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1. Introduction et contexte

En 1999, dans le cadre du cours Anthropologie biologique qui s’adresse aux étudiants et étudiantes de première année du bachelier en sciences psychologiques à l’Université de Liège (Belgique), le Centre CAFEIM-FAPSE[1] et le Service d’éthologie et de psychologie animale innovaient en matière de pédagogie universitaire en développant une séquence informatisée multimédia de travaux dirigés virtuels (TD virtuels) (Gilles et al., 1999). Cette séquence était conçue à l’époque comme une activité complémentaire aux travaux pratiques (TP) réalisés en présentiel (préparatoire à l’examen). Sorte de mini-MOOC[2] avant l’heure, ces TD virtuels, accessibles uniquement depuis 24 ordinateurs fixes du Centre, permettaient aux étudiants et étudiantes de visualiser les crânes de singes et d’homininés fossiles en rotation (horizontale et verticale). Ils pouvaient étudier les divers critères morphologiques permettant leur identification au moyen de vidéos intégrées à la plateforme. Un outil d’autoévaluation des apprentissages était également accessible.

Néanmoins, comme pour toute innovation pédagogique en enseignement supérieur, la pérennité du dispositif mis en place représente un enjeu majeur (Bédard et Raucent, 2015). Selon des retours d’étudiants et étudiantes, ces TD virtuels ont été progressivement délaissés en raison du faible nombre d’ordinateurs accessibles (24), de l’augmentation constante du nombre d’étudiantes et étudiants inscrits (jusqu’à 646 pendant l’année universitaire 2021-2022) et des contenus multimédias datés (1999).

Lors de la crise de la COVID-19 entre 2019 et 2021, comme beaucoup d’enseignants et d’enseignantes à travers le monde (Carron et Veillette, 2020; Karsenti et al., 2020; Marinoni et al., 2020), les titulaires du cours ont dû adapter en urgence les TP vers un enseignement intégralement à distance. Les anciens TD virtuels ont alors été hébergés sur un site Internet accessible à tous les étudiants et étudiantes depuis leur domicile ou ailleurs. Lors de l’année universitaire 2021-2022, profitant des nombreux outils numériques acquis par l’Université et de l’engouement, notamment du côté étudiant, pour le modèle hybride d’apprentissage (Ndibnu-Meissina Ethé et Kouankem, 2021; Parent et al., 2022), il a été décidé de réorganiser les TP. Ceuxci ont pris la forme d’un apprentissage hybride de type classe inversée (flipped learning) (Johnson, 2021; Parent et al., 2022) durant lequel les étudiantes et étudiants ont été invités :

  • à distance et au départ du site Internet rénové, à étudier les critères morphologiques d’identification des crânes; à manipuler virtuellement les crânes en 3D[3] et à évaluer individuellement leurs compétences;

  • en présentiel, à participer à une séance unique de TP pour manipuler physiquement les crânes de la collection; à poser des questions aux encadrants et à vérifier leurs acquis en réalisant un exercice d’application (classer 7 crânes soit par ordre d’ancienneté, soit sur la base du degré de parenté avec l’homme moderne).

Concernant la mise à jour des TD virtuels, les anciennes vidéos de crânes en rotation selon l’axe vertical ou horizontal ont été remplacées par des modèles virtuels 3D de chaque crâne. Ces modèles 3D sont manipulables par les étudiants et étudiantes à leur rythme et dans toutes les directions de l’espace (figure 1). Les vidéos présentant les critères morphologiques permettant l’identification des crânes ont également été modernisées[4] . Enfin, un nouvel outil a été intégré, permettant aux étudiantes et étudiants d’encoder les critères d’identification qu’ils observent pour un crâne donné et de les confronter au tableau de correspondance critères-crânes pour identifier le crâne observé. Le site Internet hébergeant la partie distancielle des TP est accessible en ligne[5].

Figure 1

Comparaison de la présentation virtuelle d’un moulage de crâne d’’un pithécanthrope de Java (Homo erectus) avant (à gauche; voir vidéo G ) et après (à droite; voir vidéo D ) la mise à jour des anciens TD virtuels

Comparaison de la présentation virtuelle d’un moulage de crâne d’’un pithécanthrope de Java (Homo erectus) avant (à gauche; voir vidéo G ) et après (à droite; voir vidéo D ) la mise à jour des anciens TD virtuels

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2. Cadrage théorique

La crise de la COVID-19 a eu des répercussions mondiales majeures sur l’enseignement, notamment au supérieur. Le second rapport de l’International Association of Universities (Jensen et al., 2022) montre qu’un an après le début de la pandémie, plus de 89 % des établissements supérieurs dans le monde ont mis en place des enseignements à distance. Bien que l’emploi des technologies numériques dans l’enseignement supérieur soit devenu plus courant cette dernière décennie (Laurillard, 2014), cette gestion dans l’urgence n’a pas permis une intégration optimale de l’enseignement à distance (Karsenti et al., 2020). On constate, d’une part, que la vision populaire selon laquelle les étudiantes et étudiants maitrisent intuitivement les technologies numériques est erronée (Margaryan et al., 2011). D’autre part, les établissements d’enseignement sont majoritairement peu préparés, notamment en ce qui a trait aux moyens, à l’intégration systématique d’outils numériques dans les enseignements (Poellhuber et al., 2021).

