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Introduction

Un nombre croissant d’études documente l’état de santé psychologique des doctorants, en mettant particulièrement l’accent sur la détresse qu’ils peuvent éprouver tout au long de leur parcours (Barry et al., 2018 ; Levecque et al., 2017 ; Sverdlik & Hall, 2019). Selon la méta-analyse de Hazell et al. (2020), ces études soulignent une situation préoccupante, principalement en raison de l’anxiété et de la dépression élevées observées chez les doctorants. En revanche, il existe encore peu de connaissances sur le bien-être ressenti pendant le doctorat, ce qui fait en sorte que le portait actuel de la situation demeure incomplet et imprécis (Scott & Takarangi, 2019). Cela peut s’expliquer en partie par le manque d’outils spécifiquement adaptés au contexte du travail doctoral et permettant de mesurer à la fois la détresse et le bien-être psychologiques (Dodd et al., 2021), qui sont deux aspects indissociables de la santé psychologique (Massé et al., 1998). Un tel outil couvrant l’intégralité du concept de santé psychologique et étant adapté au contexte du doctorat apparaît essentiel pour les futures recherches empiriques qui tenteront d’examiner les prédicteurs et les conséquences de la santé psychologique des doctorants ou d’évaluer l’effet d’interventions sur ce construit. Par conséquent, cette étude visait à adapter une échelle existante de santé psychologique au travail (Gilbert et al., 2011) pour en produire une version courte et contextualisée au doctorat et à en examiner les qualités psychométriques.

Le concept et la mesure de la santé psychologique au doctorat

Cette section présente le concept de santé psychologique en définissant ses deux composantes, soit la détresse et le bien-être psychologiques, ainsi qu’en expliquant les particularités relatives à la contextualisation de la santé psychologique à prendre en compte lors de sa mesure. Par la suite, nous enchaînerons avec la présentation de l’échelle de santé psychologique au travail qui a inspiré la présente étude.

Au cours de la première partie du siècle dernier, la santé psychologique a principalement été étudiée en mettant l’accent sur la psychopathologie. Puis, à partir des années 1960, cette discipline a commencé à adopter une perspective différente sur la santé mentale, en la définissant comme un état mental existant sur un continuum complexe, plutôt que comme une simple absence de troubles mentaux (Organisation mondiale de la santé, 2022). En conséquence, de nombreux chercheurs ont avancé l’idée que le concept de santé psychologique est composé à la fois d’un aspect négatif, celui de la détresse ou du mal-être, et d’un aspect positif, celui du bien-être (Gilbert et al., 2011 ; Keyes, 2002 ; Massé et al., 1998 ; Veit et al., 1983). Ainsi, dans l’évaluation psychométrique de la santé psychologique, il est crucial de mesurer à la fois la détresse et le bien-être psychologiques, car c’est la prise en compte de ces deux aspects qui permet de mesurer la santé psychologique dans son ensemble (Massé et al., 1998).

Cependant, ce constat théorique et métrique n’est pas pleinement respecté dans les études portant sur la santé psychologique des doctorants, qui tendent à examiner exclusivement l’aspect négatif de la santé psychologique au doctorat (Dodd et al., 2021 ; Scott & Takarangi, 2019). En conséquence, seul un aperçu partiel de la situation actuelle est disponible, ce qui rend difficile la formulation de conclusions précises sur l’état de santé psychologique des doctorants et sur l’orientation des interventions pour la soutenir (Wiens et al., 2019).

La détresse psychologique

La plus récente version du manuel Diagnostique et Statistique des troubles Mentaux (DSM-5) décrit la détresse psychologique comme un état dans lequel une personne ressent divers symptômes et expériences internes qui sont communément considérés comme troublants (American Psychiatric Association, 2015). Dans les écrits scientifiques, la détresse psychologique est plus spécifiquement définie comme un état psychologique perturbé caractérisé par divers signes d’anxiété, de dépression et de stress (Lovibond & Lovibond, 1995 ; Préville et al., 1995 ; Seelert et al., 1999 ; Veit et al., 1983).

Conformément à cette définition, les études qualitatives portant sur la détresse psychologique des doctorants font état de la présence d’anxiété, de dépression et de préoccupations constantes, pouvant parfois s’accompagner d’une fatigue mentale et physique (Cotterall, 2013 ; Cristia, 2022 ; Enzor, 2017). Plus précisément, l’anxiété vécue au cours du doctorat se caractérise par des sentiments d’inquiétude et de crainte d’échec professionnel. Quant à la dépression doctorale, elle se manifeste par un sentiment persistant de déprime, de désespoir et de désintérêt à l’égard des tâches doctorales (Hazell et al., 2020). Cette conception se reflète également dans les outils utilisés pour sonder la détresse psychologique des doctorants. L’Échelle de dépression, d’anxiété et de stress (Depression, Anxiety and Stress Scale – 21/DASS-21) de Lovibond et Lovibond (1995) et l’Échelle de dépression du centre d’études épidémiologiques (Centre for Epidemiological Studies Depression Scale/CES-D-10) de Andresen et al. (1994), utilisées dans les études empiriques de Barry et al. (2018) et de Sverdlik et Hall (2019), en sont des exemples.

Le bien-être psychologique

Le concept de bien-être psychologique englobe les expériences psychologiques positives et le fonctionnement optimal d’une personne (Ryan & Deci, 2001). Il englobe à la fois le sentiment de bonheur (bien-être hédonique) et l’adoption d’un fonctionnement optimal (bien-être eudémonique). En ce qui concerne le bonheur, Ed Diener (1984), pionnier de la mesure subjective du bien-être psychologique (Deci & Ryan, 2008), le définit comme la satisfaction globale envers sa vie, la présence d’une humeur positive et l’absence d’une humeur négative. Quant au fonctionnement optimal, il renvoie à la résilience face aux problèmes de la vie, permettant un fonctionnement épanoui (Rogers, 1963) et la réalisation de son plein potentiel (Keyes et al., 2002 ; Ryff, 1995).

