Hors-dossierNote de lecture

Faut-il jeter l’objectivité journalistique avec l’eau du bain ? Note critique de Philippe de Grosbois, La collision des récits. Le journalisme face à la désinformation, Montréal, Écosociété, 2022, 196 p.

  • Emmanuel Bernier

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  • Emmanuel Bernier
    Université Laval

Note d’Érudit

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Couverture de Québec-Chili, 1973-2023 : mémoire d’un coup d’État et d’une expérience de solidarité, Volume 31, numéro 1-2, été–automne 2023, p. 7-331, Bulletin d'histoire politique

Écosociété publie bon an mal an une poignée d’essais d’auteurs situés à gauche du spectre politique. L’enseignant en sociologie au collégial et militant syndical Philippe de Grosbois y a fait paraître deux ouvrages, Les batailles d’Internet (2018) et, au printemps 2022, La collision des récits. Le journalisme face à la désinformation. Après avoir tenté une analyse politique du Web dans le premier, l’auteur se lance avec le second dans une critique de l’écosystème médiatique actuel. Le titre de l’ouvrage donne déjà une idée de sa teneur : une multiplicité de narrations du présent se livreraient une rude concurrence dans l’espace public, certaines valant plus que d’autres. Le sous-titre pointe quant à lui l’un des monstres dans la pièce : les fake news, c’est-à-dire la transmission délibérée d’informations fausses dans le but de tromper. L’ouvrage en six chapitres, d’une lecture aisée, soutient la thèse suivante : la montée actuelle de la désinformation est causée par une désaffection des citoyens par rapport aux médias traditionnels, dont le plaidoyer pour l’objectivité relèverait d’un leurre destiné à servir les forces du statu quo. Pour appuyer sa démonstration, l’auteur part des débuts de la presse de masse à la fin du XIXe siècle, retrace l’émergence subséquente de l’idéal d’objectivité journalistique pour aboutir aux temps présents, marqués par l’arrivée du néolibéralisme, d’Internet, puis des réseaux sociaux, bientôt vecteurs de désinformation. Il examine ensuite le rôle – d’après lui trop en retrait – des médias face à la montée de discours radicaux. Pour regagner leur crédibilité décroissante, les journalistes devraient, toujours selon l’auteur, assumer pleinement leur subjectivité et emprunter une démarche engagée. C’est sur ce dernier aspect que portera notre note critique, laissant à d’autres l’aspect – important, il va sans dire – « désinformation ». La critique des médias est aussi vieille que leur existence. « Ah ! Cette presse, que de mal on en dit ! », lançait un Émile Zola en 1888. Le XXe siècle n’allait pas être en reste, notamment aux États-Unis dans la foulée de la guerre du Viêt Nam et du scandale du Watergate, qui suscitent une virulente critique des méthodes journalistiques consacrées. Pour l’auteur de La collision des récits, le problème resterait intact en 2022 : en pratiquant ce qu’il qualifie de « positivisme », qui consisterait à « appréhender les phénomènes sociaux comme des objets détachés du sujet qui les observe » (p. 16-17), les journalistes se rendraient coupables de complicité avec les puissants, qui manipuleraient le vrai selon leurs intérêts. Le positivisme évoque d’abord un courant philosophique du XIXe siècle théorisé par Auguste Comte, courant qui a plus tard influencé le sociologue Émile Durkheim. Pour les positivistes, comme le souligne l’enseignant montréalais, « l’étude de la société doit recourir aux mêmes méthodes empiriques que les sciences de la nature » (p. 16). C’est ce qui poussera Durkheim à affirmer, dans ses Règles de la méthode sociologique, qu’il faut « considérer les faits sociaux comme des choses » (p. 16). Jusque-là, rien à redire. Mais, selon l’interprétation de Grosbois, « il s’agit [pour le positivisme] d’appréhender les phénomènes sociaux comme des objets détachés du sujet qui les observe » (p. 16-17 ; en italiques dans le texte). Or, Auguste Comte lui-même spécifie que « tout phénomène suppose un spectateur ; puisqu’il consiste toujours en une relation déterminée entre un objet et un sujet ». Spécialiste de ce courant philosophique, Angèle Kremer-Marietti ajoute que « le positivisme trace la voie entre les deux écueils que sont l’objectivisme absolu, qui exagère l’indépendance de l’ordre naturel, et le subjectivisme absolu, qui rejette toute vie collective …

Parties annexes