L’emploi de modèles virtuels 3D dans des enseignements scientifiques, notamment de biologie, est de plus en plus répandu à tous les niveaux d’enseignement (p. ex. : (Quatresooz et al., 2021; Taufiq et al., 2021). Pour les TP du cours Anthropologie biologique, l’arrivée de ces modèles 3D est une véritable aubaine. Le nombre de moulages physiques des crânes de notre collection (maximum 4 à 5 moulages pour chaque espèce) est un facteur limitant face au nombre grandissant d’étudiants et étudiantes. Ces modélisations 3D posent néanmoins la question de l’efficacité relative d’une manipulation virtuelle ou physique d’un objet.

Les enseignements pratiques du supérieur, tels que les TP présentés ici, cherchent à développer chez les étudiants et étudiantes des compétences et des connaissances davantage appliquées que lors d’un cours théorique traditionnel. (Perrenoud, 2005) décrit deux facettes importantes de la construction de compétences au supérieur : l’acquisition de ressources et l’apprentissage de leur mobilisation. Il est donc intéressant de pouvoir mesurer l’efficacité relative des TP pour des acquis reposant sur des processus de raisonnement de type « Connaitre » (compétence de premier niveau) et « Appliquer » (compétence de second niveau; voir Tardif, 2017). Notons que cette distinction s’observe également dans le référentiel de l’enseignement secondaire supérieur belge (Demotte et Schyns, 2014) qui précise que le processus « Connaitre » consiste à expliciter une ressource, tandis que le processus « Appliquer » consiste à mobiliser des ressources dans un contexte différent de celui dans lequel elles avaient été apprises au départ lors des cours. Le dispositif des TP mis en place en 2021-2022 devait permettre de tester l’importance relative de ces deux facettes. Par ailleurs, selon le modèle SAMR[6] définissant différents niveaux d’interaction entre la technologie et l’activité d’apprentissage proposée (Delforge et al., 2019; Puentedura, 2013), les TP virtuels devraient a minima représenter une « substitution », voire une « augmentation » de la tâche proposée en présentiel. Si le but premier des titulaires du cours était de remplacer (« substitution ») certaines séances de TP en présentiel par cet outil en ligne, il semblait nécessaire d’y apporter une réelle amélioration fonctionnelle (« augmentation »), notamment par le biais d’un outil d’autoévaluation.

La question des inégalités numériques est de plus en plus référencée depuis la crise de la COVID19 (Lemieux, 2021). Selon Collin (2013), ces inégalités rencontrées sont de l’ordre de l’accès au numérique, du savoir (« les compétences et les usages technologiques ») et de l’opportunité de pouvoir (« la capacité pour un individu de mettre à profit les usages et les compétences technologiques pour servir ses intérêts et son capital individuel »; p. 3). En ce qui a trait au « savoir » – comme « les étudiants n’emploient qu’une gamme limitée des technologies existantes » (Margaryan et al., 2011) –, il serait utile de procéder à une démonstration détaillée du site Internet (eCampus[7]) et de ses différents outils avant leur usage. En matière de « pouvoir », il faut garantir certaines « conditions favorables à la réussite des étudiants dans leur apprentissage numérique » (Lemieux, 2021, p. 160) : des conditions relationnelles propices, en maintenant un contact continu avec les étudiants et étudiantes au travers de plateformes de communication (Jézégou, 2010) et des conditions motivationnelles efficaces en présentant, à plusieurs reprises et de manière claire, les attentes quant au travail à réaliser à distance (Chekour et al., 2015). Enfin, de nombreux auteurs (Bautier et Rayou, 2013; Fenoglio, 2021; Granjon, 2004; Karsenti et al., 2021) signalent que les inégalités sociales et d’apprentissage sont particulièrement exacerbées par le distanciel, notamment par la contrainte d’autonomie que celuici impose aux apprenants et apprenantes. Selon Tricot (2021), en déportant « les contraintes gérées par l’enseignant(e) vers celles autorégulées par les élèves, les outils numériques peuvent pénaliser les élèves les plus fragiles, les moins compétents pour gérer euxmêmes leur temps, leur lieu et leur manière d’apprendre » (p. 52).

Dans ces conditions, un dispositif de TP à distance pourrait-il réellement se substituer à un enseignement de TP en présentiel? Quel serait l’intérêt de maintenir un enseignement en présentiel?

3. Recherche menée

Pour répondre à cette question, nous avons mené une recherche de faisabilité de type pragmatique au sens d’Astolfi (1993). L’objectif principal de cette étude consiste à déterminer l’efficacité d’une séance de TP organisée en présentiel, lorsqu’un dispositif d’apprentissage numérique à distance « de substitution » est mis en place (H1), puis d’expliquer l’efficacité ou l’inefficacité relative de cette séance en présentiel par rapport à ce dispositif numérique à distance (H2-H4).