Dans les études qualitatives portant sur le bien-être des doctorants, le concept est également décrit en accord avec ces définitions. Par exemple, les témoignages des participants de l’étude menée par Vincent et al. (2022) révèlent que le bien-être psychologique pendant la rédaction de la thèse se manifeste par des émotions positives et une facilité de concentration, rappelant la notion de fonctionnement optimal. Dans d’autres études, le bien-être psychologique pendant le doctorat est décrit comme une homéostasie et une paix intérieure entre les aspects émotionnels et intellectuels de leur identité de doctorant (Haynes et al., 2012 ; Hazell et al., 2020). Il peut englober à la fois le sentiment d’être en santé physique et émotionnelle, ainsi que le sentiment de contrôle et d’équilibre de soi selon les témoignages des participants de l’étude menée par Haynes et al. (2012). En outre, dans cette même étude, il est intéressant de noter que plusieurs participantes ont rapporté une absence de bien-être en raison de la prévalence de la détresse psychologique attribuable à la pression liée aux tâches doctorales, ce qui est cohérent avec l’idée que le bien-être et la détresse psychologiques sont indissociables.

En ce qui concerne les études quantitatives, les enquêtes mesurant le bien-être des doctorants respectent aussi la conception positive de la santé psychologique. Par exemple, Marais et al. (2018) ont utilisé l’Échelle de bien-être mental de Warwick-Edinburgh (Warwick-Edinburgh Mental Well-being Scale/WEMWBS) (Tennant et al., 2007) couvrant les aspects hédoniques et eudémoniques du bien-être psychologique, notamment l’affect positif (gaieté) et le fonctionnement positif (énergie, lucidité, sentiment de compétence, etc.).

La contextualisation de la santé psychologique

Les recherches sur la santé psychologique ont aussi mené au constat que les sphères de vie et leurs contextes peuvent engendrer des états de santé psychologique distincts chez les personnes (Dagenais-Desmarais & Savoie, 2012 ; Gilbert et al., 2011). Par exemple, une personne peut éprouver du bonheur et de l’épanouissement au travail tout en ressentant de l’insatisfaction et de la déprime dans sa vie familiale, ou vice versa (Talip et al., 2021). Les contextes, comme celui du travail, des études et de la famille, peuvent s’influencer mutuellement (spillover theory, Staines, 1980), mais l’état de santé psychologique demeure distinct d’une sphère de vie à l’autre. Cela semble particulièrement vrai pour le contexte professionnel du doctorat, qui présente ses propres particularités. En effet, le doctorat, en tant que formation de niveau supérieur, amène les étudiants à se former en tant que chercheurs, notamment par le biais de cours et de séminaires, de la réalisation d’un projet de recherche et de la rédaction d’une thèse. Ces différentes exigences placent les doctorants dans une position professionnelle particulière, où ils ne sont ni totalement étudiants, ni complètement employés (Cristia, 2022), et où la pression de performance, de productivité et de perfection atteint son paroxysme (Hazell et al., 2020). Il a d’ailleurs été maintes fois observé que les doctorants sont particulièrement sensibles aux préoccupations liées au doctorat et moins réactifs aux facteurs de stress d’ordre personnel (Enzor, 2017 ; Hargreaves et al., 2017 ; Juniper et al., 2012). Par conséquent, la santé psychologique des doctorants est influencée par des caractéristiques spécifiques à ce contexte, ce qui souligne l’importance de mesurer la santé psychologique contextualisée au doctorat.

Pourtant, dans les enquêtes portant sur la santé psychologique des doctorants, l’importance de la contextualisation est souvent négligée, ce qui se traduit par l’utilisation d’outils de mesure de santé psychologique générale, c’est-à-dire des instruments dont les consignes initiales invitent les participants à se référer à leur vie en général (p. ex. dans Barry et al., 2018 ; Levecque et al., 2017). Par conséquent, l’utilisation d’outils de mesure de santé psychologique décontextualisés ne permet pas de déterminer si la santé psychologique des doctorants est attribuable à leur contexte professionnel ou si elle est influencée par leur situation personnelle, un problème majeur sur le plan de la compréhension du phénomène.

Pour développer un outil de mesure de la santé psychologique au doctorat en cohérence avec les constats qui émanent des écrits scientifiques recensés, l’échelle de santé psychologique au travail de Gilbert et al. (2011) est apparue comme un point de départ pertinent.

L’échelle ayant inspiré la présente étude

Adhérant à la prémisse qu’il est essentiel d’adopter une approche contextualisée de la santé psychologique lorsqu’il est question de mesurer ce construit, Gilbert et al. (2011) ont développé un outil de mesure d’un modèle de santé psychologique au travail en contexte québécois. Cet outil s’avère intéressant pour la présente étude, car Gilbert et al. ont considéré à la fois le bien-être psychologique et la détresse psychologique (Massé et al., 1998) et ont examiné les qualités psychométriques de leur questionnaire auprès de la population québécoise francophone adulte en contexte de travail. L’instrument complet inclut six sous-échelles dont la structure a été soutenue par deux analyses factorielles exploratoires (AFE) menées séparément. Leur première AFE a été menée avec des items dits de bien-être psychologique au travail et a procuré trois sous-échelles : engagement (5 items, α = 0,84), harmonie sociale (7 items, α = 0,82) et sérénité (10 items, α = 0,86). Leur seconde AFE a été menée avec des items dits de détresse psychologique au travail et a procuré trois autres échelles comportant également des indices psychométriques satisfaisants, soit désengagement (7 items, α = 0,82), irritabilité/agressivité (7 items, α = 0,85) et anxiété/dépression (9 items, α = 0,91). Finalement, les auteures postulent que leurs six sous-échelles de santé psychologique au travail forment des paires pour représenter respectivement le rapport au travail (engagement vs désengagement), le rapport à autrui (harmonie sociale vs irritabilité/agressivité) et le rapport à soi (sérénité vs anxiété/dépression).

