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Présentation

Militante écologiste et membre de la communauté pastorale Mbororo du Tchad, Hindou Oumarou Ibrahim a commencé à défendre les droits des peuples autochtones et la protection de l’environnement dès ses 16 ans, en fondant l’Association des femmes peules et peuples autochtones du Tchad (AFPAT). Membre du Comité de coordination des peuples autochtones d’Afrique (IPACC), elle a été coprésidente du Forum international des peuples autochtones sur le changement climatique lors de la Conférence historique des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) à Paris. Hindou Oumarou se consacre à la protection de tous les peuples autochtones, du Congo à l’Arctique, ainsi qu’à la valorisation de leurs connaissances et savoirs dans la lutte contre les changements climatiques et la protection de la biodiversité. Elle fait progresser la protection de l’environnement pour les peuples autochtones en participant aux négociations internationales organisées autour des trois conventions de Rio : celle sur le changement climatique (CCNUCC[59]), celle sur la biodiversité (CDB)[60] et celle sur la désertification (CNULCD)[61]. Hindou Oumarou a été désignée par Time Magazine, l’Organisation des Nations Unies (ONU) et par plusieurs organismes internationaux comme l’une des leaders mondiaux de la lutte contre les changements climatiques. Elle figure parmi les 20 personnalités désignées par l’ONU comme avocats.es mondiaux des objectifs de développement durable. Ses actions lui ont valu plusieurs prix, dont le prix Daniel Mitterrand (2017), le prix Pritzker d’excellence environnementale (2019) et le Prix international Holbrooke (2020). Aujourd’hui, l’organisation qu’elle coordonne (AFPAT) développe de nouvelles activités génératrices de revenus (AGR) pour les femmes peules et les peuples autochtones du Tchad et des outils collaboratifs tels que la cartographie participative en trois dimensions pour gérer durablement les écosystèmes et réduire les conflits liés aux ressources naturelles. Elle soutient le rapprochement entre les savoirs traditionnels des peuples autochtones et la science afin de combattre les changements climatiques et de protéger la biodiversité.

Cette entrevue a été réalisée le 19 janvier 2021 avec la collaboration de Mariam Wallet Aboubakrine (MWA) qui y a assisté et l’a enrichie avec des exemples issus de la communauté touareg dont elle est membre[62].

Fernande Abanda Ngono (FAN) : Vous êtes coordinatrice de L’Association des Femmes peules autochtones du Tchad (AFPAT). Qu’a apporté cette association aux femmes peules / Mbororo au Tchad ?

Hindou Oumarou Ibrahim (HOI) : Tout d’abord, l’AFPAT a été créée il y a vingt ans pour donner suite aux évènements de ma vie personnelle. Vu que ma mère était venue vivre en ville, j’ai eu de la chance, car dans ma communauté cela ne se passe pas ainsi jusqu’à présent. Il y a plusieurs communautés sans accès à l’éducation, à l’eau potable, aux soins de santé ou à de l’eau. Étant à l’école, je me suis sentie marginalisée par les autres enfants qui me traitaient de fille peule et Mbororo, certainement parce que je venais d’une communauté qui avait des manières de vivre différentes des leurs. C’est l’une des expériences qui m’ont inspiré à fonder cette association. Je voulais me battre pour mes droits et ceux des filles qui, elles, n’avaient pas eu la chance d’aller à l’école. J’ai donc décidé de me battre pour moi et pour elles. Par la suite, je me suis rendu compte qu’on ne pouvait lutter pour les droits de la personne, pour les droits de ma communauté, sans aborder les droits de l’environnement dont nous dépendons.

À sa création, l’organisation (AFPAT) avait d’abord pour objectifs de promouvoir et de protéger les droits des peuples autochtones en mettant en avant ceux des femmes. Par la suite, la protection de l’environnement est devenue un de nos objectifs. Nous avons ainsi pu aligner nos actions avec le cadre politique et scientifique des trois conventions de Rio précédemment évoquées (changements climatiques, la désertification et la biodiversité). L’AFPAT a mené plusieurs activités au niveau communautaire, comme la mise en oeuvre des projets, l’organisation des formations et des ateliers. Nous participons aussi aux négociations sur les droits fonciers, à l’éducation, la santé, en plus de promouvoir les devoirs et droits des communautés au niveau local. On a aussi réalisé plusieurs activités génératrices de revenus (AGR). Par exemple, nous avons fourni aux communautés des formations et des outils didactiques qui ont appuyé leurs activités de transformation des produits locaux comme les arachides en pâtes, en farine et en huile. Aujourd’hui les femmes de cette communauté ont considérablement multiplié leurs revenus, cela a permis aux femmes d’envoyer leurs enfants à l’école et, parmi ceux-ci, des petites filles. Mais on a aussi eu une avancée dans les prises de décisions, ce qui ne se fait pas dans plusieurs communautés autochtones, surtout dans le Sahel, car, la plupart du temps, ce sont les hommes qui prennent les décisions. On a aussi organisé des ateliers pour changer certaines habitudes culturelles comme la prise de parole de la femme. Je vous donne un exemple, car c’est très intéressant pour moi : avant les femmes ne s’asseyaient jamais avec les hommes pour discuter et maintenant elles le font. On s’assoit désormais tous et toutes ensemble pour prendre des décisions.