En particulier, les hypothèses associées à l’étude sont les suivantes :

H1

La séance de TP en présentiel apporte une valeur ajoutée en matière d’apprentissage au dispositif de TP numériques à distance.

H2

Tous les étudiants et étudiantes parviennent à tirer égalitairement profit d’un dispositif d’apprentissage numérique à distance.

H3

La manipulation physique des crânes apporte une valeur ajoutée en matière d’apprentissage à la manipulation virtuelle de leurs modèles 3D.

H4

Le dispositif hybride de TP a permis de développer davantage d’acquis relatifs à des processus de raisonnement de type « Appliquer » que de type « Connaitre ».

4. Dispositif d’enseignement et méthodologie de recherche

Afin de tester nos hypothèses, le dispositif de recherche suivant a été mis en place auprès de la population d’étudiantes et étudiants (n = 646) inscrits au cours Anthropologie biologique en bachelier en sciences psychologiques à l’Université de Liège pour l’année universitaire 20212022 (figure 2).

Figure 2

Ligne du temps représentant le temps consacré à l’apprentissage à distance et en présentiel ainsi que le déroulement précis des trois séances de TP identiques, organisées en présentiel

Ligne du temps représentant le temps consacré à l’apprentissage à distance et en présentiel ainsi que le déroulement précis des trois séances de TP identiques, organisées en présentiel

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4.1 Dispositif d’enseignement et prise de données

4.1.1 Phase à distance

Deux à trois semaines précédant les séances en présentiel, les étudiants et étudiantes ont eu accès au site Internet[5] afin d’étudier à distance les critères morphologiques d’identification des crânes, de les manipuler virtuellement en 3D et d’évaluer individuellement leurs acquis.

4.1.2 Phase en présentiel et évaluations formatives

Pour la séance de TP en présentiel, les étudiantes et étudiants ont été répartis sur une base volontaire en trois groupes (nommés ci-après : population 1, 2 ou 3). Chaque groupe a assisté à une séance identique, mais organisée à quelques jours d’intervalle pour des raisons logistiques (figure 2).

Chaque séance débutait avec une évaluation formative (test 1, annexe A), accessible en ligne sur la plateforme universitaire eCampus, afin d’évaluer leurs acquis après le travail à distance. Les étudiantes et étudiants disposaient de 15 minutes pour répondre au questionnaire sur un téléphone intelligent, une tablette ou un ordinateur portable[8]. L’évaluation comprenait six questions portant chacune sur un crâne différent de la collection, présenté au départ de son modèle 3D sur la plateforme Sketchfab . La séance de TP permettait ensuite aux étudiants et étudiantes de manipuler les moulages de crânes et de réaliser des exercices guidés ou des manipulations libres. À la fin de la séance, une seconde évaluation formative (test 2, annexe A) leur était proposée afin d’évaluer la valeur ajoutée de cette séance en présentiel (figure 2). À la fin du processus, ils remplissaient un formulaire de consentement par rapport à l’utilisation de leurs données anonymisées dans le cadre de la recherche. La figure 2 synthétise le déroulement de l’intervention et la prise de données auprès des étudiants et étudiantes.

Évaluations formatives. Les évaluations formatives (tests 1 et 2) des trois populations étudiantes étaient identiques. Chacune des deux évaluations formatives comportait six questions. Afin de tester l’hypothèse H3 selon laquelle la manipulation physique des crânes de la collection apporte une valeur ajoutée à leur manipulation virtuelle, chacune des six questions était précédée d’une question demandant aux étudiants et étudiantes s’ils avaient eu l’occasion de manipuler en séance le crâne sur lequel portait la question.

Afin de tester l’hypothèse H4 selon laquelle le dispositif hybride de TP aurait permis de développer davantage d’acquis relatifs à des processus de raisonnement de type « Appliquer » que de type « Connaitre », les six questions de chaque évaluation formative ont été divisées entre ces deux types de raisonnement (figure 2 et annexe A). Les questions de type « Connaitre » (« C ») demandaient aux étudiants et étudiantes d’identifier le crâne en choisissant son nom sur la liste complète des noms de crânes de notre collection et donc, d’expliciter une ressource. Les questions faisant appel à un processus de type « Appliquer » (questions de type « A ») leur demandaient d’identifier (en choisissant parmi les réponses proposées) non plus le crâne luimême, mais soit son groupe d’appartenance, soit son ancienneté et donc, de mobiliser des ressources dans un contexte différent de celui dans lequel elles avaient été apprises au départ. Ainsi, la première évaluation (test 1) comportait deux questions de type « C » et quatre questions de type « A » : deux portant sur le groupe d’appartenance du crâne d’intérêt (« Ag ») et deux autres sur son ancienneté (« Ad »). Comme aucune différence significative n’a été trouvée lors d’analyses préliminaires entre les réponses de type « Ag » et « Ad » (Chi-2 = 0,49; pvaleur = 0,49), ces questions ont été rassemblées dans une seule catégorie de questions de type « A » (identification du groupe d’appartenance ou de l’ancienneté du crâne) et comparées lors des analyses aux résultats des questions de type « C » (identification du nom du crâne). La seconde évaluation (test 2) comportait trois questions de type « C » et trois de type « A ». Quatre de ces six questions étaient intégrées à un exercice guidé en séance (manipulations physiques dans un but précis) et deux autres non (manipulations physiques libres) (figure 2). Les correctifs des deux évaluations formatives se trouvent en annexe A. La figure 2 reprend les modalités relatives aux deux évaluations formatives présentées ici, en ce compris le type de processus de raisonnement auquel les différentes questions font appel.