Dans la présente étude, ce sont les sous-échelles du rapport à soi qui sont particulièrement pertinentes, puisqu’elles sont basées sur des indicateurs de bonheur, d’équilibre émotionnel, de bon fonctionnement et de détresse au travail, reflétant ainsi le concept de santé psychologique à adapter au contexte doctoral. Les autres sous-échelles présentent moins d’intérêt dans la conception de l’échelle pour la principale raison qu’elles reflètent des variables considérées comme prédictives de la santé psychologique plutôt que comme composantes inhérentes à ce concept. En effet, selon Diener et al., (1998), les sous-échelles d’engagement et de désengagement représentent des variables prédisant le bien-être psychologique, un constat réitéré par Vekkaila et al. (2014) dans leur étude chez les doctorants. Nous avons donc utilisé ces sous-échelles pour examiner la capacité prédictive de l’échelle à concevoir. Quant aux sous-échelles du rapport à autrui, les items semblent davantage mesurer l’extraversion, un trait de personnalité (Costa & McCrae, 2008) positivement lié à la santé psychologique au doctorat (Dodd et al., 2021), mais qui n’est pas un indicateur de ce construit. Les items des sous-échelles harmonie sociale et irritabilité/agressivité de Gilbert et al. (2011) ne sont donc pas pris en compte dans la conception de l’échelle.

La présente étude

L’objectif de la présente étude était de développer un court instrument de mesure de la santé psychologique contextualisé au doctorat, soit l’échelle de santé psychologique au doctorat (ÉSPD). Approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’institution d’attache des auteures (certificat éthique numéro 2022-3687), une collecte de données visait ensuite à examiner la structure et les qualités psychométriques de l’instrument auprès de doctorants.

L’élaboration du questionnaire

En se fondant sur la procédure de développement d’outils de DeVellis et Thorpe (2021), les étapes recommandées par ces auteurs ont été suivies pour élaborer l’ÉSPD.

La clarification du construit à mesurer, la génération du bassin d’items et la sélection d’un format de mesure

D’abord, il a été question de déterminer clairement l’objet de mesure de l’ÉSPD, soit une mesure spécifique d’indicateurs de la santé psychologique au contexte du doctorat, non pas des prédicteurs ni des conséquences de ce construit. Ainsi, les 19 items du rapport à soi de Gilbert et al. (2011) ont été adaptés au contexte doctoral en changeant le terme « travail » pour « doctorat » ou « parcours doctoral ». Également, six items du rapport au travail (trois items d’engagement et trois items de désengagement) de Gilbert et al. (2011) ont été adaptés au contexte doctoral (Vekkaila et al., 2014), non pas pour faire partie de l’échelle de santé psychologique au doctorat en développement, mais pour examiner ses capacités prédictives. Puis, la même échelle de Likert unipolaire en cinq points de Gilbert et al. (2011) a été utilisée pour mesurer la fréquence des manifestations de la santé psychologique au doctorat, soit 1) jamais, 2) rarement, 3) la moitié du temps, 4) fréquemment, 5) toujours. Ce choix a été effectué au regard des recommandations de diverses recherches antérieures indiquant qu’en général, les échelles de réponse unipolaires ont une meilleure fiabilité que les échelles d’évaluation bipolaires (Alwin et al., 2018). Également, une telle échelle en cinq points évite que le répondant n’ait ni trop (plus de sept), ni pas assez (moins de quatre) d’options pour sélectionner le choix qui correspond à sa perception (Alwin et al., 2018).

La révision du bassin d’items par un comité d’expertes

Ensuite, trois professeures détenant une expertise concernant la mesure, la santé psychologique ou le contexte doctoral ont été invitées à examiner la banque d’items. Chaque experte a relu et commenté les items, un à un, afin d’améliorer leur clarté, de juger de leur pertinence ainsi que d’identifier la variable du contexte doctoral que chaque item semblait refléter. Dès lors, sur les 19 items du rapport à soi de Gilbert et al. (2011), six items ont été supprimés parce qu’ils étaient redondants par rapport à d’autres items ou parce qu’ils semblaient mesurer l’estime de soi plutôt que la santé psychologique au doctorat (Dodd et al., 2021). Parmi les items restants, cinq ont été identifiés comme renvoyant au bien-être psychologique au doctorat et cinq autres comme reflétant la détresse psychologique au doctorat. Puis, les trois derniers items ont été reconnus comme étant externes au doctorat, mesurant plutôt l’équilibre de vie entre le travail et la vie personnelle (Giudicelli et al., 2022). Puisque ce construit a été conceptualisé comme prédicteur de la santé psychologique au doctorat dans de précédentes études (Haider & Dasti, 2022 ; Hazell et al., 2020), le comité a reconnu la pertinence d’adapter ces items au contexte doctoral, non pas pour faire partie de l’ÉSPD, mais pour examiner la capacité prédictive de l’outil. Il en a été de même pour les items d’engagement et de désengagement de Gilbert et al. (2011). Le tableau 1 fait état des items, des facteurs initiaux de Gilbert et al. (2011), des décisions du comité d’expertes pour conserver ou supprimer les items selon la littérature sur le contexte doctoral, ainsi que des codes d’items dans le présent article.

Tableau 1

Items adaptés et conservés par le comité d’expertes s’appuyant sur la littérature disponible

Items adaptés et conservés par le comité d’expertes s’appuyant sur la littérature disponible

Tableau 1 (suite)

Items adaptés et conservés par le comité d’expertes s’appuyant sur la littérature disponible
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Finalement, afin d’évaluer comment les répondants potentiels (les doctorants) interpréteront et comprendront les items, l’auteure principale de l’article a mené un groupe de discussion d’une heure en ligne (sur Zoom) avec cinq doctorants issus de différentes disciplines et universités au Québec. En mode partage d’écran, les participants ont discuté de chaque item et du construit qu’il reflétait, afin d’en confirmer la pertinence. Comme l’ensemble des doctorants approuvaient le contenu, aucune modification subséquente n’a été apportée à cette étape.