J’avais commencé cette activité en me rapprochant culturellement des hommes qui sont généralement des chefs communautaires assez âgés. Alors, en parlant avec eux, ils ont pris en compte ma parole, ont demandé aux femmes de se rassembler, et, une fois qu’on a eu la permission, les femmes se sont réunies. On a essayé de discuter ensemble des droits de femmes et des obstacles qu’elles surmontent. Le lendemain, je vois tous les hommes dans la rue qui me croisent, ne comprenant pas, et on me dit : « On te connait maintenant tu es venue révolutionner nos femmes ». Il y a eu des discussions entre les hommes et les femmes, ce qui a permis de changer les mentalités.

La prochaine rencontre a consisté à s’asseoir, hommes et femmes ensemble, et à discuter. Mais les femmes et les hommes étaient distants de 100 m. Nous étions au milieu et on devait parler aux hommes, ensuite aux femmes. Pendant l’étape suivante, on a leur a dit que c’était fatiguant de faire la navigation entre un mari et sa femme. C’est comme cela qu’on a progressé avec le temps, vers plus de participation des femmes aux discussions. Nous pouvons voir des femmes qui discutent avec des hommes. Bien évidemment, on ne se mélange pas, mais on discute. Les hommes parlent et les femmes contredisent, et ainsi de suite. Cela a permis de mettre en place un dialogue pour la prise de décision. De cette façon, dans plusieurs communautés, les femmes se sentent libres et responsables de parler.

En 2010, j’ai eu l’occasion d’être consultante du ministère de l’Élevage et de l’Éducation au Tchad. Dans mon rapport, il est ressorti que les communautés ne voulaient pas d’éducation qui changerait leurs modes de vie, qu’elles sont d’accord d’envoyer leurs enfants à l’école, mais celle-ci doit respecter leurs modes de vie et leurs langues — incluant leurs besoins. Elles ont dit comment cela doit être fait : l’éducation, pour elles, ce sont d’abord les curricula[63]. Les curricula ne viennent pas leur enseigner l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la France — qui ne va pas apporter une valeur ajoutée. Mais elles veulent que le curriculum, dès le bas âge, introduise la gestion durable de l’eau, la comptabilité (pour les aider à compter leur argent), l’écriture, la crise intercommunautaire, les droits, etc. Les femmes consultées ont également évoqué la nécessité de coordonner les jours d’école avec le calendrier de leurs activités.

Elles ont également indiqué que, dans le curriculum classique, l’école est le lundi, le mercredi et le vendredi. Ce sont aussi les jours de marché, durant lesquels les adultes partent au marché et les enfants restent parfois garder la maison ou le bétail. Alors, pourquoi ne pas changer pour s’adapter de façon à ce que les enfants aident les familles ? Aussi, au lieu d’aller à l’école de 7 h à 14 h, pourquoi ne pas le faire de 9 h à 17 h ? Comme cela, le matin, la petite fille pourra aider sa maman et le petit garçon son papa. C’est de cette manière qu’ils apprennent les connaissances et le savoir traditionnel et qu’ils grandissent avec la culture communautaire. Ainsi de suite, les communautés ont amené des propositions pour changer le modèle de l’éducation. Ce travail a permis de changer de politique au niveau national. Maintenant, en allant au Tchad, on essaie de voir comment l’éducation des enfants nomades a été introduite.

Cette étude a ainsi incité le gouvernement tchadien à créer la direction de l’éducation des enfants nomades insulaire et à zone reculée. C’est la première de ce type créé dans toute l’Afrique. Cela a aussi inspiré le ministère de la Santé qui a par la suite créé le programme de santé nomade et insulaire. Notre santé est importante en tant qu’humains, mais celle de nos animaux aussi. S’ils ne sont pas en santé, nous ne le serons pas non plus et nous ne serons pas tranquilles. Alors, pourquoi ne pas joindre la santé humaine à celle animale de façon à ce que les vétérinaires puissent connaître les premiers soins, et vice-versa, permettant ainsi de créer la santé d’une manière générale des animaux et des humains. C’est dans ce sens qu’une direction a été créée par rapport à ce que nous avons fait avec mon association (AFPAT). En matière d’environnement, les politiques ont changé, notamment les contributions nationales déterminées (CND[64]) du Tchad. Le Tchad fait partie des 24 pays dans le monde qui ont mentionné les droits de la personne dans leurs contributions nationales. Nous avions travaillé avec le ministère de l’Environnement et avions insisté sur le fait que les droits de la personne devaient être présents, parce que les changements climatiques et la dégradation environnementale renforcent leurs violations. Les droits des femmes et des Autochtones doivent être inclus dans le CND du Tchad. Vous voyez, les impacts de l’AFPAT sont nombreux, il ne s’agit ici de quelques illustrations.

FAN : Dans votre réponse, vous avez plusieurs fois fait le lien entre les changements climatiques, les connaissances et le savoir-faire des communautés autochtones. Concrètement, comment se manifestent les changements climatiques dans le Sahel et comment impactent-ils le quotidien de votre communauté, c’est-à-dire de votre peuple ?

