et al., 2018). Autrement dit, ce type de stratégies requiert de l’étudiante ou l’étudiant qu’il utilise de manière intentionnelle des connaissances antérieures en vue de construire de nouvelles connaissances plus complexes (Greene, 2015). A contrario, dans le cas des stratégies en surface, l’étudiante ou l’étudiant privilégie la mémorisation et est davantage centré sur des buts de performance. En optant pour des stratégies en surface, il se situe dans une approche de l’apprentissage centrée sur la reproduction (Entwistle, 1988), dont le seul objectif est de répondre aux exigences de l’évaluation par le biais de la seule mémorisation des connaissances.

  • Les processus d’autorégulation. Il s’agit des « stratégies cognitives que l’élève utilise consciemment, systématiquement et constamment lorsqu’il assume la responsabilité de son apprentissage » (Zimmerman, 1990, p. 86). On entend donc par autorégulation « les processus par lesquels l’apprenant active, soutient ou module des cognitions, des affects et des conduites pour agir sur l’apprentissage en cours et le contrôler (Zimmerman & Schunk, 2008) » (Cosnefroy et Jézégou, 2013, p. 1). Selon Viau (1998), les processus d’autorégulation réfèrent à trois types de stratégies : la première est d’ordre métacognitif et concerne la conscience qu’a la personne apprenante de son fonctionnement cognitif et des stratégies qu’elle met en oeuvre pour réguler sa manière de travailler intellectuellement (Pintrich et De Groot, 1990). La deuxième réfère aux stratégies de gestion, c’est-àdire à la façon de s’organiser des personnes apprenantes pour leurs apprentissages (rythme, lieu, matériel de travail...). Enfin, le troisième type de stratégies d’autorégulation évoqué par Viau (1998) est d’ordre motivationnel et est nécessaire aux étudiantes et étudiants pour conserver, voire augmenter leur motivation. Ceux qui sont capables de s’autoréguler se fixent des objectifs d’apprentissage clairs, font usage de stratégies métacognitives pertinentes, ont recours à de multiples manières d’étudier et adaptent leurs efforts à leurs résultats afin d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés (Kozanitis et al., 2018). Différents travaux, notamment ceux de Zimmerman et Martinez-Pons (1992), montrent en outre l’existence d’une forte corrélation entre les performances des élèves et l’utilisation de stratégies d’autorégulation.

  • Les efforts déployés par l’étudiant ou l’étudiante pour atteindre ses objectifs d’étude : cette dimension peut être assimilée à la persévérance de la personne apprenante, définie par Pintrich et Schunk, dont les propos sont repris par Lison et al. (2011, p. 8788), comme étant « le choix conscient de poursuivre cognitivement, métacognitivement et affectivement une activité d’apprentissage malgré les obstacles et les difficultés ». Cette dimension est plus particulièrement associée « au temps que l’étudiant consacre à ses apprentissages, à la constance avec laquelle il étudie et à la façon dont il compose avec les obstacles ou les contraintes qu’il rencontre jusqu’à l’atteinte de ses buts » (Leduc et al., 2018, p. 24). La persévérance consiste en ce sens pour la personne apprenante à poursuivre une action ou une tâche, cela même si elle est amenée à rencontrer des difficultés (Miller et al., 1996).

D’autres auteurs, à l’image de Rotgans et Schmidt (2011), considèrent qu’il est important d’intégrer à la mesure de l’engagement cognitif une composante situationnelle, relative à la façon dont les personnes apprenantes perçoivent leur engagement actuel dans la tâche, évaluent leur effort et leur persévérance tout en travaillant sur la tâche, et se sentent absorbées par cette dernière.

La définition des différentes dimensions du concept et la recension de ces travaux montrent que la compréhension de l’engagement cognitif passe finalement par celle des stratégies d’apprentissage, lesquelles ne jouent pas toutes le même rôle sur la qualité des apprentissages et la réussite étudiante dans l’enseignement supérieur (Boulet et al., 1996). L’étude des mécanismes de l’engagement cognitif s’avère d’autant plus importante que certains travaux ont pu établir des liens entre ce facteur et la motivation. C’est notamment le cas de Viau (1998) qui intègre dans son modèle de la dynamique motivationnelle l’engagement cognitif comme un indicateur résultant de la motivation. L’engagement cognitif tiendrait alors le rôle d’une variable médiatrice pour expliquer les liens existants entre motivation et réussite (Greene, 2015; Viau, 1998). Outre ses effets sur les apprentissages, des chercheuses et chercheurs se sont attachés à identifier les facteurs susceptibles d’influer sur l’engagement cognitif des apprenants[1]. Il a ainsi pu être établi que l’engagement cognitif était étroitement lié au contexte d’apprentissage (Parent, 2018). Pour cette raison, il nous a paru pertinent de nous pencher sur le contexte particulier de la pandémie de COVID-19.