4.2 Analyses statistiques

Afin de tester les quatre hypothèses de l’étude, les résultats aux deux évaluations formatives ont été analysés à l’aide de tests du Chi2 de Pearson (Chi2 d’indépendance). Ces tests comparent entre différentes populations, soit le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 %[9] à une évaluation donnée, soit le nombre de réponses correctes et incorrectes à certaines questions spécifiques. L’annexe B reprend, pour chaque hypothèse, les valeurs comparées et les populations concernées par ces comparaisons. Ces tests ont été réalisés au départ du logiciel R, avec un seuil de significativité de 0,05.

Le résultat de chaque comparaison est représenté au départ d’un diagramme en mosaïque où les effectifs des cellules du tableau de contingence sont symbolisés par des mosaïques dont la surface est proportionnelle aux résidus standardisés de ces effectifs (p. ex. les écarts standardisés entre les effectifs observés et les effectifs théoriques). Ainsi, la largeur de chaque mosaïque est proportionnelle à la taille de chaque population comparée, tandis que la hauteur de chaque mosaïque est proportionnelle, soit au nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite (mosaïque du dessus) et d’échec (mosaïque du dessous), soit au nombre de réponses correctes (mosaïque du dessus) et incorrectes (mosaïque du dessous) dans chacune de ces populations. Les couleurs des mosaïques correspondent aux classes des résidus standardisés suivantes : < –4; –4 à –2; –2 à 0; 0 à 2; 2 à 4; > 4. Ainsi, les sous-représentations sont en dégradés de couleur rouge et les sur-représentations sont en dégradés de couleur bleue. Ces diagrammes permettent de repérer aisément, pour chaque comparaison, les populations associées, soit à un nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite ou d’échec supérieur (bleu) ou inférieur (rouge) au nombre attendu, soit à un nombre de réponses correctes ou incorrectes supérieur (bleu) ou inférieur (rouge) au nombre attendu.

4.3 Questionnaire d’avis

Un questionnaire d’avis en ligne (sur eCampus) a été adressé aux étudiants et étudiantes après les TP. Le but était notamment d’évaluer leurs compétences métacognitives en les interrogeant sur leur sentiment de progrès à la suite de la séance de TP en présentiel et sur l’utilité selon eux d’une manipulation physique des crânes (en présentiel), en plus de la manipulation virtuelle réalisée en amont (à distance), et ce, pour les questions de type « C » et « A ». Ces perceptions ont été évaluées au départ de trois questions prenant chacune la forme d’une affirmation, associée à une échelle de Likert à cinq choix de réponses (Tout à fait d’accord, D’accord, Pas d’accord, Pas du tout d’accord et Pas d’avis). Ces trois questions, ainsi que le pourcentage d’étudiants et étudiantes ayant choisi chacune des propositions de réponses, figurent à l’annexe C.

4.4 Procédures éthiques

La participation des étudiants et étudiantes aux deux évaluations formatives (tests 1 et 2) ainsi qu’au questionnaire d’avis en ligne était facultative. Afin d’éviter toute pression d’autorité, la finalité scientifique de ces évaluations leur a été présentée à la fin de la séance de TP (publication scientifique). Lors de la passation des évaluations, ils n’en connaissaient donc que le but pédagogique : tester leurs connaissances et compétences et identifier leurs lacunes.

Un formulaire de consentement remis à la fin de la séance de TP en présentiel (Ligne du temps représentant le temps consacré à l’apprentissage à distance et en présentiel ainsi que le déroulement précis des trois séances de TP identiques, organisées en présentiel (figure 2) permettait aux étudiants et étudiantes d’approuver (ou non) l’utilisation, à des fins de recherche scientifique, de leurs résultats aux évaluations formatives (tests 1 et 2), et/ou de leurs réponses au questionnaire d’avis. Les résultats présentés ici ne concernent donc que les étudiants et étudiantes ayant participé aux deux évaluations formatives (tests 1 et 2) et ayant consenti à une utilisation de leurs données à des fins de recherche.