HOI : Oui, les changements climatiques sont une crise mondiale, car, malheureusement, ils impactent le monde entier. Quand on parle de ma communauté et de ma région, le Sahel, les impacts sont visibles quotidiennement. Déjà, ma communauté est nomade. On se déplace à la recherche d’eau et de pâturage : deux jours dans un endroit et trois dans un autre. Donc, le trajet peut être parfois très long. Les transhumanistes[65] peuvent aller du Niger jusqu’en République centrafricaine, c’est-à-dire à plus de 1 000 km. Il y en a certains qui peuvent aller jusqu’à 700 km à l’intérieur du Tchad. Il y a les semi-nomades qui sont obligés de se sédentariser, mais qui nomadisent pendant la saison sèche et qui peuvent aller de 20 jusqu’à 100 km. C’est pour vous dire qu’on est en étroite relation avec la nature. Les communautés ne dépendent pas d’un salaire à la fin du mois, mais des pluies qui tombent et qui pourront fertiliser le pâturage que les boeufs pourront brouter pour faire du lait.

Les petits changements de saison impactent notre vie. Les pluies sont de plus en plus courtes, elles sont également plus fortes et peuvent entraîner des inondations. Cette année, par exemple, dans des quartiers de la capitale Ndjamena, on ne pouvait pas se déplacer sans pirogue. Les voitures et motos ne fonctionnaient pas. Il y a eu beaucoup de sinistrés, dont mon grand frère. Cela est dû à ces pluies qui sont venues en abondance, et ce, à la fin de la saison des pluies. Il y a aussi le fait que les saisons pluvieuses soient devenues irrégulières. Il peut pleuvoir une semaine et après surviennent des assèchements pendant deux semaines. Cette irrégularité des pluies impacte notre quotidien.

De plus, les saisons sèches sont devenues plus rudes et longues. Ce qui veut dire qu’avant, dans ma région au Tchad, les saisons pluvieuses commençaient du sud au nord, et au sud il y avait au moins 9 mois de pluies. Donc trois mois de petites pluies, trois mois de pluies intenses et trois mois de fin de pluie. Maintenant, dans le sud, les pluies se sont réduites à 6-7 mois, en descendant vers le nord elles étaient de 6 mois et maintenant elles sont de 2 à 3 mois. Donc la durée a changé énormément et cela affecte la sécurité alimentaire parce que si les gens ne savent pas comment la pluie arrive et comment elle va finir, ça affecte l’agriculture. En cas d’inondation, les récoltes pourrissent. Par contre, s’il n’y a pas de pluie, cela assèche les récoltes. Dans mon association, on a effectué des recherches à moins de 5 km de distance : une part au nord et l’autre au sud. Ceux du nord ont eu des récoltes, mais ceux du sud non. Cela démontre à quel point on peut avoir une variabilité de saison à 5 km de distance dans cette région du Sahel et au Tchad en particulier.

Si vous regardez le rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’agriculture (FAO) publié en fin d’année 2020, le Tchad se retrouve dans le rouge c’est-à-dire à un niveau d’insécurité alimentaire plus aigüe. Pour nous, c’est évident qu’il y a eu des inondations graves qui ont affecté les cultures, et que l’année précédente il y avait eu des sècheresses. Les communautés qui l’expérimentaient se trouvent désormais en déficit alimentaire. C’est le cas de ma communauté. On voit l’exemple de grands repères comme le lac Tchad qui était de 25 000 km2 d’eau à l’époque de la naissance de ma mère, dans les années 1960, et qui a réduit à 2 000 ou 2 500 km2 d’eau donc 80 % de ces eaux se sont évaporées, quand on vit là-dessus on le voit. Quand je dis que l’eau s’est évaporée, laissez-moi vous clarifier que ce n’était pas un bassin d’eau. Quand vous venez au lac et que vous le survolez actuellement, vous allez trouver des eaux qui ont formé pleins de petits ilots et on voit tout de suite de la terre qui sort de ce lac et qui forme plusieurs milliers de petits ilots qui sortent de terre. C’est ça qui fait la vulnérabilité de cette région aux impacts des changements climatiques et environnemental. Personnellement j’ai vécu les disparitions d’espèces animales et végétales que je regardais et avec lesquelles je jouais pendant mon enfance.

Ces impacts environnementaux ont des répercussions sociales. Dans les communautés, la vie sociétale est impactée, les rôles des hommes et des femmes dans les communautés changent. Par exemple, dans ma communauté, le rôle des hommes est de nourrir leurs femmes, faire de grands travaux en prenant soin de leurs familles. Lorsque leur société est bouleversée par les changements climatiques, ils changent de mode de vie. Donc, les hommes quittent les communautés en saison sèche pour aller dans de grandes villes à la recherche de travail, mais ils n’en trouvent pas facilement. Il faut rester et innover, laissant femmes et enfants à la maison. Ce sont les femmes qui doivent rester et jouer le rôle du père et de la mère, et qui doivent nourrir les familles pour conserver leurs communautés. Ces impacts sociétaux agissent aussi sur les migrations internes des communautés du nord vers le sud ce qui crée des conflits intercommunautaires sur l’accès et la gestion des terres. C’est ce qui cause aussi la migration interrégionale dans d’autres villes et même jusqu’aux forêts du Congo où les hommes vont avec leur bétail.

FAN : Comment votre peuple perçoit-il la nature ? Quels sont ses rapports avec elle ?