2. Le recours aux plateformes d’enseignement en ligne durant la pandémie de COVID-19

La recherche concernant les effets des technologies de l’information et de la communication sur les apprentissages et la réussite étudiante fait l’objet d’un véritable manque de consensus dans la littérature scientifique. Certains travaux ont assurément pu établir le fait que l’usage de ces technologies, en permettant un meilleur accès à l’information, favoriserait la responsabilisation et l’engagement étudiant (Saunders et Klemming, 2003). De même, les activités en ligne joueraient un rôle positif sur la capacité étudiante à s’autoréguler et à être autonome (Monsakul, 2008). Néanmoins, lorsqu’on s’intéresse plus spécifiquement aux plateformes d’enseignement en ligne, les résultats s’avèrent plus mitigés. Si l’on s’en tient aux seules déclarations des étudiants et étudiantes, l’utilisation de ces plateformes serait associée à plusieurs avantages pour les apprentissages (Raby et al., 2011), notamment en matière d’accès à l’information. Néanmoins, les modèles d’analyse produits par Michaut et Roche (2017) ne permettent de mettre en avant aucune plus-value sur la réussite du fait de consulter la plateforme numérique de l’université. Il nous semble dès lors important de continuer à approfondir ces travaux. En effet, en raison de la pandémie liée à la COVID-19, l’enseignement universitaire s’est avéré bouleversé depuis ces trois dernières années sur les plans de la pédagogie et de la médiatisation des enseignements (Redondo et al., 2021). La crise sanitaire a engendré une nouvelle « réalité éducative » au sein des systèmes d’enseignement supérieur (Roy et al., 2020). Ce contexte jusqu’alors inédit a conduit les enseignants et enseignantes à mettre en oeuvre un enseignement comodal, caractérisé comme « une offre de cours proposée simultanément à des élèves en présentiel et à des élèves distants par le biais d’outils synchrones (p. ex. la visioconférence) et asynchrones (plateformes de dépôt et de partage de documents, messageries de type WhatsApp) » (Guichon et Roussel, 2021).

Face à une telle situation, des auteurs et autrices ont travaillé sur la mise en place des dispositifs d’enseignement à distance durant la pandémie (Caron, 2021) et sur la façon dont les enseignants et enseignantes ont vécu cette période. C’est notamment le cas d’Audran et al. (2021) : à l’appui des données collectées dans le cadre d’une enquête par questionnaire menée auprès d’un échantillon composé de 616 enseignantes et enseignants, ils montrent que ceuxci, malgré certains doutes quant à l’efficacité de l’enseignement, sont généralement parvenus à surmonter le passage de l’enseignement en présentiel à celui en distanciel, notamment « en réinvestissant des compétences numériques acquises le plus souvent dans d’autres circonstances (Martin et al., 2021) » (Audran et al., 2021).

D’autres auteurs et autrices ont fait le choix de placer le curseur davantage sur le vécu étudiant. À titre d’exemple, Baillifard et Favre (2020) se sont intéressés au ressenti des étudiants et étudiantes face au basculement des enseignements du présentiel à des regroupements synchrones à distance. Ils indiquent que 36 % à 42 % d’entre eux ont déclaré apprécier cette modalité et souhaitaient la voir reconduite, tandis que 30 % à 35 % préféraient revenir au modèle plus classique des enseignements en présence. Granjon (2021) a pour sa part réalisé une enquête auprès de 7 234 étudiants et étudiantes d’une université française. Il note que la perte de motivation et les difficultés de concentration ont touché les deux tiers de l’échantillon.

Si ces travaux ont mis en lumière les difficultés auxquelles ont pu être confrontés les différents acteurs du système, ils abordent peu la question des répercussions de l’utilisation des plateformes d’enseignement en ligne sur l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes.

3. Questions et hypothèses de recherche

Une enquête de Duguet et al. (2018) montre que les plateformes d’enseignement en ligne sont mobilisées par à peine plus de 10 % des enseignants et enseignantes durant les heures de cours et par moins d’un sur quatre d’entre eux en dehors des heures de cours. Cependant, la période de crise sanitaire a vraisemblablement transformé le rapport que ceuxci entretiennent avec les outils numériques (Audran et al., 2021). Dès lors, il nous semble intéressant de réactualiser les données de la recherche en étudiant dans quelle mesure les enseignants et enseignantes utilisent les plateformes d’enseignement en ligne pour enseigner et quelle est la satisfaction des étudiants et étudiantes à cet égard. Il est important ici de signifier que nous nous intéressons aux seuls aspects manipulatoires des plateformes par les enseignantes et enseignants, ou autrement dit aux fonctionnalités mobilisées par ceuxci. En ce sens, nous privilégions le terme d’utilisation plutôt que ceux d’usage ou de pratique, qui impliqueraient de s’interroger davantage quant à la dimension pédagogique attribuée à ces outils. La lecture des travaux de recherche produite en lien avec le sujet nous ayant amenées à constater que le recours à des outils numériques dans l’enseignement pouvait influer sur l’engagement étudiant, nous chercherons également à approfondir cette question en axant notre attention sur la dimension cognitive du concept, au sens entendu par Miller et ses collègues (1996) et repris par Leduc et al. (2018, p. 458), « un construit permettant de mesurer 1) les stratégies cognitives déployées pour apprendre, 2) les réflexions sur la meilleure façon d’apprendre et 3) l’effort mental mobilisé pour ordonner les stratégies et les réflexions dans le but d’apprendre ».