L’administration du questionnaire

Le questionnaire a été transposé en ligne sur la plateforme LimeSurvey, comprenant le formulaire de consentement, des questions sociodémographiques (genre, âge) et académiques (avancement, discipline, université d’attache) et les 19 items retenus référant au bien-être, à la détresse, à l’équilibre de vie, à l’engagement et au désengagement au doctorat. Il fallait moins de 10 minutes pour remplir le questionnaire. Afin d’éviter les données manquantes, les participants devaient répondre à tous les items pour pouvoir transmettre le questionnaire.

Les modalités de passation du questionnaire

L’auteure principale a diffusé l’affiche de recrutement ainsi que l’hyperlien vers le questionnaire par courriel et via les réseaux sociaux aux programmes doctoraux des universités du Québec et de l’Ontario et à leurs associations étudiantes de cycles supérieurs. Afin d’obtenir un nombre de participants 10 fois plus élevé que le nombre d’items et d’éviter des problèmes dans l’analyse des données (Hair et al., 2019), le recrutement s’est déroulé pendant six mois, entre juin et novembre 2021.

Pour bien guider les participants à répondre en fonction de leur ressenti dans le cadre du doctorat, la consigne de départ a été rédigée comme suit : « Depuis les trois dernières semaines, indiquez à quelle fréquence vous expérimentez ces signes de santé psychologique dans le cadre de vos études doctorales ».

L’échantillonnage

Au total, 757 doctorants ont rempli le questionnaire en ligne de cette étude. Les données ont ensuite été importées dans le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS), version 28 (IBM®, 2021-2022). Puis, la base de données a été aléatoirement scindée en deux, afin d’obtenir deux échantillons indépendants pour mener à bien les différentes analyses visant à examiner les qualités psychométriques de l’ÉSPD. Le tableau 2 présente les caractéristiques des deux échantillons.

Tableau 2

Caractéristiques sociodémographiques des deux échantillons

Caractéristiques sociodémographiques des deux échantillons
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Dans les deux échantillons, une proportion plus grande des participants était des personnes s’identifiant comme femme et étudiant en SACHES. L’âge moyen des participants était comparable dans les deux échantillons, avec des valeurs de 31,48 ans (ÉT = 7,35) dans l’échantillon 1 et de 31,39 ans (ÉT = 6,83) dans l’échantillon 2.

Résultats

La performance des items

Des analyses descriptives ont d’abord été réalisées pour évaluer la performance des items, en examinant les moyennes, les écarts-types, les asymétries, les aplatissements et les corrélations inter-items. Les moyennes situées près du centre de l’échelle de Likert étaient recherchées, suggérant une bonne discrimination (DeVellis & Thorpe, 2021). Pour l’asymétrie et l’aplatissement de chaque item, les limites recherchées étaient des valeurs situées entre -1 et 1 (Hair et al., 2019). Quant aux coefficients de corrélations (r), une attention était portée aux corrélations très faibles (< 0,10) ou très élevées (> 0,90), étant considérées comme problématiques dans une matrice de corrélation inter-items. Des corrélations faibles (< 0,35), modérées (entre 0,36 à 0,67) ou élevées (entre 0,68 et 0,89) étaient plutôt recherchées selon le lien théorique entre les items (Hair et al., 2019). Le tableau 3 ci-dessous fait état de la performance des items.

Tableau 3

Moyennes, écarts-types, asymétrie et aplatissement des items

Moyennes, écarts-types, asymétrie et aplatissement des items
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Le tableau 3 montre que les moyennes se situent entre 2,10 et 4,19 et que l’asymétrie et l’aplatissement des items s’insèrent dans les limites suggérées par Hair et al. (2019).

Quant à la matrice de corrélation inter-items de l’échantillon 1 présentée en Annexe A, elle a permis de dégager deux constats. D’une part, les corrélations entre les items de bien-être et de détresse psychologique au doctorat corrélaient modérément ou fortement entre eux (entre 0,40 et 0,77), passant d’une corrélation positive entre les items d’un même pôle (bien-être ou détresse) à une corrélation négative entre les items des deux pôles opposés (bien-être vs détresse). Ces résultats suggèrent qu’un même construit serait mesuré ici, plutôt que deux construits séparés. La même dynamique s’observe entre les items d’engagement et de désengagement au doctorat (entre 0,36 et 0,80). D’autre part, les items d’équilibre de vie, eux, corrélaient moins fortement avec les autres items (entre 0,20 et 0,48), suggérant que la santé psychologique au doctorat et l’équilibre de vie sont des construits distincts. Il importe aussi de noter que les mêmes constats se dégageaient de la matrice de corrélations inter-items de l’échantillon 2, qui n’est pas présentée ici par souci de concision.

L’exploration de la structure de l’ÉSPD par analyses factorielles exploratoires

Avant de réaliser l’AFE, les conditions d’application de cette stratégie ont été vérifiées. Pour ce faire, deux indicateurs ont été examinés : le test de sphéricité de Bartlett qui doit être statistiquement significatif et l’indice de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) qui doit dépasser 0,60 (Achim, 2020). L’AFE par factorisation en axes principaux a ensuite été réalisée pour examiner le nombre de facteurs qui se dégageaient (Achim, 2020) lorsque les 19 items étaient tous impliqués, soit ceux de l’ÉSPD, de l’équilibre de vie, ainsi que de l’engagement et du désengagement au doctorat. Suivant les recommandations de Hair et al. (2019), la méthode de rotation Oblimin a été choisie en raison de la corrélation entre les facteurs impliqués. Dans chaque échelle, seuls les items procurant un coefficient de saturation supérieur au seuil de 0,40 ont été conservés. La suppression d’items est suggérée lorsqu’elle permet d’obtenir une structure cohérente et interprétable d’un point de vue conceptuel (Hair et al., 2019).

