Corps de l’article

Introduction[2]

L’architecture et la conception des espaces carcéraux sont intrinsèquement liées à la façon dont les objectifs du système de justice pénale sont matériellement exprimés et vécus (voir, par exemple, Grant et Jewkes, 2015 ; Milhaud, 2017 ; Moran et Jewkes, 2015 ; Moran, Houlbrook et Jewkes, 2022 ; Nadel et Mears, 2020 ; Solini, Yeghicheyan et Ferez, 2019). De nombreuses études en criminologie, en sociologie et en géographie carcérale, en particulier, s’interrogent sur l’impact de l’espace carcéral sur les détenus, exigeant une adaptation à leur vie en milieu carcéral (Liebling et Maruna, 2005 ; Scheer, 2019 ; Tschanz, 2020). Les études portant sur l’expérience des prisonniers ont déjà mis en évidence le caractère afflictif de l’emprisonnement (Sykes, 1958) ainsi que le régime disciplinaire qui caractérise la prison, signalant ainsi les impacts du milieu physique sur les personnes qui évoluent dans ces endroits. Cependant, peu d’attention a été accordée aux expériences et aux préoccupations des agents correctionnels (AC) concernant leurs espaces de travail en prison. Les AC sont assurément des agents remplissant le rôle crucial de (re)reproduction et de régulation de l’espace carcéral. Selon Yeghicheyan (2019), « [l]es surveillants mobilisent l’espace, agissent avec les éléments spatiaux. De la sorte, les agents pénitentiaires fabriquent de l’espace » (p. 148). Pour ce faire, les AC prennent en charge la mobilité à l’intérieur des murs de la prison et servent également de lien direct entre les détenus et le monde extérieur en fournissant des services essentiels et en facilitant les contacts avec la communauté (Griffin, Hogan et Lambert, 2012 ; Ricciardelli, 2019). Les AC peuvent être perçus par les détenus comme la personnification humaine des contraintes carcérales. Pourtant, à bien des égards, les AC subissent eux aussi le poids de ces contraintes – malgré leur liberté technique – aux côtés des prisonniers dont ils sont légalement chargés de s’occuper (Ricciardelli, 2019).

Bien que les expériences des travailleurs correctionnels aient fait l’objet de nombreuses études, en particulier en ce qui concerne les défis physiques et mentaux posés par l’emploi lui-même (p. ex., les préoccupations concernant les infections au travail [Dillon et Allwright, 2005], les émotions et le travail émotionnel [Crawley, 2004 ; Humblet, 2020 ; Nylander, Lindberg et Bruhn, 2011 ; Walby et Cole, 2019], l’expérience des décès en détention [Barry, 2017], l’équilibre travail-vie personnelle, les absences pour cause de maladie et le « présentéisme » [Kinman, Clements et Hart, 2017, 2019] et d’autres sources de stress lié au travail [p. ex., Bell, Hopkin et Forrester, 2019 ; Steiner et Wooldredge, 2015]) –, il reste encore à examiner, adéquatement, comment des facteurs environnementaux en prison, et plus particulièrement les facteurs physiques, pourraient avoir une incidence sur l’expérience de l’AC, en particulier sur sa santé physique et mentale et son bien-être. Par conséquent, nous posons la question suivante : comment les agents correctionnels eux-mêmes perçoivent-ils les conditions de leurs espaces de travail ? Comment l’espace de travail physique affecte-t-il leur bien-être ? En cherchant à combler les réponses limitées des chercheurs à ces questions, nos travaux antérieurs ont permis de mieux comprendre l’importance de la qualité de l’air et du son (Turner, Ricciardelli et Gacek, sous presse), démontrant ainsi que l’inconfort au travail est irréfutablement lié à l’architecture et à la conception de l’espace en milieu correctionnel. En approfondissant l’examen de l’éventail des facteurs environnementaux susceptibles d’influer sur l’expérience de l’AC, nous étendons notre attention à l’éclairage – un thème central se dégageant de notre analyse empirique. Dans le présent article, nous nous appuyons sur les données d’entrevue d’AC fédéraux canadiens (n = 60) tirées d’une étude longitudinale plus vaste sur la santé mentale et le bien-être des AC (Ricciardelli et al., 2021).

Nous structurons l’article comme suit. Tout d’abord, nous soulignons l’importance de l’espace carcéral et nous nous appuyons sur la littérature existante en matière d’architecture et de conception des prisons pour définir l’objet de notre examen de l’éclairage. Nous illustrons d’abord comment l’accès (limité) à la lumière naturelle est souvent une conséquence des préoccupations en matière de sécurité, et examinons les conséquences de cela sur l’expérience de travail, la santé de l’AC et son bien-être. Nous portons ensuite notre attention sur les dispositifs d’éclairage alternatifs axés sur la sécurité, qui suréclairent souvent l’espace pénitentiaire. Dans l’ensemble, notre étude révèle un grave problème d’éclairage. Bien que la lumière, en particulier la lumière naturelle, soit censée être gérée de manière stricte dans le milieu carcéral, la nature même de la lumière la rend très incontrôlable. Ces résultats mettent en évidence les problèmes liés à la façon dont la lumière est diffusée dans les espaces d’incarcération, ainsi que les conséquences (non) intentionnelles et latentes des conditions de détention sur les soins. Nous terminons par des recommandations visant à améliorer le bien-être des AC – et en fin de compte des prisonniers – à travers des mesures liées à l’espace. Les résultats de l’étude soulignent que ces expériences représentent des portes d’entrée utiles pour l’analyse de la santé, du bien-être et du potentiel de réhabilitation des détenus.

