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Introduction

L’expansion spectaculaire des TIC a favorisé l’émergence, dès les années 1960, d’une nouvelle société appelée « société de l’information » ou « société de la connaissance ». Une société où, selon Alberts et Papp (1997), les TIC permettaient de transcender les barrières temps, distance et lieu dans les échanges interpersonnels, ainsi que les limites au traitement de l’information et à la prise de décision. Lors de la récente pandémie de COVID‑19, les solutions déployées pour contourner les effets du confinement ont confirmé les immenses potentialités des TIC et ouvert davantage leur champ d’expansion. Selon Rechidi (2020), la crise de la COVID‑19 a même été un facteur de progression de l’intégration pédagogique des TIC en confirmant les multiples avantages apportés au système éducatif en général par l’utilisation des TIC dans l’enseignement.

Basque (2005, p. 34) définit les TIC comme « un ensemble de technologies fondées sur l’informatique, la microélectronique, les télécommunications, le multimédia et l’audiovisuel, qui, lorsqu’elles sont combinées et interconnectées, permettent de rechercher, de stocker, de traiter et de transmettre des informations [...] et permettent l’interactivité entre des personnes, et entre des personnes et des machines ». Les TIC sont entrées dans l’enseignement, d’abord comme des outils pour améliorer la présentation et le contenu de l’enseignement traditionnel. Ensuite, elles sont devenues l’instrument d’une nouvelle approche pédagogique à travers leur usage dans la construction des scénarii d’apprentissage interactifs (Heath et al, 2003). En médecine, terrain spécifique de la présente étude, ces technologies ont déjà un impact considérable sur la pratique professionnelle, l’information du patient ou de la patiente sur sa maladie, la gestion des systèmes de santé et la formation des professionnels et professionnelles de la santé (Heath et al., 2003; Karsenti et Charlin, 2010).

La problématique générale de l’intégration pédagogique des TIC est surtout marquée par une expansion polarisée, en fonction du niveau de développement des pays. Selon le rapport de l’Union internationale des télécommunications (Commission indépendante pour le développement mondial des télécommunications, 1985, p. 3) : « les télécommunications sont un facteur clé de l’activité économique, commerciale et sociale et une source première de l’enrichissement culturel dans les pays développés. Tandis que dans la plupart des pays en développement, le système de télécommunications est inadéquat pour assurer les services essentiels. » Cette différence est une des manifestations de la fracture numérique ou « fossé entre les pays développés qui utilisent les potentialités des TIC pour leur accomplissement personnel ou professionnel et les pays en voie de développement qui ne sont pas en état de les exploiter faute de pouvoir accéder aux équipements ou de compétences » (Fulssack et al., 2005, p. 75). Selon Karsenti et Tchameni Ngamo (2009, p. 58), ce fossé présente une dimension spécifique en Afrique : « Pourquoi cet immense fossé en Afrique ? Il ne s’agit pas du fossé technologique dont tout le monde parle, mais pédagogique où les TIC sont enseignées aux élèves comme s’ils n’avaient jamais de cybercafés, comme s’ils ne connaissaient pas les téléphones portables, comme s’ils étaient nés à une autre époque ». La plupart des études abordant la thématique de l’intégration pédagogique des TIC sont focalisées sur la description de l’évolution du comportement de l’enseignant ou l’enseignante et des facteurs susceptibles d’influencer la dynamique de ce processus. Ces facteurs sont habituellement classés en trois catégories distinctes : les facteurs personnels, les facteurs pédagogiques et les facteurs institutionnels (Gueye Ba, 2017).

Au Burundi, la question de l’intégration pédagogique des TIC reste ouverte, en l’absence d’études locales. Ce travail visait à améliorer la connaissance de la dynamique de l’intégration des TIC dans l’apprentissage au Burundi, un pays où l’environnement numérique est défavorable. La focalisation sur la description du comportement de l’étudiante ou l’étudiant dans le processus d’intégration pédagogique présente un intérêt indiscutable, du fait du rôle central qu’il joue dans cette dynamique. Plus spécifiquement, cette étude cherchait à apporter une réponse aux deux principales questions suivantes : i) Quel est le niveau atteint par les étudiants et étudiantes dans le processus d’intégration pédagogique des TIC et ii) Dans l’environnement contextuel de l’étudiant ou l’étudiante en médecine du Burundi, quels sont les principaux facteurs susceptibles d’influencer la dynamique de l’intégration pédagogique ? L’analyse des réponses à ces questions, à la lumière des données de la littérature, avait permis de dégager des pistes de réflexion pour accélérer l’implantation de l’intégration pédagogique des TIC dans le contexte du Burundi. Cette étude pionnière trace la voie pour des travaux à plus grande échelle pour documenter cette problématique de manière exhaustive et proposer des solutions pertinentes.