HOI : Pour ma communauté, comme je l’ai dit tantôt, nous dépendons et vivons de l’environnement, ce qui veut dire que nous vivons en étroite collaboration et en harmonie avec notre écosystème. Vous savez, aujourd’hui, en plein 21e siècle, certains n’ont pas accès à de l’eau potable. On boit l’eau des rivières, l’eau des mares. L’eau que le bétail boit, les humains la boivent aussi. Ça veut dire que l’on doit développer du respect envers ce qui nous nourrit, donc notre rapport avec l’environnement, c’est-à-dire vivre en harmonie, et vivre avec respect. Ce qui veut dire que nous continuons notre mouvement transhumaniste en quittant un endroit pour un autre, pas seulement par plaisir, mais aussi comme technique de gouvernance et de gestion de l’écosystème. Quand on quitte un écosystème, cela veut dire qu’on lui laisse le temps de se régénérer de manière naturelle, sans fertilisant, et, quand on retourne à cet endroit, on trouve que la nature s’est régénérée et qu’elle nous donne encore à manger. C’est comme ça qu’on suit notre trajectoire et qu’on sait comment vivre avec cette nature tout en la respectant.

C’est à travers cette nature qu’on trouve à manger, à boire et aussi la médecine pour nous soigner. Il y a longtemps qu’on l’observe et, à travers cela, nous avons développé des connaissances et un savoir traditionnel énorme. Chez nous, quand on parle de saisons, on ne se réfère pas toujours au monde occidental. Au Sahel, on ne parle pas forcément de saison sèche, pluvieuse ou froide. Scientifiquement, c’est défini différemment, mais, traditionnellement, c’est basé sur des écosystèmes. Cela veut dire que, si on vit dans les savanes, on a sept saisons, pareil pour les forêts. Mais, pour les steppes, six saisons. Elles sont définies par des évènements environnementaux, biologiques, atmosphériques, etc (comme les étoiles et le positionnement de la lune). Elles sont aussi décrites d’une manière traditionnelle que tout le monde connait dans la région et peut nommer. Et c’est cela qui fait l’importance de la vie en harmonie avec la nature, car on développe des connaissances qui ne sont pas scientifiques, qui nous permettent de construire la résilience et de vivre longtemps avec cet environnement dont nous dépendons.

Mariam Wallet Aboubakrine (MWA) : Cette explication de la proximité et de la relation symbiotique entre les peuples autochtones de façon généralemais en particulier le peuple Mbororoet la nature est très intéressante. Nous avons, comme vous l’avez souligné, une façon différente de marquer l’alternance des saisons, mais également de les lire. Et aussi ce qui peut paraître assez hasardeux ou aléatoire pour certains dans la façon dont les peuples nomades se déplacent et gèrent les ressources, car on le dit souvent de nous. Je m’y inclus, car je suis originaire d’un pastorat nomade. On dit de nous que nous errons et qu’on a une gestion désordonnée de la nature, mais celle-ci est plutôt responsable. Les mouvements des bergers peul et touareg ne sont pas aléatoires, ils se font par respect envers la nature, la régénération et la préservation de cette ressource précise, comme vous l’avez si bien dit. Nous n’avons pas de choix que de respecter cette eau que nous buvons, cette herbe verte que nos animaux mangent et d’où nous avons tous les nutriments qui nous permettent de manger à notre tour, car nous sommes à ce stade de satisfaction des besoins primaires, de manger. Merci beaucoup d’avoir partagé cela avec nous.

FAN : Est-ce que vous avez l’impression que les perspectives, les épistémologies des peuples autochtones des zones sahéliennes sont moins documentées que celles des peuples forestiers d’Afrique ?

HOI : Oui, je peux dire que cette question est vraie, car, si l’on effectue des recherches sur les peuples autochtones du Sahel, on ne trouvera pas assez de documentation. Par contre, si on le fait sur les peuples autochtones forestiers, on en trouve plus. Et, pour moi, la raison est évidente, car tout est lié à l’importance que l’on accorde à l’économie dans ce monde. Dans ce sens, les forêts jouent un rôle économique important. Il est plus évident de comptabiliser l’apport financier des forêts, ce sont des grandes entreprises et industries qui les exploitent. Elles y tirent les produits comme l’huile de palme, le bois, ou le papier et bien d’autres ressources. Donc, ça fait partie de l’économie de ces grands pays forestiers. Je sais ce dont je parle, car le Tchad fait également partie de la COMIFAC qui est la Commission des forêts d’Afrique centrale[66]. Au niveau international, ce sont les pays du Nord, qui sont pourtant de grands pollueurs, qui tirent profit des discussions internationales sur la protection de l’environnement et les changements climatiques. Il est facile pour eux de payer une action d’atténuation qui peut être comptabilisée. Par exemple, si l’on plante cinq arbres, on se limite à cela. Si l’on paye le carbone, on peut calculer le marché du carbone et avoir des bénéfices dessus. Alors, c’est facile de parler ou de mettre l’accent sur les peuples autochtones forestiers.