Faire la lumière sur les espaces d’incarcération et de contrôle

Bien que les sociologues et les criminologues aient accordé une attention particulière à la prison en réponse aux comportements criminels et aux constructions et pratiques sociétales de ces établissements, il faut compter sur l’intervention relativement récente de la discipline de la géographie carcérale pour s’intéresser à l’importance de l’espace carcéral (Moran, Turner et Schliehe, 2018). Selon cette discipline, les prisons sont considérées comme des zones sociales d’habitation, qui peuvent être imprégnées de sens (pratiques, processus, systèmes et représentations), et la littérature de la géographie carcérale a axé son objet d’étude sur divers régimes d’emprisonnement, de détention, de détention temporaire et de captivité (pour en nommer quelques-uns).

L’environnement physique de la prison, en particulier l’architecture et la conception de la prison, occupe une place centrale. Il existe un large éventail d’études qui ont retracé les origines et l’architecture des prisons (voir, par exemple, Besson, 2020 ; Fairweather et McConville, 2000 ; Hancock et Jewkes, 2011 ; Jewkes, Moran et Turner, 2019 ; Jewkes et Moran, 2014, 2017 ; Moran, Turner et Jewkes, 2016 ; Moran, Jewkes et Lorne, 2019 ; Moran et Jewkes, 2015 ; Nadel et Meares, 2020 ; Wener, 2012). La plupart des chercheurs se concentrent sur les prisons telles qu’elles sont ou ont été construites – en d’autres termes, « ce qu’elles [les prisons] sont ou étaient censées réaliser, les processus qui conduisent à leur construction, les façons dont elles expriment les philosophies punitives de leur époque et, surtout, leur fonctionnement à l’époque de leur construction » (Moran et al., 2022, p. 2). Un tel travail est nécessaire pour comprendre pourquoi nous construisons (ou construisions), ce que nous faisons (ou faisions) et dans quelle mesure les nouvelles installations sont (ou étaient) efficaces pour atteindre leurs objectifs déclarés. Par exemple, il existe une littérature de plus en plus abondante en criminologie, en géographie carcérale et en architecture, parmi d’autres domaines connexes, qui cherche à explorer l’architecture carcérale, ses composantes esthétiques et/ou sa signification pour l’expérience humaine (voir, par exemple, Beijersbergen, Dirkzwager, Van der Laan et Nieuwbeerta, 2016 ; Fransson, Giofrè et Johnsen, 2018 ; Karthaus, Block et Hu, 2019 ; Moran et al., 2016). Le travail émergent est sans équivoque multisensoriel (pour ainsi dire), se concentrant sur les relations entre l’architecture et, par exemple, les expériences sonores de l’incarcération et de la détention (Turner et al., sous presse ; Hemsworth, 2016 ; Herrity, 2020 ; Riz, 2016 ; Russell et Carlton, 2018) ; l’odeur et la qualité de l’air (Turner et al., sous presse ; Martin, 2021) ; la configuration de l’isolement et des vues depuis l’espace carcéral (Turner, Moran et Jewkes, 2020) ; les infrastructures d’assainissement et d’approvisionnement en eau ; ainsi que leur effet de conglomérat en tant qu’orchestre d’« atmosphère(s) d’incarcération » (Turner, Moran et Jewkes, 2022). Il n’est pas surprenant qu’étant donné sa centralité incontestable en tant qu’énergie de la vie elle-même, la lumière et les infrastructures d’éclairage au sein de l’espace carcéral fassent également l’objet d’une attention particulière de la part des universitaires.

On a fréquemment recours à la lumière comme métaphore en milieu carcéral. Le terme « lumière » est souvent utilisé pour représenter l’innocence, l’espoir, la rédemption et l’avenir, généralement en juxtaposition frappante avec le terme « obscurité », représentant l’activité criminelle, l’immobilisme, le désespoir, la violence et, même, le mal (Corlew, 2005 ; Kazemian, 2019 ; Knight et Van De Steene, 2017). Cette binarité est inhérente au mouvement intellectuel et philosophique connu sous le nom de siècle des Lumières qui a dominé l’Europe aux xviie et xviiie siècles. La lumière est également un récit prédominant dans l’environnement carcéral lorsqu’elle est assimilée à l’ombre ou à la couleur (par opposition à l’agent naturel qui stimule la vue et rend les choses visibles), ou lorsqu’il en est question dans une discussion sur la couleur de la peau et l’incarcération disproportionnée des personnes racisées (Viglione, Hannon et DeFina, 2011). Cette notion de l’obscurité comme étant négative ou même punitive a été largement employée comme méthode délibérée de désensibilisation et de contrôle des corps dans l’espace carcéral. Par exemple, la recherche dans les prisons dites « supermax » fait état de l’absence de lumière, de la présence d’une lumière naturelle minimale ou de l’obscurité complète pour y concentrer les prisonniers particulièrement « rebelles » ou « à risque » (Mazuch et Stephen, 2005 ; Rhodes, 2009 ; Ross et Tewksbury, 2018). Comme le note Fiddler (2011) dans son évaluation de l’imagination carcérale et du « mythe du lieu » (place-myth), la prison est souvent comparée à l’obscurité elle-même. D’autres travaux reconnaissent que le mauvais éclairage est souvent l’une des premières conséquences des pressions créées par la surpopulation et le sous-financement, et que, dans certains systèmes pénaux, il s’agit souvent d’un héritage de la prédominance de bâtiments anciens et délabrés avec, généralement, de petites fenêtres à barreaux placées haut sur le mur (Stern, 2001). Ces choix délibérés visent à réduire le risque d’évasion, la circulation de produits de contrebande, les communications non réglementées entre les détenus ou le monde extérieur et, dans certains contextes, à créer des effets punitifs en restreignant la vue vers l’extérieur. Une telle conception a des conséquences : la lumière naturelle du jour et le contact avec le monde extérieur seraient en effet importants pour la santé et le bien-être. D’ailleurs, des niveaux de stress ont été rapportés comme étant plus élevés dans les aires des prisons dépourvues de fenêtres, telles que les cellules d’isolement (Mazuch et Stephen, 2005[3]). La mention du travail de Stern donne un premier aperçu de la relation fondamentale entre la lumière et le contexte pénal : une philosophie du contrôle.