5. Résultats

Au total, 232 étudiantes et étudiants (n inscrits = 646) ont participé aux deux évaluations formatives (tests 1 et 2) et ont consenti à l’utilisation de leurs résultats, soit un taux de participation de 36 %. Avec 99 étudiants et étudiantes ayant répondu au questionnaire d’avis en ligne et ayant consenti à l’utilisation de leurs réponses, le taux de participation à celuici est de 15 %.

5.1 Valeur ajoutée de la séance de TP en présentiel (H1)

La moyenne des taux de réussite (à 50 %) pour la première et la seconde évaluation formative (tests 1 et 2) est assez basse : 24 % et 43 %, respectivement. Le niveau exigé pour ces deux évaluations semble donc globalement trop élevé. Ce faible taux de réussite pourrait s’expliquer par la nature complexe des questions qui comportaient systématiquement l’ensemble des choix possibles comme réponses (annexe A) plutôt qu’une sélection de quatre propositions distinctes comme c’est le cas à l’examen.

Néanmoins, la différence du nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec entre la première et la seconde évaluation formative (test 1 et test 2) est fortement significative (pvaleur = 1,31.10–8), avec un taux de réussite plus important à la seconde évaluation formative (figure 3). Ce résultat indique un progrès très net réalisé par les étudiants et étudiantes, à la suite de la séance de TP organisée en présentiel. De plus, l’analyse du questionnaire d’avis indique qu’ils sont conscients de ce progrès : 84 % des personnes répondantes sont d’accord (59 %) ou fortement d’accord (25 %) avec l’affirmation suivante : « La séance de travaux pratiques en présentiel vous a permis de progresser » (annexe C).

Les trois hypothèses suivantes cherchent à expliquer soit l’inefficacité relative du dispositif à distance (H2), pour des raisons d’inégalités numériques notamment, soit l’efficacité relative de la séance de TP en présentiel, pour des raisons de modalités de manipulation (H3) et/ou de types d’acquis développés (H4).

Figure 3

Croisement des variables « évaluation formative » et « réussite »[10]. Test du Chi-2 comparant le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 % entre les deux évaluations formatives

Croisement des variables « évaluation formative » et « réussite »10. Test du Chi-2 comparant le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 % entre les deux évaluations formatives

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5.2 Le dispositif d’apprentissage numérique à distance est-il égalitaire? (H2)

En ce qui concerne la première évaluation formative (test 1), la comparaison du nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec entre les différentes séances de TP en présentiel (populations 1, 2 et 3) est significative (pvaleur = 0,02), avec un taux d’échec plus important pour la troisième population que pour les deux autres (figure 4). Pour rappel, les étudiantes et étudiants n’étaient pas répartis de manière aléatoire entre les trois populations (auto-inscription). Puisque cette première évaluation (test 1) mesure leurs acquis sur la seule base de leur travail à distance (figure 2), ce résultat réfuterait l’hypothèse H2 selon laquelle tous les étudiants et étudiantes parviennent à tirer égalitairement profit d’un dispositif d’apprentissage numérique à distance.

Cette disparité observée lors de la première évaluation formative entre les trois populations étudiantes n’est plus présente après la séance de TP en présentiel. La comparaison du nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec pour la seconde évaluation formative (test 2) entre les différentes séances en présentiel (populations 1, 2 et 3) n’est pas significative (pvaleur = 0,27) (figure 5).

Figure 4

Croisement des variables « population évaluation formative 1 » et « réussite ». Test du Chi-2 comparant le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 % à la 1re évaluation formative entre les trois populations

Croisement des variables « population évaluation formative 1 » et « réussite ». Test du Chi-2 comparant le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 % à la 1re évaluation formative entre les trois populations

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Figure 5

Croisement des variables « population évaluation formative 2 » et « réussite ». Test du Chi-2 comparant le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 % à la 2e évaluation formative entre les trois populations

Croisement des variables « population évaluation formative 2 » et « réussite ». Test du Chi-2 comparant le nombre d’étudiants et étudiantes en situation de réussite et d’échec à 50 % à la 2e évaluation formative entre les trois populations

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5.3 Valeur ajoutée d’une manipulation physique des crânes (H3)

La manipulation des crânes en présentiel semble améliorer les résultats des étudiants et étudiantes à la seconde évaluation formative (test 2). En effet, le taux d’échec était plus important pour les questions portant sur un crâne non manipulé en séance (manipulation virtuelle en amont uniquement), en comparaison des questions portant sur un crâne manipulé en séance (manipulation virtuelle en amont et physique le jour même) (pvaleur = 7,00.10–6) (figure 6).