Précisons également qu’en raison des difficultés qu’ils ont pu rencontrer et des multiples sollicitations auxquelles ils ont dû faire face à la suite de la pandémie de COVID, nous avons jugé peu opportun d’interroger directement les enseignants et enseignantes sur le sujet. Nous abordons donc ces questions par le prisme des représentations des étudiants et étudiantes, celles-ci pouvant être définies comme étant un ensemble de croyances, de connaissances et d’opinions (Guimelli, 1999).

La problématique de cet article s’articule donc autour de plusieurs questions : Quelles sont les représentations des étudiants et étudiantes à l’égard de l’utilisation des plateformes d’enseignement en ligne par les enseignants et enseignantes universitaires? Dans quelle mesure ces représentations peuvent-elles être liées à l’engagement cognitif étudiant? La nature de ces liens varietelle selon les différentes dimensions de l’engagement considérées?

Nous centrons plus spécifiquement notre attention dans ce travail sur les plateformes Moodle et Teams. La plateforme Moodle (modular object-oriented dynamic learning environment), dont la création remonte désormais à une vingtaine d’années, permet aux enseignants et enseignantes de mettre à la disposition des étudiantes et étudiants des ressources numériques, de réaliser des activités individuelles ou collectives ou bien encore d’interagir avec ces derniers (Redondo et al., 2021). Plus récente et ayant connu un réel essor avec la pandémie, Teams est quant à elle une plateforme de communication collaborative qui offre la possibilité aux enseignants et enseignantes de planifier et réaliser des vidéoconférences, de communiquer avec les étudiants et étudiantes, de partager leur écran, ou encore de diviser les groupes étudiants en plusieurs salles de classe.

À l’appui des éléments présentés dans notre revue de la littérature, nous formulons plusieurs hypothèses :

H1

Les étudiantes et étudiants considèrent que leurs enseignantes et enseignants sont plus souvent amenés à utiliser la plateforme Teams plutôt que Moodle. Une telle hypothèse trouve sa justification dans le fait que Teams permet plus facilement des échanges synchrones entre ces deux groupes.

H2

Les étudiantes et étudiants se montrent satisfaits de l’utilisation des plateformes d’enseignement en ligne par leurs enseignants et enseignantes, cette supposition faisant écho aux résultats de la recherche de Raby et al. (2011).

H3

Les représentations des étudiantes et étudiants à l’égard de l’utilisation par leurs enseignants et enseignantes des plateformes Moodle et Teams sont significativement liées à leur engagement cognitif.

H4

Ce lien diffère selon les diverses composantes de l’engagement cognitif considérées.

4. Cadre méthodologique de la recherche et caractéristiques des étudiants et étudiantes de l’échantillon

Nous situant dans le cadre d’une recherche empirique, nous avons réalisé au printemps 2021 une enquête en ligne auprès de l’ensemble des étudiantes et étudiants d’une université française inscrits en première année d’études, soit un effectif d’un peu plus de 10 000 personnes. Le choix de cette modalité d’enquête a été effectué principalement pour des raisons de praticité. Nous avons d’ailleurs par la suite eu des retours d’étudiants et étudiantes nous indiquant qu’ils préféraient effectivement répondre à une enquête proposée en ligne plutôt qu’au format papier. Chacun d’entre eux a été destinataire d’un courriel, assorti de deux relances, présentant les objectifs de l’enquête et fournissant le lien pour accéder au questionnaire. Cibler les étudiantes et étudiants de première année nous a semblé être un choix pertinent dans la mesure où les nouvelles et nouveaux arrivants à l’université sont nombreux à rencontrer des difficultés à s’adapter au « métier d’étudiant », à saisir les normes du travail universitaire et les stratégies efficaces à mettre en oeuvre pour apprendre, si bien qu’une proportion non négligeable d’entre eux abandonne, se réoriente ou échoue à l’issue de la première année universitaire.

Le questionnaire qui leur était adressé comportait plusieurs rubriques :

  • Une première partie était destinée à collecter des données concernant les caractéristiques sociodémographiques de la population étudiante (genre, situation familiale, niveau de diplôme des parents), ses conditions de vie (type d’hébergement, statut de boursier, activité salariée) ainsi que ses caractéristiques scolaires (type de bac obtenu, mention au bac, statut étudiant l’année précédente, filière d’inscription à l’université, site d’inscription[2]). La collecte de ce type de données permet de mieux connaître la variété de profils des personnes répondantes et d’introduire ces variables afin de raisonner, toutes choses égales par ailleurs, dans les modèles d’analyse.