Malgré la reconnaissance de l’importance de la lumière dans les débats universitaires sur la prison, des efforts sont encore requis pour développer la recherche qui étudie spécifiquement cette relation. L’abondance de travaux sur la lumière et l’éclairage dans d’autres contextes suggère que le champ d’exploration de ce thème dans le milieu carcéral est jusqu’à présent bien sous-exploité. Par exemple, les études réalisées en dehors du système pénal reconnaissent une relation étroite entre la lumière et le comportement humain, relation qui se doit d’être étudiée dans le milieu correctionnel. Les niveaux d’éclairage peuvent être utilisés ou manipulés pour créer des environnements variés dans le cadre d’expériences multisensorielles (McClanahan et South, 2020). Par exemple, selon Edensor (2015a), « la fusion de l’éclairage et de l’obscurité a une capacité unique de transformer l’espace et de générer des atmosphères » (p. 436). Bien que l’obscurité et l’éclairage « soient chargés de valeurs contestées », ce qui signifie qu’elles sont intrinsèquement vécues de différentes manières – « ce qui peut être un lieu calme et empreint de tristesse pour certains peut être un royaume de terreur et de suspicion pour d’autres » (Edensor, 2015b, p. 562) –, la lumière (ou son absence) est largement considérée comme une force. Il existe une myriade de travaux en architecture, en études sur la sécurité, en psychologie et en anthropologie qui portent sur la relation entre l’éclairage et la criminalité (Kaplan, 2020) et sur les diverses utilisations de la lumière et des systèmes d’éclairage à des fins de sécurité et de surveillance. Certains de ces travaux s’intéressent à la présence d’un éclairage de sécurité pour la protection des maisons ou des entreprises, et la sécurité des piétons dans les villes (Cho, Jeong, Choi et Sung, 2019 ; Nelson, Purpura et Fennelly, 2016 ; Painter et Tilley, 1999). Dans la plupart de ces travaux, la lumière (ou plus précisément l’éclairage de l’espace) est le fondement d’une stratégie de surveillance. Il ne s’agit pas simplement de s’assurer que les menaces soient plus visibles, mais aussi de prendre en compte la considération panoptique par excellence selon laquelle une plus grande visibilité est nécessaire pour l’autogouvernance. La lumière a donc la capacité de modifier les comportements, et pas toujours de manière prévisible ou forcément nécessaire. Le milieu carcéral n’est pas à l’abri de ces expériences. L’éclairage des prisons, particulièrement dans le contexte canadien où les établissements sont vétustes, est souvent artificiel et amplifié pour éclairer tous les coins et recoins d’un établissement dans le but de réduire les risques d’évasion, de violence et d’autres pratiques illicites, telles que l’échange de produits de contrebande.

Ces remarques sur la capacité de la lumière à influencer la condition humaine vont au-delà des aspects de sécuritisation. Nous devons également tenir compte des effets de la qualité de la lumière (en prison) et de l’accès à la lumière naturelle sur la santé physique et mentale des individus. La lumière naturelle dans la journée et une bonne obscurité la nuit aident toutes deux à réguler le rythme circadien (rythme naturel de sommeil et d’éveil) et à permettre un sommeil réparateur (Wright et al., 2013). Limiter l’exposition à la lumière naturelle (par exemple, en raison d’un mauvais éclairage naturel intérieur ou d’un manque d’accès à l’extérieur), ainsi qu’une exposition inutile à la lumière la nuit (par exemple, par un éclairage artificiel de sécurité 24 heures sur 24 ou l’absence de rideaux ou de stores sur les fenêtres) interrompent le rythme circadien et perturbent le sommeil (Alvarez et Ayaz, 2004). Le qualificatif naturel est à cet égard crucial. La lumière et l’obscurité naturelles sont des caractéristiques des milieux naturels (Alvarez et Ayaz, 2004), qui sont eux-mêmes d’une valeur considérable pour la condition humaine. Comme le dit Moran (2019a), « le contact avec la nature est peut-être le facteur environnemental pour lequel les résultats sont les plus probants en ce qui concerne la santé et le bien-être de l’homme » (p. 46). Frumkin et al. (2017) soutiennent que l’accès à la nature réduit l’anxiété, augmente la satisfaction à l’égard de la vie, réduit l’agressivité et les symptômes du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), accroît le comportement prosocial, diminue la tension artérielle et améliore la récupération postopératoire, le contrôle de la douleur, la fonction immunitaire et la santé générale. Bien qu’il existe peu d’études empiriques portant sur les effets bénéfiques de l’accès des détenus à la nature dans l’espace carcéral, ces études portent généralement sur les jardins (Richards et Kafami, 1999), les espaces verts (Moran et Turner, 2019) ou leurs représentations (Moran, 2019b). Étant donné que l’accès à la nature constitue une préoccupation prédominante pour les détenus, nous postulons donc que l’accès à la lumière naturelle est également susceptible d’avoir un impact sur les expériences des travailleurs en milieu carcéral. Nous nous inspirons d’études telles que celle de Schledermann, Bjørner et Hansen (2021) sur les perceptions du personnel à l’égard des systèmes d’éclairage dans les maisons de retraite danoises, démontrant que les employés sont également considérablement touchés. Dans les sections suivantes, nous présentons notre approche méthodologique.