1. Matériel et méthodes

Réalisée en 2021, cette étude analytique avait pour objectif général d’analyser le niveau atteint dans le processus d’intégration pédagogique des TIC et les facteurs qui l’influencent dans l’environnement spécifique de l’étudiant ou l’étudiante en médecine au Burundi. Pour atteindre cet objectif général, des objectifs spécifiques ont été formulés : i) Déterminer le niveau atteint par les étudiants et étudiantes dans le processus d’intégration pédagogique des TIC; ii) Déterminer les facteurs contextuels influençant l’intégration pédagogique des TIC, dans l’environnement de l’étudiant ou l’étudiante; iii) Discuter les résultats obtenus au regard de données pertinentes de la littérature et iv) Formuler quelques recommandations.

Un total de 331 volontaires, parmi les 606 étudiantes et étudiants inscrits à la Faculté de médecine de Bujumbura au Burundi, avaient accepté de participer à cette étude. La constitution de ce groupe était faite suivant une approche non probabiliste, par commodité.

La recherche de l’information était focalisée sur le niveau atteint par les étudiantes et étudiants interrogés, les facteurs personnels, pédagogiques et institutionnels ainsi que les facteurs de l’environnement numérique. Les données étaient recueillies à l’aide d’un outil constitué par une grille d’évaluation, un questionnaire et une grille de dépouillement (annexe A).

Grille d’évaluation du niveau des étudiants et étudiantes

Chaque étudiante et étudiant était invité à déterminer le niveau qu’il estimait avoir atteint dans le processus d’intégration pédagogique des TIC, à l’aide d’une échelle à cinq paliers.

  • Initiation. L’étudiante ou l’étudiant reçoit une formation de base en informatique dans son programme d’études, mais il a déjà une capacité en manipulation de l’ordinateur acquise par la possession d’un téléphone intelligent ou la fréquentation de cybercafés. Il utilise les TIC pour la communication sociale. La personne enseignante contrôle entièrement le processus d’enseignement, et l’étudiant ou l’étudiante est en position de récepteur.

  • Adoption. L’étudiante ou l’étudiant utilise le logiciel de traitement de texte pour saisir des notes de cours et certains moteurs de recherche pour rassembler l’information nécessaire à la préparation d’exposés assignés par la personne enseignante. Il apprécie les enseignements soutenus par des présentations PowerPoint. L’apprentissage est sous le contrôle de la personne enseignante. Cependant, l’étudiant ou l’étudiante se voit confier des tâches comme la présentation d’exposés assignées par la personne enseignante.

  • Adaptation. L’étudiante ou l’étudiant manipule plusieurs logiciels (traitement de texte, traitement de données et présentations graphiques). Il utilise plusieurs moteurs de recherche pour collecter l’information dont il a besoin pour compléter le contenu des cours ou préparer des présentations graphiques. Ces activités sont orientées et supervisées par la personne enseignante.

  • Appropriation. L’étudiante ou l’étudiant manipule plusieurs logiciels et moteurs de recherche avec aisance. Il est capable de rassembler l’information pour résoudre un problème ou réaliser un projet suivant un scénario pédagogique dessiné par la personne enseignante. Le processus est soutenu par une interaction continue entre l’étudiant ou l’étudiante et la personne enseignante.

  • Invention. L’étudiante ou l’étudiant maîtrise la manipulation de plusieurs logiciels et moteurs de recherche, au point de pouvoir assister ses condisciples en cas de besoin. Il est capable de rechercher l’information nécessaire pour créer des contenus d’autoapprentissage ou réaliser des projets de groupes avec peu ou pas d’orientations. L’étudiant ou l’étudiante est plus autonome et la personne enseignante s’inscrit dans le rôle de tuteur.