  • Une deuxième partie concernait l’utilisation de Moodle et de Teams par leurs enseignantes et enseignants. Il leur était ainsi demandé d’indiquer dans quelle proportion ceuxci utilisaient ces outils. Puis, en fonction des différentes fonctionnalités[3] de Moodle et de Teams proposées, ils étaient priés de mentionner lesquelles étaient utilisées par leurs enseignants et enseignantes. Le choix des fonctionnalités proposées s’est opéré à l’appui de nos lectures sur les plateformes d’enseignement en ligne et de courts entretiens exploratoires menés avec quelques enseignantes et enseignants. Une question visait en outre à savoir s’ils estimaient que ceuxci mobilisaient Moodle et Teams de manière satisfaisante ou non.

  • Une dernière rubrique était destinée à mesurer l’engagement cognitif étudiant. Nous avons pris appui à cet effet sur l’échelle de Likert créée par Leduc et al. (2018), invitant les étudiants et étudiantes à se positionner, pour chaque item, sur une échelle allant de 1 (pas du tout d’accord) à 6 (tout à fait d’accord). Le choix de cette échelle s’appuie sur le fait qu’elle ait été validée empiriquement par ses auteurs et nous a conduites à nous interroger sur cinq dimensions de l’engagement cognitif déclinées dans notre revue de la littérature, à savoir les stratégies en profondeur, les stratégies en surface, les processus d’autorégulation, la persévérance et l’engagement situationnel étudiant.

L’analyse des résultats est présentée en plusieurs temps. D’abord, nous réalisons une description des réponses apportées par les étudiants et étudiantes de l’échantillon concernant l’utilisation de Moodle et Teams par leurs enseignants et enseignantes. Des tests statistiques (khi 2) sont effectués pour établir les liens existants entre ces variables et les caractéristiques des étudiants et étudiantes. Puis, nous construisons des modèles de régression linéaire permettant d’étudier, toutes choses égales par ailleurs, les liens entre les facteurs introduits dans l’analyse.

D’un point de vue éthique et déontologique, il est important de souligner qu’outre le respect de leur anonymat, les personnes répondantes ont été questionnées concernant l’intégralité de leurs enseignantes et enseignants afin qu’aucun de ceuxci ne soit nommément cité par eux. L’échantillon est composé de 837 étudiantes et étudiants inscrits en première année universitaire (soit 8,2 % de la population initialement visée). La présentation du profil des personnes répondantes permettra ensuite d’apporter des éléments d’explication et de compréhension des résultats présentés dans la section suivante. Ainsi, du point de vue de leurs caractéristiques sociodémographiques et de leurs conditions de vie, on relève les éléments suivants :

Les filles sont représentées à hauteur de 74,4 %;

  • 94,4 % sont de nationalité française;

  • 25,1 % ont une mère dont le niveau de diplôme est inférieur au Bac, 27,1 % une mère qui détient un Bac À Bac + 2 et 31,5 % une mère diplômée d’un niveau supérieur à Bac + 3;

  • 33,5 % vivent encore chez leurs parents tandis que 66,5 % ont opté pour un autre mode d’hébergement;

  • 49,2 % sont boursiers ou boursières;

  • 13,1 % ont une activité salariée parallèlement à leurs études.

Si l’on s’intéresse à présent à leurs caractéristiques scolaires, on note que :

  • 12,4 % sont inscrits en institut universitaire de technologie (IUT), 11,1 % en santé, 18,9 % en droit / économie / gestion, 32,5 % en LLSH (langues, lettres, sciences humaines et sociales, INSPE) et 25,1 % en sciences et techniques (ESIREM, IUVV, ISAT, STAPS, sciences et techniques, SVTE[4]). Précisons que dans la section résultats, nous utilisons le terme « composante » pour désigner chacun des groupes de filières d’études mentionné ici;

  • 20,7 % étudiaient déjà dans l’enseignement supérieur l’année précédente;

  • 92,1 % sont inscrits sur le site de l’université « mère »;

  • 50,1 % sont dotés d’un bac à dominante scientifique, 26,4 % à dominante économique et sociale, 14,1 % à dominante littéraire et 8,8 % ont un bac technologique ou professionnel;

  • 24,1 % n’ont obtenu aucune mention au Bac, 32,7 % une mention assez bien, 27 % une mention bien et enfin 16,1 % une mention très bien.

L’échantillon comporte donc des étudiantes et étudiants aux profils relativement variés et pour lesquels il sera intéressant d’examiner si certaines de leurs caractéristiques sont particulièrement liées à leurs représentations à l’égard de l’utilisation des plateformes par leurs enseignants et enseignantes.