Méthodologie

Les expériences des agents correctionnels fédéraux canadiens présentées dans notre article (n = 60) ont été recueillies dans le cadre d’une étude longitudinale plus vaste sur la santé mentale et le bien-être des AC (Ricciardelli et al., 2021). Cette étude de cohorte pluriannuelle (2018-2028) porte sur des AC travaillant dans 43 prisons fédérales canadiennes, depuis leur recrutement jusqu’à leurs 10 ans d’ancienneté professionnelle. À l’aide d’instruments de collecte de données quantitatives et qualitatives, l’étude longitudinale évalue la santé mentale, les expériences de travail et de formation en milieu carcéral, les points de vue et les perceptions des participants à l’égard de la prison et des prisonniers, ainsi que leurs aspirations professionnelles. Lors de l’entrevue initiale, nous avons utilisé deux sondages, une entrevue qualitative et une évaluation clinique, que nous avons fait passer alors que les participants étaient encore en formation. Les mêmes instruments sont utilisés pour les entrevues de suivi avec les participants, qui sont menées chaque année (c.-à-d. par « vagues » annuelles) après le déploiement de ces derniers dans un établissement correctionnel. Le présent article met l’accent sur certaines expériences d’AC tirées des entrevues qualitatives initiales menées auprès des participants qui étaient encore à l’étape de la formation.

Le recrutement et l’inscription des participants au projet commencent lorsque les nouvelles recrues au poste d’agent correctionnel sont acceptées à l’étape II du programme de formation correctionnel (PFC). Service correctionnel Canada (SCC) envoie un courriel aux recrues contenant une lettre d’invitation à participer à l’étude, avec les détails de cette dernière et les informations concernant les protocoles éthiques. Dans la mesure du possible, un membre de l’équipe de recherche, habituellement la chercheuse Ricciardelli, participe à la discussion en personne ou virtuellement, pour présenter le projet et répondre aux questions des nouvelles recrues[4].

L’étude longitudinale a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université Memorial de Terre-Neuve (dossier nº 20190481). La participation est volontaire et confidentielle, mais non anonyme. Les formateurs du PFC et tout agent de liaison aidant à la collecte de données sont en mesure de savoir qui sont les agents qui participent à l’étude. SCC ne peut ni retracer les participants, ni les faire correspondre à l’information fournie, et n’a pas accès aux données brutes de recherche (p. ex., fichiers audio des entrevues, transcriptions d’entrevues, réponses au sondage et évaluations cliniques). Les numéros des participants protègent leur identité et toute autre information qui pourrait les identifier est supprimée. Les citations directes sont éditées pour plus de lisibilité.

Suivant un protocole de recherche qualitative, cette recherche s’inscrit dans une épistémologie constructiviste, puisque les données prennent leur sens dans l’expérience des participants. L’approche semi-ancrée a été utilisée pour la codification des données de cet article (Glaser et Strauss, 1967), car elle est « riche en description des personnes, des lieux et des conversations », d’autant plus que nous « étudions les sujets dans toute leur complexité » (Bogdan et Bilken, 2003, p. 2). Le livre de codes a été produit avec Excel et associé au logiciel NVivo pour codifier des thèmes primaires, secondaires et tertiaires à partir des données. Notre schéma de codification a été développé de manière inductive, en examinant les réponses et en cataloguant les thèmes au fur et à mesure qu’ils se présentaient aux chercheurs. En ce qui concerne cet article, la question principale codifiée de notre guide d’entrevue est « Comment décririez-vous votre prison à un ami qui n’est jamais allé dans un établissement correctionnel ? » ainsi que la sous-question « Comment sont la qualité de l’air, la verdure, la lumière naturelle, le son, le bâtiment ? » Un thème a été constitué lorsqu’un ou plusieurs participants ont discuté d’un sujet similaire dans leur réponse. En relisant chaque réponse pour examiner les hypothèses, les thèmes et les significations plus larges qui sous-tendent ce que les participants ont exprimé, nous nous sommes immergés dans les données afin de dresser une liste exhaustive des thèmes. En effet, notre processus a rendu les données plus faciles à gérer, tout en permettant une analyse plus complexe et plus approfondie des expériences. Dans les sections suivantes, nous présentons l’analyse de notre matériel empirique.

Éclairer la compréhension de l’éclairage dans l’espace carcéral

En explorant les expériences des AC concernant leur environnement de travail, notre analyse empirique s’est concentrée sur les conditions physiques au sein des prisons, notamment en ce qui a trait à l’accès à la lumière naturelle et aux situations où la lumière a été délibérément modifiée, ce qui se traduit généralement par une prédominance de la lumière artificielle. Comme le révèlent les propos des AC, il existe des doutes et des préoccupations constantes quant à la qualité de la lumière (ou à son absence) dans ces espaces de travail, ce qui entraîne des inquiétudes pour leur propre santé physique et mentale et leur bien-être. Nous présentons nos constatations dans les sous-sections suivantes.

Éclairage contrôlé

En prison, la surveillance est la pierre angulaire de la gestion de la population. Les « lignes de visibilité » sont considérées comme essentielles à une gestion appropriée de la détention et sont prises en compte dans la conception des bâtiments, les habitudes du personnel pénitentiaire et l’emplacement des technologies de surveillance. Le personnel pénitentiaire devrait être en mesure d’identifier rapidement les tentatives d’évasion, d’exposer les comportements illicites et d’éclairer les espaces pour dissuader les détenus de commettre des violences entre eux ou contre des membres du personnel. Cependant, la gestion des lignes de visibilité comprend également l’occultation de vues particulières au regard des prisonniers eux-mêmes. Cela implique souvent de limiter ou de sous-dimensionner les fenêtres pour restreindre leur vue (par exemple, l’absence de fenêtres où les détenus pourraient avoir accès à des informations sur les AC [c.-à-d. les aires de stationnement où les plaques d’immatriculation des véhicules pourraient être notées] pour les utiliser pour menacer le personnel ; ou lorsque les détenus peuvent voir ou être vus par des visiteurs extérieurs [c.-à-d. les visiteurs signalant l’entrée de produits de contrebande]). Dans ces circonstances, la fenestration restreinte limitera donc évidemment aussi l’accès à la lumière naturelle en prison.