Cette grille emprunte sa structuration et les appellations des échelons au modèle de Sandholtz et al (1997). Cependant, la description de chaque échelon est faite avec des contenus adaptés à l’évolution spécifique de l’étudiant ou l’étudiante. Le modèle de Sandholtz, comme la plupart des modèles comparables, décrit l’évolution du comportement enseignant dans le processus d’intégration pédagogique des TIC. Cette évolution est soutenue par l’acquisition de compétences techniques et technopédagogiques (Basque, 1996; 2005; Deaudelin et al., 2001; Gueye Ba 2017; Raby, 2004; Tchameni Ngamo, 2009). De même, l’évolution du comportement étudiant dans le même processus est conditionnée par l’acquisition de compétences techniques, de compétences informationnelles et de la capacité de construire des contenus d’apprentissage à partir de l’information recueillie (Basque, 2005; Bouzidi, 2005; Castro Sánchez and Alemán, 2011; Dumouchel et Karsenti, 2018; Fiévez, 2017; Fu, 2013; Karsenti et Tchameni Ngamo, 2009). Avec des particularités spécifiques à leur rôle, la personne enseignante et l’étudiant ou l’étudiante suivent une évolution parallèle pour acquérir la capacité de manipuler les outils de TIC et les utiliser dans la formation. Le constat de cette évolution parallèle vers un objectif commun justifie l’adaptation d’un modèle consacré à la personne enseignante pour décrire le comportement de l’étudiant ou l’étudiante.

L’adaptation majeure était le relèvement du niveau de départ pour la capacité de manipuler l’ordinateur et communiquer à travers les réseaux sociaux. Les résultats d’une enquête préliminaire menée en 2019 montraient que la plupart des étudiants et étudiantes de première année avaient de bonnes aptitudes pour la manipulation de l’ordinateur, grâce à la large diffusion du téléphone intelligent et à la fréquentation des cybercafés. Les adaptations comprenaient aussi des éléments empruntés de la représentation graphique des différents contextes d’usage des TIC dans les classes par Karsenti (2009) et de la typologie des usages des TIC par Maddux et Johnson (2006). Il s’agissait notamment de la description du rôle joué par la personne enseignante et par l’élève dans le cheminement et de l’usage des TIC d’abord comme objets d’apprentissage, puis comme outils au service de l’apprentissage.

Questionnaire pour déterminer les facteurs influençant l’intégration pédagogique des TIC

Le questionnaire sur les facteurs influençant le processus d’intégration pédagogique des TIC est structuré selon le schéma proposé par Gueye Ba (2017) pour décrire les éléments de l’environnement contextuel de l’enseignant et l’enseignante dans ce processus. Ce schéma distingue trois catégories de facteurs : personnels, pédagogiques et institutionnels. Le poids de l’environnement numérique sur le processus d’intégration pédagogique des TIC, surtout dans un pays affecté par le fossé numérique, justifie l’ajout d’une quatrième catégorie de facteurs, celle de l’environnement numérique national. Ce schéma a été adapté pour explorer les facteurs spécifiques de l’environnement étudiant.

À partir des résultats de l’enquête préliminaire (évoquée plus haut), les facteurs personnels qui motivaient l’étudiant ou l’étudiante à adhérer au processus d’intégration pédagogique des TIC étaient les avantages immédiats perçus pour l’apprentissage et anticipés en milieu professionnel, l’accessibilité et la capacité de manipuler les TIC. Ces éléments, complétés par les apports de la littérature (Guennoun et Benjelloun, 2016; Karsenti et Charlin, 2010; Karsenti et Collin, 2013), ont aidé à la constitution d’une liste de propositions, soumises au choix de l’étudiant ou l’étudiante,

Par analogie avec les facteurs pédagogiques de l’environnement pédagogique de la personne enseignante, centrés sur la formation technique et technopédagogique, l’étudiant ou l’étudiante était invité èa faire un choix parmi les facteurs suivants : la formation technique à la manipulation des TIC, l’initiation à son rôle dans une approche active où l’élève est amené à construire des contenus d’apprentissage, l’acquisition de la compétence informationnelle et l’exposition éventuelle aux techniques d’enseignement assisté par l’ordinateur et Internet.

Grille de dépouillement des données d’observation, revue documentaire, enquête de marché

L’information relative aux facteurs institutionnels et aux facteurs de l’environnement numérique national était collectée par l’observation, une revue documentaire et une enquête de marché.

Les facteurs institutionnels et les facteurs de l’environnement numérique national étaient considérés comme des éléments d’un environnement commun à tous les acteurs du processus d’intégration pédagogique et donc transposables à celui de l’étudiant ou l’étudiante.