5. Description des représentations des étudiants et étudiantes sur l’utilisation de Moodle et Teams par les enseignants et enseignantes

Les représentations des étudiants et étudiantes à l’égard de l’utilisation de Moodle et Teams par leurs enseignantes et enseignants ont d’abord été appréhendées relativement à la proportion de ceux ayant recours à ces plateformes pour enseigner. Ainsi, pour chaque item, il leur a été demandé d’indiquer s’il concernait moins de 25 %, de 25 % à 50 %, de 51 % à 75 % ou plus de 75 % de leurs enseignants et enseignantes[5].

D’après neuf étudiants et étudiantes sur dix, au printemps 2021, une très forte proportion de leurs enseignants et enseignantes (plus de 75 %) mobilisent Teams pour enseigner. Cette tendance est bien inférieure en ce qui concerne Moodle, plateforme utilisée selon une personne répondante sur deux par une faible proportion de leurs enseignants et enseignantes (moins de 25 %) (figure 1).

Figure 1

Répartition des étudiants et étudiantes de l’échantillon en fonction de la proportion déclarée d’enseignants et enseignantes utilisant Moodle et Teams (en %, N = 837). Note de lecture : 49,7 % des étudiants et étudiantes ont indiqué que la plateforme Moodle avait été utilisée par une faible proportion (moins de 25 %) de leurs enseignants et enseignantes

Répartition des étudiants et étudiantes de l’échantillon en fonction de la proportion déclarée d’enseignants et enseignantes utilisant Moodle et Teams (en %, N = 837). Note de lecture : 49,7 % des étudiants et étudiantes ont indiqué que la plateforme Moodle avait été utilisée par une faible proportion (moins de 25 %) de leurs enseignants et enseignantes

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La proportion d’enseignants et enseignantes mobilisant Moodle, selon les déclarations des étudiants et étudiantes, est très significativement liée à la composante d’inscription (seuil de 1 %). Les enseignantes et enseignants de santé sont peu nombreux à utiliser cette plateforme, tandis que selon près de 60 % des étudiants et étudiantes de sciences et techniques, ils sont plus de la moitié à mobiliser cette plateforme pour enseigner (figure 2). En revanche, chez la majeure partie des enseignants et enseignantes ayant eu recours à Teams pour enseigner, aucune différence significative n’apparaît entre les différentes composantes concernant cet outil.

Figure 2

Répartition des étudiants et étudiantes de l’échantillon en fonction de la proportion déclarée d’enseignants et enseignantes utilisant Moodle et de la composante d’inscription (N = 837)

Répartition des étudiants et étudiantes de l’échantillon en fonction de la proportion déclarée d’enseignants et enseignantes utilisant Moodle et de la composante d’inscription (N = 837)

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En ce qui concerne les fonctionnalités de Moodle utilisées par les enseignants et enseignantes (figure 3), cette plateforme est surtout mobilisée, d’après les déclarations des étudiants et étudiantes, pour déposer des contenus de cours et des ressources pédagogiques, pour collecter leurs devoirs ou encore leur proposer des tests sous forme de QCM. Près de neuf étudiants et étudiantes sur dix indiquent qu’une faible proportion de leurs enseignants et enseignantes (moins de 25 %) utilisent Moodle pour échanger dans un forum ou pour clavarder avec eux.

Figure 3

Répartition des étudiants et étudiantes en fonction des fonctionnalités de Moodle utilisées par leurs enseignants et enseignantes (N = 620)

Répartition des étudiants et étudiantes en fonction des fonctionnalités de Moodle utilisées par leurs enseignants et enseignantes (N = 620)

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Les données portant sur Teams (figure 4) montrent que, selon les étudiants et étudiantes, les enseignants et enseignantes ont surtout recours à cet outil pour faire cours en direct. Également, 77,8 % déclarent que cette plateforme est utilisée par plus de la moitié des enseignants et enseignantes pour déposer des contenus de cours et des ressources pédagogiques. En revanche, les fonctionnalités permettant la création de bloc-notes, d’un wiki ou bien de questionnaires sont plus rarement utilisées par les enseignants et enseignantes.

Figure 4

Répartition des étudiants et étudiantes en fonction des fonctionnalités de Teams utilisées par leurs enseignants et enseignantes (N = 613)

Répartition des étudiants et étudiantes en fonction des fonctionnalités de Teams utilisées par leurs enseignants et enseignantes (N = 613)

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Deux autres items intégrés au questionnaire visaient à mesurer le niveau de satisfaction des étudiants et étudiantes concernant l’utilisation par leurs enseignants et enseignantes des plateformes Moodle d’une part et Teams d’autre part[6]. Sur un total de 612 étudiants et étudiantes ayant répondu à ces questions, 56 % indiquent que la façon dont les enseignants et enseignantes utilisent la plateforme Moodle est satisfaisante, cette proportion s’élevant à 89,2 % en ce qui concerne Teams. Plus précisément :

  • 53,6 % des étudiants et étudiantes estiment satisfaisante la façon dont les enseignants et enseignantes utilisent ces deux plateformes;

  • 35,6 % se disent satisfaits uniquement à l’égard de la façon dont leurs enseignants et enseignantes utilisent Teams, et 2,4 % concernant uniquement l’utilisation de Moodle;

  • 8,3 % considèrent comme n’étant pas satisfaisante l’utilisation par leurs enseignants et enseignantes à la fois de Teams et de Moodle.