Les participants indiquent que l’accès à la lumière naturelle joue un rôle dans leurs expériences des conditions physiques en prison et est intrinsèquement lié à leur bien-être. Certains participants se disent préoccupés par la qualité de l’éclairage dans leur espace de travail. Ils attribuent la mauvaise qualité de la lumière au manque d’accès aux fenêtres physiques dans leur espace de travail, à l’éclairage artificiel utilisé dans les installations et à l’influence d’un mauvais éclairage – ou de l’obscurité – sur leur vie professionnelle. La participante 49 explique comment les considérations de sécurité façonnent le « paysage lumineux » de la prison et les aspects pratiques de la perception de la lumière[5] :

P49 : Il y a très peu de lumière naturelle. Quelles que soient les fenêtres de l’établissement, qu’il s’agisse des fenêtres des bureaux ou des cellules des détenus, 99 % d’entre elles sont couvertes. Vous ne savez pas s’il fait beau, s’il pleut ou s’il neige. Sauf si vous regardez sur une caméra qui est à l’extérieur ou quelque chose comme ça.

Par conséquent, la lumière naturelle est souvent très restreinte dans certains établissements. Par exemple, lorsqu’on lui a demandé si elle avait des préoccupations au sujet du milieu correctionnel, la participante 375 a déclaré : « Le manque de lumière du soleil serait l’une d’entre elles [mes préoccupations]… Ne pas avoir cette lumière du soleil [en prison], c’est perceptible [comme effet] ». Elle explique en outre que, même lorsqu’il est possible de s’approcher des fenêtres (et donc d’avoir accès à la lumière naturelle), il n’est pas toujours possible de profiter de la lumière (c.-à-d. parce que la fenêtre donne sur un autre bâtiment ou ne permet pas de voir la météo). De plus, l’emplacement géographique de l’établissement correctionnel peut avoir une incidence sur l’accès à la lumière naturelle, pour le meilleur ou pour le pire. Sur une note plus positive, le participant 87 indique : « Eh bien, nous [en] recevons beaucoup […]. Nous sommes dans les montagnes, donc […] nous recevons beaucoup de lumière. » Les prisons et pénitenciers fédéraux canadiens sont situés dans cinq régions du Canada, ce qui implique un environnement naturel très différent d’un endroit à l’autre. L’endroit où ils sont situés détermine l’étendue de la lumière naturelle qu’il leur est possible de recevoir, ainsi que d’autres facteurs.

L’obstruction des fenêtres ou leur absence n’est pas seulement une question d’apport de lumière ou d’élimination de l’obscurité. Comme l’explique la participante 24, la lumière naturelle représente un important repère dans la vie quotidienne et le manque d’indicateurs temporels est tout aussi vital que l’énergie des rayons du soleil. La lumière du jour peut ne pas être accessible pour de nombreuses raisons, ce qui peut affecter négativement, à des degrés divers, le bien-être de tous ceux qui travaillent et vivent dans ces espaces (ainsi que la façon dont ils les perçoivent). À titre d’exemple, la participante 24 déclare :

P24 : La lumière […] c’est difficile quand on doit faire un quart de travail de 16 heures. Il fait noir quand nous entrons, il fait noir quand nous sortons. Et si vous n’êtes pas à un poste qui vous permet de marcher dehors pendant la journée ou avant le repas, vous en souffrez certainement. Ouais. Je veux dire qu’il y a des fenêtres bien sûr, mais ce n’est jamais comme ça, il n’y a pas assez de fenêtres si c’était seulement pour moi parce que je pense que c’est vraiment important d’avoir de l’éclairage.

La participante 24 souligne comment la mauvaise qualité de l’éclairage dans la prison influence la façon dont elle vit la durée de sa journée de travail, en particulier lorsque celui-ci l’oblige à passer tout son quart de travail à l’intérieur – elle n’a pas la possibilité de profiter de la lumière du jour. Le manque de lumière naturelle pourrait avoir une incidence sur la perception de la dimension spatiale de la prison, mais aussi sur la dimension temporelle du travail de l’AC. La question du manque d’éclairage dans les installations a été reprise par les répondants, comme la participante 77, qui indique : « Il n’y a pas de lumière naturelle. Donc, s’il n’y a pas de lumière naturelle […] quand vous sortez, cela vous brûle les yeux. C’est comme woah. Je pense donc que cela a probablement un effet sur les gens et leur santé mentale. » Elle décrit une sensation d’inconfort et de désorientation, voire d’éblouissement, face à la lumière (par exemple, « brûle les yeux ») lorsqu’elle y a accès de nouveau. Elle s’interroge aussi directement sur la façon dont le manque de lumière naturelle influence la santé mentale des personnes touchées.

Si les avantages de la lumière naturelle sont largement évoqués, dans les situations où elle est plus abondante, les participants reviennent néanmoins à la préoccupation dominante selon laquelle les fenêtres présentent un risque pour la sécurité. Par exemple, la participante 149 décrit son établissement :

P149 : […] il y a beaucoup de fenêtres, beaucoup de lumière naturelle, l’accent est mis là-dessus, mais cela pose aussi des problèmes de sécurité, parce que nous avons des fenêtres dans les zones accessibles aux détenus qui donnent directement sur le stationnement, comme une zone non clôturée et non contrôlée.

La participante 149, selon ses propres termes, rappelle que l’introduction de la lumière naturelle, si elle n’est pas stratégiquement mise au point, peut être considérée comme génératrice de risques (voir aussi Mazuch et Stephen, 2005 ; Stern, 2001), en particulier lorsque des fenêtres sont situées dans des parties de l’établissement où sont présents les détenus ou lorsque les fenêtres donnent sur des zones non clôturées ou non contrôlées. Les tensions ou les menaces perçues, générées par un tel risque, sont susceptibles de contrecarrer les avantages que l’accès à la lumière naturelle peut apporter au bien-être. Par conséquent, nous abordons l’utilisation stratégique de la lumière dans la section suivante.