Les facteurs institutionnels étaient la capacité en infrastructures et équipements technopédagogiques, la formation des personnes enseignantes et des étudiants et étudiantes sur les applications pédagogiques des TIC, l’existence d’une dynamique de changement et d’incitatifs, une stratégie institutionnelle, une structure de coordination, des directives pour l’intégration, un plan de renforcement de l’équipement informatique et la nature de l’approche pédagogique institutionnelle.

Les facteurs de l’environnement numérique recherchés incluaient l’existence d’une stratégie nationale de développement numérique et son niveau de mise en oeuvre, les conditions d’importation et les coûts des outils de TIC ainsi que la capacité financière des étudiants et étudiantes.

Plan de collecte et de traitement des données

Les données étaient collectées à l’aide d’une grille d’évaluation, d’un questionnaire et d’une grille de dépouillement. Chaque étudiante ou étudiant était invité à remplir individuellement un exemplaire écrit et anonyme de ces outils. Sur la grille à cinq échelons pour déterminer le niveau dans le processus d’intégration pédagogique des TIC, il pouvait faire un seul choix. Les questions visant à déterminer les facteurs influençant la dynamique d’intégration pédagogique des TIC étaient accompagnées par plusieurs propositions de réponse, parmi lesquelles l’étudiant ou l’étudiante avait plusieurs possibilités de choix. Les cinq premières propositions de réponse qui avaient obtenu le plus de choix ont été retenues. Le nombre d’étudiantes et étudiants ayant choisi le même échelon sur la grille d’évaluation ou la même proposition sur le questionnaire était calculé et converti en proportion par rapport au total des personnes répondantes. La grille de dépouillement avait servi à la saisie de l’information collectée par observation, revue documentaire ou enquête de marché. Le coût moyen des outils de TIC était calculé à partir des prix renseignés par cinq fournisseurs différents. Pour des raisons de comparabilité, les coûts moyens étaient rapportés en dollars US (USD) au taux de conversion pratiqué au moment de l’étude (2021), à savoir 1 USD = 2 304,878 francs burundais.

La saisie et le traitement des données étaient faits à l’aide de l’application Excel.

Sur le plan éthique, l’étude était autorisée par le doyen de la Faculté de médecine de Bujumbura et les personnes participantes étaient informées de l’objectif de l’étude à travers une notice introductive.

2. Résultats

Caractéristiques des personnes répondantes

Des 606 étudiantes et étudiants inscrits, 331 (55 %) avaient participé à l’enquête. Parmi eux, 273 (82,5 %) étaient inscrits aux deux premiers cycles des études médicales et 58 (17,5 %) au cycle de spécialisation.

Niveau atteint par les étudiants et étudiantes dans le processus d’intégration pédagogique des TIC

Parmi les 331 personnes répondantes, le choix s’était porté sur le niveau Initiation pour 14 étudiantes et étudiants (4,2 %), sur le niveau Adoption pour 50 (15,1 %), sur le niveau Adaptation pour 100 (30,2 %), sur le niveau Appropriation pour 116 (35,0 %) et sur le niveau Invention pour 43 (13,0 %), alors que 8 personnes répondantes (2,4 %) estimaient qu’aucune proposition ne correspondait à leur niveau.

Les facteurs personnels

La possession des outils de TIC et leur utilisation (Tableau 1)

Parmi les étudiantes et étudiants interrogés, 93 % possédaient un téléphone intelligent, 68 % pouvaient utiliser plusieurs logiciels, 52 % possédaient un ordinateur personnel et 42 % disposaient d’une connexion Internet fiable. L’usage des TIC était la communication sociale pour 98 % des étudiants et étudiantes, la préparation des exposés pour 84 %, l’enrichissement du contenu des cours reçus pour 78 %, la possibilité de faire plus d’exercices d’application pour 57 %, la préparation de présentations graphiques pour 53 %, l’auto-information pour 45 %, la résolution de problèmes pour 35 % et la construction de contenus d’apprentissage pour 13 %. `

Tableau 1

Effectifs des étudiants et étudiantes en fonction de l’usage qu’ils font des TIC (N = 331)

Effectifs des étudiants et étudiantes en fonction de l’usage qu’ils font des TIC (N = 331)

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Les facteurs de motivation : avantages et inconvénients (tableau 2)

Tableau 2

Avantages et inconvénients liés à l’intégration pédagogique des TIC (N = 331)