Quand on revient dans le Sahel, il y a des peuples forestiers qui sont des Touareg, Mbororo et Toubou, tous des éleveurs et des nomades. Or, certains gouvernements de la région veulent contrôler les populations, mais les seules qu’ils ne peuvent pas contrôler jusqu’ici, ce sont les Sahéliens, car ils ne sont pas sédentaires. Au Tchad, les activités d’élevage des communautés cités plus haut contribuent à 20 % du PIB et quand on prend le Sahel entier, l’élevage fait 40 % du PIB total et, pourtant, quand on parle de l’aspect développement, les plus marginalisés dans l’éducation, c’est nous; dans la santé, c’est nous; les plus exclus, c’est nous. Quand on parle de foncier, combien de pays ont élaboré un code pastoral et l’appliquent ? Au Tchad, on a le code pastoral de 1959[67] élaboré durant la colonisation Entre temps, les années ont passé, le climat a changé, la démographie a augmenté. La loi de 2015 a été rejetée[68], donc on est resté dans l’impasse. Bien sûr des pays comme le Mali l’on fait. Et, à l’heure où l’on parle, le Bénin est en train de discuter d’un code pastoral. Mais les problèmes fonciers n’ont pas été définis, ni la transhumance nationale et la transhumance transfrontalière. Donc, le Tchad ne veut pas prendre de responsabilités générales. Alors, si les lois du pays reconnaissent et documentent plus les peuples autochtones du Sahel, ainsi que nos modes de vie, cela pourrait les amener à parler de questions dont ils ne veulent pas, c’est-à-dire parler des enjeux liés au partage de ressources, à l’accès et au partage de terres, et à la gestion durable des ressources. Et ils vont devoir inclure les Autochtones dans les prises de décisions et c’est ce qu’ils évitent.

Je pense que c’est ça qui fait la différence entre les peuples autochtones de la forêt et du Sahel, et c’est ce qui explique que la situation de ces derniers n’est pas assez documentée. Je ne dis pas que c’est scientifiquement ou juridiquement prouvé, mais c’est mon point de vue, car j’observe cela depuis longtemps. Un autre point important est l’influence du passé colonial des pays en Afrique. On remarque bien que les anciennes colonies francophones et anglophones ont des modes de vie différents. Le Sahel est en grande majorité composé d’anciennes colonies françaises, ce qui fait que les avancées sont moins visibles. Tandis que le bassin du Congo a des intérêts au-delà des pays francophones Il y a là des marchés ouverts à l’international pouvant faire le lien avec le bassin de l’Amazonie et de l’Indonésie. Ces derniers pourront faire le lien et promouvoir les droits des peuples autochtones de la forêt, ce qui est beaucoup plus facile et évident que de faire la promotion des droits des peuples autochtones du Sahel. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas le documenter et ne pas le promouvoir. C’est cela aussi qui fonde le mandat de ce que j’essaye de faire en tant que Sahélienne. Je documente les savoirs traditionnels, l’impact du changement climatique. Je documente aussi l’aspect positif, car au Sahel on a également des opportunités. Les Autochtones de cette région ne sont pas seulement des victimes, ils peuvent être des porteurs de solutions, pas seulement pour les Sahéliens, mais aussi pour le monde entier. Il y a plusieurs choses à apprendre à travers nos savoir-faire et nos connaissances traditionnels. On veut les partager et on le fait. J’essaie de marier les connaissances traditionnelles et scientifiques. Ceci fait partie de la documentation des peuples autochtones du Sahel qui peuvent aller au-delà de nos frontières et aller dans le monde entier expliquer comment on peut vivre en harmonie avec la nature, et la restaurer à travers les peuples autochtones du Sahel.

FAN : Il y a un grand fossé, comme vous l’avez mentionné au niveau des données existantes sur les épistémologies des peuples autochtones et les changement climatiqe entre les peuples autochtones du Sahel et les peuples autochtones forestiers.

Vous avez porté la voix de ces peuples autochtones à de nombreux fora et lors des négociations internationales sur les changements climatiques. Vous avez alerté les négociateurs à plusieurs reprises au sujet des impacts différenciés de la crise climatique sur les peuples autochtones, les femmes autochtones en particulier, et aussi sur l’urgence d’intégrer des connaissances et savoirs traditionnels dans les stratégies d’adaptation. Pensez-vous que vos revendications et celles d’autres leaders dans ce sens commencent à être prises en compte ?

HOI: Oui, c’est vrai que les fora internationaux sont des espaces très importants pour faire valoir et promouvoir les droits des peuples autochtones. Ce sont également des espaces où les peuples autochtones de plusieurs régions peuvent être ensemble et échanger.

Je vous donne l’exemple de celui que j’ai géré pendant 4-5 ans en tant que coprésidente du Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques (FIPACC). La préparation était à la COP20[69] à Lima (2014), et ce forum international réunissait les sept régions socioculturelles des peuples autochtones[70]. Pendant la préparation de la COP21[71] à Paris (2015), nous avons réfléchis sur comment s’unir et quelles seront nos revendications. On a pris une année pour que toutes les régions du monde puissent s’organiser et mettre en avant leurs besoins et leurs propositions concrètes. Lorsqu’on est arrivé à Paris, 20 ans après les négociations sur le climat qui n’avaient pas considéré les peuples autochtones, on a pu avoir de la reconnaissance. On a négocié durant deux semaines, pendant lesquelles je n’ai pas dormi, mais ça a permis d’obtenir cinq références dans l’Accord de Paris (2016).

Dans le préambule de l’Accord de Paris, on mentionne les droits des Autochtones. Il y a aussi l’article 7.5 qui porte sur l’adaptation, et qui reconnait le savoir et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones en tant que vecteurs de solutions et d’adaptation aux changements climatiques. Nous avons aussi la participation pleine et efficace des peuples autochtones dans les solutions et dans la mise en oeuvre de l’Accord de Paris. On parle également de la création de la plateforme de partage et d’échange de savoirs et des connaissances des peuples autochtones dans la décision 135 de l’Accord de Paris. Pour nous, c’est une grande victoire, et, pour moi, c’était une double victoire, car j’étais très fière de diriger le groupe des peuples autochtones, d’en être la porte-parole, d’essayer de négocier et d’avoir ces références.