Créer de la lumière

Il serait malvenu de suggérer que les concepteurs de prisons aient au départ planifié une restriction totale de la lumière naturelle dans les espaces de détention. Comme l’indique la vaste littérature sur la lumière dans le contexte de la sécurité, l’éclairage d’un espace particulier peut s’avérer plus propice à une surveillance appropriée et, par conséquent, à la sécurité. La nécessité d’« éclairer » l’espace entraîne souvent l’utilisation stratégique des sources lumineuses. Pour en revenir à l’emplacement des fenêtres, la lumière naturelle a tendance à être diffusée dans les zones résidentielles par le biais de lucarnes situées au-dessus des galeries. Ne fournissant qu’une vue du ciel, cette forme d’éclairage se retrouve souvent dans les unités à sécurité plus élevée, comme l’indique le participant 78 :

P78 : Avec notre institution, ce n’est pas trop mal avec, par exemple, la lumière naturelle […] parce que même dans notre unité à sécurité maximale, il y a toujours des fenêtres de type cathédrale, donc il y a toujours une lumière constante qui passe […].

Malgré la présomption mentionnée précédemment selon laquelle les espaces carcéraux seraient dépourvus de lumière, situation préoccupante pour la santé et le bien-être, certains participants ont également parlé de l’inconvénient d’une lumière naturelle trop abondante ou trop intense. La lumière est considérée ici dans son sens élémentaire – une puissante force d’énergie. Dans cet esprit, la participante 150 estime que le fait d’être exposé à trop de lumière naturelle présente certains inconvénients :

P150 : […] dans la rotonde de l’unité max où se trouvent nos bureaux, il y a ces grandes fenêtres que nous avons demandées, elles sont comme en haut, comme en hauteur, nous leur demandons des stores depuis deux ans parce qu’en été, le soleil passe à travers et vous devez quitter l’ordinateur. En fait, une fois, mon visage a été brûlé […] [rires]. Mon oreille est devenue rouge juste à cause du soleil qui passait par la fenêtre.

Les propos de la participante 150 démontrent les inconvénients posés par la lumière du soleil et le manque de protection contre la chaleur générée ou, plus précisément, l’incapacité de contrôler la lumière naturelle (voir aussi Wener, 2012). Comme Reddon et Durante (2019) l’indiquent, bien qu’il soit avantageux pour les personnes incarcérées d’avoir accès à plus de lumière naturelle, « une mise en garde concernant la lumière naturelle est que le soleil émet des rayons ultraviolets (UV) qui peuvent causer le cancer de la peau » (Reddon et Durante, 2019, p. 15). Bien que la participante 150 reconnaisse avoir souhaité de grandes fenêtres dans son établissement, l’absence de stores sur les fenêtres rend le travail difficile, surtout l’été, lorsque la lumière du jour est plus longue, les températures plus élevées et l’ensoleillement plus intense.

De plus, lorsque l’infrastructure carcérale n’est ni construite ni développée en tenant compte de la lumière naturelle, la lumière artificielle est utilisée comme substitut. Cela se manifeste souvent dans des zones telles que les niveaux inférieurs des galeries résidentielles, ou dans les cellules où les fenêtres sont sous-dimensionnées. Cela varie également selon les saisons, les agents correctionnels et les gestionnaires rapportant souvent que « les lumières sont toujours allumées ». Pourtant, la lumière artificielle peut avoir des conséquences imprévues sur la santé. Le participant 27, par exemple, estime que l’éclairage artificiel peut nuire au bien-être de l’agent correctionnel pendant le quart de travail. Il explique : « Je dirais que l’éclairage fluorescent finit par me donner des maux de tête. Je ne pensais pas que j’arriverais dans un environnement de travail où j’aurais des maux de tête… C’était un peu une surprise. » La lumière artificielle ressentie par le participant 27 le rend malade physiquement.

Il n’est pas surprenant, étant donné la relation entre la lumière et la sécurité, que le « paysage lumineux » soit perçu différemment selon le type d’établissement et, principalement, sa classification de sécurité. Le participant 78 parle des différences de lumière dans les diverses unités, reconnaissant qu’il y a beaucoup plus de lumière naturelle dans les établissements à sécurité minimale tels que les « petites maisons à [sécurité] minimum. [Là où] c’est constant, il y a tellement de fenêtres et c’est très ouvert. » Ici, les préoccupations concernant la mise en place ou la restriction des lignes de visibilité sont moins pressantes.

En conséquence, la conception de l’éclairage de la prison façonne la manière dont les agents correctionnels effectuent leur quart de travail, au point que l’installation et les zones environnantes informent, voire façonnent, la manière dont l’espace carcéral est perçu et vécu. La participante 430 rapporte comment la lumière influe sur la perception des espaces carcéraux. Elle travaille dans un établissement pour femmes, dont l’apparence extérieure ressemble à un quartier résidentiel avec des maisons en rangée et des unités de vie partagées :

P430 : L’espace physique de ce centre est à la fine pointe en termes d’établissement correctionnel dans le monde – je veux dire qu’il n’est pas parfait évidemment et nous avons toujours place à l’amélioration dans le futur, mais comparé à l’établissement correctionnel [précédent] dans lequel j’ai travaillé, je suis tellement impressionnée […]. Il y a tellement de fenêtres, c’est grand et lumineux, il y a tellement de liberté que cela ressemble à un campus universitaire pour moi, et les environnements de logements dans lesquels les femmes travaillent – ou vivent –, je pense que c’est vraiment important […]. Je veux dire que c’est dans une zone industrielle, mais il y a des arbres tout autour comme […] c’est vraiment assez joli même en fait.