Avantages et inconvénients liés à l’intégration pédagogique des TIC (N = 331)

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Les avantages perçus par les étudiants et étudiantes étaient un apprentissage plus rapide (78 %), dynamique et motivant (67 %), focalisé sur l’étudiant ou l’étudiante (67 %), une compréhension plus aisée des concepts abstraits (77 %) et une plus grande interaction personne enseignante-élèves (55 %). Parmi les avantages futurs en milieu professionnel figuraient les préparations à utiliser la télémédecine (77 %) et le dossier patient électronique (63 %), à mieux gérer les services hospitaliers (56 %), à communiquer efficacement avec un patient auto-informé (44 %) et à maintenir ses connaissances à jour (36 %).

Les inconvénients relevés étaient les problèmes de santé, dont la fatigue des yeux (69 %) et l’exposition aux radiations magnétiques (69 %), le risque d’inondation par un volume excessif d’informations non contrôlées (68%) et de remise en question du message de la personne enseignante par un étudiant ou une étudiante ayant accès aux mêmes sources d’information (42 %), la perte de la capacité de rédaction (41 %) et l’augmentation du risque de fraude aux examens (14 %).

Les facteurs pédagogiques

Selon le tableau 3, les principaux facteurs pédagogiques recherchés étaient en rapport avec la formation en rapport avec l’intégration pédagogique des TIC.

Tableau 3

Effectifs des personnes participantes ayant reçu une formation en rapport avec les TIC (N = 331)

Effectifs des personnes participantes ayant reçu une formation en rapport avec les TIC (N = 331)

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Parmi les 331 personnes participantes, 282 (85 %) avaient bénéficié d’une formation en informatique de base et 24 (7 %) d’une initiation en pédagogie universitaire.

L’étude montrait que 28 % des étudiantes et étudiants avaient été exposés à l’enseignement en ligne, 23 % à l’enseignement assisté par ordinateur, 18 % à l’animation 3D et 1 % aux simulateurs virtuels, aux jeux didactiques ou aux communautés virtuelles, alors que 23 % n’avaient été exposés à aucune de ces techniques.

Les facteurs institutionnels

Selon le tableau 4, l’équipement informatique en état de fonctionnement de la Faculté de médecine comprenait 3 ordinateurs portables, 20 vidéoprojecteurs, 6 écrans de projection et 16 ordinateurs de bureau.

Il n’y avait aucun équipement de prise d’images, ni lecteur de CD-DVD, ni tableau tactile interactif, ni connexion Internet spécialisée, ni bibliothèque numérique, ni site Web, ni service de maintenance. Les étudiants et étudiantes avaient accès au réseau HINARI (Health InterNetwork Access to Research Initiative).

Au moment de l’enquête, l’observation et la revue de documents institutionnels organisationnels avaient permis de constater que tous les facteurs organisationnels recherchés étaient inexistants.

Tableau 4

Existence ou non des facteurs institutionnels à la Faculté de médecine et dans le pays

Existence ou non des facteurs institutionnels à la Faculté de médecine et dans le pays

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Les facteurs de l’environnement numérique national (tableau 5)

Il existait une stratégie nationale pour le développement numérique dont la mise en oeuvre n’était pas effective.

Tableau 5

Présentation du coût moyen des outils de TIC au Burundi

Présentation du coût moyen des outils de TIC au Burundi

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Le Burundi appliquait une taxe d’importation de 36 % de la valeur du matériel informatique (18 % de droits de douane et 18 % de taxes sur la valeur ajoutée). Le coût annuel d’une connexion Internet fiable (moyen et haut débit) variait de 300 à 1 200 $ US (USD) et celui d’un ordinateur portable de performance moyenne était de 522 $ US. L’allocation annuelle de subsistance accordée à chaque étudiant et étudiante par le gouvernement était de 378 000 francs burundais (BIF) ou 164 $ US en 2021 (1 USD = 2 304,878 BIF).