Les résultats satisfaisants du test de sphéricité de Bartlett (𝜒2(171) = 4311,37 ; p < 0,001) et de KMO (0,941) ont permis de procéder à l’AFE par factorisation en axes principaux sur l’échantillon 1. La matrice des patrons de projections factorielles a suggéré trois facteurs comme le présente le tableau 4.

Tableau 4

Résultats initiaux de l’analyse factorielle exploratoire par factorisation en axes principaux

Résultats initiaux de l’analyse factorielle exploratoire par factorisation en axes principaux
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Les résultats du tableau 4 indiquent, dans un premier temps, que les items de bien-être et de détresse psychologiques saturaient ensemble dans un même facteur (santé psychologique), ce qui soutient l’unidimensionnalité de l’échelle de la santé psychologique au doctorat. En effet, lorsqu’un ensemble d’items est regroupé en un même facteur, cela signifie qu’une variable latente explique toutes les corrélations observées (Falissard, 2006). Il en va de même pour les items d’engagement et de désengagement. Dans un second temps, les résultats du tableau 4 montrent que trois items s’avéraient problématiques, soit BE4, DES1 et ENG1. Les deux premiers saturaient à la fois dans le facteur de santé psychologique et dans celui d’engagement/désengagement, alors que le dernier n’atteignait simplement pas le seuil de saturation attendu. Dès lors, suivant les recommandations de Hair et al. (2019), ces trois items ont été supprimés des analyses subséquentes. Il est également intéressant de mentionner que nous avons tenté de forcer l’analyse à cinq facteurs, ce qui n’a pas permis de reproduire la structure attendue. Au vu de l’unidimensionnalité de l’ÉSPD et de l’échelle d’engagement/désengagement, les items saturants négativement (ceux de détresse et ceux de désengagement) lors de la première AFE ont été inversés pour la suite des analyses.

Une AFE finale a ensuite été menée avec les changements apportés. En guise d’indice de fidélité de l’échelle, la cohérence interne des échelles a été évaluée à l’aide de l’alpha de Cronbach (α) et de l’indice de fidélité Oméga (ω) de McDonald (Hayes & Coutts, 2020) recommandant un seuil de 0,70 pour indiquer une bonne fidélité (Hair et al., 2019). Les coefficients de saturation de l’AFE finale ainsi que les indices de cohérence interne (α et ω) sont présentés dans le tableau 5.

Tableau 5

Résultats finaux de l’analyse factorielle exploratoire par factorisation en axes principaux

Résultats finaux de l’analyse factorielle exploratoire par factorisation en axes principaux

Note : Le « r » placé à la fin de certains codes indique que ces items ont été recodés pour inverser leur échelle de Likert.

Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Le tableau 5 démontre que les coefficients de saturation étaient tous satisfaisants (> 0,40) et qu’il n’y avait plus aucune cosaturation, révélant une bonne adéquation entre les items et leur facteur (Hair et al, 2019). De plus, les trois facteurs finaux expliquaient respectivement 44,52 %, 9,15 % et 4,30 % de la variance partagée des données, pour un total de 57,96 %. Ces résultats confirment les hypothèses du comité d’expertes présentées dans le tableau 1 quant à la distinction entre les composantes de santé psychologique et celles d’équilibre de vie, ainsi que d’engagement/désengagement. Finalement, le tableau 5 permet aussi de constater que l’ÉSPD possédait une cohérence interne élevée (α et ω = 0,92), avec une valeur largement supérieure au seuil suggéré de 0,70 pour indiquer une bonne fidélité (Hair et al., 2019). L’échelle d’engagement/désengagement faisait aussi preuve d’une bonne cohérence interne (α et ω = 0,89), alors que celle d’équilibre procurait des indices légèrement sous le seuil fixé (α et ω = 0,68). En outre, l’examen des résultats a révélé que, dans aucun des cas, la suppression d’un item augmentait la cohérence interne des échelles.

La confirmation de la structure de l’ÉSPD par analyses factorielles confirmatoires

À l’aide du logiciel RStudio (paquet lavaan, estimateur par défaut ML, méthode d’optimisation NLMINB, RStudio Team), une analyse factorielle confirmatoire (AFC) a été réalisée à l’aide de l’échantillon 2, afin d’examiner différents modèles et de confirmer la structure finale de l’ÉSPD. Pour ce faire, l’ajustement du modèle a été évalué à l’aide de l’indice d’ajustement comparatif (comparative fit index - CFI), de l’indice Tucker-Lewis (TLI), de la valeur moyenne quadratique pondérée (standardized root mean square residual - SRMR) et de l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (root mean square error of approximation - RMSEA). Selon Hair et al. (2019, p. 642), dans le cas d’un échantillon supérieur à 250 participants et d’un modèle comprenant moins de 12 variables, le CFI et le TLI doivent être supérieurs à 0,96, le SRMR doit être supérieur à 0,08 et le RMSEA doit être inférieur à 0,07 pour suggérer un bon ajustement du modèle aux données. À noter que le khi carré (χ²), nécessitant une valeur p non significative, est un indicateur qui est sensible à la taille de l’échantillon et qui tend à être significatif dans de grands échantillons comme le nôtre. Ainsi, même si cet indicateur est rapporté, il n’a pas été retenu pour juger des qualités psychométriques du modèle.