À l’évocation du précédent établissement dans lequel elle a travaillé, la participante 430 exprime des expériences positives par rapport à son établissement actuel, soulignant le nombre de fenêtres et l’accès à la lumière naturelle dans la prison. Cette dernière est évoquée de manière positive et dissipe toutes les notions d’association intrinsèque de Fiddler (2011) de la prison en tant qu’espace d’obscurité littéral et métaphorique. La participante 430 attribue également à la lumière une valeur esthétique (Moran et al., 2018), ce qui ne peut qu’avoir un effet positif sur le bien-être et la santé. Pour les AC, l’exposition à la lumière naturelle dépend donc du type de prison dans lequel ils travaillent et, de plus, de l’endroit où ils se trouvent dans la prison. Elle peut varier selon l’unité, l’étage du bâtiment, la conception de l’installation ou la fonction de l’espace. Une telle variance incite à revenir à la reconnaissance par Edensor (2015a) du rôle de la lumière dans la transformation de l’espace et la constitution d’atmosphères, les établissements pénitentiaires n’étant pas à l’abri de la création et de la production d’espace négatif. Lorsqu’on lui a posé des questions sur son espace de travail, la participante 45 a indiqué le manque d’éclairage naturel dans son établissement, et a poursuivi en disant : « Cela dépend aussi de l’unité dans laquelle vous travaillez. Certaines unités dans lesquelles vous entrez, vous pouvez sentir la tension tout de suite et ce sont les unités qui ont beaucoup de gars liés au trafic de la drogue qui font plus de temps et des trucs […]. C’est assez sombre. » Ses propos révèlent comment l’atmosphère contextualise le manque de lumière naturelle, et ce, en fonction de l’endroit où l’AC passe son quart de travail, et peut-être de manière plus négative, soulignent l’absence de lumière naturelle dans certaines zones. La qualité de l’éclairage, lorsqu’elle est faible, peut alors contribuer à une atmosphère moins positive. Un tel lien avec l’atmosphère est évident dans le commentaire de la participante 134 au sujet de son espace de travail : « [M]ême avec les fenêtres, la lumière du soleil et des choses comme ça, l’atmosphère a un impact sur elle [la prison], de sorte qu’elle semble toujours sombre » (c’est nous qui soulignons). Selon les expériences des participants, de tels espaces produisent une atmosphère moins positive, que ce soit à cause de l’éclairage artificiel ou de l’obscurité.

Cependant, le plus troublant est l’acceptation apparente de cette variance lumineuse. Lorsqu’on lui pose la question : « Y a-t-il beaucoup de lumière naturelle [dans votre établissement] ? », la participante 26 répond :

P26 : Étonnamment oui, [mais] je pense que cela dépend de l’endroit où vous vous trouvez. Je travaille à l’unité 3, donc c’est une unité située à un étage supérieur. Beaucoup de lumière là-bas. L’unité 2, qui est l’unité en dessous, pas tellement, mais il y a comme un mur de fenêtres, et puis les bureaux, je pense que la majorité d’entre eux sont construits avec une fenêtre […] donc si vous regardez dehors, vous pouvez voir un mur de briques, donc c’est bien. [rires] C’est mieux que pas de fenêtre. Ouais, donc il y a des espaces qui n’en ont pas, je connais le [personnel] en bas qui s’occupe de tous les cas et tout ça, ils n’ont pas de fenêtre, mais c’est un peu le but de leur espace.

La participante 26 qualifie l’emplacement des fenêtres construites dans l’unité 2 (« c’est mieux que pas de fenêtre ») en poursuivant sur le fait que le personnel d’un étage différent ne dispose pas de fenêtres. Cela suggère que le manque de lumière dans certains espaces s’avère simplement normal pour le personnel, malgré la répartition inégale des effets néfastes.

Discussion

Pour quiconque vit ou travaille en prison, l’environnement physique peut constituer un facteur fondamental qui influe sur le bien-être physique et mental de la personne. En reconnaissant que le caractère afflictif de l’incarcération peut aussi produire de l’inconfort chez les employés (Turner et al., sous presse), nous tenons à souligner que l’amélioration de l’éclairage dans les prisons profitera également et certainement aux AC. De nombreux chercheurs du milieu carcéral s’efforcent de déterminer les effets spécifiques de l’environnement physique sur les AC et, par conséquent, la manière dont l’environnement pourrait être modifié, repensé ou réaménagé. Le fait de mettre l’accent sur les conditions matérielles des prisons réaffirme la nécessité d’améliorer les infrastructures pénitentiaires, mais des préoccupations sont en jeu ici en termes de financement, de sécurité et de conception des prisons, associées à « l’équilibre entre la punition et la réadaptation en relation avec le “but” général de l’emprisonnement, tous ces éléments affectant les processus de prise de décision et donc la nature des lieux que nous construisons pour incarcérer » (Moran, 2019a, p. 48). Le fait que la nature d’un environnement bâti importe pour ceux qui s’y trouvent est reconnu depuis longtemps dans les contextes de soins de santé et nécessite une plus grande attention dans les milieux carcéraux. Peut-être, comme Moran (2019a) le suggère, « parce qu’il est plus difficile, d’un point de vue idéologique, de considérer les prisons comme des lieux “thérapeutiques” similaires, et en raison du manque d’études testant la validité des résultats de ces recherches dans les prisons, la conception des établissements pénitentiaires accuse un certain retard » (p. 48).

Bon nombre de nos participants indiquent que les milieux carcéraux ont un accès limité à la lumière naturelle, généralement en raison des mesures de sécurité. Lorsque l’éclairage naturel n’est pas possible, les prisons peuvent également envisager de se convertir à l’éclairage DEL, qui est plus économe en énergie et permet un éclairage à spectre complet (c.-à-d. toutes les longueurs d’onde). Cette solution a été avancée comme étant préférable à l’éclairage artificiel traditionnel et plus bénéfique pour la santé mentale et physique des personnes (Reddon et Durante, 2019). Cependant, nos participants ont accordé une grande importance à la lumière naturelle et à la lumière en tant qu’éléments reliant les corps individuels à l’environnement naturel : la lumière naturelle donne une idée du temps qu’il fait, du cycle de la journée, et est peut-être aussi synonyme d’air et d’aération. Notre étude appuie des travaux antérieurs qui reconnaissent que des aspects propres au milieu carcéral, en particulier les composantes naturelles, demeurent des facteurs environnementaux importants pour l’amélioration de la santé physique et mentale et du bien-être des personnes (Frumkin et al., 2017 ; Moran, 2019a, 2019b). Par conséquent, les préoccupations des participants au sujet de la lumière peuvent simplement être des exacerbations d’un manque de contact avec la nature dans le milieu carcéral. Moran (2019a) rapporte que « les espaces verts offrent un intérêt visuel et attirent la faune, et le chant des oiseaux est un élément clé des paysages sonores thérapeutiques » (p. 49). Reconnaissant donc la valeur du contact avec la nature, toutes les possibilités d’écologisation des environnements carcéraux devraient être envisagées. Dans la mesure du possible et si la sécurité le permet, les prisons pourraient également intégrer des promenades dans la nature ou des exercices qui augmentent la circulation sanguine et le contact direct avec la lumière du soleil (Reddon et Durante, 2018).