Mais ce n’est pas fini, car ce n’est pas le fait de mentionner la reconnaissance des droits des peuples autochtones qui est important, mais leur mise en oeuvre. Lors de la COP22 de Marrakech (2016), l’on a commencé à échanger sur les négociations relatives aux changements climatiques. Les peuples autochtones n’y étaient pas présents seulement comme participants, mais aussi pour s’assoir sur la table des négociations et leur dire : « Vous ne pouvez pas parler pour nous et sans nous. On doit parler pour nous-mêmes. »

FAN : Comment faire cohabiter les connaissances autochones et les autres, que l’on qualifie de connaissances scientifiques ?

HOI : Il est très important de créer un pont entre les savoirs des peuples autochtones et les connaissances scientifiques. Mais il y a un grand défi parce que les connaissances scientifiques veulent toujours s’assurer que 1 + 1 = 2, car les scientifiques veulent toujours regarder et confirmer. Or, les connaissances autochtones sont des savoirs millénaires basés sur l’observation et l’écosystème. Pour ajuster les deux ensembles, je me base sur l’observation et l’échange.

J’ai essayé de le faire avec des météorologues, des climatologues et des agrométéorologues que j’ai emmenés dans ma communauté. Pour la première fois, ces scientifiques ont quitté leurs bureaux pour aller dans une communauté nomade et voir comment nous vivons. Je ne fais pas ma promotion, mais si vous regardez mon TikTok en tapant mon nom, j’y ai expliqué comment j’ai mis nos connaissances traditionnelles et celles scientifiques ensemble. Mais je vous le dis très rapidement : je les ai emmenés dans les communautés en saison pluvieuse. Un jour il n’y avait pas de nuages dans le ciel annonçant des précipitations. Mais les membres de la communauté se sont mis à ranger leurs effets dans des sacs. Les scientifiques étaient très surpris et là ils ont demandé si on allait se déplacer en tant que nomades, et je leur ai expliqué que nous devons nous déplacer parce qu’il allait pleuvoir. Pourtant ces scientifiques se sont fiés à leurs applications et leurs connaissances, ils étaient tranquilles sous l’arbre pensant qu’il n’allait pas pleuvoir à l’instant. D’un coup, la pluie a commencé de façon brutale, et ils ne pouvaient même pas rejoindre les tentes. Alors, on les voyait courir de gauche à droite pour ouvrir les tentes et se cacher, mais, nous, nos effets étaient déjà empaquetés. Cela a été une belle illustration de l’importance des connaissances et des savoirs traditionnels.

Ce qui est important c’est qu’à la fin de la pluie, ils ont demandé comment on a su qu’il allait pleuvoir, car il n’y avait pas de nuages et le ciel n’était pas couvert. La communauté leur a expliqué avoir observé les petits insectes qui prenaient leurs oeufs et les mettaient dans leurs nids. Cela signifie que la pluie va commencer. Les insectes ne communiquent pas, n’ont pas de tente ni de parapluies, mais ils savent comment faire. Et nous, en observant cela et aussi le changement de la direction du vent, avons réussi à savoir qu’il allait pleuvoir dans les deux [prochaines] heures, maximum. Comme on est nomade, c’est important pour nous d’observer cela, en plus de la direction du vent, pour pouvoir arranger nos effets. Et là, ils ont dit qu’ils ont des observations biologiques, mais ne les combinent pas avec celles qui sont climatiques. Ils ont affirmé que c’était très intéressant d’écouter ce que nous expliquions et comment nous faisions. C’est là que le dialogue a commencé. L’étape suivante était de faire un atelier entre les scientifiques et les communautés, et c’est comme ça que la recherche actuelle que je fais avec l’UNESCO[72] a débuté depuis plus de six ans. Son objectif est de documenter tous ensemble les savoirs et les connaissances autochtones. Cela a déjà permis de créer des systèmes d’alertes précoces où les communautés peuvent communiquer des informations aux scientifiques et ceux-ci peuvent aller au-delà des informations météorologiques indiquées à la télévision, à la radio ou sur Internet, en les donnant directement aux communautés pour mieux planifier l’agriculture et l’élevage.

L’autre illustration que je peux vous donner est la cartographie participative[73] en trois dimensions que nous avons réalisée. Par exemple, avec cette cartographie participative les communautés scientifiques et traditionnelles peuvent communiquer et se mettre ensemble. Elles peuvent aussi essayer de mettre en place des stratégies de gestion durable des ressources naturelles.

FAN : Il y a eu des accords, mais aujourd’hui l’autre défi est leurs mises en oeuvre. En partant de votre expérience, qu’est-ce qui limite selon vous l’action des leaders des communautés autochtones pour demander des comptes lors des mobilisations internationales ?