Figure 6

Croisement des variables « manipulation évaluation formative 2 » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 2e évaluation formative portant sur un crâne ayant été manipulé ou non physiquement en séance

Croisement des variables « manipulation évaluation formative 2 » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 2e évaluation formative portant sur un crâne ayant été manipulé ou non physiquement en séance

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À la suite d’une première analyse des résultats de l’étude, il est apparu qu’un paramètre supplémentaire lié à la manipulation physique des crânes et influençant les résultats des étudiants et étudiantes a été introduit involontairement dans la seconde évaluation formative (test 2). En effet, il s’avère que quatre des six crânes intégrés à cette évaluation faisaient également partie de la séquence des crânes que les étudiantes et étudiants étaient amenés à manipuler lors de l’exercice en présentiel nécessitant de classer les crânes sur la base de leur ancienneté et de leur degré de parenté avec l’homme moderne (figure 2). Les deux autres crânes intégrés à la seconde évaluation formative (test 2) pouvaient eux aussi être manipulés par les étudiants et étudiantes, mais de manière libre, sans exercice spécifique. C’est pourquoi l’hypothèse H3 a été divisée en deux sous-hypothèses H3a et H3b afin de tester respectivement la valeur ajoutée d’une manipulation physique des crânes, en plus d’une manipulation virtuelle (H3a, ancienne hypothèse H3), et l’efficacité d’une manipulation physique des crânes poursuivie dans un but précis, par rapport à une manipulation physique libre des crânes (H3b).

Ainsi, l’analyse supplémentaire visant à tester l’hypothèse H3b s’est révélée fortement significative (pvaleur = 2,31.10-7). Le taux d’échec était plus important lorsque le crâne était manipulé librement en comparaison des questions portant sur un des crânes intégrés à l’exercice d’application (figure 7). Ce résultat confirme que la manipulation physique des crânes en présentiel dans un but précis serait plus efficace que leur manipulation physique libre, sans consignes spécifiques.

Figure 7

Croisement des variables « manipulation physique évaluation formative 2 » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 2e évaluation formative portant sur un crâne intégré ou non en séance à l’exercice d’application (c.àd. manipulé physiquement dans un but précis ou librement)

Croisement des variables « manipulation physique évaluation formative 2 » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 2e évaluation formative portant sur un crâne intégré ou non en séance à l’exercice d’application (c.àd. manipulé physiquement dans un but précis ou librement)

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Plus encore, d’autres résultats semblent indiquer que la manipulation physique libre ne serait pas plus efficace que la manipulation virtuelle des crânes. En atteste l’observation d’un meilleur taux de réussite à la suite de la manipulation physique poursuivant un but précis, comparé à une manipulation virtuelle seule en amont (pvaleur = 1,20.10–9, figure 8, à gauche). Tandis que nous n’observons pas de différence dans le taux de réussite (pvaleur = 0,64) entre une manipulation physique libre et l’absence de manipulation physique (manipulation virtuelle seule en amont) (test 2, figure 8, à droite).

Figure 8

Croisement des variables « manipulations évaluation formative 2 » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 2e évaluation formative portant sur un crâne : i) soit intégré à l’exercice d’application (c.àd. manipulé physiquement dans un but précis), soit non manipulé physiquement en séance (diagramme de gauche); ii) soit non intégré à l’exercice d’application (c.àd. manipulé physiquement librement), soit non manipulé physiquement en séance (diagramme de droite)

Croisement des variables « manipulations évaluation formative 2 » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 2e évaluation formative portant sur un crâne : i) soit intégré à l’exercice d’application (c.àd. manipulé physiquement dans un but précis), soit non manipulé physiquement en séance (diagramme de gauche); ii) soit non intégré à l’exercice d’application (c.àd. manipulé physiquement librement), soit non manipulé physiquement en séance (diagramme de droite)

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5.4 Types d’acquis favorisés par le dispositif hybride de TP (H4)

La comparaison du nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de type « C » et de type « A » est significative pour la première (test 1; pvaleur = 2,48.10–8; figure 9, à gauche) comme pour la seconde évaluation formative (test 2; pvaleur = 2,00.10–4; figure 9, à droite), avec davantage de réussite pour les questions de type « C ». Ces résultats réfutent l’hypothèse H4 selon laquelle le dispositif hybride de TP aurait permis de développer davantage d’acquis relatifs à des processus de raisonnement de type « Appliquer » que de type « Connaitre ».

Néanmoins, la p-valeur plus fortement significative observée pour les questions de type « A » (2,12.10–10; figure 10, à droite) que pour les questions de type « C » (9,00.10–4; figure 10, à gauche), lorsqu’est comparé le nombre de réponses correctes et incorrectes entre la 1re et la 2e évaluation formative, semble indiquer que les progrès réalisés par les étudiants et étudiantes lors des TP en présentiel touchent davantage les acquis faisant intervenir des processus de raisonnement de type « Appliquer ». Cette hypothèse est confirmée par l’observation d’une taille d’effet associée aux questions de type « A » (0,11) supérieure à celle associée aux questions de type « C » (0,09). Ce dernier résultat montre que la séance de TP en présentiel aurait permis de faire progresser davantage les étudiants et étudiantes pour des acquis de type « Appliquer » que ne l’avait permis le dispositif numérique à distance (H4).