Même si la plupart des participants étaient préoccupés par la question de l’éclairage dans leur milieu de travail, certains ont exprimé des désaccords quant aux avantages et/ou inconvénients d’avoir accès à la lumière naturelle. Alors que certains agents correctionnels ont accordé une grande valeur à l’accès à la lumière naturelle (lumière du jour), d’autres se sont plaints de l’inconfort causé par l’exposition à un ensoleillement intensif. Un tel préjudice est donc probablement le résultat d’un manque de contrôle des employés en ce qui concerne les infrastructures d’éclairage (voir aussi Wener, 2012). Ces résultats sont intrigants compte tenu de l’importance qui est donnée au contrôle de la lumière à des fins de sécurité. Des mesures simples, comme la mise à disposition de crème solaire lorsque l’exposition au soleil est excessive apparaît comme une première étape nécessaire pour éliminer les tensions créées par les environnements physiques. Pourtant, les désaccords sur le confort et l’inconfort liés à la lumière naturelle pourraient être résolus plus concrètement par la mise en oeuvre de mesures et de matériaux visant à renforcer la capacité des AC à contrôler leur propre environnement de travail. Une solution pourrait être d’installer des stores, des écrans solaires et d’autres systèmes de protection permettant aux employés de régler eux-mêmes l’intensité de la lumière naturelle en fonction des besoins du moment. Cette réponse pourrait être utile en ce qui concerne la question de l’éclairage, tout en renforçant le sentiment des AC d’avoir plus de flexibilité et de latitude dans leur travail. Ces mesures pourraient alors contribuer à la création d’un environnement de travail dans lequel les employés se sentiraient activement impliqués et plus sensibilisés aux conséquences de la spatialité sur leur propre bien-être et leur santé.

Comme l’ont signalé les participants, la qualité de l’éclairage doit également être estimée en fonction du contexte institutionnel dans lequel l’éclairage est perçu. Selon l’usage de la pièce ou les zones où les AC effectuent leur travail, la lumière naturelle peut être soit bénéfique, soit nuisible. La perception des AC concernant l’éclairage est en fait principalement influencée par le rôle et les fonctions qu’ils sont invités à exercer dans l’espace carcéral, ce qui est bien illustré par les préoccupations en matière de sécurité générées par la présence d’un trop grand nombre de fenêtres. Ainsi, pour promouvoir le bien-être des AC grâce à un meilleur accès à la lumière naturelle, il pourrait être nécessaire de reconsidérer certaines de leurs tâches à l’intérieur de l’établissement et l’éclairage des espaces dans lesquels elles sont exécutées.

Notre étude est limitée dans la mesure où les entretiens menés avec les participants n’avaient pas pour but de savoir ce qu’ils pensaient de la qualité de la lumière de la prison ou de l’accès à la nature ; les préoccupations exprimées volontairement sur le sujet par les participants ne devraient pas être généralisées à ceux qui n’ont pas volontairement donné leur avis. Les travaux futurs pourraient intégrer l’ethnographie des conditions de détention afin d’étudier plus en détail l’éclairage naturel et l’accès à la lumière naturelle et à la nature.

Conclusion

En analysant les effets de l’éclairage en prison, notre intention était de mieux mettre en évidence les enjeux liés à la santé mentale et physique dans les établissements correctionnels canadiens, et de promouvoir l’amélioration de la santé et de la réadaptation en milieu carcéral. Bien que nous reconnaissions que ces conditions liées à l’infrastructure demeurent assujetties à des contraintes budgétaires serrées et à un manque d’investissement dans l’entretien des bâtiments, la santé et le bien-être liés aux environnements de travail et de vie devraient faire l’objet d’attention, de discussions et d’actions. S’il est difficile d’intégrer des changements importants tels que la rénovation des bâtiments pénitentiaires, il est possible de réaliser immédiatement de petites avancées[6].

Au-delà des préoccupations de bien-être exprimées par les participants qui évoluent dans l’espace carcéral, l’accès à la lumière naturelle en prison doit être analysé comme une composante inhérente à la philosophie qui domine le système de justice pénale canadien. L’architecture et la conception de la prison doivent être comprises comme l’expression matérielle de la fonction de l’espace carcéral, qu’elle soit punitive, réhabilitatrice ou une combinaison des deux. D’une certaine manière, la possibilité de réguler l’accès à la lumière naturelle dans un établissement pénitentiaire pourrait faire partie d’une stratégie visant à transformer l’espace carcéral et à reproduire les conditions requises pour exercer un contrôle et une surveillance sur la population involontairement enfermée. Outre les préoccupations relatives aux incidences matérielles sur la santé et le bien-être des employés, l’éclairage peut également être utilisé pour la réhabilitation, car un meilleur contrôle de l’accès à toute la lumière peut assurer le mieux-être des prisonniers. S’attaquer au problème de la santé et du bien-être des employés qui travaillent en prison semble donc être étroitement lié à la fonctionnalité des espaces carcéraux et à la mission du système de justice pénale.