Une première AFC a été réalisée en reproduisant le modèle unidimensionnel de l’ÉSPD issu de l’AFE. Les résultats (CFI = 0,92 ; TLI = 0,90 ; SRMR = 0,04 ; RMSEA = 0,12[0,11-0,14] ; χ²(35) = 224,19 ; p < 0,000) suggèrent que les indices d’ajustements CFI, TLI et RMSEA n’étaient pas satisfaisants, les deux premiers étant inférieurs au seuil minimal suggéré de 0,96 et le dernier dépassant le seuil maximal suggéré de 0,07. Les données indiquaient également que le modèle comprenait une « covariance d’erreur intra-construit » de 0,52 entre les termes d’erreur des items DET2 et DET4, témoignant d’un manque de validité de la structure selon Hair et al. (2019). Une telle covariance d’erreur suggère qu’il existe probablement un autre facteur non mesuré à l’heure actuelle (ici, possiblement la dépression, l’un des indicateurs de la détresse) qui explique la relation. Dans de telles situations, Hair et al. (2019) suggèrent de ne pas ajouter de covariance entre les termes d’erreur, puisque cela conduirait à un meilleur ajustement du modèle qui serait artificiel. Nous avons donc tenté de tester le modèle sans l’item DET2 (tristesse) qui rejoignait potentiellement trop celui DET4 (déprime) pour mesurer la dépression comme indicateur de détresse psychologique. Les résultats (CFI = 0,97 ; TLI = 0,96 ; SRMR = 0,03 ; RMSEA = 0,07[0,06-0,10] ; χ²(20) = 65,20 ; p < 0,000) suggèrent que contrairement au premier modèle, ce nouveau modèle, illustré dans la figure 1, présente des indices d’ajustement satisfaisants.

Figure 1

Modèle unidimensionnel de la santé psychologique au doctorat incluant les coefficients de saturation et les variances d’erreurs standardisés

Modèle unidimensionnel de la santé psychologique au doctorat incluant les coefficients de saturation et les variances d’erreurs standardisés

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La figure 1 expose les coefficients de saturation dépassant tous largement le seuil suggéré de 0,60, ainsi que les variances d’erreurs ne présentant aucun problème (Hair et al., 2019). Le modèle de l’ÉSPD unidimensionnelle à huit items (ω = 0,91) a donc été retenu pour la suite des analyses. Les items de l’échelle finale sont disponibles en Annexe B.

La capacité convergente de l’ÉSPD

Pour vérifier la capacité de l’ÉSPD à reproduire les liens documentés dans la littérature quant aux différences entre les scores de santé psychologique des femmes et ceux des hommes, un test-t pour échantillons indépendants a été réalisé. Spécifiquement, les résultats anticipés s’appuient sur la méta-analyse de Hazell et al. (2020) et sur de nombreuses autres études à travers le monde (Boisselier et al., 2022 ; Hargreaves et al., 2017 ; Juniper et al., 2012 ; Levecque et al., 2017) qui ont démontré que les femmes rapportent plus de problèmes de santé psychologique que les hommes au doctorat. Le test-t a donc permis de savoir si la différence observée entre les moyennes de deux groupes était statistiquement significative. Le tableau 6 présente les résultats du test-t comparant le score moyen de santé psychologique des femmes et celui des hommes.

Tableau 6

Résultats du test-t comparant le score moyen de santé psychologique des femmes et celui des hommes

Résultats du test-t comparant le score moyen de santé psychologique des femmes et celui des hommes
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Les résultats révèlent que l’ÉSPD reproduit effectivement les liens documentés dans la littérature quant aux différences entre les scores de santé psychologique des femmes et ceux des hommes, celle des femmes étant statistiquement inférieure, une différence procurant une grande taille d’effet.

La stabilité de la structure de l'ÉSPD

Pour s’assurer que la différence de scores n’était pas attribuable à une compréhension différente des items de l’ÉSPD selon le genre (féminin vs masculin), une analyse d’invariance a été réalisée. Pour ce faire, les modèles d’invariance configurale, métrique, scalaire et stricte ont été testés en évaluant, comme l’ont suggéré Putnick et Bornstein (2016), la comparaison des niveaux consécutifs d’invariance entre les modèles d’invariance métrique, scalaire et stricte. Pour accepter l’hypothèse d’invariance, la ΔCFI ne doit pas diminuer de plus de 0,01, la ΔRMSEA ne doit pas augmenter de plus de 0,02 et la ΔSRMR ne doit pas augmenter de plus de 0,03 pour l’invariance métrique et de 0,015 pour l’invariance scalaire. Les résultats sont rapportés dans le tableau 7.

Tableau 7

Résultats des tests d’invariance de l’ÉSPD selon le genre

Résultats des tests d’invariance de l’ÉSPD selon le genre
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Comme le rapporte le tableau 7, les hypothèses d’invariance sont acceptées pour l’ensemble des modèles, ce qui signifie que la structure unidimensionnelle de l’ÉSPD à huit items ne diffère pas significativement selon le genre.

Une autre analyse d’invariance a été réalisée, cette fois en utilisant « l’avancement au doctorat » comme variable binaire (période de scolarité vs période de rédaction), pour s’assurer que la structure de l’ÉSPD ne changeait pas selon l’avancement au doctorat. Les résultats sont rapportés dans le tableau 8.

Tableau 8

Résultats des tests d’invariance de l’ÉSPD selon l’avancement au doctorat

Résultats des tests d’invariance de l’ÉSPD selon l’avancement au doctorat
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Les résultats révèlent que l’hypothèse d’invariance est acceptée pour l’ensemble des modèles, ce qui signifie que la structure unidimensionnelle de l’ÉSPD à huit items ne diffère pas significativement selon le niveau d’avancement des doctorants.

La capacité prédictive de l’ÉSPD

Finalement, afin d’examiner la capacité prédictive de l’ÉSPD (DeVellis & Thorpe, 2021), une matrice de corrélations a été générée entre les échelles afin de vérifier si l’ÉSPD est liée à l’équilibre de vie et à l’engagement/désengagement au doctorat, tel que Vekkaila et al. (2014) l’ont postulé. Pour indiquer un lien suffisant et une capacité prédictive satisfaisante, un coefficient de Pearson d’une valeur supérieure à 0,20 a été recherché (Hair et al., 2019).

Le tableau 9 fait état des scores moyens et des écarts-types, ainsi que de la matrice de corrélations entre l’ÉSPD, l’échelle d’équilibre de vie (ÉQU) et l’échelle d’engagement/désengagement (ENG).