HOI : Tout d’abord, le frein c’est la participation pleine et efficace. Si on n’est pas impliqué, ça veut dire qu’on n’aura pas de voix. Je vais vous donner un exemple palpable. Depuis 2020, à partir du moment où COVID-19 a commencé, il n’y a pas eu de conférence internationale, mais il y a eu des mouvements sur Internet. On ne peut pas être physiquement présent, mais on essaie de s’adapter pour faire une conférence virtuelle. Toutefois, les peuples autochtones ne peuvent pas participer, car ils n’y ont pas accès tout simplement. Et, quand il y a des conférences physiques, pour participer il faut avoir les moyens. Il faut avoir un billet d’avion, un visa et être là. De plus, il faut comprendre l’anglais, la langue des négociations. C’est seulement dans les séances plénières qu’il y a une traduction en français. Et parfois lorsqu’on parvient même à arriver dans la séance plénière, toutes les grandes lignes ont déjà été négociées.

Ce qui nous limite aussi en tant qu’Autochtone c’est le fait que l’on ait un statut d’observateur et non de négociateur ou de délégué d’un pays. Toutes les négociations internationales confondues sont menées par les délégués des États et nous ne sommes que des spectateurs. Alors, on fait nos stratégies, des manifestations, tout en essayant d’influencer d’une manière ou d’une autre. Cela limite la participation des Autochtones. La langue nous limite, la participation physique nous limite, les moyens nous limitent, mais aussi la participation en tant que délégué ou observateur nous limite. Autre chose, quand on suit les négociations climatiques chaque année, il y a tellement de nouveauté. Il y a tellement d’acronymes que si l’on ne les suit pas pendant des années on peut se perdre tout de suite. Aussi, il y a la négociation dite formelle dans laquelle il y a le groupe des États, un négociateur en chef, donc le président, et un adjoint qui font la négociation. Il y a aussi les négociations informelles qui sont plus fermées.

Vous comprenez alors que tout le monde ne va pas avoir la même compréhension de ces différents types de négociations. Donc, on est perdu, en plus il y a des acronymes qui s’ajoutent tous les ans et là les Autochtones qui parlent de la pratique, des impacts sur les rivières et les forêts… Les impacts de ce que nous vivons nous limitent tellement qu’on en déduit qu’ils essaient de nous exclure. Ils viennent avec des experts en tout et nous autres, Autochtones, ne sommes que des experts en environnement ou les ingénieurs de l’environnement, sommes limités aussi. La question n’est pas celle de parler de limites, mais de comment améliorer la participation des peuples autochtones.

Premièrement, il faudrait améliorer la participation efficace des peuples autochtones de façon représentative, car si les sept régions ne sont pas représentées et que les Autochtones ne comprennent pas les négociations, on ne peut pas être efficace. Il y a tellement de négociations dans les conférences — en une seule heure on peut avoir plus de quinze négociations différentes dans quinze salles — donc si on ne peut pas accéder et écouter ce qu’ils disent, on ne pourra pas construire une stratégie pour faire valoir nos droits et nos voix. La participation efficace ne se limite donc pas à un nombre d’autochtones présents, mais aussi aux stratégies pour accéder, participer et écouter les sessions de négociations. Et, pour réaliser cette participation efficace, il faudrait prendre des États et des chercheurs comme alliés, essayer de se dire que si je suis là c’est parce que je compte et pas parce que je suis un handicap. Mais, je vous aide à mieux comprendre : cette dynamique se construit au niveau national, avec des universitaires, des ministères et avec des alliés qui font la force de nos organisations, des peuples autochtones.

Deuxièmement, il faudrait fonder des stratégies durables, c’est-à-dire prendre en compte les diversités de toutes les régions autochtones. Quand on parle au nom des Autochtones on ne doit pas seulement défendre ceux de sa région, car c’est une conférence internationale et ce sont les États qui décident. Si un seul État trouve que l’intérêt n’est pas représenté ou bien qu’il est omniprésent, ce que vous allez proposer ne va jamais marcher, il faut prendre toute la diversité et essayer de la consolider. Même si on est du Sahel et qu’on est des pays enclavés — je parle du Tchad, du Mali et du Burkina Faso — on n’a pas [accès à] la mer. Et, quand on parle des négociations internationales, les mers jouent un grand rôle dans notre vie. Elles absorbent les gaz à effet de serre et, même si on est dans le Sahel, on en bénéficie parce qu’il y a atténuation du changement climatique. Donc, si on a cette vision, on peut inclure les communautés qui vivent dans les iles. Elles peuvent être nos alliées et soutenir nos propositions en tant que Sahéliennes. Cette stratégie doit être collective et être construite sur le long terme, une vision qui pourra aller au-delà de nous-mêmes.

De plus, les spécificités doivent être discutées avec les États. Ça, ce sont les stratégies que j’ai utilisées pendant la COP21. J’ai parlé avec des ministres, des présidents, des techniciens qui sont des négociateurs. J’ai aussi discuté avec des organisations des peuples autochtones. Tout le monde est devenu allié et a accepté de parler au nom des peuples autochtones. Là où les négociations bloquent, les ministres peuvent les débloquer. Quand ils ne veulent pas les débloquer, les présidents donnent une parole et ça se débloque. Là, où ils ne veulent pas écouter, les autres acteurs de la société civile se mobilisent avec nous : on fait la manifestation, on est grand et ils nous respectent, et les médias nous soutiennent. Donc, c’est ça qu’il faut construire pour que les Autochtones puissent avoir leur place.