3. Discussion

Les résultats de cette étude apportent une contribution à la connaissance de la thématique de l’intégration pédagogique au Burundi. Le niveau atteint par les étudiants et étudiantes et les facteurs de leur environnement contextuel susceptibles d’influencer la dynamique d’intégration pédagogique des TIC ont été établis. Parmi les limites observées, on peut évoquer le mode d’échantillonnage par commodité, choisi pour réduire le taux de non-réponse observé lors de l’enquête préliminaire où les causes de non-réponse étaient l’absence le jour de l’enquête ou le désistement des unités tirées au sort. Cependant, la participation à l’enquête de plus de la moitié (55 %) des étudiantes et étudiants inscrits permettait d’atténuer les limites de ce mode d’échantillonnage. La réalisation de l’étude dans un seul établissement d’enseignement au Burundi et la focalisation sur l’étudiant et l’étudiante limitent le champ du diagnostic. Toutefois, les résultats de ce travail ont montré la faisabilité de ce genre d’étude au Burundi et ouvrent la voie à des études élargies à l’ensemble du système éducatif burundais afin d’établir un diagnostic plus exhaustif et de proposer des solutions pertinentes.

Niveau atteint par les étudiants et étudiantes dans le processus d’intégration pédagogique des TIC

L’utilisation des TIC dans la formation était déjà une réalité à la Faculté de médecine de Bujumbura. Plusieurs étudiants et étudiantes utilisaient les TIC comme outil dans leur apprentissage, notamment pour accéder à l’information et améliorer la qualité des présentations. Près de la moitié des étudiants et étudiantes utilisaient les TIC pour résoudre des problèmes ou créer des contenus d’apprentissage avec plus ou moins d’autonomie. Cependant, même pour ce deuxième groupe étudiant à un stade avancé dans le processus, toutes les conditions d’une véritable intégration pédagogique des TIC n’étaient pas réunies. En effet, les résultats des observations et de la revue documentaire montraient que l’approche pédagogique institutionnelle était restée de type traditionnel, fondée sur le paradigme « enseignement ». Selon Fu (2013), l’utilisation en classe des outils de TIC est une condition nécessaire qui doit être combinée à une approche pédagogique de type constructiviste pour créer la synergie nécessaire en vue d’atteindre la transformation souhaitée. Dans la même ligne de pensée, la présentation seule d’un cours en utilisant l’outil informatique est loin de remplir le sens d’intégration des TIC en éducation (Mastafi, 2014). La présence d’un nouvel outil est une condition nécessaire au développement de pédagogies novatrices, mais elle n’est pas une condition suffisante à une efficacité certaine (Depover et al., 2007). L’apport des technologies en classe devrait être un moyen de transformer progressivement les pratiques pour les faire passer graduellement d’un paradigme « d’enseignement » vers un paradigme « d’apprentissage » (Castro Sánchez et Alemán, 2011; Coen et Schumacher, 2006).

Les facteurs personnels de la dynamique d’intégration pédagogique des TIC

Parmi les facteurs personnels de l’environnement contextuel des personnes enseignantes, Karsenti et al. (2001), Gueye Ba (2017) et Raby (2004) soulignent l’importance de leur motivation, de la perception positive en faveur des TIC, du besoin de reconnaissance de la fonction enseignante, de la volonté et de la capacité à apprendre seul avec les TIC et à apprendre des élèves, de l’utilisation de l’ordinateur et de l’accès à Internet à domicile.

Pour l’étudiant ou l’étudiante, les facteurs de motivation étaient la possession des outils de TIC et la capacité de les utiliser, ainsi que les avantages immédiats dans l’apprentissage ou futurs en milieu professionnel.

En ce qui concerne la possession d’outils de TIC, les résultats de notre étude étaient comparables à ceux d’une étude réalisée au Maroc par Oulmaati (2017). La plupart des étudiantes et étudiants possédaient des téléphones intelligents et presque la moitié d’entre eux disposaient d’ordinateurs portables.

Les étudiants et étudiantes avaient relevé quelques avantages pour l’apprentissage qui recoupaient, en plusieurs points, le constat de plusieurs auteurs et autrices, dont Bibeau (2008), Karsenti et al. (2012) et Guennoun et Benjelloun (2016). Il s’agissait principalement de la rapidité d’acquisition de connaissances, l’assimilation plus aisée de concepts abstraits et un apprentissage motivant et interactif. La liste des avantages de l’intégration pédagogique attendus en milieu professionnel par les étudiants et étudiantes s’alignait sur celle de Karsenti et Charlin (2010). Le principal point de convergence était l’importance d’acquérir la compétence informationnelle pour mieux exploiter les potentialités de la télémédecine, construire une relation efficace avec un patient de plus en plus informé, organiser plus d’efficacement les services hospitaliers, maintenir à jour ses connaissances et se perfectionner.