Figure 9

Croisement des variables « type question » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 1re évaluation formative (diagramme de gauche) ou de la 2e évaluation formative (diagramme de droite) faisant appel chez les étudiants et étudiantes à un processus de raisonnement de type « Connaitre » et « Appliquer »

Croisement des variables « type question » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes entre les questions de la 1re évaluation formative (diagramme de gauche) ou de la 2e évaluation formative (diagramme de droite) faisant appel chez les étudiants et étudiantes à un processus de raisonnement de type « Connaitre » et « Appliquer »

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Figure 10

Croisement des variables « évaluation formative questions « C » / « A » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes aux questions de type « C » (diagramme de gauche) ou de type « A » (diagramme de droite) entre les deux évaluations formatives

Croisement des variables « évaluation formative questions « C » / « A » et « réponses ». Test du Chi-2 comparant le nombre de réponses correctes et incorrectes aux questions de type « C » (diagramme de gauche) ou de type « A » (diagramme de droite) entre les deux évaluations formatives

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6. Discussion conclusive

Notre étude visait à mesurer l’efficacité d’un dispositif de TP sous forme de classe inversée dans un contexte postpandémique. Les résultats semblent indiquer l’importance de maintenir un enseignement en présentiel lorsqu’un dispositif d’apprentissage numérique à distance est mis en place. Cette étude détaille les raisons de cette efficacité toute particulière d’un modèle hybride dans le cadre des enseignements pratiques dans l’enseignement supérieur, mettant l’accent sur les avantages du maintien d’une séance en présentiel en plus d’un apprentissage en distanciel. L’étude soutient de ce fait le modèle de l’apprentissage hybride pour lequel les étudiants et étudiantes présenteraient actuellement un engouement particulier. En effet, celuici permet de tirer profit de « la flexibilité des cours en ligne tout en permettant des interactions sociales » (Parent et al., 2022, p. 19). Ce modèle serait particulièrement efficace dans le supérieur parce qu’il combine les avantages d’un enseignement en présentiel, tout en intégrant des pratiques numériques innovantes en matière de pédagogie (Garrison et Vaughan, 2007).

Les premiers résultats obtenus valident l’hypothèse H1 : la séance de TP en présentiel apporterait une valeur ajoutée, en matière d’apprentissage, au dispositif de TP numériques à distance. Ainsi, alors que l’apprentissage numérique à distance est conçu comme une réelle « substitution », voire « augmentation » de la tâche initialement proposée en présentiel (Delforge et al., 2019), le maintien d’un enseignement en présentiel pour le dispositif présenté ici serait nécessaire pour maximiser l’efficacité des enseignements dispensés.

Cependant, les trois populations d’étudiants et étudiantes avaient des taux de réussite différents au test 1, juste après la phase à distance (H2). Notre méthodologie d’évaluation ne permet pas de pointer les causes de cette disparité. Elle tient peut-être à une différence fondamentale liée aux bagages inégalitaires des étudiants et étudiantes à la sortie du secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), notamment en sciences (Organisation de coopération et de développement économiques [ OCDE], 2016). Cependant, la nature numérique et à distance du dispositif proposé ici pose aussi la question des inégalités numériques. En effet, les inégalités sociales et d’apprentissage sont particulièrement exacerbées par le distanciel (Bautier et Rayou, 2013; Karsenti et al., 2021). En ce qui concerne les inégalités sociales, notons les différences importantes relatives au milieu socio-économique des étudiants et étudiantes fréquentant notre établissement, ce qui peut être particulièrement discriminant en matière d’appropriation des technologies numériques (Fenoglio, 2022; Granjon, 2004). En effet, en FWB, le taux d’accessibilité à l’enseignement supérieur est parmi les plus hauts des pays de l’OCDE, tandis que le financement des études et le taux d’encadrement sont les plus défavorables d’Europe. Ce sont les étudiants et étudiantes les plus fragiles qui en sont les principales victimes (Lambert, 2020; Romainville, 2001). Enfin, une dernière hypothèse de l’hétérogénéité de ces résultats pourrait être simplement liée au degré de motivation des étudiants et étudiantes à travailler cette matière. Notons que toutes ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives. Pour limiter potentiellement l’impact des facteurs extérieurs (H2), on pourrait mieux homogénéiser les groupes en les constituant par tirage aléatoire ou pseudo-aléatoire (ex. par ordre alphabétique, cet ordre étant supposé indépendant des causes extérieures).

En revanche, les résultats obtenus par les trois populations d’étudiants et étudiantes au test 2 effaceraient cette disparité. Cela renforce l’idée selon laquelle la séance de TP en présentiel aurait apporté une réelle valeur ajoutée en matière d’apprentissage (H1). Elle aurait permis de pallier significativement les inégalités entre étudiantes et étudiants observées lors d’un travail numérique réalisé en autonomie à distance (H2). En effet, que les différences de résultats observées au test 1 soient le résultat de bagages inégalitaires entre les étudiantes et étudiants à la sortie du secondaire, d’inégalités numériques, sociales ou d’apprentissage, tout indique que la séance de TP en présentiel aurait été d’une efficacité toute particulière pour ceux qui ont éprouvé le plus de difficultés à tirer profit du dispositif à distance, et ce, dans les trois populations. Le rôle de tampon de cette séance permettant d’absorber les inégalités observées entre les étudiants et étudiantes quant au travail numérique réalisé à distance justifie déjà à lui seul le maintien d’une séance en présentiel.