Tableau 9

Score moyen aux échelles, écarts-types et matrice de corrélations bivariées entre échelles

Score moyen aux échelles, écarts-types et matrice de corrélations bivariées entre échelles

Note : Toutes les corrélations sont significatives à p < 0,001.

Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Ainsi, l’ÉSPD semble positivement et modérément corrélée avec l’équilibre de vie et l’engagement au doctorat. Ce résultat implique que plus la santé psychologique est élevée, plus le sont également l’équilibre de vie et l’engagement au doctorat. En outre, la corrélation entre l’équilibre de vie et l’engagement est également positive, mais plutôt faible. Dans l’ensemble, ces résultats fournissent un indicateur de la capacité prédictive de l’ÉSPD.

Discussion

Respectant la démarche proposée par DeVellis et Thorpe (2021), la présente étude a oeuvré au développement d’un nouvel instrument de mesure de la santé psychologique contextualisé au doctorat, incluant à la fois des items de santé psychologique positive et négative. Les données collectées ont permis d’examiner la performance des items et la structure de l’ÉSPD au moyen d’analyses exploratoires sur l’échantillon 1 et confirmatoires sur l’échantillon 2.

L’ÉSPD : une échelle à un seul facteur

Sur le premier échantillon, les résultats des AFE ont suggéré un même facteur regroupant les items de bien-être et de détresse psychologique au doctorat (l’ÉSPD), un second facteur regroupant les items d’engagement et de désengagement au doctorat, ainsi qu’un troisième facteur représentant, tel qu’hypothétisé, l’équilibre entre la vie personnelle et le doctorat. Comme prévu, les deux derniers facteurs ont subséquemment servi à examiner la capacité prédictive de l’ÉSPD. Quelques items présentant un manque de saturation ou de la cosaturation ont été supprimés, dont un item de bien-être dans l’ÉSPD. À cette étape, l’ÉSPD comprenait neuf items comportant une bonne cohérence interne. Ces résultats suggèrent qu’au doctorat, la santé psychologique se traduit par un continuum allant du bien-être psychologique à la détresse psychologique, démontrant la coexistence des deux aspects. Ainsi, chez un même répondant, les indicateurs de détresse seront inversement proportionnels à ceux de bien-être. Par exemple, un doctorant qui aurait un niveau de détresse psychologique élevé rapportera parallèlement un faible niveau de bien-être psychologique.

Ensuite, sur le second échantillon, l’AFC testant la structure unidimensionnelle de l’ÉSPD à neuf items n’a pas procuré des indices d’ajustement satisfaisants, faute d’une covariance d’erreur intra-construction élevée entre deux items. Ce résultat suggérait qu’il existe un autre facteur expliquant cette relation de covariance. Étant donné que les deux items liés par cette covariance portaient l’un sur la tristesse, l’autre sur la déprime, deux symptômes caractérisant l’affect dépressif (Lovibond & Lovibond, 1995), le facteur sous-jacent pourrait être la dépression. Cette situation a nécessité, à nouveau, la suppression d’un item (Hair et al., 2019), soit celui de tristesse puisque cette émotion est moins citée dans la littérature sur les doctorants en comparaison à la déprime (Hazell et al., 2020). La seconde AFC sur l’ÉSPD à huit items a dès lors révélé des indices d’adéquation satisfaisants. De plus, cette structure s’est révélée invariante selon le genre et le niveau d’avancement au doctorat.

À première vue, ces résultats semblent être en contradiction avec les résultats de Massé et al. (1998) et Gilbert et al. (2011) qui suggèrent d’utiliser séparément une échelle de détresse psychologique et une échelle de bien-être psychologique. Pourtant, nos résultats sont cohérents avec certaines données issues de ces mêmes études. En effet, la conclusion de l’étude de Massé et al. (1998) suggère que la détresse psychologique (Anxiété/dépression) et le bien-être psychologique (Bonheur), covariant ensemble et étant corrélés (r = -0,65), ne sont pas des concepts complètement indépendants. Ainsi, les résultats de la présente étude témoignent que, lorsqu’insérés dans une même échelle, les items de santé psychologique positive et négative spécifiques au doctorat ne forment pas deux composantes, mais bien un continuum s’étalant du pôle positif au pôle négatif de la santé psychologique. Ainsi, l’ÉSPD mesure des indicateurs de bonne santé psychologique (sentiments d’être en pleine forme, bien dans sa peau, équilibré et heureux) et de piètre santé psychologique (anxiété, déprime, difficultés à se concentrer et à faire face aux problèmes du doctorat). Il est également intéressant de constater qu’une vision de la santé psychologique selon un continuum rejoint la proposition de Keyes (2002) qui postule qu’une personne qui souffre (languishing) ne peut être en même temps heureuse (flourishing).

L’ÉSPD : une échelle contextualisée au doctorat

Deux raisons principales donnent à penser que l’ÉSPD trace un portrait plus juste de l’état de santé psychologique des doctorants que l’emploi d’une mesure qui évalue la santé psychologique générale. D’une part, l’outil permet d’obtenir un score de santé psychologique au doctorat, incluant des indicateurs de bien-être psychologique au doctorat. Ce score peut être calculé en faisant la somme ou la moyenne des réponses, après avoir inversé les items évaluant la santé psychologique négative. Le score peut varier de 8, pour la somme, ou 1, pour la moyenne (indiquant le pire état psychologique au doctorat) à 40 ou 5 (indiquant le meilleur état psychologique au doctorat). Chez les participants de la présente étude, le score moyen obtenu (3,23) indique que les participants de l’échantillon sont en bonne santé psychologique au doctorat environ la moitié du temps. Pourtant, le recours à une échelle mesurant exclusivement la détresse psychologique aurait plutôt suggéré, à tort, qu’ils ne manifestent qu’une mauvaise santé psychologique, tel que rapporté dans de précédentes études (Hazell et al., 2020 ; Levecque et al., 2017). Qui plus est, certains chercheurs, comme Wiens et al. (2019), ont émis des doutes sur la validité des conclusions fondées exclusivement sur des mesures de détresse psychologique qui, selon eux, pourraient donner l’impression erronée d’une « crise de santé psychologique au doctorat ». En considérant simultanément le bien-être et la détresse psychologiques, l’ÉSPD vient donc offrir aux chercheurs un outil pour brosser un portrait plus juste de l’état de santé psychologique des doctorants.