Les étudiants et étudiantes avaient relevé quelques inconvénients, dont la pertinence mérite d’être soulignée. Il s’agissait notamment du risque d’inondation par un volume excessif d’informations non contrôlées ou de remise en question du message de la personne enseignante par une étudiante ou un étudiant trop informé et du risque de fraude aux examens par le truchement des téléphones portables. Relativement à la perte de la capacité d’écrire soulignée par les étudiants et étudiantes, Karsenti et Collin (2013) confirmaient plutôt le rôle primordial des technologies pour développer l’habileté à écrire des élèves, sur le plan tant du fond que de la forme.

Les facteurs pédagogiques

Les facteurs pédagogiques dans l’environnement contextuel de la personne enseignante sont la formation technique et la formation pédagogique à l’utilisation des TIC (Karsenti et Larose, 2005; Raby, 2004) et, dans le domaine médical, la capacité de concevoir des situations d’apprentissage comme l’approche par problèmes et l’apprentissage au raisonnement clinique (Gueye Ba, 2017).

Les personnes enseignantes et les étudiants et étudiantes de la Faculté de médecine de Bujumbura n’avaient bénéficié ni de la formation technique ni de la formation à l’intégration des TIC en éducation. Seule une formation en informatique, comme objet d’apprentissage (Karsenti, 2009; Maddux et Johnson, 2006), était organisée pour les étudiants et étudiantes de première année. Or, la formation technique et technopédagogique des personnes enseignantes ainsi que l’acquisition de la compétence pour assumer leur rôle de tuteur sont des conditions incontournables pour réussir l’intégration pédagogique des TIC (Basque, 1996; Deaudelin et al., 2001; Tchameni Ngamo, 2009).

Pour l’étudiant ou l’étudiante, l’apprentissage de la manipulation des TIC est un prérequis au processus d’intégration pédagogique des TIC (Basque, 2005; Bouzidi, 2005; Castro Sánchez et Alemán, 2011; Dumouchel et Karsenti, 2018; Fu, 2013; Karsenti et Tchameni Ngamo, 2009).

Karsenti et Charlin (2010, p. 137) affirment que « l’apprentissage de l’utilisation des TIC et l’acquisition de la compétence informationnelle devraient impérativement faire partie de la formation initiale et continue des médecins ».

Les facteurs institutionnels ou organisationnels

Les facteurs institutionnels englobent la création d’un environnement pédagogique permettant aux personnes enseignantes d’appliquer les TIC dans l’apprentissage. Cet environnement est soutenu par la capacité en technologies TIC de l’établissement, la formation des personnes enseignantes et des étudiants et étudiantes sur les applications pédagogiques des TIC et la création d’une structure chargée du processus d’intégration pédagogique des TIC (Gueye Ba, 2017). Comme l’environnement institutionnel influençant le processus d’intégration pédagogique est commun pour tous les acteurs, nous avons recherché les mêmes facteurs listés plus haut pour l’étudiant et l’étudiante. Au moment de notre enquête, l’équipement en outils de TIC de la Faculté de médecine de l’Université du Burundi était insuffisant, sans aucune perspective de renforcement, et ne bénéficiait d’aucun service de maintenance. Ce constat relatif au manque d’équipements essentiels dont les logiciels, les ordinateurs, une alimentation électrique stable est confirmé par Tchameni Ngamo (2009, p.77). Basque (1996) soulignait l’importance de maximiser l’accès aux équipements et de vérifier la compatibilité des équipements. Selon Karsenti et Larose (2001), les responsables administratifs des universités doivent composer avec des budgets d’investissement et de fonctionnement prohibitifs liés à l’implantation d’infrastructures technologiques que requièrent les éventuelles innovations curriculaires ou pédagogiques.

Les éléments essentiels de la démarche organisationnelle d’intégration des TIC dans une école sont une structure de coordination, une stratégie (vision, modèle pédagogique choisi), une dynamique de changement (plaidoyer, incitatifs), des documents de procédures pour l’intégration ainsi que la formation du personnel de direction, des personnes enseignantes et des étudiants et étudiantes (Rocheleau et Basque, 1998). Pour réussir l’intégration pédagogique des TIC, Basque (1996) soulignait l’importance d’une vision à long terme, d’un plan opérationnel, d’une structure organisationnelle, de partenariats actifs, de canaux de communication et de la disponibilité de fonds suffisants pour soutenir le changement. Ces facteurs étaient inexistants à la Faculté de médecine de l’Université du Burundi, de même que l’approche pédagogique restait de type traditionnel.