Les étudiants et étudiantes indiquant avoir une représentation positive des pratiques de leurs enseignants et enseignantes à l’égard de la plateforme Moodle sont significativement plus nombreux à détenir un baccalauréat scientifique (seuil de 5 %), à être inscrits en LLSH (seuil de 1 %) et à ne pas être en emploi (seuil de 5 %). En ce qui concerne Teams, seuls les étudiants et étudiantes de LLSH ont une représentation significativement plus positive que celle de leurs collègues d’autres composantes.

6. Effets des représentations des étudiants et étudiantes sur leur engagement cognitif

Rappelons que dans le cadre de cette recherche, l’engagement cognitif est appréhendé à travers cinq dimensions : les stratégies en profondeur, les stratégies en surface, les processus d’autorégulation, la persévérance et l’engagement situationnel. Un score a été construit pour chacune de ces composantes, en procédant par addition des items relatifs à chaque dimension (tableau 1).

Tableau 1

Caractéristiques des scores d’engagement (N = 711)

Caractéristiques des scores d’engagement (N = 711)

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Ces scores ont ensuite été standardisés afin d’en rendre plus cohérente l’analyse. Puis, la construction de modèles de régression linéaire nous a permis d’étudier les liens entre les représentations étudiantes (en matière de satisfaction et de fonctionnalités utilisées par les enseignants et enseignantes) et les différentes dimensions de l’engagement cognitif (tableau 2). Ce type de modèle présente l’intérêt de pouvoir raisonner selon la clause « toutes choses égales par ailleurs » et permet de mesurer la nature du lien entretenu entre une variable indépendante (explicative) et une variable dépendante (à expliquer). Nous avons également introduit dans les modèles différentes variables de contrôle (caractéristiques sociodémographiques, conditions de vie et caractéristiques scolaires des étudiants et étudiantes) permettant d’identifier ces liens « à caractéristiques identiques ». Pour en simplifier la lecture, nous ne présentons dans le tableau 2 que les variables explicatives associées à un coefficient significatif.

Tableau 2

Liens entre l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes et leurs représentations à l’égard de l’utilisation de Moodle et Teams par leurs enseignants et enseignantes

Liens entre l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes et leurs représentations à l’égard de l’utilisation de Moodle et Teams par leurs enseignants et enseignantes

Notes.

  • Les variables liées aux fonctions de Moodle et de Teams mobilisées par les enseignants et enseignantes ont été dichotomisées : pour chacune d’entre elles, la modalité active concerne le fait que la fonctionnalité est utilisée par plus de 50 % d’entre eux (forte et très forte proportion), et la modalité de référence, par moins de 50 % (moyenne et faible proportion).

  • L’effet de chaque modalité active s’interprète au regard de la modalité de référence. Ici, le fait d’être un garçon plutôt qu’une fille augmente de 0,073 point le score d’engagement situationnel. La valeur de chaque coefficient est associée à un degré de significativité qui se lit comme suit : * : p < 0,1, ** : p < 0,05, *** : p < 0,01; ns : non significatif. La valeur du R² traduit la part de variance expliquée par chaque modèle de régression.

  1. Cette variable correspond à l’item du questionnaire visant à savoir si les étudiantes et étudiants se déclaraient plutôt satisfaits ou non à l’égard de l’utilisation par leurs enseignantes et enseignants de Moodle.

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On constate d’abord concernant les variables de contrôle que le genre est surtout lié au score de stratégies en surface : le fait d’être un garçon augmente de 0,160 point le score de stratégies en surface, dont les effets néfastes sur les apprentissages ont déjà été mis en avant par nombre d’auteurs et autrices. De plus, le type de composante d’inscription est un élément important à prendre en compte : le fait d’être en IUT plutôt qu’en LLSH diminue de 0,115 point le score de stratégies en profondeur, de 0,092 point celui de persévérance et de 0,105 point le score d’autorégulation. L’inscription en santé est quant à elle positivement et significativement associée aux cinq composantes de l’engagement cognitif, laissant supposer que ces étudiantes et étudiants seraient plus engagés sur le plan cognitif que leurs collègues d’autres filières. Ce constat peut certainement renvoyer aux profils des étudiants et étudiantes s’inscrivant dans cette filière très sélective, attirant ceux qui ont un passé scolaire relevant plutôt des domaines scientifiques. La mention obtenue au baccalauréat constitue elle aussi une variable clé : en comparaison avec les détenteurs de la mention très bien, ceux ne s’étant vu attribuer aucune mention ou la mention assez bien sont moins amenés à mettre en oeuvre des stratégies en profondeur, à faire preuve d’engagement sur le plan situationnel, à persévérer et à s’autoréguler. Ce dernier résultat peut sûrement être mis en regard du processus de tri des étudiants et étudiantes par Parcoursup, qui les sélectionne ou du moins les hiérarchise prioritairement en fonction de leurs caractéristiques scolaires (Vallet, 2022). De ce fait, les lycéens et lycéennes aux moins bons dossiers scolaires sont plus largement orientés vers des filières qui ne figurent pas dans leurs premiers choix et qui constituent une orientation par défaut, davantage subie que choisie.

