Comptes rendus

Le Corguillé, Fabrice. Ancrages amérindiens. Autobiographies des Indiens d’Amérique du Nord, XVIIIe-XIXe siècle. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, 276 p.

  • Luc Vaillancourt

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  • Luc Vaillancourt
    Université du Québec à Chicoutimi

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Couverture de Les émotions dans l’histoire, Volume 76, numéro 3-4, hiver–printemps 2023, p. 1-278, Revue d’histoire de l’Amérique française

Si, à l’évidence, la parole « amérindienne » a eu pour principal relais la tradition orale, il ne faudrait pas perdre de vue qu’elle a su s’adapter très tôt au contexte de la colonisation et emprunter à l’occasion les formes et les usages de la culture européenne. Fabrice Le Corguillé entreprend de le montrer en s’intéressant aux premiers écrits produits par les Autochtones américains qui sont, pour l’essentiel, des récits autobiographiques. Dans une démarche qui relève à la fois de l’ethnologie, de l’anthropologie et de l’histoire, voire de l’archéologie, l’auteur cherche à exhumer une « indianité » hypothétique, telle qu’elle se donne à lire dans les premiers récits de vie composés aux 18e et 19e siècles, écartant d’emblée du corpus les ouvrages rédigés en collaboration pour privilégier l’expression la plus directe possible, même si elle adopte la langue du colonisateur. Cette apparente concession à la culture de l’autre peut sembler participer d’une irrésistible assimilation, cependant l’auteur suggère qu’elle n’est pas vécue comme un processus d’acculturation, mais s’inscrit au contraire dans une volonté d’adaptation qui permet à l’Autochtone de mieux s’approprier son histoire. Il passe en revue pas moins d’une trentaine de récits autobiographiques pour en retenir au final sept de cinq auteurs différents, cherchant tour à tour chez le Mohegan Samson Occom, le Pequot William Apess, la Paiute Sarah Winnemucca Hopkins, l’Ottawa Andrew J. Blackbird et l’Omaha Francis La Flesche, considérés comme des classiques et jugés particulièrement représentatifs de l’identité amérindienne en contexte colonial, les indices géoculturels, historiques, stylistiques et, surtout, linguistiques, qui attestent une créolisation des identités et la création d’une zone de confort biculturelle, généralement vécue de manière positive. L’enquête est divisée en trois parties, articulées autour d’enjeux de représentation, de narration et de transformation de l’image de soi. La première partie examine d’abord comment la représentation dévalorisante de l’Amérindien est contrée par une stratégie délibérée d’affirmation de soi. En choisissant l’anglais pour « se présenter » (et c’est justement le titre de la première partie), les auteurs visent à faire entendre leur voix auprès du peuple colonisateur sur son propre terrain discursif et en empruntant ses codes afin de contrer les perceptions négatives entretenues par la culture dominante. Ici, l’hybridation culturelle n’est pas conçue comme une perte, mais plutôt comme un outil de résistance et d’émancipation qui permet de libérer la parole, d’attaquer aussi bien que de se défendre — métaphores guerrières récurrentes dans l’ensemble du corpus. La deuxième partie, intitulée « se raconter », s’intéresse aux modèles narratifs et discursifs qui ont pu informer la pratique de ces autobiographes. Si ceux-ci ont évidemment pris modèle sur les productions anglo-américaines, ils n’ont pas pour autant renoncé à leurs propres référents culturels, de sorte qu’il faut envisager ces productions comme « composées et composites », reflétant la complexité de la scène énonciative. Ainsi, l’influence des récits de conversion, de la Bible et du journal intime est sensible partout, mais sans exclure l’existence d’une conscience esthétique préalable puisque ces peuples qu’on disait sans écriture maîtrisaient néanmoins, et bien avant l’arrivée des premiers colons, l’art du discours, du conte, du chant et des prières, en plus de pouvoir compter sur une mythologie très riche (où le personnage subversif du Trickster, dont il sera abondamment question dans la partie suivante, occupait d’ailleurs une place centrale). Mais c’est dans leur récupération de la rhétorique révolutionnaire et républicaine des États-Unis que les autobiographes trouvent des lieux communs pour revendiquer leur droit à la souveraineté, tout en affirmant leur droit à la différence par le rejet du discours fataliste les invitant à s’assimiler ou disparaître, alors qu’il existe peut-être une autre …