Ensuite, les résultats obtenus valident également l’hypothèse H3a selon laquelle la manipulation physique des crânes apporterait une valeur ajoutée en matière d’apprentissage à la manipulation virtuelle de leurs modèles 3D. L’analyse du questionnaire d’avis indique que les étudiantes et étudiants sont conscients de cette valeur ajoutée. Respectivement 92 % et 83 % des personnes répondantes sont d’accord (54 % et 46 %) ou fortement d’accord (38 % et 37 %) avec les deux affirmations suivantes : « La manipulation physique des crânes (en séance) vous a été utile en plus de la manipulation virtuelle des crânes au départ du site Internet pour atteindre votre niveau de performance actuel pour l’identification du nom des crânes » et « elle vous a été utile pour déterminer le groupe d’appartenance et de l’ancienneté des crânes » (annexe C). La deuxième raison pointée ici et justifiant le maintien d’une séance en présentiel est liée à la nature même des interactions permises par une telle séance : interactions rapprochées entre étudiantes et étudiants et personnes encadrantes et emploi de rétroactions de contrôle (Crahay, 2005).

Les résultats obtenus indiquent que ce n’est pas tant l’efficacité de la manipulation en soi, en plus de la manipulation virtuelle, qui explique les progrès observés chez les étudiants et étudiantes, mais bien le fait que cette manipulation physique ait été réalisée dans un but précis au cours de l’exercice d’application. Cet exercice relativement complexe se prête effectivement davantage au présentiel qu’au distanciel du fait qu’il nécessite un véritable guidage reposant sur des interactions rapprochées entre étudiants et étudiantes et personnes encadrantes. Ce constat corrobore ceux d’autres auteurs et autrices mentionnant que dans un modèle d’apprentissage hybride, seule la partie organisée en présentiel permet de maintenir un contact humain et certaines interactions indispensables en pédagogie (Garrison et Vaughan, 2007; Glazier, 2021; Parent et al., 2022). Par exemple, comment mettre en place à distance de réelles rétroactions centrées sur l’autorégulation (Hattie, 2013) ou de contrôle (Crahay, 2005), rétroactions invitant l’étudiant ou l’étudiante à faire sa propre vérification de l’exactitude de sa réponse ou encore à interroger de manière successive les autres étudiants et étudiantes quant à l’exactitude de sa réponse? Ainsi, ces résultats renforcent l’idée selon laquelle la séance de TP en présentiel était particulièrement efficace dans notre dispositif (H1), notamment parce qu’elle permet d’intégrer une manipulation physique dirigée au sein d’un exercice d’application nécessitant un guidage rapproché (H3a et H3b).

Le maintien d’une séance en présentiel dans le cadre d’enseignements pratiques semble également justifié par le fait que cette séance permettrait de faire progresser davantage les étudiants et étudiantes pour des acquis de type « Appliquer » qu’un dispositif numérique à distance. Ce type d’acquis est particulièrement recherché dans l’enseignement supérieur, notamment en sciences (Le Boterf, 2007; Perrenoud, 2005).

De manière générale, les résultats de cette étude démontrent que la partie « en présentiel » d’un apprentissage hybride est essentielle, car elle permettrait bien plus que le simple maintien d’un contact humain (Parent et al., 2022). Ces résultats rappellent ainsi l’importance de « donner l’information sous le format le plus riche possible » (Crahay, 2005, p. 252), et ce, même face à des étudiantes et étudiants du supérieur. Ce constat est également valable dans le cadre d’enseignements pratiques cherchant à faire développer par ceuxci des acquis davantage appliqués que théoriques, et ce, même lorsque sont employées des technologies pourtant déjà multisensorielles telles que le numérique.

7. Perspectives

Même si cette étude montre qu’une manipulation physique libre n’apporte pas de valeur ajoutée à une manipulation virtuelle effectuée en amont, elle n’a pas pu, pour autant, conclure que toutes les formes de manipulations physiques sont inefficaces lorsqu’une manipulation virtuelle est effectuée préalablement. En effet, il n’est pas possible, au vu du dispositif mis en place ici, de déterminer dans quelle mesure les progrès liés à l’exercice d’application tiennent de l’exercice en tant que tel ou de la manipulation physique dirigée qui s’y est déroulée. Afin de comparer ainsi plus finement les manipulations physiques et virtuelles, un nouveau dispositif devrait être mis sur pied pour non plus évaluer la valeur ajoutée d’une manipulation physique lorsqu’une manipulation virtuelle a été effectuée en amont, mais pour évaluer indépendamment l’efficacité en matière d’apprentissage de chacun de ces deux modes de manipulation.