En ce qui concerne plus particulièrement les plateformes d’enseignement en ligne, on relève une absence de lien entre l’engagement cognitif des étudiants et étudiantes et leur représentation (positive ou négative) à l’égard de l’utilisation de Teams par leurs enseignants et enseignantes, un tel résultat pouvant sans doute s’expliquer par une absence de variété dans les réponses étudiantes sur le sujet, puisque cette plateforme est massivement utilisée et que ceuxci sont unanimement satisfaits de la façon dont les enseignants et enseignantes mobilisent cette plateforme. En revanche, le fait que les étudiants et étudiantes estiment satisfaisante la façon dont leurs enseignants et enseignantes utilisent Moodle augmente de manière significative de 0,123 point le score d’engagement situationnel, de 0,092 point le score de persévérance et de 0,131 point le score d’autorégulation. De ce fait, s’ils sont satisfaits de la façon dont les enseignants et enseignantes utilisent les plateformes numériques, leur engagement croît, renvoyant certainement à une cohérence pédagogique perçue au niveau des enseignements.

Si l’on considère à présent les fonctionnalités des outils d’enseignement en ligne mobilisés par les enseignants et enseignantes, on constate un lien modéré entre ces fonctionnalités liées à Moodle et l’engagement cognitif : le fait d’avoir plus de la moitié des enseignants et enseignantes échangeant avec les étudiants et étudiantes dans un forum augmente de 0,140 point le score d’engagement situationnel, alors que l’utilisation du clavardage diminue de 0,107 point ce même score. Ces différences peuvent certainement s’expliquer par les modalités différentes synchrones ou asynchrones du clavardage ou du forum, le premier étant plus rigide et ne permettant pas une participation étudiante différée. Les fonctionnalités de Teams sont plus nombreuses à entretenir un lien significatif avec les différentes composantes de l’engagement cognitif. Ainsi, le dépôt de contenus de cours et de ressources pédagogiques en ligne est lié positivement aux stratégies en profondeur et à la capacité des étudiants et étudiantes à s’autoréguler. De même, la création de groupes de travail dans Teams constitue un atout pour la mise en oeuvre de stratégies en profondeur par les étudiants et étudiantes, leur engagement situationnel et leur capacité à s’autoréguler. Cet aspect renvoie au renforcement de la socialisation étudiante, certes grâce aux outils numériques, mais dont on connaît dorénavant l’importance dans les parcours étudiants de réussite (Berthaud, 2017). En revanche, la collecte des devoirs des étudiants et étudiantes sur cette plateforme diminue de 0,101 point le score de stratégies en profondeur, de 0,077 point l’engagement situationnel et de 0,081 point le score d’autorégulation. Enfin, seules deux variables sont significativement et positivement liées à la mise en oeuvre par les étudiants et étudiantes de stratégies en surface : l’utilisation du bloc-notes et celle du tableau interactif. Tout porte donc à croire que lorsque plus de la moitié de leurs enseignants et enseignantes utilisent ces fonctionnalités de Teams, ceuxci sont plus enclins à mettre en oeuvre des stratégies d’étude peu favorables aux apprentissages. Ces outils renvoient effectivement à une utilisation très ponctuelle par l’enseignant ou l’enseignante qui permet un affichage visuel souvent instantané de certaines notions et ne favorise certainement pas les stratégies favorables aux apprentissages.

Conclusion et perspectives de recherche

L’objectif de ce travail de recherche était de mieux connaître les représentations des étudiants et étudiantes de première année universitaire à l’égard de l’utilisation par les enseignants et enseignantes, en période de pandémie, des plateformes d’enseignement en ligne Moodle et Teams, et d’en appréhender les effets sur leur engagement cognitif. Certes, cette recherche se heurte à certaines limites, d’ordre méthodologique notamment. Ainsi, nous avons appréhendé l’utilisation des plateformes d’enseignement en ligne par le biais des représentations des étudiants et étudiantes. Or, il serait intéressant de pouvoir enquêter directement auprès des enseignants et enseignantes sur le sujet et de ne pas se limiter aux simples aspects manipulatoires de ces plateformes, mais d’étudier comment ils s’en emparent sur le plan de la pratique pédagogique. Tout l’enjeu résiderait alors dans le fait de voir si l’utilisation de ces plateformes est réellement intégrée à leurs pratiques, au sens d’une redéfinition telle que décrite par Puentedura (2020) dans son modèle SAMR, ou bien d’une simple substitution n’impliquant pas de réel changement fonctionnel dans l’enseignement ou l’apprentissage. Par ailleurs, nous nous sommes centrées sur deux plateformes uniquement, or on peut imaginer que certains enseignants et enseignantes mobilisent d’autres plateformes, moins répandues et/ou connues que Moodle et Teams.

