Hors-dossierIdées

De quoi la cancel culture est-elle le nom ?

  • Arnaud Bernadet

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  • Arnaud Bernadet
    Université McGill

Note d’Érudit

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Couverture de Québec-Chili, 1973-2023 : mémoire d’un coup d’État et d’une expérience de solidarité, Volume 31, numéro 1-2, été–automne 2023, p. 7-331, Bulletin d'histoire politique

Il n’est peut-être pas de notion plus confuse actuellement que celle de cancel culture, qu’on l’envisage sous l’angle de la sociologie, de l’histoire ou des études culturelles. À peine s’agit-il d’un concept, au demeurant difficile à manier tant son emploi est risqué. En l’état, la cancel culture représente surtout une catégorie polémique du discours social, un marqueur ouvertement politisé, caractéristique des rhétoriques conservatrices, en particulier depuis que le président américain Donald Trump s’en est fait une cible privilégiée lors de son allocution du 4 juillet 2020 au mont Rushmore en la qualifiant de « fascisme d’extrême-gauche ». Bien qu’elle continue d’être revendiquée, positivement ou négativement, à gauche comme à droite, la cancel culture est le contraire d’une expression neutre. Elle ne possède pas la valeur descriptive et analytique attendue d’un terme savant, et l’on est en droit de s’interroger pour cette raison sur son véritable potentiel heuristique. Il est indéniable toutefois que cet emploi correspond à un ensemble de pratiques, pour certaines plutôt anciennes comme la diffamation ou le vandalisme, pour d’autres plus récentes, par exemple les comportements liés aux nouvelles technologies de la communication. Il est non moins contestable que la cancel culture répond à des phénomènes d’abord observés aux États-Unis et inséparables de leur histoire. Il suffit de songer aux campagnes de déboulonnage de statues commencées autour de 2015, qui se sont intensifiées après la marche de Charlottesville (le 11-12 août 2017) et le meurtre de George Floyd (le 25 mai 2020). Bien qu’elle obéisse à un calendrier militant chargé, avec ses acteurs propres (Ligue du Sud, Alt-Right, Black Lives Matter, antifas), la cancel culture a rapidement gagné d’autres pays, du Québec à l’Europe, en s’adaptant alors à d’autres particularités sociales et nationales. Un autre écueil attaché à l’idée de cancel culture est que le terme devrait subsumer des usages divers par nature : les sit-in et boycotts, le vandalisme, les dénonciations sur les réseaux sociaux à l’encontre de personnalités publiques, le limogeage d’employés, les interdits symboliques associés au « politiquement correct », la censure des oeuvres littéraires ou artistiques et, pour finir, l’activisme woke ou le courant de justice sociale apparu dans la dernière décennie. Ce sont beaucoup de faits pour un seul concept, et autant de matériaux hétérogènes entre lesquels l’observateur est contraint d’opérer des choix, avec les conséquences que cette opération entraîne au plan de la démonstration ou de ses conclusions. Il est difficile par conséquent d’y percevoir de l’extérieur une cohérence en dehors de la logique de l’« annulation » elle-même, de saisir ce qui est vraiment commun à ces pratiques. Il est certain qu’il ne se dégage pas la même compréhension de la cancel culture selon que l’on se place au point de vue du vandalisme et de l’histoire politique, à laquelle il est associé, ou des stratégies de diffamation dans l’espace numérique et des enjeux juridiques qui les accompagnent. S’il est vrai que la cancel culture renvoie à une catégorie plus normative que descriptive, et laisse pour cette raison entrevoir des limites, elle apparaît malgré tout nécessaire et même incontournable dans la mesure où elle peut être défendue comme nécessaire par certains, ou au contraire rejetée par d’autres, ce que les différents acteurs s’affrontant autour de ce que Michel de Certeau appellerait le champ des « procédures » ou des « tactiques » – boycott, vandalisme, dénonciation. Dans ce contexte, la cancel culture est un révélateur des représentations ayant cours dans une société, comme des conflits auxquels donnent lieu ces représentations. Ainsi, lorsque la statue d’Edward Colson est retirée le 7 juin 2020 de son socle à Bristol et jetée à …

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