FAN : Vous avez anticipé la question suivante qui était celle de savoir s’il y avait des défis auxquels faire face pour faire avancer l’action climatique internationale vers l’inclusion et la prise en compte des revendications des communautés Autochtones lors des négociations.Vous avez aussi partagé les solutions transformatrices, notamment, vous l’avez mentionné, et je vais le résumer : une inclusion dans toutes les sphéres d’action et à toutes les échelles décisionnelles de la biodiversité et du climat, des connaissances, savoirs et de la voix des peuples autochtones

Pour conclure, je vais revenir sur l’actualité. Le 11 janvier de cette année a eu lieu la 4e édition du forum One Planet Summit (2021). Je ne sais pas si vous avez entendu parler de ce forum-là, organisé par le président français Emmanuel Macron. Une des annonces concernait le financement de la grande muraille verte, entre autres dans la zone sahélienne. Considérant tous ces aspects sur lesquels vous êtes revenus, le fait que les connaissances traditionnelles ne soient pas toujours prises en compte, que certaines demandes des communautés autochtones lors des négociations climatiques aient échoué, comment vous percevez ce nouveau projet ?

?

HOI : J’ai participé en ligne en tant qu’invitée à One Planet Summit et le lendemain j’étais invitée par une chaine de télévision pour donner mon avis sur cette journée. Effectivement, ils ont fait un évènement sur les grandes murailles vertes, et il y a eu plus de 14,6 milliards de dollars mobilisés pour cela. Dans le même temps, en après-midi, c’était le Sommet sur la biodiversité qui a aussi donné lieu à de la mobilisation, du financement et de l’engagement pour la restauration de la biodiversité. Mais, concernant la grande muraille verte, c’est un projet qui a été initié et qui a eu son Sommet dans mon pays, le Tchad, et maintenant il se poursuit en Mauritanie. C’est un projet qui pourrait être très porteur pour le Sahel, car reverdir une bande sahélienne qui traverse 11 pays n’est pas une mince affaire. Ça peut jouer un rôle important pour le climat et la restauration de la biodiversité. Cette initiative peut mener vers une agriculture durable, créer du travail et valoriser une région qui est menacée par l’avancée du désert. Donc, pour moi, c’est très positif d’avoir la mobilisation du financement. Mais, comment ce montant pourra être utilisé ? Est-ce que la gouvernance de la grande muraille verte va inclure les communautés, ainsi que les peuples autochtones sahéliens, dans sa gestion et son entretien ? Ils doivent se poser la question. C’est cette gouvernance qui doit être changée parce que ce qui s’est passé jusqu’ici n’était pas très positif. Il y a souvent eu des actions pour planter des arbres. Ces actions s’orientent généralement sur les campagnes ou les journées de plantation d’arbres auxquelles prennent part les autorités politiques comme des présidents, des ministres ou même des étudiants. Ceci avec beaucoup de médiatisation. Toutes les télévisions sont derrière. Il y a également les journées de plantation des ministres et celles des étudiants. Or, ce que les gens doivent comprendre c’est qu’on ne plante pas un arbre et le lendemain l’arbre pousse ! Un arbre c’est son processus de vie, un entretien Un arbre ce n’est pas seulement le tronc et les feuilles, mais aussi la restauration d’un écosystème. Ce sont les insectes, la variété et la diversité des espèces qui l’entourent. Donc, ce dont on a besoin, c’est d’une étude qui va permettre de savoir qui plantera les arbres, la variété d’arbres à planter leur entretien, le modèle de gouvernance, mais, surtout, que les communautés et les peuples autochtones sont au-devant de ces actions. J’espère que dans ce projet ils peuvent repenser aux dernières personnes qui verront les arbres grandir. Ce sont ces personnes qui doivent les planter et les entretenir. C’est là aussi que les droits fonciers pourraient être importants, car pour planter un arbre il faudrait aussi penser aux droits fonciers à travers les onze pays dans le Sahel. Est-ce qu’ils sont d’accord d’harmoniser leurs lois foncières ? Est-ce qu’ils sont d’accord de donner les droits de la terre aux Sahéliens ? Est-ce que les gens qui vont être déplacés vont avoir droit à des solutions alternatives pour leur survie ?

Je peux aussi donner un exemple d’un projet que je mène actuellement autour des femmes. Ces femmes vont faire de l’agriculture hors saison, et, pendant ce temps, chacune d’elle va s’engager à planter trois à cinq arbres dans sa parcelle. Quand elle reviendra, elle les entretiendra. C’est intégrer l’agriculture écologique à l’agroforesterie qui permettra d’avoir des revenus immédiats pour les communautés et qui agira sur le long terme dans l’atténuation des gaz à effet de serre en plantant des arbres autour des grandes murailles vertes. C’est positif, mais il y a beaucoup de choses à faire.

Je finis sur cette question parce que le forum mondial économique a créé un groupe de Sahéliens qui réfléchissent sur comment le secteur privé participera dans la plantation des arbres de la grande muraille verte. Plusieurs Sahéliens sont réticents, car on dit que, si le secteur privé vient, cela signifie qu’il y a un intérêt quelque part, même s’ils ne disent pas clairement quels sont leurs intérêts. On n’est pas sûr qu’ils aillent investir parce qu’ils ne peuvent pas donner de l’argent sans attendre quelque chose. Donc, c’est ça qu’il faut clarifier, qu’est-ce qu’on attend ? Qui seront les acteurs ? Quelle est la durabilité de chaque projet ? Il faut impliquer les communautés dès le départ dans ces financements et dans ces projets si nous on espère un réel changement, et surtout si on espère limiter les impacts des changements climatiques chez les peuples autochtones du Sahel.