D’autre part, contrairement aux mesures qui évaluent la santé psychologique de façon générale chez les doctorants, l’ÉSPD mesure les indicateurs de santé psychologique ressentis dans le contexte doctoral des étudiants sondés, et non dans une autre sphère de vie ou encore, dans toutes les sphères de vie confondues. En effet, la consigne de l’ÉSPD indique aux participants de réfléchir et d’indiquer à quelle fréquence ils expérimentent les signes mentionnés de santé psychologique spécifiquement dans le cadre de leurs études doctorales. Par conséquent, l’instrument développé permet d’évaluer la santé psychologique au doctorat, sphère dans laquelle les doctorants éprouvent une sensibilité et une réactivité accrues associées aux préoccupations qu’ils vivent dans ce contexte (Enzor, 2017). La spécificité de cet instrument apparaît d’autant plus importante considérant le fait que la santé psychologique est réputée pour varier entre les contextes (p. ex., contexte de travail vs contexte de vie privée, Talip et al., 2021).

L’ÉSPD : une échelle prédisant d’autres indicateurs de succès doctoral

L’ÉSPD a démontré une capacité prédictive satisfaisante en lien avec des variables spécifiques au doctorat telles que l’engagement/désengagement et l’équilibre de vie, ce qui réaffirme les conclusions respectives de Vekkaila et al. (2014) et de Haider et Dasti (2022). En ce sens, une expérience psychologique négative au doctorat est liée à un désengagement des doctorants de leur programme et de la carrière universitaire subséquente, ainsi qu’à un déséquilibre dans leurs autres sphères de vie, telle qu’une rupture émotionnelle et physique de leurs proches (Hazell et al., 2020). Ces résultats suggèrent que des interventions pour promouvoir la santé psychologique au doctorat sont non seulement susceptibles de procurer une expérience psychologique positive durant le parcours doctoral mais aussi de contribuer à un équilibre de vie sain entre le travail doctoral et la vie personnelle. Il apparait donc essentiel de mettre en place des formations et des ressources pour sensibiliser les doctorants – dès le début de leur programme – aux conséquences potentielles d’une piètre santé psychologique pendant leur parcours doctoral.

Limites et pistes de recherches futures

Malgré la rigueur de la présente recherche, celle-ci comporte certaines limites qu’il convient de reconnaître. D’abord, ce projet a sollicité un échantillon de convenance, ce qui est susceptible de limiter le potentiel de généralisation des résultats. Par exemple, il est possible que les doctorantes aient manifesté un intérêt plus grand que celui des doctorants envers cette étude. Les recherches futures devraient réaliser leur recrutement avec l’aide des milieux universitaires, permettant de systématiser la collecte de données et d’assurer la diversité des participants.

Une autre limite concerne l’absence de mesures additionnelles qui auraient permis de fournir d’autres preuves de validité et de fidélité de l’instrument. Par exemple, un devis à mesures répétées aurait permis de vérifier la validité test-retest de l’instrument (association entre les scores à l’outil à deux temps d’administration), tout en considérant que l’ÉSPD est conçue comme une mesure d’état et non comme une mesure de trait. Par conséquent, lors de futures recherches visant cet objectif, il conviendrait de prendre en considération le fait qu’une corrélation test-retest très élevée ne serait pas souhaitable, laquelle pourrait suggérer une lacune à détecter les changements d’états émotionnels vécus par les participants au fil du temps. Ainsi, la taille de la corrélation test-retest devrait être interprétée à la lumière des variations légitimes pouvant survenir dans les états émotionnels des participants au cours de la période de retest. Aussi, une autre mesure de la santé psychologique contextualisée au travail aurait permis d’examiner sa validité concourante (association entre le nouvel instrument et un autre instrument validé mesurant un construit similaire). Enfin, les auteures tiennent à préciser que l’échelle de Likert choisie a été considérée comme ayant des intervalles égaux entre les choix de réponse afin de mener les différentes analyses, une pratique adoptée par de nombreux chercheurs en psychologie et en éducation. Cependant, il convient d’avertir le lecteur que d’autres chercheurs soutiennent que l’échelle de type Likert est destinée à produire uniquement des données par intervalle, ce qui limiterait la réalisation de certaines analyses, un débat toujours actif selon DeVellis et Thorpe (2021).

En dépit de ces limites, l’étude a innové en oeuvrant au développement d’un court instrument de mesure de la santé psychologique contextualisée au doctorat qui démontre de bonnes qualités psychométriques. L’accès à ce nouvel instrument a le potentiel de générer des connaissances à jour quant à l’état de santé psychologique des doctorants au Québec ou ailleurs dans la francophonie. L’échelle peut également être utilisée dans les futures études visant à explorer les déterminants qui font du doctorat une expérience épanouissante émotionnellement et professionnellement (Giudicelli et al., 2022), ainsi que les conséquences associées à l’état de santé psychologique des doctorants, telles que la persévérance ou l’abandon du programme (González-Betancor & Dorta-González, 2020). Améliorer la compréhension du contexte psychologique doctoral est crucial pour intervenir efficacement auprès des doctorants, non seulement pour favoriser leur bien-être psychologique, mais aussi pour qu’ils perçoivent leur expérience doctorale comme étant positive, voire optimale (Giudicelli et al., 2022). Dans une perspective d’agir, les recherches futures devraient donc se concentrer sur la mise en oeuvre et sur l’évaluation de stratégies visant à favoriser le bien-être des doctorants. De telles stratégies pourraient inclure des programmes de soutien psychologique spécifiquement adaptés au contexte doctoral, des politiques universitaires favorisant l’équilibre et le bien-être, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la santé psychologique dans la formation doctorale.