Les résultats présentés appellent toutefois à quelques remarques. Ainsi, conformément à notre première hypothèse, d’après les déclarations des étudiants et étudiantes, les enseignantes et enseignants sont plus nombreux à mobiliser Teams que Moodle pour enseigner. Un tel résultat peut sans doute s’expliquer par les fonctions différentes qu’offrent ces plateformes : au contraire de Moodle, Teams permet un enseignement et des échanges synchrones avec les étudiants et étudiantes et a de ce fait probablement été privilégiée par nombre d’enseignants et d’enseignantes dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Un tel constat invite également à se questionner au sujet des représentations des étudiants et étudiantes concernant les interactions entretenues avec leurs enseignants et enseignantes à travers ce type de plateforme. En effet, nombre des fonctionnalités de ces plateformes (visioconférence, discussion, clavardage, forum...) sont destinées à favoriser les interactions entre leurs utilisateurs et utilisatrices. Or, différents travaux ont déjà pu montrer que l’enseignante ou l’enseignant, par la qualité de sa relation avec les étudiants et étudiantes (Svinicki et McKeachie, 2014), le soutien qu’il leur apporte par le biais des rétroactions, ou encore sa bienveillance et sa manière d’organiser les activités pédagogiques (Bédard et al., 2012), pouvait influer sur leur engagement. Il serait donc intéressant d’étudier dans quelle mesure les étudiantes et étudiants ont le sentiment que l’usage de ce type de plateforme par les enseignants et enseignantes renforce ou non leurs interactions et peut, par ce biais, exercer un effet sur leur engagement, voire même leur réussite. Notons également que selon les représentations des étudiants et étudiantes, Teams est mobilisée par un plus grand nombre d’enseignants et enseignantes pour déposer des contenus de cours que Moodle, ce constat faisant écho aux travaux de Duguet et al. (2018), montrant que près d’un enseignant sur deux n’utilise pas, voire ne connaît pas Moodle. En outre, notre deuxième hypothèse, relative à la satisfaction étudiante, est à nuancer : si une large majorité d’étudiantes et étudiants se déclarent satisfaits, on remarque néanmoins une différence importante entre les deux plateformes, à l’avantage de Teams.

De même, notre troisième hypothèse est partiellement validée : certes, nos résultats permettent de mettre au jour un lien significatif entre les dimensions de l’engagement considérées dans l’analyse et les représentations des étudiants et étudiantes à l’égard de l’utilisation des plateformes par leurs enseignants et enseignantes, mais le pouvoir explicatif de nos modèles s’avère relativement faible. De tels constats rejoignent les conclusions de précédents travaux selon lesquels outre une intégration physique du numérique par les enseignants et enseignantes dans leurs pratiques, une intégration pédagogique est également nécessaire (Raby, 2004). En effet, la présence d’un nouvel outil est une condition nécessaire au développement de pédagogies novatrices, mais n’est pas suffisante à une efficacité certaine (Depover et al., 2007; Karsenti et al., 2002).

Néanmoins, conformément à notre quatrième hypothèse, il est intéressant de constater que la nature de ce lien diffère selon les diverses composantes de l’engagement cognitif : si seul un facteur peut être significativement associé à la persévérance, le lien paraît plus conséquent concernant l’engagement situationnel étudiant. De même, les fonctionnalités des plateformes utilisées par les enseignants et enseignantes peuvent s’avérer significativement liées aux stratégies d’apprentissage et d’autorégulation mises en oeuvre par les étudiants et étudiantes. On peut alors en déduire que le type de plateforme mobilisé par les enseignants et enseignantes constitue un élément de contexte susceptible de conduire l’étudiante ou l’étudiant à se sentir plus ou moins engagé, investi et impliqué dans les cours. Notons toutefois que ces résultats sont à considérer avec précaution, nos mesures de stratégies d’apprentissage en surface et de persévérance étant à conforter, en raison d’un manque de fiabilité des scores construits. À l’heure où la pandémie de COVID semble être derrière nous, il serait finalement intéressant de poursuivre cette recherche en questionnant d’une part directement les enseignants et enseignantes sur leurs usages (pour aller plus loin que la seule utilisation) des plateformes d’enseignement en ligne. On peut ici faire l’hypothèse que la crise sanitaire les a amenés à modifier durablement leurs pratiques à l’égard de ces plateformes. D’autre part, il semblerait pertinent de mettre en lien ces usages avec d’autres dimensions de l’engagement étudiant, voire même d’envisager ces variables comme des facteurs médiateurs de la réussite étudiante.