Les facteurs de l’environnement numérique national

Plusieurs facteurs de l’environnement numérique étaient défavorables à l’intégration pédagogique. Il s’agissait entre autres de la non‑mise en oeuvre d’une stratégie de développement numérique et des coûts élevés du matériel informatique, notamment en raison des taxes élevées à l’importation. Comme la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, le Burundi souffrait des conséquences de la fracture numérique. Selon le rapport annuel de l’Union internationale des télécommunications (2020), 65 % des individus dans le monde avaient une connexion au réseau Internet et cette proportion était de 33 % en Afrique. Ce retard était aggravé par le coût excessif de la connexion Internet par rapport à la richesse des pays africains. Selon ce même rapport, le coût moyen annuel du haut débit en Afrique atteignait 18,6 % du produit intérieur brut tandis qu’il ne dépassait pas 2,8 % au niveau mondial.

Ce retard était encore plus considérable au Burundi, où le pourcentage d’individus utilisant Internet n’y dépassait pas 9,4 %, en 2020. A la même période, ce pourcentage variait de 19 % à 29,5 % dans les pays de la région de l’Afrique de l’est (Banque mondiale, 2020). Le coût d’un ordinateur de performance moyenne additionné au coût annuel de la connexion Internet était cinq fois supérieur à la subvention annuelle de subsistance accordée à chaque étudiant et étudiante.

En plus des conséquences négatives du fossé numérique, le Burundi comme la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne est aussi touché par le fossé pédagogique (Karsenti, 2009).

Selon Mequanint et Lemma (2014, p. 81), les pays en voie de développement frappés par les effets de ce double fossé focalisent leurs efforts sur l’accès des apprenants aux équipements et aux infrastructures de télécommunication, pour faciliter l’utilisation des TIC dans le secteur de l’éducation. Alors que l’intégration efficace des TIC en pédagogie repose sur la fluidité du lien entre les domaines des connaissances et les outils pour accéder à ces connaissances.

Conclusions et recommandations

Cette étude, basée sur l’opinion des étudiants et étudiantes en médecine de l’Université du Burundi, avait montré que des jalons du processus étaient déjà posés dans le processus d’intégration pédagogique des TIC. Près de la moitié des étudiants et étudiantes faisaient des TIC un usage compatible avec la définition de l’intégration pédagogique. Mais l’approche pédagogique appliquée à la Faculté de médecine étant restée traditionnelle, cette situation ne réalisait pas toutes les conditions de l’intégration pédagogique des TIC.

L’absence ou la mise en place incomplète des facteurs personnels, pédagogiques et institutionnels de même qu’un environnement numérique national défavorable constituaient les principales entraves à la dynamique de l’intégration des TIC dans l’apprentissage des étudiants et étudiantes en médecine de l’Université du Burundi. Les bénéfices immédiats pour l’apprentissage et futurs en milieu professionnel ainsi que la formation au maniement de l’ordinateur étaient probablement les seuls éléments de motivation qui justifiaient le niveau atteint par les étudiants et étudiantes. De manière spécifique, l’absence d’une vision et d’une stratégie institutionnelles, la non-implantation des éléments organisationnels essentiels de la dynamique d’intégration pédagogique, l’insuffisance et le manque de maintenance de l’équipement technique ainsi que les coûts des outils hors de portée par rapport à la capacité financière étudiante étaient plutôt des freins à la dynamique.

De toute évidence, une action rapide sur les effets de la fracture numérique mondiale n’est pas envisageable dans l’immédiat. Par contre, une action sur les facteurs de l’environnement numérique national et les facteurs institutionnels stratégiques et organisationnels pourrait créer des conditions plus favorables. La mise en place d’un dispositif fiscal particulier sur les équipements de TIC et de connectivité ainsi que la définition d’une vision, d’une stratégie et d’un plan d’action institutionnels devraient figurer sur la liste des actions prioritaires. Ces actions pourraient améliorer l’accès aux équipements techniques et accélérer les changements vers une approche pédagogique innovante, exploitant au mieux les potentialités transformatrices de l’intégration pédagogique des TIC.

Les résultats de ce travail ont montré la faisabilité de ce genre d’étude au Burundi et ouvrent des pistes de réflexion pour améliorer la stratégie d’implantation de l’approche par problèmes, en cours à la Faculté de médecine de Bujumbura.